Equilibrium

De Kurt Wimmer, 2002.

Souvent classé dans les très bons films oubliés, Equilibrium a, depuis son four en salle, gagné de nombreux aficionados dans sa carrière DVD/BluRay/On-Demand. Lorsqu’il l’a réalisé, Kurt Wimmer n’était alors qu’un relatif inconnu. Il n’avait dirigé que le très méconnu One Tough Bastard (tout un programme), dont il avait cependant été viré à la moitié de la production. C’était donc un pari assez invraisemblable, début 2000, pour Dimension Film, d’accepter de produire, il est vrai pour un budget relativement modeste (20 millions de dollars), un dystopie SF assez sombre et violente portée par un homme qui n’avait jusque-là pas fait ses preuves (Wimmer réalise, mais c’est également lui l’unique scénariste du film). Comment ce fait-ce (et non cette fesse), me direz-vous ? Et bien tout simplement parce que les studios étaient à la recherche du nouveau Matrix et d’un hold-up sur le box-office similaire à celui que les frères (alors)/sœurs (maintenant) Wachowski avaient réalisés en 1999. Mouais.

De quoi ça parle, en gros ? Eh bien, pour les fans de SF que je vous soupçonne d’être, ce n’est pas bien compliqué. Equilibrium est un hommage très appuyé au THX 1138 de Georges Lucas, lui-même hommage très inspiré du Meilleur des Mondes de Huxley (et de 1984 d’Orwell – ou encore de Nous autres de Zamiatine – et je suis sûr que la dernière référence est plus obscure, hein, hein ? 🙂 ). Bref, une dystopie futuriste classique. John Preston (Christian Bale) est un ecclésiaste du Tetra-Grammaton, un ordre religieux/milice privée du dictateur qui règne sans partage sur cette Terre post-apocalyptique. Depuis la troisième guerre (nucléaire) mondiale, l’humanité a compris que son salut viendrait de la suppression des émotions. Pour ce faire, nous sommes tous obligés de prendre nos doses quotidiennes de Prozium, qui inhibent nos sentiments et nous transforme en gentils zombis inoffensifs. Et les ecclésiastes sont là pour veiller au grain. Surentrainé à l’art du Gun-Kata, une forme d’art martial où le combattant virevolte avec une économie de mouvements pour éviter les trajectoires des ripostes, ce sont de véritables machines à tuer.

Et tout va bien jusqu’à ce que le partenaire de Preston (joué par un Sean Bean qui meurt évidemment au bout de quelques minutes, puisque Sean Bean meurt toujours dans les films !), qui a décidé d’arrêter de prendre ses médocs, sème le doute dans l’esprit de son coéquipier alors que celui-ci l’abat de sang-froid. S’en suit l’histoire classique de la prise de conscience et de la rébellion contre le système en place, trame extrêmement classique pour tout amateur de SF un peu éveillé.

Du coup, son statut de film « culte« , de classique ignoré, m’échappe un peu… Ok le film est relativement maitrisé. Wimmer, malgré des moyens limités, parvient à reconstruire un monde de demain froid et monochrome qui tient la route. L’esthétisme est bien maîtrisé, tout comme les costumes des différents protagonistes, à mi-chemin entre THX1138 et Matrix (pour le côté cuir). Les performances d’acteurs sont remarquables. Bale, comme a son habitude, développe un charisme incroyable malgré l’extrême froideur de son personnage. Les seconds rôles jouent également très juste : Taye Diggs joue un ecclésiaste souriant, ce qui le rend encore plus inquiétant que Preston/Bale; Emily Watson, en victime sacrificielle, est parfaite pour le rôle ; Angus Macfadyen campe un dictateur tout à fait crédible et William Fichtner promène sa tête de chien battu avec brio. Rien à redire niveau casting, donc.

Le film accuse un peu son âge côté technique, avec de incrustations qui ont mal vieillies (notamment et bizarrement dans les transitions entre décors réels et mate paintings). De même, les scènes de fusillade, qui furent visiblement appréciées à la sortie du film pour « leur chorégraphie audacieuse » frisent le ridicule aujourd’hui. Le film est quand même sorti trois ans après Matrix et il n’y a clairement pas photo entre les deux. Dans le montage, le film ose de belles choses, avec quelques montages qui accélèrent intelligemment des parties d’exposition plus longue et certainement inutiles. Cela permet de garder un rythme dans le film et de ce centrer sur son esthétisme et sur son histoire.

Et c’est là que les romains s’empoignèrent. Je n’ai rien contre une histoire balisée, de temps à autre, mais je ne saisis pas en quoi le scénar vaut vraiment le coup. Les développements scénaristiques sont tellement clichés pour l’amateur de SF lambda que l’on n’est littéralement jamais surpris. Equilibrium ne fait d’ailleurs pas l’épargne de quelques facilités qui me laisse perplexe : le passage où Preston sauve un chiot des mains de ses anciens collègues, par exemple, me semble verser dans le pathos facile de manière tellement éhontée que je me demande bien quel scénariste oserait encore faire ce genre de scène dans un film respectable… Les rebondissements n’en sont donc pas et le film avance gentiment vers une fin attendue et convenue.

Comprenez-moi : Equilibrium n’est pas un mauvais film. Loin de là. On sent que Wimmer y a mis ses tripes, parfois naïvement, et qu’il a essayé de faire du mieux qu’il pouvait dans les limites de son budget. En soit, c’est déjà remarquable. Mais son statut de « classique ignoré » me semble totalement usurpé. Son histoire est tellement convenue (nettement plus que celle de son modèle, THX 1138, au passage) qu’on peut au plus le considérer comme une série B très classe et particulièrement bien servie par des acteurs talentueux. Mais pas au-delà de ça. D’où mon incompréhension et mon jugement peut-être un peu sévère.

Sexe !

Sous-titré : Le trouble du héros

D’Alexandre Mare, 2010.

Court essai d’Alexandre Mare sorti chez les Moutons électriques il y a dix ans déjà, la republication récente dans la collection Hélios est l’occasion de redécouvrir ce qui fut, à l’époque, l’une des premières études sérieuses à se pencher le comportement sexuel de nos personnages de fiction préférés. Depuis lors, les études psychologiques, sociologiques ou relevant d’autres volets des sciences humaines sur nos « héros modernes » se sont multipliées et il n’y a plus grand chose d’exceptionnel à gloser de manière très sérieuse sur un matériau de base qui l’est nettement moins. Mais est-ce bien le cas ? Est-il réellement moins sérieux, ce matériau de base ? C’est l’une des questions auxquelles Sexe ! […] répond par la négative.

Pour Alexandra Mare, il y a en effet beaucoup à apprendre par exemple en décortiquant l’organisation sociale de cette grande communauté gay-friendly qu’est le Village des Schtroumfs. Et il y a aussi des leçons à tirer du message contradictoire livré par Alerte à Malibu ! ; l’ostentation charnelle cacherait en fait une pudibonderie bien-pensante où le sexe libre est synonyme de mal et est puni par les scénaristes de manière forcément tragique. Et les pauvres Batman, Superman, Wonderwoman et Captain America sont logés à la même enseigne : comme idéaux, comme archétypes inatteignables du genre humain, ils sont soumis aux affres d’une sexualité impossible qui n’est que le reflet de leur ethos dérangé.

Oui, bon, je simplifie un peu. Pour être honnête, le livre alterne les coups d’éclats, les analyses brillantes et inattendues avec, malheureusement, une certaine forme de verbosité de psychanalyse de comptoir. J’exagère sans doute ici en versant dans l’hyperbole, pour le bien de la démonstration, mais c’est le risque avec ce genre d’interprétation : la surinterprétation. Vouloir donner du sens à tous les comportements humains revient de temps à autre à inventer des corrélations douteuses entre des statistiques qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre (et qui étaient, jusque-là, bien contentes de s’ignorer mutuellement). Du coup, si Alexandre Mare nous force à réfléchir et à nous poser des questions saines sur des comportements malsains, s’il nous amène intelligemment à jeter un regard nouveau sur des choses que l’on croyait connaître, je trouve qu’il est parfois un peu malhonnête dans son raisonnement.

Il le dit d’ailleurs lui-même dans son livre. Explicitement. Il n’a choisi que les éléments qui lui permettait de creuser son idée dans un corpus qui est souvent beaucoup plus large (et presque toujours plus nuancé) que ce qu’il a choisi de traiter. Le meilleur exemple est sans doute Conan, dont il ne traite que la première adaptation filmée de John Milius. Or, pour intéressante que soit son analyse, le premier film de Conan en dit certainement plus long sur la psyché dérangée de John Milius (et d’Oliver Stone, qui scénarisa le film contre toute attente) que sur le personnage imaginé par Robert E. Howard, infiniment plus riche et plus subtil que sa version « simplifiée » du long métrage. Et sans être un spécialiste de Marvel ou de DC, je suis à peu près sûr que les choix établis pour Batman ou pour Captain America sont du même tonneau, peu ou prou.

Cette réserve majeure mise à part, le bouquin est amusant, ludique et m’a fait découvrir, en effet, des éléments que j’ignorais (notamment sur les origines de Superman et le lien très proche avec la violence dans les rapports physiques de ce dernier). C’est clairement l’œuvre d’un homme qui a une culture évidente dans le domaine des comic books et de la littérature de genre : il aime ce qu’il commente. Même Baywatch. Et cela explique aussi, au moins partiellement, la fascination de l’homme envers ces figures monolithiques, presque mythiques des héros modernes. Car Mare est également un roublard sur un autre aspect de son livre : au-delà des analyses très freudiennes sur les pratiques sexuelles des cas envisagés, il dévie largement vers d’autres analyses psychanalytiques, voire même sociétales, dans les différents textes qui composent cet ouvrage. Car, finalement, ces héros modernes ne sont que le recyclage des figures mythiques qui passionnent l’humanité depuis qu’elles existent. La conclusion de Sexe ! […] ne parle d’ailleurs pratiquement que de leurs ancêtres grecs et romains, puisque nos superhéros ne sont jamais que des avatars modernisés de ces modèles classiques (Hercule, Achille, etc.) D’où la deuxième entourloupe : ce qui nous est présenté ici comme un texte « révolutionnaire » s’inscrit en fait dans la longue tradition de l’analyse des textes antiques, avec, il est vrai, un angle particulier. Car pourquoi jaser sur l’homosexualité latente de Batman ? En quoi est-elle différente de celle d’Achille qui fut, et pour une période beaucoup plus longue que le fana de chauves-souris, un modèle pour l’humanité dans son ensemble (de virilité, qui plus est) ?

Reste entre nos mains un petit livre amusant, par moment un peu trop verbeux, mais qui se lit vite et permet de briller en société avec toute une série d’anecdotes qui vous feront passer pour un vieux sage qui sait prendre du recul sur ce qu’il lit. Et ça, c’est déjà pas mal !

PS : et je ne ferais pas de commentaire (en fait si, c’est ce que je suis en train de faire 🙂 ) sur le titre un peu putassier de l’ouvrage. Le fait d’utiliser le mode Sexe ! en grand sur la couverture alors que l’analyse va bien au-delà de cela revient un peu à un mécanisme bassement mercantile pour attirer le chaland. Et le fait que je sois tombé dans le panneau à pieds joints dit sans doute quelque chose sur mon propre équilibre mental ! 🙂

Big Trouble in Little China

De John Carpenter, 1986.

Il est des films culte à côté desquels on passe pour des raisons qui nous échappent. Big Trouble in Little China était, pour moi, de ceux-là. John Carpenter est pourtant le genre de cinéaste dont la filmographie laisse peu de place au doute : bien qu’inégale, elle compte au moins deux films de genre devenus des classiques, donnant à l’horreur une étiquette de respectabilité cinématographique. Qui, en effet, peut encore aujourd’hui dénigrer ou nier l’influence d’Halloween (1978), premier du nom, ou du remake de The Thing qu’il signa en 1982 ? Il est et restera l’un des grands noms du cinéma de genre des années 80, avant de disparaitre des radars au fil des années 90.

Et Big Trouble in Little China est sans doute son dernier grand film, époque Kurt Russell. L’acteur, qui avait déjà incarné les rôles principaux dans The Thing et dans New York 1997 (sorti en 1981), trouve ici un personnage qui lui va comme un gant. L’interminable titre français de Big Trouble in Little China, Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin, ne s’y trompe pas : c’est un film sur Jack Burton. Le type en question est un conducteur de camion un poil redneck qui vient livrer des surgeler à Chinatown, en plein cœur de Manhattan. À la suite d’un concours de circonstances un peu idiot, il se retrouve à accompagner son ami Wang Chi (joué par le méconnu Dennis Dun) à l’aéroport pour y récupérer sa fiancée. Pas de bol, cette dernière, une chinoise aux yeux verts, cas visiblement extrêmement rare, est enlevée pour être apporté au patron local de Triade. Ce dernier, cependant, se révèle bien vite être plus qu’un simple criminel : c’est un ancien magicien immortel qui a besoin de « consommer » des jeunes femmes aux yeux verts pour assurer la continuité du pacte qui le lie avec les forces obscures.

Mais Jack Burton ne va pas se laisser faire. Même s’il n’y capte pas grand-chose à toute cette histoire de magie et d’immortel, il ne va pas laisser son pote dans la mouise. Il sort son gros camion, ses santiags, ses poings et ça va bastonner sec dans les ruelles de Chinatown ! Vous l’aurez saisi, Big Trouble in Little China est un petit plaisir totalement régressif. Echec commercial retentissant à sa sortie en salle, le film est devenu culte à l’époque bénie des VHS. C’était la comédie d’action un peu grasse qu’il fallait avoir vu. Surfant maladroitement sur la vague des films d’aventure lancée par Indiana Jones (je dis bien maladroitement, car si j’aime bien Carpenter, ce n’est quand même pas Spielberg non plus, hein ! ni dans l’intention, ni dans le résultat) et sur le succès alors encore récent des films d’art-martiaux qui commençaient à franchir le pacifique, Carpenter s’est lancé dans cette blague de potaches avec tout son cœur et toute son inventivité visuelle.

Car on ne s’ennuie pas, en regardant le film. Cela va même tellement vite qu’une partie des scènes d’exposition, nécessaires à l’intrigue, sont rushées en quelques minutes à peine pour laisser plus de place aux bagarres et aux effets spéciaux. Difficile de juger si c’était bien l’intention du réalisateur ou si c’est le résultat d’un compromis avec les producteurs, mais ce qui est sûr, c’est que cela ne laisse que peu de temps pour respirer au spectateur. Le film enchaîne donc les moments de bravoure et les effets spéciaux très années 80. On se croirait, par moment, dans un Goonies pour grands ados, avec des scènes qui appartiennent clairement au genre du fantastique dans un film qui se passe pourtant en plein Manhattan. Les effets spéciaux ont bien sûr vieilli, mais on y retrouve la patte très caractéristique de Carpenter et de toute une série de films d’horreur à moitié désargenté des années 80. Ce qu’ils manquaient en budget, ils l’ont compensé par un véritable artisanat du maquillage et de l’animatronique.

Pour le reste, le film, bien que très divertissant, est quand même franchement bancal. A force d’hésiter entre la fable fantastique et le film de kung-fu, il échoue finalement sur les deux tableaux. Et Kurt Russell, qui s’en donne à cœur joie dans l’ensemble de sa prestation, joue quand même un gros abruti. Ok, Indiana Jones peut être un gros lourdaud quand il le veut (sexiste, hautain, colérique, etc.), mais il n’est jamais ridicule. Jack Burton, lui, est pour finir un gros débile qui s’en sort plus à l’esbroufe qu’en raison de quelconques compétences.

Pourtant, le personnage comme le film en entier son éminemment sympathiques. On y croise les seconds rôles asiatiques qui ont fait le bonheur des comédies d’action US des années 80 : James Hong (trop de films pour les citer) ou encore Victor Wong (L’Année du Dragon, L’Enfant Sacré du Tibet, Tremors, etc.) On y revit également une certaine insouciance, dénuée de cynisme, qui nous emmenait avec plaisir dans des univers et des histories improbables lorsque nous étions encore capables d’apprécier le premier degré. Oui, Big Trouble in Little China n’est pas bien malin. Oui, il a plein de défaut, au premier rang desquels son protagoniste principal tête à claque. Mais c’est aussi une comédie d’aventure et d’action foutrement efficace. Du pur entertainment « à papa« . A consommer sans modération, avec chips et coca (et si possible, potes de la même génération avec lesquels vous pourrez continuer à la soirée en évoquant vos souvenirs de Bloodsport, L’Enfant Sacré du Tibet, Le Diamant du Nil, etc.) Une belle tranche de nostalgie, même si, comme moi, on le découvre sur le tard.

Averoigne & autres mondes

De Clark Ashton Smith, 1930-1951.

Après Zothique, Averoigne et autres mondes est le second des trois tomes poches couvrant l’ensemble des textes fantastiques de Clark Ashton Smith. Le bouquin, assez épais, regroupe deux tomes de l’intégrale de luxe qui avait été publiée à la suite d’un financement participatif en 2017 par les éditions Mnémos, à savoir le tome consacré à Averoigne et celui consacrés aux autres mondes abordés par Smith au gré de ses publications dans les magazines pulps des années 30. La grande majorité des textes du recueil date des années 1930 à 1935, avec quelques textes courts plus tardifs.

Il est évidemment impossible (et peu souhaitable) de chroniquer ici les 23 nouvelles et les quelques poèmes qui concluent l’ouvrage. Le schéma narratif des nouvelles est connu : il s’agit de textes d’une grosse dizaine de pages qui développent un épisode fantastique ou macabre dans l’un des mondes imaginaires de Smith. Peu de nouvelles sont connectées, à quelques exceptions près où des personnages (qu’ils soient bons ou mauvais) se voient évoquer ou jouer des rôles importants dans plusieurs nouvelles. Le point commun principal des textes est davantage le monde dans lequel ils sont développés et l’ambiance que cela crée. Alors que Zothique nous plongeait dans un Proche-Orient sombre et maléfique, Averoigne est une version légèrement décalée de l’Auvergne moyenâgeuse. On y croise de preux chevaliers qui luttent contre les forces du mal, qu’elles revêtent les habits de vils nécromants ou de terribles stryges.

Et, comme dans Zothique, l’amusant est de constater que les gentils ne gagnent pas forcément. Bien que pur produit de la littérature pulp, Smith, comme vous le savez maintenant, fut fort proche des deux géants de l’époque : Lovecraft et Howard. Et comme eux, il livre des récits qui mêlent le fantastique au macabre. L’horreur est alors forcément gothique et ces références se sentent dans les récits souvent désespérés que Smith livre sur ce moyen-âge fictif. Il en profite également pour écorner la religion chrétienne, rappelant au lecteur que la tentation du mal n’est jamais bien loin des saints hommes qui peuplent alors les monastères isolés, au cœur de sombres et inextricables forêts qui ponctuent ce paysage français imaginaire.

Les histoires que Smith développe, toujours efficace et prenante, représentent toujours le haut du panier de ce que les pulps ont pu livrer dans leurs quelques décennies d’existence. Cependant, je dois l’avouer, le décors, moins exotique et donc probablement un peu plus convenu, place pour moi ce deuxième tome de l’intégrale un peu en-deçà du premier tome que j’avais réellement dévoré. Preuve en est : alors que cela fait de longs mois que je l’ai terminé, je ne prends la peine de vous en parler que maintenant, puisque la sortie récente du troisième et dernier tome de l’intégrale a fait remonter l’auteur dans mes priorités de lecture prochaine. Ne nous méprenons pas : c’est toujours très bon, à n’en pas douter. Mais le « sense of wonder » a simplement un peu moins fonctionner pour moi dans ce tome, le médiéval fantastique d’inspiration européenne étant un territoire de l’imaginaire tellement balisé depuis qu’il devient difficile d’en être encore surpris.

Les « autres mondes » dont il est question dans le titre de l’ouvrage sont constitués de trois nouvelles sur Mars, où de braves explorateurs auront la malchance de tomber sur des « grands anciens » locaux (ce qui n’est jamais une bonne nouvelle, Howard Philip pourra le confirmer ! 🙂 ) et de textes épars relatifs à d’autres mondes et contrées imaginaires. On y croise quelques perles de textes malsains et réellement macabres (notamment une nouvelle où un seigneur local use des pouvoirs de son sorcier pour créer un véritable cauchemar de botaniste en greffant des morceaux d’humains aux arbres et plantes de son sombre jardin). A l’instar de Zothique, Averoigne & autres mondes ne laisse pas beaucoup de place aux rires et à l’émerveillement. Je parlais de dark fantasy dans ma précédente chronique et cela est toujours vrai pour celui-ci. Et si quelques textes se concluent sur le succès du héros vertueux (qui, contrairement à ce qui se passait dans Zothique, parvient ici à sauver la dame en péril), nombre de texte restent noirs et amoral. Les amateurs de pulp noir au style travaillé en auront pour leur argent. Le troisième et dernier tome est pour bientôt dans ces colonnes.

The Witcher – Saison 1

De Lauren Schmidt Hissrich, 2019.

Il me faut débuter cet article par un disclaimer : je n’ai jamais joué aux jeux vidéo The Witcher et je n’ai pas encore entamé la saga romanesque d’Andrzej Sapkowski. Du coup, je n’avais pas réellement d’apriori en débutant la saison 1 de ce qui fut annoncé comme le successeur de Game of Thrones. J’ai laissé un peu de temps passer avant de la découvrir en raison des échos assez moyens que j’en avais lu ici et là sur le net ces derniers mois. Et plus prosaïquement car je n’avais pas beaucoup de temps pour bingwatcher une série, aussi courte fut elle, ces derniers mois, ma priorité allant à la lecture dans mes rares moments de loisir.

Mais j’ai quand même fini par m’y lancer. Et… j’ai mis un peu de temps à rentrer dedans, soyons honnête. Le premier épisode, sympathique, nous lance dans un monde de fantasy lambda avec un héros lambda qui accompli une quête lambda. Bon, ok, de manière plus sombre que la moyenne. Mais le rythme un peu lent et l’absence de background, toujours essentiel quand on se lance dans un monde fantastique que l’on ne connait pas, m’ont laissé un peu froid. J’avais l’impression d’être dans une copie « pour adulte » de Xena. Je suis sévère, mais la réalisation n’était pas formidable et les effets spéciaux assez cheaps. Heureusement, la chorégraphie des combats et les quelques aperçus d’un monde plus complexe et d’une histoire intéressante m’ont poussé à continuer.

Le deuxième épisode, lui aussi assez anecdotique, m’a fait craindre le spectre d’adaptations fauchées de récits usés jusqu’à la corde, comme l’infamante version MTV de Shannara il y a quelques années, ou le Legend of the Seeker de Sam Raimi. Le parallèle, à nouveau, est un peu injuste puisque dans les deux cas cités, l’œuvre d’origine n’est ni très originale ni d’une qualité littéraire irréprochable. Puis, vint le troisième épisode. Et le quatrième. Et les six suivants, dévorés en quelques heures. S’il est évident que Netflix n’a pas mis le paquet, niveau moyens de production, dans cette première saison, rendant une copie passable question réalisation et effets spéciaux (le dragon de je ne sais plus quel épisode fait quand même ‘hachement mal aux yeux après ceux de GoT), la série est très largement sauvée par son scénar et par le monde qu’elle développe.

Bien qu’encore largement entourée de mystères, on se doute que l’arc narratif de Geralt De Riv sera passionnant. Il est le représentant d’un ordre ou d’une caste (pas tellement clair à la fin de cette première saison) qui arrive en fin de vie. Le chasseur de monstres, qui semble immortel, n’a clairement pas la vie facile. Et sous ses dehors bourrus (interprété par un Henri Cavill parfois à la limite de la caricature, avec force grognements à la clé), on sent qu’il a effectivement le potentiel du héros de fantasy qui sauvera la veuve et l’orphelin. Dans le rôle de la veuve, on a celle qui est selon le moi le meilleur personnage de la série, à savoir l’ex-difforme Yennefer De Vengeberg, magicienne de son état qui apprends le grand Art à coup, littéralement, de sang et de sueur. Et dans le rôle de l’orphelin, la charmante Cirilla, héritière d’un royaume dévasté et réceptacle de pouvoirs qui restent, au terme de cette première saison, bien mystérieux. Pas grand chose d’autre à dire sur elle, puisque Cirilla subit les évènement dans ce première saison et n’a pas réellement un rôle proéminent.

Et lorsque la sauce commence à prendre, la mayonnaise est franchement réussie. C’est peut-être l’excellent personnage secondaire joué par non-moins excellent Joey Batey, le barde Jaksier, qui fait balancer la série vers quelque chose d’éminemment plus sympathique et plus passionnant. Jaksier, le cliché du barde lâche et obséquieux, en même temps qu’il est formidablement drôle et efficace, fait un side-kick bienvenu au ténébreux witcher. Il l’humanise avec ses chansons ridicules (mais que j’écoute en boucle depuis que j’ai terminé la série – les musiques, signées par Sonya Belousova et Giona Ostinelli valant leur pesant de cacahouètes) et offre un point d’ancrage au spectateur. Et lorsque l’histoire de Yennefer se développe, triste, grandiloquente et passionnante, on est véritablement accroché.

Mon petit cœur de fanboy de fantasy ne cesse donc d’espérer la fin du COVID-19 pour que reprenne le tournage de la saison 2 afin qu’elle puisse sortir si pas en 2020, au moins quelque part en 2021. Car les producteurs de la série ont en plus osé des choses avec la construction scénaristique. Il m’a fallu quelques épisodes pour comprendre, comme beaucoup d’autres spectateurs, si j’en crois Internet, que les trajectoires des trois héros, Gerlat, Yennefer et Cirilla, appartenait à trois temporalités différentes, parfois distantes de plusieurs dizaines d’années. Avoir deux protagonistes qui ne souffrent pas des affres du temps (Geralt et Yennefer) permet évidemment cette construction asynchrone des épisodes. J’en profite pour tirer mon chapeau aux scénaristes ayant œuvré sur l’adaptation télé pour avoir « reconstruit » une narration fluide à partir de nouvelles éparses du matériau d’origine. Car la série romanesque The Witcher du polonais Sapkowski débute par deux recueils de nouvelles avant de nous embarquer dans une série de romans qui racontent une épopée plus linéaire et classique. Et les producteurs de la série télé ont pris le risque d’adapter les nouvelles et non de débuter les romans, ce qui donne cet aspect parfois décousu entre les épisodes, certainement au début de la série. Mais cela permet de montrer l’  »origin story » de nos trois héros sans user de nombreux flashbacks dans les prochaines saisons.

J’ai cru comprendre que cela avait perturbé nombre de spectateurs qui reprochaient à Netflix une intrigue trop complexe. Mouais. Faudrait quand même voir à pas exagérer : si on est surpris quand on comprend finalement que les temporalités se croisent et se chevauchent parfois, il ne faut pas un PHD en astro-phyique pour analyser l’ensemble quand on a capté l’astuce. Et The Witcher reste, aussi, de la fantasy classique et efficace, avec son lot de monstres divers, de magiciens étranges et de bardes grivois. Donc une histoire à la portée de n’importe quel amateur de légende ou de récit héroïque. Avec juste ce qu’il faut de nudité pour attirer le chaland habitué à cela depuis The Tudors/GoT/Spartacus, etc.

Pour conclure, je dirais simplement que The Witcher est clairement une bonne surprise. Si Netflix réalise qu’il a là non pas un successeur à GoT (ce n’est pas de la fantasy de grands conflits, mais bien de la fantasy plus intimiste qui se déroule, il est vrai, dans un monde en conflit) mais simplement une très bonne histoire de fantasy, il faut espérer qu’ils donneront un peu plus de moyens à la saison 2 pour que la réalisation et ses artifices se rapprochent davantage des standards des séries télé modernes. Ce qui, à première vue, pouvait donc être un nanard sympathique, est en fait une longue introduction en dix épisodes de 50 minutes à ce qui promet d’être une saga riche, dramatique, sombre et passionnante de dark-fantasy. Que demande le peuple, si ce n’est à la saison 2 de confirmer tout cela ?

PS : Et il faut que quelqu’un dise à Henri Cavill que porter des pantalons en cuir moulant quand on est assez musclé, ça… grossit. Du coup, le witcher a l’air parfois un peu boudiné dans son attirail de chasseur de monstres ce qui, je l’imagine, n’était pas l’effet recherché. ?