Pour une naissance sans violence

De Frédérick Leboyer, 1974.

Les livres se suivent et ne se ressemblent pas. Et c’est tant mieux pour l’agilité des quelques neurones qui me restent. Sur le point de devenir papa pour une seconde fois dans quelques semaines (inconscient que je suis !), ma femme a laissé très subtilement traîner Pour une naissance sans violence sur ma table de nuit. Ce qui signifie, en d’autres termes, qu’elle m’a obligé à lire l’essai avant de pouvoir entamer un autre roman ! 🙂 Curieux, je m’y jette donc avec intérêt, puisque nous avons choisis également, tant que cela est possible, d’aller dans la direction d’un accouchement sans douleur.

Eh bien, j’avoue être très positivement surpris par le bouquin ! Autant je trouve que nombre de publications sur la parentalité positive ou sur l’éducation alternative ressemble, dans leur forme et parfois dans leur fond, à l’honnie « littérature » managériale, autant cet essai-ci se démarque par une véritable qualité littéraire et un point de vue qui reste, près de 45 ans après sa publication originale, relativement inédit.

Le bouddhiste Frédérick Leboyer, aux lendemains de la révolution soixante-huitarde, a en effet choisi de rédiger un essai sur la naissance du point de vue du nouveau-né. Alors que les publications sur l’accouchement sans douleur, où la mère est évidemment le centre d’intérêt principal, ne se comptent plus, celles qui parle de la naissance sans violence pour l’enfant sont extrêmement rares. Et pourtant ce que raconte Leboyer dans son livre n’a rien d’extravagant ou d’iconoclaste : il dit simplement que l’accouchement est un évènement traumatique pour le nouveau-né. Quoi qu’il advienne. C’est un changement d’état soudain, un saut vers l’inconnu. Et comme tous les sauts vers l’inconnu, c’est également un traumatisme.

Le but de Leboyer est donc très simple : il veut ouvrir les yeux du lecteur sur ce qui peut être fait pour réduite au maximum ce trauma inévitable. Et c’est limpide : la pénombre, le moins de bruits possible, le plus de douceur possible (et, donc, laisser le cordon le plus longtemps possible pour que le bébé puisse « apprendre » à respirer avec son cordon qui assurer les fonctions vitales malgré tout), le contact direct et prolongé avec la mère, etc. Seul élément qui semble dater dans son texte : on ne donne plus un bain au nouveau-né avant 24h, alors que cela se faisait après une grosse heure dans le passé (et, ce, malgré les bienfaits potentiels d’un retour dans un environnement liquide). Il n’est donc pas nécessaire de faire hurler le bébé pour se rendre compte qu’il va bien. S’il hurle, c’est qu’il est fonctionnel… mais qu’il ne va pas bien.

Ceci à l’air d’aller de soi, mais, en effet, c’est encore loin d’être respecté dans toutes les salles d’accouchement du monde. Le court essai (lu en à peine une heure, au fil de ses 120 et quelques pages abondamment illustrées) de Leboyer met les points sur le i. Et c’est une confirmation pour les parents un peu éveillés sur les questions de parentalité douce, une révélation pour les autres (sans doute). Et au-delà du fond, dont je viens de livrer pratiquement toutes les clés, il reste la forme : l’auteur a choisi un style presque poétique, divisant ses phrases par des retours à la ligne incessant visant à donner une certaine rythmique à la lecture et à accentuer l’importance de certains mots. Du coup, cela se lit comme une sorte de musique, comme un mantra que l’on peut se répéter à l’envi. Les mots sont simples, les idées limpides et le message clair. Il ne reste plus qu’à le mettre en pratique.

La très sérieuse édition du Points ne s’est pas trompée en publiant ce petit pamphlet dans leur prestigieuse collection essais de sociologie. Un classique dans son domaine.

The Dark Powers of Tolkien

De David Day, 2018.

Voici un avis sur lequel je ne m’étendrai pas. Day, dont j’ai déjà parlé dans ses colonnes pour un essai mineur sur l’univers de Tolkien, récidive ici avec un livre toujours aussi court sur « les méchants » de l’œuvre du maître anglais. De Morgoth aux Nazguls, en passant par Shelob, Sauron et les Balrogs, l’auteur canadien condense, résume et agrège, façon Reader’s Digest, tout ce qu’il faut savoir sur les antagonistes qui peuplent The Hobbit, The Lord of the Rings et The Silmarillon.

Comme dans The Battles of Tolkien, un amateur un tant soit peu éclairé de l’auteur anglais n’apprendra pas grand-chose dans cet essai qui se lit en une petite heure. Je reconnais cependant que les textes de The Dark Powers […] sont de meilleure facture que ceux de The Battles […]. Ils ont pour avantage de se contenter d’être informatifs et ne cherchent pas des explications boiteuses aux écrits de l’auteur original. Et quand Day ne suppute pas, il fait un copiste passable.

Mais pourquoi parler du volume, dans ce cas ? Pourquoi l’avoir acheté, me direz-vous ? Parce que je suis un Tolkien fan-boy et que, même si la qualité du contenu n’est pas au rendez-vous, il faut reconnaitre que le tome, avec sa couverture similicuir, est un bel objet dans sa bibliothèque ? Pas seulement, en fait. Non, The Dark Powers of Tolkien a pour lui la même force que The Battles […] : ses multiples illustrations. Day, à défaut d’avoir du génie dans ses analyses et commentaires, a au moins pour lui se savoir s’entourer d’artistes méconnus mais talentueux. Si, comme moi, vous êtes toujours à la recherche de « vision d’artiste » sur les Terres du Milieu, les quelques poches de Day constituent de fait une alternative abordable aux « grands livres d’art » consacrés aux illustrateurs et artistes plus courus qui ont mis en image l’univers de Tolkien. Et, pour ce simple (et unique) fait, il valait sans doute la peine de parler de ce bouquin.

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ce n’est certes pas un indispensable. Loin de là. Mais l’objet est de belle facture et agréable à compulser. Il faut juste éviter de trop s’attarder sur les textes (bon… pour un livre, c’est malheureux, évidemment).

PS: Le problème de l’identification des artistes est cependant toujours bien présent. Leurs noms sont cités en vrac et en petits caractères dans le colophon publié en frontispice du livre. Au moins cette fois-ci n’y a-t-il plus ces assez laides cartes qui n’amenaient rien à la lecture du précédent opus.

Sécheresse

De J.G. Ballard, 1964.

Quelques mois après la quatrième et dernière vision d’apocalypse rédigée par l’anglais J.G. Ballard, je reviens avec la troisième vision : Sécheresse. A l’instar de La Forêt de cristal, on ne rigole pas beaucoup dans ce court roman d’anticipation. En quelques mots, on y suit les pérégrinations du Dr Ransom (un autre docteur, en écho au personnage principal de La Forêt […]) dans un monde où l’eau disparait petit à petit.

Le roman est divisé en trois grands épisodes. Le premier voit le Dr. Ransom, qui décida de vivre sur une péniche après que sa femme l’ait quitté, s’accommoder tant bien que mal des premiers effets de la sècheresse. Il ne pleut plus, les réserves d’eau diminuent et les habitants de Mount Royal (contrairement à La Forêt […], la ville imaginaire est cette fois située – on l’imagine ? – aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni et non plus en Afrique) commencent à mettre en place des stratégies diverses pour faire face à l’apocalypse qui s’annonce. Comme dans le premier acte d’un drame, on assiste à la mise en place, assez lente, des différents protagonistes. Il y a là le placide Dr. Ransom, héros malgré lui, qui subit plus qu’il ne décide. Il y a son ex-femme et une vétérinaire dont il se sent proche. Il y a un notable riche de la ville, proche de la folie, entouré par sa famille dysfonctionnelle. Il y a aussi un jeune qui vit en dehors de la société classique et qui apprécie Ransom depuis que ce dernier l’a aidé à soigner des oiseaux sauvages dans les marais tout proches. Et d’autres, qui naviguent en périphérie du récit.

Inexorablement, alors que les habitants plongent de plus en plus dans la folie (désespoir, folie, retour à la religion, etc.), l’eau disparait. Ce qui amène les protagonistes à migrer vers la côte, comme tous les habitants de ce pays non-nommé. Côte où l’anarchie règne encore davantage, sous un joug militaire exclusif.

Au prix d’une ellipse amusante, on passe sans transition au deuxième acte. Ransom (sur-)vit alors dans un cabanon, en marge des groupes semi-organisés, quelque part entre la plage et la ligne côtière. Les eaux s’étant progressivement retirées, une zone large de plusieurs (dizaines de ?) kilomètres s’étend entre la plage d’origine et ce qui reste des eaux marines. Ce territoire, salé, exposé et vent et au soleil, est également le seul où l’humanité peut trouver un peu d’eau et un peu de nourriture (quelques poissons, crustacés et algues subsistent, qu’il s’agit de piéger lorsque la marée, faible, remonte vers la côte). Si le premier acte était consacré à une lente dégradation de la vie, ce deuxième est placé sous le signe de la survie et des compromis liés.

Mais la crise arrive, entraînant la résolution finale du récit. Acculé, le Dr. Ransom, accompagné de quelques personnages secondaires, décide de revenir à Mount Royal où, dit-on, l’eau coulerait à nouveau. Après un voyage à travers les landes désertiques de l’arrière-pays, le récit approche de sa résolution. Là où la folie humaine ne pourra s’exprimer qu’au mieux, là où l’humain tombe dans ses pires excès.

A l’heure du réchauffement climatique et des bouleversements météorologiques, Sécheresse sonne comme un avertissement sinistre à son lecteur : méfiez-vous des conséquences de vos actes ou de votre indécision, ils pourraient vous couter ce que vous avez de plus cher. Roman crépusculaire, Sécheresse tient autant de la fable que de la pièce de théâtre. J.G. Ballard ne s’embarrasse pas d’un réalisme scientifique (les explications avancées, bancales, n’ont que peu d’intérêt : Ballard le comprendra avant de rédiger son dernier opus apocalyptique, La Forêt de cristal, où il fera intelligemment l’économie d’une justification scientifique aux phénomènes étranges observés). Sécheresse est aussi un texte fort, dur, âpre. Son seul défaut est peut-être de présenter un personnage principal trop lisse, observateur de sa vie plutôt qu’acteur. On aurait aimé que, comme quelques personnages secondaires, il se rebelle. Qu’il manifeste, à minima, quelques émotions. Et s’il est apathique et dépressif dès le départ du récit, les conditions ne vont évidemment rien arranger.

Si j’ai préféré La Forêt de cristal pour la beauté des visions, la poésie de l’horreur, qu’elle propose, Sécheresse n’en demeure pas moins une mise en garde puissante et désespérée. Les images que Ballard évoque dans certains chapitres (je pense par exemple aux lions qui colorent de récit dans divers passages) sont elles aussi d’une poésie effarante. On s’étonnera d’ailleurs que Ballard laisse finalement une porte à l’espoir dans Sécheresse là où il abandonnera également cette piste dans La Forêt […]. Un texte à (re-)découvrir, si vous êtes dans une phase noire et que l’humanité, en général, ne vous évoque que peu d’espoir.

Le guide Howard

De Patrice Louinet, 2015.

Maintenant que l’œuvre de Robert E. Howard est finalement réhabilitée dans son texte original, disponible en VO comme en VF, on peut désormais pleinement profiter de l’un des plus grands noms du pulp sans limite. Robert E. Howard, le père de Conan, de Kull ou encore de Solomon Kane est, avec Howard Philip Lovecraft, l’un des pères fondateurs du fantastique américain du début du XXème. Et qui d’autre que Patrice Louinet pour nous aider à défricher le terrain, à développer notre connaissance, à mettre à mal certaines idées reçues et à nous conseiller ses plus grands textes ?

Patrice Louinet, pour ceux qui l’ignore, est l’un des plus grands spécialistes mondiaux de Robert E. Howard. Malgré qu’il soit français, c’est lui qui est appelé par les anglais de Wandering Star qui souhaitaient publié l’intégrale des nouvelles de Conan dans leur version originale et non dans les versions remaniées/trahies par Lyon Sprague De Camps et Lin Carter. Ces mêmes intégrales publiées quelques années plus tard par Bragelonne en français dans une version nouvellement traduite par … Patrice Louinet ! S’en suivront une série d’autres beaux tomes (malheureusement assez chers) chez Bragelonne qui couvriront non pas l’intégralité mais l’essentiel des écrits de l’auteur texan (ses autres nouvelles de fantasy, mais aussi d’horreur dans la veine de Lovecraft ou encore de western, genre qu’il affectionnait particulièrement).

Qui d’autre, donc, que Louinet pour nous faire (re)découvrir l’œuvre d’Howard ? Le guide Howard, format compact chez Hélios, est une magnifique porte d’entrée pour les néophytes. Et, pour les aficionados, une mine de renseignements intéressants. Il s’agit vraiment d’un guide, d’une entrée en matière signée de la main d’un véritable passionné. Louinet navigue dans les œuvres du maître avec un brio certain : il éclaire les textes essentiels en les présentant de manière synthétique et amusante et ne fait pas l’impasse sur les faiblesses d’autres textes mineurs. C’est l’une des forces du guide ; Louinet est peut-être l’un des plus grands fans d’Howard, cela ne l’empêche pas d’être lucide.

Commencer le tome en tordant le cou à quelques idées reçues et légendes urbaines sur l’auteur (c’est une force de la nature, il n’avait pas de connaissance des femmes, il avait un méchant œdipe non résolu, etc.) est une bonne entrée en matière. Cela permet à Louinet de directement mettre les points sur le i et d’identifier l’ennemi : c’est le traite Lyon Sprague de Camps qui, tel un vampire assoiffé de dollars, a dévoyer les textes de l’auteur en les martyrisant au possible, en les censurant et en y ajoutant ses propres pastiches comme faisant partie du canon. Il ira même jusqu’à inventer des pans entiers de la biographie d’Howard pour que celle-ci correspondent au « personnage » de Sprague de Camps avait inventé pour coller à ses propres dires. L’aide ponctuelle de Lin Carter (un tâcheron relativement modeste) dans cette réécriture ne semble pas avoir joué un grand rôle (même s’il est amusant de lire que Sprague de Camps a tenté de rejeter la faute sur ce dernier quand les dents ont commencé a grincer sur les coupes claires des Conan dispo dans le commerce).

Louinet nous présente aussi une série de textes d’Howard qu’il juge essentiel, titillant volontiers l’intérêt du lecteur en en disant juste assez. Il a également rédigé une bio assez courte de l’auteur, fort documentée et intéressante, même si elle n’a aucunement l’ambition d’être exhaustive. Enfin, Louinet consacre les derniers chapitres de son guide à l’influence d’Howard et les adaptations de l’œuvre de ce dernier. On constate directement le « choix » éditorial de Louinet quand il indique qu’il n’y a aucune adaptation cinématographique des œuvres d’Howard à l’heure actuelle. Il considère en effet que les films « inspirés » d’Howard ne sont pas des adaptations. Exit donc le Shwarzie de John Milius (pourtant légendaire), sa suite ridicule ou encore le remake totalement insignifiant avec Jason « Aquaman » Momoa dans le rôle principal. Exit également l’adaptation, elle aussi ratée malgré un bon casting pour le rôle principal, de Solomon Kane.

Bref : Le guide Howard est une bonne porte d’entrée pour les curieux qui connaissent mal l’homme et son œuvre et un bon compagnon pour ceux et celles qui seraient plus familiers avec ces récits (… of high adventure! – sur la BO de Basil Poledouris, of course). Pas cher, intéressant : que demande le peuple ? Moi, en tous les cas, cela m’a donné envie de me plonger dans les récentes rééditions de Conan, que ce soit l’intégrale prestige (format pavé) de chez Bragelonne, ou la version poche plus accessible et plus pratique du Livre de Poche.

Dangerous Women – Partie 2

Édité par George R.R. Martin & Gardner Dozois, 2013.

Quelques jours après le premier volet de cette anthologie consacrée au « dangerous women« , je reprends donc mon clavier pour vous livrer mes impressions sur ce deuxième tome, consacré exclusivement aux auteurs féminins. J’en profite déjà pour corriger un oubli que j’ai honteusement commis lors de la rédaction de l’article consacré au premier tome : j’ai passé sous silence la magnifique couverture de Simon Goinard. Le tome 2 profite aussi des talents de l’artiste français. Il est sans doute bon de rappeler qu’il n’y a pas qu’Aurélien Police qui sait dessiner de ce côté-ci de l’Atlantique !

Passé cette digression, parlons du bouquin. Plus épais que la partie 1, j’avoue d’emblée être nettement moins familier avec les noms des auteures retenues par Martin et Dozois. Je n’en connaissais même que trois, pour être honnête : Lindholm (évidemment), Kress (bien sûr) et Gabaldon (ma femme a un trouble obsessionnel compulsif avec Outlander…). Les autres m’étaient inconnues. Et, probablement, pour la majorité d’entre elles, je ne vais malheureusement pas retenir leur nom. Car, de fait, cette deuxième partie m’a nettement moins marqué que la première. J’irai même jusqu’à dire que la proportion des textes marquants et anecdotiques s’est carrément inversée. Passons-les en revue un à un.

La première nouvelle, Soit mon cœur est gelé, est signé de la plume de Megan Abbott. Spécialiste du roman noir (dont je ne suis pas particulièrement friand, ce qui explique sans doute que je ne la connaissais pas alors qu’elle semble abondamment traduite en français), elle livre ici une très froide et inquiétante nouvelle en attaque de volume. Un couple est confronté à la disparition de leur fille unique et est l’objet de l’opprobre populaire quand la mère commence à avoir un comportement de plus en plus étrange et irresponsable. Racontée du point de vue du père, cette nouvelle a une conclusion qui fait froid dans le dos et qui m’a rappelé l’excellent Gone Girl, sorti il y a quelques années. Bien que ce ne soit pas mon genre de prédilection, cette première nouvelle était plutôt très bonne et augurait le meilleur pour le volume dans son ensemble.

Mais dès le deuxième texte, le soufflé retombe légèrement. Cecelia Holland (pas traduite dans nos contrées) signe avec La chanson de Nora une nouvelle historique sur les enfants d’Aliénor d’Aquitaine. La nouvelle suit en particulier Nora, l’une des filles de la fameuse reine. Si le texte est sympathique, il est également rapidement oublié. L’écriture est bonne et le timing soutenu, mais l’histoire est, en définitive, assez fade et laisse un goût d’inabouti en bouche. Mélinda Snodgrass, également peu traduite et auteur de scénario pour Profiler ou Star Trek, nous emmène enfin dans la SF avec Les mains qui n’y sont pas. La nouvelle, ayant pour thème l’usurpation d’identité, est amusante bien qu’assez classique. Cependant, elle souffre de deux gros défauts à mes yeux : elle met longtemps à débuter en nous présentant en premier lieu une situation qui n’est pas celle au cœur de l’histoire (et des protagonistes inutiles, donc) et… elle laisse au rôle féminin un rôle très accessoire. Du coup, je vois mal l’intérêt de l’intégrer dans l’anthologie (bon, elle a également travaillé sur Wild Cards et est donc une proche de Martin, ceci expliquant sans doute cela).

La nouvelle suivante, Raisa Stepanova, de Carrie Vaughn, nous emmène sur le front russe de la seconde guerre mondiale. On y suit les péripéties d’une femme pilote de chasse qui rêve de devenir un as du manche à balais et de descendre un max de Boches. Jusque-là, pas de problème. Mais… non, en fait, c’est tout : je ne sais pas quoi ajouter. Sympathique, mais assez vite oublié. On arrive enfin à un gros morceau : Les voisines, signé Megan Lindholm (qui est le vrai nom de l’archi-connue Robin Hobb) est une nouvelle d’un autre calibre. On y suit la vie de Sarah Wilkins, une vieille femme qui s’obstine à vivre seule dans sa grande maison, contre l’avis de ses enfants qui aimerait la placer en maison de retraite. Alors qu’elle a l’impression de perdre petit à petit pied, elle assiste à l’avènement d’un monde parallèle autour de sa maison aux petites heures du matin, monde étrange de brumes et de ruines, si proche d’elle… Sans vouloir spoiler, c’est certainement l’un des textes les plus forts du volume. Du très bon.

Shanon Kay Penman nous livre ensuite un second récit « historique » avec Une reine en exil qui nous conte les mésaventures de la reine Constance (du Saint-Empire germanique, vers la fin du XIIème siècle). C’est fort bien documenté, mais je n’ai pas vraiment accroché. L’auteure, inédite sous nos latitudes, a voulu développer une saga historique portant sur plusieurs dizaines d’années en une courte nouvelle. Du coup, l’histoire souffre de quelques raccourcis frustrants. Dommage, car nous avions effectivement là une forte femme qui luttait avec toutes les armes dont elle disposait pour être maitresse de sa vie.

Suite la deuxième nouvelle importante dans le tome à mes yeux : Deuxième arabesque, très lentement, est une très belle fable post-apocalyptique sur la place de la beauté dans un monde dénué de sens et de but. Signée par l’excellente Nancy Kress, la nouvelle est menée tambour battant et nous arrache certainement une larme dans sa conclusion. Pur récit de SF, il faut un certain brio pour marier du survival avec la pureté d’un ballet. Diana Rowland, elle aussi plus habituée au roman noir qu’à la SF ou à la fantasy, nous livre ensuite un texte très froid avec La ville Lazare. Un flic ripoux tombe sous les charmes d’une prostituée dans une Nouvel-Orléans moite et glauque. C’est sombre, c’est bien amené, c’est du bon polar. La chute se devine un poil trop vite, mais sinon c’est certainement une bonne surprise.

On enchaîne ensuite avec la superstar Diana Gabaldon qui nous livre ici une nouvelle assez longue (la plus longue du recueil) intitulée Novices. Centrée sur la jeunesse de Jamie Fraser (le bellâtre en kilt d’Outlander), ici accompagné par son (futur) beau-frère Ian Murray, on assiste aux tendres années des deux compères lorsqu’ils étaient mercenaires sur le continent. Bien que la nouvelle se laisse lire, je suis étonné que Gabaldon (elle aussi, grande amie de Martin) ai choisi de livrer une nouvelle centrée sur Jamie et non sur Claire (l’héroïne d’Outlander, pour les inattentifs, au fond à gauche). Et je confirme également qu’elle a un méchant réflexe à toujours parler cul quand elle ne sait pas comment faire avancer son histoire (Harlequin tendance SAS…). Si l’histoire est bien menée, le récit est finalement assez anecdotique pour celles et ceux qui ne suivraient pas son œuvre phare…

L’enfer n’a pas pire furie, de Sherrilyn Kenyon, dont j’ignorais jusqu’alors l’existence, me confirme une et une seule chose : je ne suis vraiment pas fait pour la bit-lit. Cette historiette d’une bande de jeunes qui cherche un trésor dans un cimetière indien (oui, vraiment) m’a fait penser aux mauvais slashers des années 90. Vous savez, ceux qui ont pris Scream au sérieux ? La présentation de l’auteure nous dit qu’elle est une superstar de la romance paranormale. Sans doute oui. Et ça confirme que ce n’est pas fait pour moi : c’est mal écrit, c’est mou, c’est super-cliché. Non, merci.

L’avant-dernière nouvelle, Les aides-soignantes, de Pat Cadigan (que je ne connaissais pas, mais qui a gagné une ribambelle de prix de SF) est assez surprenante. On y découvre la vie de deux sœurs : une expert-comptable qui voit avec moults soupirs arriver chez elle sa petit sœur, éternelle chômeuse, alors que leur mère commence à perdre la tête à cause d’Alzheimer dans une maison de repos toute proche. Le texte est prenant mais j’avoue que la conclusion en demi-teinte m’a laissé un sentiment de « tout ça pour ça ?« . Une curiosité, donc.

Le dernier texte, Les mensonges que me racontaient ma mère, est plus dans mes cordes. L’auteure, Caroline Spector, la femme de Warren Spector (vous savez, le créateur de… Wing Commander et d’Ultima 7, entre autres ?), est peu prolixe. Elle a travaillé un peu avec TSR et un peu avec Martin sur sa saga d’anti-super héros Wild Cards (l’autre grand œuvre de Martin, à côté du Trône de Fer). Et c’est plus ma came : deux Wild Cards, une femme qui projette des boules de graisse explosives et une femme qui créée et contrôle des zombies, se retrouvent l’objet d’une machination qui cherche à la décrédibilisé dans les yeux du grand public. On ajoute à ça une société secrète, d’autres détenteurs de pouvoir amusants et une origin story pas super-drôle mais très efficace et on a un texte court, nerveux et jouissif. C’est une belle surprise pour moi et une belle porte d’entrée pour moi dans le monde de Wild Cards, dont les premiers volumes de la très longue intégrale attendent depuis plusieurs mois dans ma PAL. Ils remontent un peu, du coup ! 🙂

Pour finir, que pensez donc de ce deuxième tome et cette anthologie globalement ? Et bien, au risque de me répéter, il y a, comme dans toutes anthologie de nouvelle, du bon et du moins bon. Si les textes marquants sont plus rares dans cette deuxième partie, la lecture combinée des deux tomes (+ de 1000 pages en poche, quand on prend les deux, quand même) reste agréable. Quelques très bons textes valent la peine d’être lu indépendamment quoi qu’il advienne. Cependant, il faut bien se l’avouer, l’anthologie passe un peu à côté de son sujet. S’il y a bien une moitié de textes qui nous présentent en effet des femmes fortes, l’autre n’y accorde pas réellement une importance primordiale et, ce, que les auteurs soient masculins ou féminins. Autre bémol : vendu dans la collection SF de J’ai Lu, il faut quand même préciser que nombre de textes n’appartiennent ni à la SF ni à la Fantasy, mais sont du domaine du polar ou du roman historique. Ce n’est pas en soit rédhibitoire, mais c’est assez étrange, comme choix éditorial. Bonne lecture à vous malgré tout si je suis parvenu à titiller votre curiosité sur l’un ou l’autre texte de ce bon gros pavé (divisé en deux dans sa version poche FR).

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