Mondocane

De Jacques Barbéri, 2016.

La période des fêtes de fin d’année est tout à fait propice pour une bonne tranche de post-apocalyptique ! Passé les premières pages un poil ésotérique, on entre dans le cœur du roman avec l’histoire de Jack, un informaticien récemment enrôlé dans l’armée en perspective d’un conflit mondial entre les deux grands blocs qui se disputent la Terre (sans doute, ce n’est pas précisé). Le bonhomme n’est pas réellement à l’aise dans la troupe, qui fait furieusement pensée à la bande de jeunes de Starship troopers. Lorsqu’une nouvelle recrue arrive, Jack tombe instantanément amoureux.

Il profite d’une dernière permission pour sortir avec la fille en question dans son quartier d’enfance. Mais, dès le lendemain, la guerre l’appelle : Jack est une ressource essentielle ; il est l’un des maîtres à penser de l’I.A. Guerres et Paix, l’I.A. qui détermine les réponses armées et les tactiques militaires à adopter pour son côté du conflit en devenir. Seulement voilà : l’autre côté aussi à développer une I.A. omnisciente. Et, comme souvent dans la S-F, les I.A. s’entendent pour se liguer contre leur ennemi commun, l’Homme.

Et c’est là qu’on entre réellement dans la partie magistrale de Mondocane : les I.A. provoquent une catastrophe mondiale qui déforme la réalité et altère l’humanité. Jack, par une succession de hasards, s’en sort comme seul survivant de son unité et se réveille après sept ans, d’une hibernation/congélation d’urgence, dans le monde de demain. Monde de demain qui n’est pas spécialement beau à voir, ni sympathique à vivre. Les rares survivant de la catastrophe survivent bon gré mal gré en petites communautés qui se méfient l’une de l’autre. Jack est récupéré à son réveil par deux frères (l’un a un corps à moitié métallique, l’autre n’a plus que la moitié de son visage), la femme de l’aîné (une énorme femme qui compense son malheur avec des barres céréalières), leur fille (née après la catastrophe, elle est l’une des post-humaines, on l’imagine simiesque à souhait) et leur père (le masque à gaz du vieil homme à fusionné avec sa bouche lors de la catastrophe et il se nourrit via un ténia géant qui le parasite -à moins qu’il ne soit devenu le ténia et que son corps ne soit plus qu’une enveloppe ?-).

Et ce ne sont que les premiers survivants que Jack croisera. Et encore, je passe sur la sœur de la famille, corps assimilé à une pyramide humaine de plusieurs centaines de corps fusionnés qui partagent, semble-t-il une seule conscience. Bref, du Mad Max sous acide. Et Jack, dans cette réalité désolante, de se mettre en quête de l’unique amour de sa vie, la fille avec laquelle il a passé sa dernière nuit avant l’attaque des I.A.

Mondocane ne laisse pas son lecteur respirer et l’entraîne dans une sorte de montagne russe de apocalyptique qui se situe quelque part entre Ken le Survivant et l‘Île du Docteur Moreau. Jacques Barbéri, que je ne connaissais absolument pas malgré les nombreux romans qu’il a publié depuis les années 70 chez Fleuve Noir/Anticipation et chez Denoël/Présence du futur, sert admirablement le propos avec une style évocateur et imagé. Plus d’une fois, on pense être devant l’un de ces tableaux de la Renaissance représentant l’enfer : une mélange de répulsion et d’attirance envers cet inconnu glauque et bizarre.

Et c’est effectivement ce que je retiens du bouquin : un vrai trip dans le pays de l’étrange. La S-F sert pour finir d’excuse, de cadre, à la vision que Barbéri a sans doute eu d’une monde où les règles de la physique sont bouleversée par des entités aux motifs inexpliqués. Et s’il y a une tentative d’explication technologique, elle s’oublie bien vite face aux images fortes de ce monde nouveau, laid et beau tout à la fois. Une vraie découverte, qui se lit vite et aisément. Encore un auteur dont j’essaierai sans doute d’autres œuvres à l’avenir, si j’ai le loisir de tomber dessus (histoire d’encore alourdir mal PAL).

Le Dogue noir

De Neil Gaiman, 2016.

A l’instar du Monarque dans la Vallée, Le Dogue noir est une novella, signée Neil Gaiman, qui nous narre un nouvel épisode dans la vie d’Ombre Moons, le héros mutique d’American Gods. La nouvelle est un peu plus courte que le Monarque, mais fait toujours partie de la très bonne production de Gaiman. Fantastique nouvelliste, on comprends à la lecture de ce texte que Gaiman aime retrouver l’univers d’American Gods et d’Anansi Boys. Et, en tant que lecteur, on ne peut qu’être d’accord !

Ombre continue donc son voyage au Royame-Uni (avant ou après le Monarque ? il y a quelques indications de temps passé depuis American Gods, mais j’avoue ne plus m’en souvenir) et le voilà qui arrive dans un pub dans un petit village paumé où il sympathise avec un gentil couple de quadras locaux. Coincé pour la nuit, le couple l’invite à dormir chez eux avant de reprendra sa route le lendemain. Et Ombre les trouve sympathiques, gentils, un peu excentriques peut-être, mais définitivement attachants. Et puis Ombre a également croisé une jeune femme aux cheveux courts, au pull vert et aux jeans délavés qui semble lui marquer un intérêt certain. Ombre se laisse donc tenter et décide de rester quelques jours, d’autant plus que sur le chemin de retour du pub, son gentil hébergeur tombe dans les pommes après avoir vu le dogue noir, synonyme de mauvais présage (de mort, en fait) dans le folklore local.

Mais bien sûr, les apparences sont trompeuses et on croisera avant la fin de l’histoire des fantômes, un assassin et Bastet, qui refait ici une apparition indirecte pour rappeler à Ombre qui il est réellement. Au Diable Vauvert édite cette courte nouvelle dans la même collection que le Monarque et que la réédition d’American Gods et le texte est une nouvelle fois superbement illustré par Daniel Egnéus, qui met ses pinceaux et son style très gothique au profit de la poésie en prose de Gaiman. La mise en page est particulièrement soignée et l’impressionnisme d’Egnéus font à nouveau mouche et le livre, en plus d’être un bel objet, n’en devient que plus agréable à lire.

Même bémol que la dernière fois ; 22 euros pour une petite heure de lecture, ça fait évidemment un peu mal au porte-feuille. Mais il faut avouer que les trois tomes (American Gods et les deux novellas), posés l’un à côté de l’autre, sont du plus bel effet dans une bibliothèque qui fait la part belle au fantastique. Et Gaiman mérite en fait amplement cette édition un poil luxueuse. Du tout bon, en somme !

En mémoire de mes péchés

De Joe Haldeman, 1977

Rarement quatrième de couverture aura été si trompeuse ! Folio SF, en rééditant ce titre relativement méconnu en 2006, s’est contenté de reprendre celle de l’édition de Denoël – Présence du Futur de 1979. Ils auraient pu se fendre d’un nouveau texte de présentation, car celui-ci ne convient pas du tout. Croyant me lancer dans un roman comique, à la manière du Guide du Voyageur Galactique ou de recueils de nouvelles de Frederic Brown, je me suis retrouvé à lire un texte très sombre, à la limite du hard-boiled dans certains de ces développements.

Bon, ce n’est pas tout à fait un roman : il s’agit plutôt de trois nouvelles assez longues qui ont comme point commun de partager leur « héros« , Otto McGavin, un agent secret de la Confederaçion, sorte de gouvernement intergalactique chargé de défendre l’intérêt des divers habitants de la galaxie (citoyens ou indigènes plus ou moins intelligents). McGavin est un bouddhiste qui veut voir l’espace. Pas de bol, en s’engageant, il reçoit un conditionnement hypnotique pour en faire une machine à tuer. La Confederaçion dispose aussi d’une technologie particulière : le placage d’identité. Grâce à ce traitement hypnotique (et à peu de chirurgie esthétique, parfois franchement invasive), elle fait de ses espions des doubles de personnages publics vivants, politiciens, leaders religieux, hommes d’affaires, criminels, etc. Et la Confederaçion de les envoyer au front pour récolter des infos et jouer les gros bras si nécessaire.

Les trois nouvelles se déroulent à peu près le même schéma : McGavin arrive sur une planète exotique dans la peau d’un autre (un salopard de première) et tente de démêler le vrai du faux. Et malgré ses convictions initiales pacifiques, il fini toujours pas buter des gens, et pas forcément les antagonistes. Si l’on peut regretter que la mécanique du récit se répète (en gros, McGavin arrive, il pose des question à tout le monde jusqu’à ce qu’il confronte, ou soit piégé, par le traitre) et qu’Haldeman est parfois un peu paresseux dans le développement de ses personnages, l’ensemble est plutôt bon.

Les nouvelles sont articulées entre elles par de courts textes où McGavin est interrogé par les préparateurs mentaux de la Confederaçion. Ces interviews montrent la lente plongée dans la dépression et la folie du personnage principal. Forcé de progressivement effacer sa propre personnalité au profit des diverses personnalités peu reluisantes qu’il endosse, le pauvre McGavin se perd finalement totalement quand il comprends que la Confederaçion est nettement moins altruiste qu’elle n’y parait. C’est en effet ses propres intérêts qu’elle défend avant ceux des espèces locales.

Alternant plusieurs mondes imaginaires bien construits, peuplés d’extra-terrestres ou de peuplades locales originales et bien pensées, les trois nouvelles qui constituent le récit principal d’En mémoire de mes péchés se lisent d’une traite. On ne peut que compatir avec McGavin et ses remords, la seule chose qui lui reste, sa seule part d’identité d’origine. On rigole pas des masses, donc, contrairement à ce que l’éditeur promet. Pour faire une parallèle cinématographique, on est plus dans l’Armée des Douze Singes que dans du StarWars, en gros.

A ma grande honte, je ne connaissais absolument pas Joe Haldeman avant de lire ce bouquin. Le bonhomme est pourtant multi-primé (5 Hugo, 5 Nebula ,4 Locus) et a écrit un bon paquet de bouquin de SF. Je me mets de ce pas à la recherche d’autres titres du bonhomme. Même si c’est de la SF qui accuse un poil son âge, elle reste, de fait, très agréable à lire, même si franchement morose.

Arcadia

De Fabrice Colin, 1998.

Après quelques mois, je retrouve donc la collection Steampunk poche de Bragelonne avec ce nouvel extrait de leur back-catalogue : Arcadia, l’édition intégrale, de Fabrice Colin. Le tome, avec sa couverture toujours un poil flashy (dont l’encre dorée à tendance à disparaître assez vote) regroupe Vestiges d’Arcadia et La Musique du Sommeil, deux courts romans qui se suivent directement, rédigés en quelques semaines, si l’ont en croit la préface de Colin, et publiés tous deux chez Mnémos en 1998.

Il est bien difficile de résumer l’intrigue. Roman à tiroirs avec points de vue et personnages multiples, réalités parallèles et mondes déliquescents, Arcadia ne livre pas aisément ses secrets. En gros, nous suivons la vie de quatre jeunes gens sur une Terre agonisante dans le futur proche. L’un deux croisera un vieil homme qui se dira être la réincarnation de John Keats. Quand ils rêvent, ces jeunes gens se voient dans une réalité parallèle, le monde steampunk d’un Londres bloqué sous le règle de Gloriana, où ils incarneront des peintres, poètes et romanciers du mouvement des préraphaélites (ou associés).

Ceux-ci occupent des postes importants dans cette royauté fantasmée, où les artistes sont le pinacle d’une société composée d’hommes et de sidhes, une sorte de sur-homme doté de perceptions et dons magiques. Ce monde se meurt également, à quelques jours de la cérémonie qui fera de la Reine Gloriana une sidhe à son tour. Mais les évènements se précipitent et un homme en noir va progressivement guidé tout ce petit monde vers une résolution inspirée de la matière de Bretagne où les mondes doivent fusionnés et l’Ennemi doit être vaincu.

Roman touffu, complexe, multiple, Arcadia est avant tout un livre généreux qui nous promène dans l’imaginaire débridé mais érudit de Fabrice Colin. N’ayant été que moyennement convaincu de sa collaboration avec Mathieu Gaborit sur Confessions d’un automate mangeur d’opium, j’avais au contraire été agréablement surpris par sa relecture des mythes nordiques dans son Winterheim (intégrale également constituée de plusieurs courts romans successifs). Et je le suis tout autant par cette plongée hallucinée dans des mondes mourants peuplés d’artistes haut en couleur. Et si, comme dans Winterheim, Colin a un peu du mal à conclure, tant pis ! Et tant pis aussi si l’on se perd dans les méandres de ce labyrinthe de fiction. Colin, qui multiplie avec bonheur les styles d’écriture en fonction des personnages et des situation, ne nous facilite pas la tâche en mettant en scène de nouveaux personnages à peu près dans chaque chapitre des 400 pages de son œuvre.

Certains fils scénaristiques sont à peine esquissés. D’autres sont développés mais sans lien avec l’intrigue principale. On y croise le Jaberwocky (et donc Alice), Jack l’éventreur, des peintres psychopathes, des triangles amoureux dépressifs et des dizaines d’autres idées intéressantes. Mais peut-on réellement en vouloir à Colin, dont c’est l’un des premiers romans, d’être trop généreux ? Et quand bien même, il favorise l’ambiance, le style, le ton au scénario en tant que tel, dans de nombreux chapitres, il a raison de le faire : si, comme il le dit, il rédigea ce texte dans un état second en trois semaines seulement, il n’est que justice que le lecteur vive également cette lecture comme une « expérience totale« . Le voyage vaut le détour, ne fut-ce que pour l’expérience.

A des années lumières des très commerciales aventures de Lucifer Box, de Mark Gatiss, pourtant publiées dans la même collection, Bragelonne propose avec Arcadia un premier titre vraiment marquant dans sa collection Steampunk poche. Je ne sais si Colin s’est assagit avec le temps, mais je ne peux que regretter qu’il ait semble-t-il orienter sa carrière vers le polar. Quand on voit la richesse d’Arcadia, même avec son aspect foutraque et halluciné, on ne peut qu’être sûr qu’il a encore des choses à dire dans le domaine du fantastique, de la fantasy ou de la S-F. Mais, bien sûr, il transparait dans Arcadia que Colin est avant tout un écrivain. Souhaitons-nous qu’il continue à nous éblouir avec ses écrits encore de longues années.

La frivolité est une affaire sérieuse

De Frédéric Beigbeder, 2018.

Comment ? Deux Beigbeder dans la même année ? Luxe ultime ! Et… non. Bien essayé. La frivolité est une affaire sérieuse, titre soufflé par l’éditrice de Beigbeder, n’est pas le deuxième texte de fiction de son auteur pour cette année, après l’amusant Une vie sans fin, dont nous avons déjà parlé ici. C’est plus simplement un recueil de 99 essais (démarche bêtement commerciale pour rappeler son plus gros succès de librairie, qui date déjà d’il y a un paquet d’année, en fait, puisqu’on comptait encore en francs) que l’auteur a publié un peu partout au cours des dix dernières années. Enfin, essais… davantage des billets d’humeur, qu’il signa pour Lui, Entrevue ou encore des magazines russes et allemands.

Partisan du moindre effort, Beigbeder a donc collecté les textes qui traînaient dans sa cave, les regroupant vaguement par thématique, pour constituer une sorte de « journal » de la dernière décennie. Décennie qui l’a vu passer de la fin de la trentaine (de la petite quarantaine, si l’on est honnête) à la cinquantaine grisonnante, avec deux jeunes gosses. Du coup, les textes évoluent lentement de la fête permanente cocaïne/boîte de nuit/mannequins russes à … la même chose, mais une fois par semaine (car c’est plus difficile de récupérer, avec l’âge).

Et Beigbeder n’est jamais aussi bon que dans la déconne, justement. Dans le je-m’en-foutisme un poil snob mâtiné de name-dropping et de références littéraires très ciblées. C’est d’ailleurs son message, dans La frivolité est une affaire sérieuse : nous ne sommes pas là pour bien longtemps, autant nous amuser, quitte à tomber dans l’excès (c’est cette dernière phrase qui le différencie de D’Ormesson, dont la mort a gâché les vacances de Beigbeder, comme on l’apprends dans l’une des pastilles). Le recueil est divisé, par ailleurs, en trois parties : avant 2015, 2015 et après 2015. Beigbeder voit dans l’année 2015, débutée par Charlie Hebdo et terminée par la vague d’attentats parisiens, une année charnière pour lui. Déjà marqué par les évènements de 2001 (cf. son bouquin Windows on the World, 2003), la vague de 2015 semble, de manière assez résumée, lui avoir fait peur. Et la peur lui avoir fait prendre conscience que son dandysme assumé est en fait plus qu’une simple posture : c’est un manifeste de résistance, une philosophie de vie à opposer aux extrémistes de tout poil, une réponse.

Mouais. Pourquoi pas. Le cynisme est une réponse qui dénote une certaine forme d’intelligence, trait dont sont souvent dépourvus les « hommes en training » (pour paraphraser l’une des victimes du Bataclan, citée par Beigbeder dans l’un des articles). Mais une réponse un peu vaine, je le crains. D’ailleurs, à mes yeux, les textes de 2015 sont les moins bons : on y découvre un bobo finalement un peu de droite qui se replie sur ses valeurs cathos de base et qui tente la moralisation dans plusieurs textes parfois un peu maladroits. La palme revenant à son allégorie sur la libre circulation des armes qui, bizarrement, pourrait presque être utilisée en l’état par la NRA dans un spot publicitaire, tellement l’ironie est parfois trop fine. Chasse et pêche, nous voici.

Heureusement, dans les textes post-2015, il retrouve sa plume acerbe et amusante et navigue à nouveau de frivolités en frivolités, avec cependant un peu plus de poils gris dans la barbe et un peu moins de shots de vodka dans le cerveau. Il y gagne un peu de gravité, mais sait éviter, après l’émotion, la bonne morale en guise de conclusion. On passe donc un moment globalement agréable, où Easton Ellis côtoie bien sûr Salinger et Fitzgerald. Mais aussi Kate Moss et Rihana. Du Beigbeder classique, donc, dans une forme courte, journalistique, qui privilégie le développement d’une idée conne mais drôle en deux pages. Plus direct, moins construit, plus franc, sans doute. Pour ceux qui, comme moi, aime le personnage et savent rire de futilités (je sais, c’est un peu moins valorisant que frivolité), c’est fort agréable. Notons pour finir que l’auteur fait une infidélité à Grasset pour les relativement méconnues Éditions de l’Observatoire. La diffusion médiatique en prends un coup, du coup (justement, pour un observatoire…).