Jardins virtuels

De Sylvie Denis, 1992-2003

La veuve de Roland C. Wagner est un auteur de SF relativement discret, à l’origine de quelques romans et des nouvelles SF appréciées par la critique, mais sans réel succès commercial. Bonne idée de Folio SF, en 2003, de ressortir une anthologie des nouvelles que Sylvie Denis a rédigé au fil des années 90 (avec quelques textes plus tardifs et un inédit pour l’occasion), alors qu’elle était encore fort active dans le monde de l’édition et que l’écriture n’étant (sans doute) pas son activité principale. Bonne idée pour faire connaître l’auteur par un public plus large, à travers une publication au format poche.

Je ne peux cependant pas en dire grand chose. Les nouvelles ne m’ont certes pas laisser un souvenir impérissable. Si la lecture est agréable, je n’ai pas réellement réussi à accrocher à l’univers proposé. Ce n’est que sur les trois dernières nouvelles, Magma-plasma, Paradigme Party et Nirvana, mode d’emploi, que je me suis réellement laissé porté par les récits. Et ce sont pourtant les nouvelles les plus « classiques » du recueil, avec des histoires de conflits interplanétaires et de manipulation de la mémoire. Pour le reste, ces textes remplis d' »adulescents » en recherche de soi et d’un sens au monde qui les entoure m’ont laissé sur le bord de la route, je l’avoue volontiers.

S’il y a de belles idées au fil des textes, de l’impact du clonage dans Elisabeth for ever aux conséquences de l’excision dans le Carnaval à Lapêtre, la sensibilité féminine et le côté engagé qui va de pair ont plutôt parasité les nouvelles à mes yeux. Pas que ce soit inutile ou dérangeant, mais simplement que cela se marie mal avec une certaine recherche de la SF pour la SF. A l’instar de certaines nouvelles de la Tour de Babylone de Ted Chiang, dont j’ai parlé il y a peu, Denis a malheureusement tendance, parfois, au verbiage technico-scientifique, comme si elle voulait justifier son étiquette SF. Or la meilleure SF, même quand elle est très techno-réaliste, laisse toujours la technique s’effacer au profit de l’histoire et des personnages.

Pour le reste, comme je le disais, il y a de belles idées dans le futur dépressif et déprimant qui sert de cadre aux nouvelles de ce recueil : l’utilisation d’être humain pour remplacer des I.A. (coûte moins cher en upgrade et sert parallèlement de prison/peine de travaux publics) est par exemple très original, quelques années avant Matrix. Ou encore l’idée d’utiliser le cadre d’un EuroDisney à l’abandon comme une base arrière d’un groupuscule terroriste luttant contre la tyrannie molle du libéralisme dans In memoriam : Discoveryland. Mais ces quelques éclairs de lucidité et une prose malgré tout très travaillée ne rachète pas à mes yeux la qualité moyenne du recueil. C’est à la fois trop mou et trop torturé pour moi. Ces défauts de jeunesse se sont peut-être effacé lorsque Sylvie Denis s’est lancée dans le roman, ce qu’elle fit après sa première période de nouvelliste/éditrice, mais je n’ai pas de long signée de sa main sous la mienne pour étayer cette hypothèse. On verra bien si l’occasion se présente.

La Tour de Babylone

De Ted Chiang, 1991-2002.

Phénomène littéraire de la SFFF particulièrement peu prolixe (une quinzaine de nouvelles en presque 20 ans), l’américain Ted Chiang, informaticien de son état, est précédé d’un bouche-à-oreille presque aussi favorable que Ken Liu, commenté ici il y a quelques temps avec sa Ménagerie de papier. La Tour de Babylone regroupe 8 nouvelles de SF, écrites en 1991 et 2002, auréolées des principaux prix littéraires (Locus, Hugo, Nebula, etc.) Justifiés.

Bien sûr, tous les textes n’ont pas une qualité équivalente. Certains sont excellents, d’autres sont plus difficiles. Mais, dans l’ensemble, ce sont des nouvelles de très haut vol qui font de Chiang probablement l’un des meilleurs nouvellistes actuels. Le recueil s’ouvre sur la nouvelle éponyme, formidable fable de la recherche du divin, où le peuple de Babylone construit littéralement la Tour qui l’approche des cieux. Le récit, forcément cyclique, nous livre un monde univers passionnant en une cinquantaines de pages, là où d’autres auteurs auraient besoin de 600 pages pour n’atteindre que la moitié du résultat.

Je fus un peu moins convaincu par Comprend, la seconde nouvelle, qui traite d’une méthode révolutionnaire pour réparer le cerveau après des accidents de circulation et qui créée, par accident, des super-hommes. Si le récit est bien amené, j’ai eu du mal à accrocher au protagoniste principal qui traverse un peu le récit sans un réel développement psychologique intérieur, ce qui est dommage, vu le contexte. La troisième nouvelle, Division par zéro, est une farce de mathématicien. Si elle reste bien écrite, elle est un peu trop « technique » pour être vraiment agréable à lire.

L’Histoire de ta vie, portée à l’écran par Denis Villeneuve avec Premier contact, est à l’inverse un véritable chef-d’œuvre. Bien que très technique à nouveau (mais dans le domaine de la linguistique), la nouvelle met en scène un contact avec une civilisation extraterrestre qui n’a pas le même langage que nous, bien sûr, mais pas non plus les mêmes référents spatio-temporels. Et, en décryptant la langue de l’autre, la linguistique héroïne de la nouvelle accède également à la connaissance du futur dans son ensemble. Y compris l’histoire, forcément dramatique, de ses proches. Alternants les points de vue, cette histoire est d’une délicatesse et d’une poésie absolue. A lire obligatoirement.

Soixante douze lettres nous plonge ensuite dans un mix entre la recherche biologique et la kabbale. Beau texte, à nouveau, mais d’une faconde plus classique bien qu’il mixe des éléments qui, à ma connaissance, n’ont jamais été rapprochés. C’est sans doute la nouvelle la plus « cinématographique » du recueil, puisque Chiang y intègre des courses-poursuites et un véritable crescendo scénaristique là où ses autres nouvelles sont plus contemplatives. Pas dérangeant, mais un peu plus sage. Suit un court texte de deux pages signé par Chiang dans un revue à vocation scientifique pour donner un aperçu de ce que sera la recherche à l’époque des super-cerveaux ayant accès à la connaissance en temps réel. Pessimiste, mais amusant.

L’avant-dernière nouvelle, L’enfer, quand Dieu n’est pas présent, est un superbe texte qui part du postulat que les manifestations divines sont réelles, mais provoque des dégâts collatéraux. Pour un humain sauvé, les anges détruisent la vie de nombre de spectateurs malheureux. La nouvelle traite intelligemment de la crise de foi d’un homme dont la femme a été malheureusement tuée lors de l’apparition d’un ange. Il croisera d’autres « victimes » qui réagissent chacune à leur manière à la manifestation de Dieu sur Terre. Très intelligemment construit et, à nouveau, assez fataliste. Enfin, le dernier texte, Aimer ce que l’on voit pose de manière brillante la question des apparences et de l’amour. Aimons-nous quelqu’un pour ce qu’il est où pour son apparence ? Cette dernière façonne-t-elle le comportement de l’humain ou est-ce l’inverse ? Si la question n’est pas nouvelle, le traitement à travers les atermoiements d’une adolescente et les tentatives de récupération de ces « traitements » par l’industrie est une nouvelle fois amené de manière très maligne.

Vous l’aurez compris, il s’agit d’un recueil de nouvelles de haut vol. Je pinaille volontairement pour trouver à redire sur les quelques textes plus faibles, mais c’est réellement un plaisir de lecture de bout en bout. Finalement, le seul élément de l’écriture de Chiang qui m’a déranger est peut-être sa propension à trop verser dans la fascination technique. Si les sciences explorées (la linguistique, la mathématique, la physique, la doctrine religieuse, etc.) sont des moteurs évidents et utiles de ses nouvelles, il a parfois une tendance au verbiage techniciste qui gâche ça et là quelques pages. Mais bon, il est amplement pardonné au regard de la qualité de ses nouvelles par ailleurs. Chiang est la démonstration, plus encore que Ken Liu, qu’il existe encore toujours bel et bien un art de la nouvelle et qu’il ne faut pas forcément écrire des space opéras en 7 tomes pour toucher le lecteur. Bonne lecture, les amis.

L’Homme Rune

De Peter V. Brett, 2008.

1er tome du Cycle des Démons.

Sous l’affreuse couverture de Milady (c’est souvent le cas avec eux, mais cela ne devrait que moins arriver à l’avenir, maintenant que Bragelonne publie sous son nom les poches de fantasy et de SF et laisse à Milady la bit-lit et autre littérature rose) se cache le parfait exemple de la big-selling-fantasy. J’ai déjà évoqué ci et là dans certaines de mes critiques sur ce blog ce concept très anglo-saxon. Mais qu’est-ce donc, me direz-vous ? La big-selling-fantasy est tout simplement une certaine forme de formatage commercial du récit de fantasy. Le principe est simple : vous prenez un jeune garçon, orphelin si possible, et vous lui faites traverser des épreuves successives de plus en plus dures (comprendre : des monstres de plus en plus badass) jusqu’à faire de lui l’élu d’une nation/d’un continent/d’une monde. Sans oublier de lui adjoindre des side-kicks qui viendront se greffer à sa suite par le grand pouvoir de l’amitié (ou de l’amour, c’est selon le sexe du side-kick) pour former une « seconde famille« .

Les esprits chafouins me rétorqueront qu’il ne s’agit pas là d’un trait propre à la fantasy, mais qu’on touche tout simplement aux fondamentaux du récit, tel qu’il existe depuis que l’homme est homme (et, accessoirement, depuis que le vieux de bande gagnait sa pitance du soir en racontant des histoires, puisqu’il n’était plus capable de bouger son cul pour attraper à bouffer). Et vous auriez raison. Cette trame ne diffère que peu du « coming-of-age » story qui regroupe 50% des récits humains, si l’on exclu l’auto-fiction propre au XXème siècle. En effet, l’archétype du récit que j’ai résumé en quelques mots ci-dessous s’applique aussi bien à Oliver Twist qu’à Harry Potter ou à Naruto (car, oui, la fantasy n’est pas bien loin des recettes ultra-codifées des shonens). Ou même dans la Bible, pour le même prix.

Mais donc, pourquoi mon obsession pour cette prévisibilité dans les romans de fantasy alors ? Parce que la corde est tellement usée que j’ai du mal à constater qu’on tire encore et toujours dessus. Alors, bien sûr, Brett n’est pas un manche. Son beau pavé de 650 pages, premier tome d’une pentalogie (rien de moins que cela), nous présente avec moult fracas les trois personnages principaux de sa future grande saga. Arleen, le semi-orphelin doué qui est amené à devenir le sauveur de la nation contre des ordres de démons. Leesha, la clerc de la bande, rejetée par une partie de son village mais avec un cœur gros comme ça dans la main. Et Rojer, le saltimbanque orphelin (car, oui, un seul ne suffit pas) qui trouvera son courage pour affronter ses démons tant intérieurs que réels. Ais-je réellement besoin d’en dire plus ? Oui, sans doute. Brett a au moins l’originalité de développé un adversaire original. Point de nécromant nordique (comme dans 50% des romans de fantasy) sans ses pages : à chaque crépuscule, des démons élémentaires sortent du sol et s’attaque aveuglément à tous ce qui bouge. Seule parade pour les gentils humains : peindre des runes magique au seuil de leur porte et autours de leur grange pour éviter l’annihilation.

Et c’est dans ce monde désespéré, engoncé dans une passivité protectrice et fatalisme général que nos trois protagonistes vont se lever et décider de changer la donne : la meilleure défense, c’est l’attaque, c’est bien connu. Ce premier tome ouvre également des portes sur des développements futurs, avec notamment quelques indices sur l’origine des démons (peut-être un nécromant… venu du Nord ?) et sur les conflits politiques entre les diverses cités-états qui ne manqueront pas d’éclater. Le court passage dans la cité arabisante du Sud désertique, avec ses propres légendes et ses propres codes de conduite, laisse présager un méchant « conflit culturel » dès le prochain tome, avec trahisons et bassesses à la clé.

Que dire d’autre ? Que je suis sans doute étonné que Brett parvient à nous tenir pendant 650 pages juste pour installer ses personnages. Sans que cela ne paraisse trop long ou trop haché (ce qui est toujours un risque, dans les sagas à protagonistes multiples). Du coup, ça assure question attachement aux personnages, même s’ils ne sont finalement pas originaux pour un sous. Je suis donc fasciné qu’après toutes ces années cela continue à fonctionner avec moi. Je faisais le parallèle avec le shônen en début de texte : bien que j’en ai lu des dizaines et que je vois les mécanismes transparaitre avant même d’appréhender le récit, je me fais quand même avoir quand je tombe sur un shônen de qualité (genre One Punch Man ou l’infatigable One Piece). Et cet Homme Rune est du même tonneau : c’est de la bonne.

Brett le dit d’ailleurs lui-même sur son site officiel : ses inspirations sont Tolkien (of course) et Terry Brooks (Shannara, vous savez, ce plagiat insipide du SDA ?). Et c’est exactement ce qu’on a avec l’Homme Rune, un savant mélange entre de la fantasy qui se veut épique et de la production à la chaîne sans saveur. Le mélange des deux donne cette grosse brique, parfaite lecture d’été, qui se lit très vite avec un sourire un peu benêt aux lèvres quand on tombe sur un rebondissement tellement éculé que même nous, pauvres amateurs, n’aurions osé l’utilisé. Brett, lui, le fait. Avec un certain brio. En très résumé : une lecture agréable, qui ne fait pas de mal à une mouche, mais qui use de mécaniques bien huilées pour amener son lecteur en terrains connus. Dommage qu’il n’ose pas « tenter » quelque chose, comme un Mark Lawrence ou un Joe Abercrombie. C’est probablement ça, le défaut de ce cycle des démons : il est trop sage. Rendez-vous au deuxième tome pour, sans doute, confirmer ces sentiments.

Nouvelles

De J.D. Salinger, 1948-1953.

Il est pratiquement impossible de résumer les neuf nouvelles que compte ce court recueil. Salinger, mondialement connu et reconnu pour son Attrape-Cœur, est davantage caractérisé par son style et sa rythmique que par ses récits. Ces neuf textes nous narrent donc des tranches de vie improbables, tantôt tragiques, tantôt drolatiques. A titre d’exemple, la nouvelle qui ouvre le recueil, Un jour rêvé pour le poisson-banane, partage ses paragraphes entre la conversation téléphonique hachée d’une femme et sa mère dans une chambre d’hôtel et une scène où un petit garçon part pêcher le poisson-banane avec un homme visiblement dérangé sur la plage dudit hôtel. Avant que l’homme ne se tire une balle dans la tête dans les dernières lignes. Sans préavis.

Car c’est là qu’on touche à l’âme des textes de Salinger : le point de rupture n’est jamais loin. Sous les conversations à bâton rompu dans un style souvent très familier sourde toujours la menace, la faille, le risque. Et si dans ce premier texte on devine que ce vétéran de la seconde guerre mondiale est à bout, la menace plane également sur les autres textes, même si c’est dans une ampleur moindre. Chacune de ces neuf nouvelles, à sa manière, nous montre la difficulté, voire l’absurdité des relations humaines. Elles contiennent en leur sein ce qui deviendra le chef-d’œuvre de l’auteur, les quelques jours d’escapade d’Holden Caufields dans l’Attrape-Cœur.

Si je ne fus pas convaincu, il y a quelques années, par la lecture du classique en question, force est de constater que ces formats courts se lisent vite et laissent une impression vivace de décalage. A la manière d’un Céline, même si le parallèle a ses limites, Salinger noie son propos dans une glose familière qui enfume progressivement l’attention du lecteur, jusqu’au point de rupture, au basculement du texte. Il faut sans doute s’attarder quelque peu sur la vie de l’auteur pour apprécier les nuances et la sensibilité des textes, mais le recueil peut globalement se lire sans être particulièrement préparé.

Chantre d’une certaine jeunesse désœuvrée américaine, il est amusant de constater que Salinger choisit de confronter ses jeunes protagonistes à des adultes souvent brisés par la vie. Pour Esmée, avec amour et abjection (nouvelle dont le titre et les personnages auraient parfaitement collés dans un roman de Nothomb, d’ailleurs) en est le parfait exemple : la relation épistolaire de cet homme avec cette toute jeune fille, bien que très érudite, n’en demeure pas moins sur le fil pendant une bonne partie du récit. Intelligemment construites, ces nouvelles valent certainement le coup d’œil pour tout amateur de littérature américaine qui voudrait creuser l’œuvre au-delà de l’immanquable Attrape-Cœur.

Les prénoms épicènes

D’Amélie Nothomb, 2018

Chaque année depuis plus de 15 ans, je prends quelques heures fin août (oui, j’écris cet avis un peu en retard, étant un peu trop pris par des questions professionnelles) pour lire la nouvelle fournée d’Amélie Nothomb. Je me souviens d’une interview de Beigbeder il y a quelques années où on lui demandait comment se portait son livre à la rentrée littéraire (je pense que c’était à l’occasion d’Au secours pardon, donc ça date déjà…). Il eut une réponse désolée en disant qu’il était forcément derrière l’Eddy Merckx d’Albin Michel. Et je le comprends, le pauvre garçon. Nothomb sort chaque année sa fournée pré-automnale avec une régularité qui n’a d’égale que son succès, ce qui est probablement désespérant pour les autres auteurs de la rentrée littéraire.

Et pourtant, Dieu sait si les itérations nothombiennes n’ont pas toute la même valeur. Les prénoms épicènes, itération 2018, penche du mauvais côté : nous pourrions dire qu’il s’agit là d’un Nothomb mineur. Et quand on y pense, malheureusement, cela fait déjà bien longtemps qu’il n’y a plus eu un Nothomb majeur. Le dernier vraiment marquant étant sans doute Journal d’Hirondelle, qui date déjà de 2006. Douze ans (et douze romans), ça commence à faire long, comme passage à vide.

Les prénoms épicènes, comme son titre le laisser présager, met en scène une série de personnages dont les prénoms peuvent être portés tant par les hommes que par les femmes. Si l’on reconnait là la passion de Nothomb pour le choix des prénoms (qui ne sont pas aussi extravagants que d’habitude dans ce roman), cela n’apporte pas réellement quelque chose au propos ou à l’intrigue. Cette dernière est fort simple : un homme, par vengeance amoureuse, décide de réussir sa vie, se marier avec une jolie femme et faire un enfant parfait pour faire jalouser son amour de jeunesse qui l’a assez méchamment largué (je ne spolie rien, le premier chapitre de livre est très explicite). Et nous suivons la vie de cette femme, totalement inadaptée au monde réel, qui tombe dans les filets de son mari vengeur et, dans un second temps, la vie de sa fille, enfant parfait dès sa plus tendre enfance, qui hait rapidement son père et met en place des mécanismes de survie face à cette situation. On reconnait, là aussi, les marottes de l’auteur : le génie et la perfection de l’enfance, les personnages unidimensionnellement abjects, la protagoniste socialement handicapée, voire inapte à comprendre toutes relations humaines dans un monde normal.

Et comme toujours chez Nothomb, le moteur scénaristique est et reste l’évolution des relations entre les différents personnages. Et, à nouveau comme toujours, les personnages son excessifs. Le père revanchard ne vit que pour la vengeance. La mère naïve choisit pratiquement de vivre comme une victime car elle est incapable de lire le comportement pourtant évident de son mari. Seule la fille est plus ou moins normale, même si elle est elle aussi excessive dans ses amitiés et ses réactions.

Bizarrement, Nothomb dévoile ici le twist final de son roman dès la premières pages. Là où elle camoufle d’habitude plus habillement son dénouement à travers des indices savamment distillés, ici, elle nous le livre dès le départ. Et, malheureusement, cela casse un peu la dynamique du roman et l’intérêt de la lecture. Bien sûr, si l’histoire est finalement assez convenue (pour du Nothomb), il nous reste le style inimitable de l’auteur belge. Son mélange d’une écriture très simple et d’un amour des mots étranges (pour leur phonétique comme pour leur sens) percute toujours, même si l’on peut se demander si elle ne gagnerait pas à bousculer ses habitudes. Car si c’est agréable à lire, nous sommes malheureusement loin des sommets d’Hygiène de l’assassin, des Catilinaires ou de Stupeur et tremblements, sur le fond comme sur la forme.

Malgré ces déconvenues, je resterai cependant fidèle à Nothomb. A défaut d’être surpris par ses textes fort courts, il faut reconnaître un certain jusqu’au-boutisme au personnage de l’écrivaine belge, une forme d’intransigeance que n’influe pas le succès qui la propulse, chaque année, en tête des ventes pendant quelques semaines. Et avoir une personnalité, c’est déjà pas si mal, quand on pense à la bouillie fade que constitue la majeure partie de la rentrée littéraire habituellement.