The Mandalorian – Saison 1

De John Favreau, 2019.

Maintenant que le « hype » Star Wars de décembre 2019 est un peu retombé, peut-être est-il temps de parler un peu sérieusement des derniers opus de la saga ? Je me réserve encore pour The Rise of Skywalker, car, à chaud, tout a déjà été dit et redit par des gens plus assertifs et plus convaincants que moi, sans doute. Si la tendance générale est bien sûr au bashing bête et méchant, certains avis argumentés sont éclairants sur la fin de la trilogie Disney. Joueur du Grenier en parle par exemple de manière très émotionnelle, comme tout fanboy qui se respecte, là où Durendal est, comme à son habitude, plus argumenté (mais pas plus aimable avec le film qui, il est vrai, est bourré de raccourcis faciles et autres deus ex machina gênants). Du coup, le meilleur moyen d’en parler est probablement… de ne pas en parler ! Je me réserve donc pour une critique épisode par épisode après la sortie Blu-ray dans quelques mois.

Entretemps, parlons donc de ce qui, au contraire, semble ravir les fans de la saga à travers toute la planète : la première série télé live de Star Wars ; The Mandalorian. L’univers entier (y compris dans des galaxies fort fort lointaines) est uniformément positif sur cette première saison de 8 courts épisodes. J’ai, personnellement, quelques réserves… Je ne m’explique donc pas cet engouement quasi-généralisé (la série aurait-elle un taux de midi-chloriens particulièrement élevé ?). La seule piste que j’entrevois est qu’il s’agit d’une appréciation « en négatif« . Les amateurs de la saga ayant été tellement dégoûtés de la post-logie disneyenne, ils n’étaient que trop heureux de se mettre sous la dent autre chose. Mon problème principal étant que c’est tout aussi disneyen. Je vais essayer d’argumenter ce point de vue.

Mais, en premier lieu, revenons peut-être à l’histoire pendant quelques lignes (ça ne prendra de toute manière pas plus que ça). En gros, cette première saison nous conte l’histoire d’un chasseur de prime mandaloréen quelques années après la chute de l’Empire, telle que restituée dans l’épisode VI. Nous apprenons que les mandaloréens ne sont pas réellement une « race » extra-terrestre, mais plutôt une forme de culte qui regroupe des individus disparates qui se reconnaissent par le port constant de leur armure et par la croyance en un crédo très martial. Les représentants les plus célèbres dans l’univers de Star Wars de ce culte sont bien sûr Jango et Boba Fett, pour les inattentifs du fond de la classe.

Dans la série, le chasseur de prime, qui sera fort astucieusement surnommé Mando (!) vivote comme il peut en enchaînant les contrats (vous savez, les bounties, comme dans bounty hunter ?). Un contrat non-officiel, en dehors de la guilde des chasseurs de primes, l’amène à aller chercher un prisonnier pour le compte d’un groupuscule local de survivants de l’Empire. Mais le brave Mando a des scrupules quand il constate que le prisonnier en question n’est autre qu’un enfant, le nouveau super-mème de l’année 2019, le désormais très célèbre baby-Yoda (et vous êtes prié de vous exclamer, comme la planète entière, « Ooohhhh, qu’il est mignon !« ). S’en suit alors une série d’épisodes relativement indépendants les uns des autres où le brave Mando passera d’une planète à l’autre pour sauver les locaux et s’assurer que le bébé-Yoda échappe à la convoitise des survivants de l’Empire. Voilà, en gros, le résumé de la série jusqu’au dernier épisode, qui nous introduit bien sûr le grand méchant de la série, un nouveau Grand Moff (Gideon, et non Tarkin, qui semble bien mort dans l’univers Star Wars – on n’est plus sûr de rien depuis la résurrection de l’Empereur !). Celui-ci veut s’approprier le bébé-Yoda pour une raison obscure qui sera sans doute le développement scénaristique de la saison 2.

Voilà voilà. Et je suis très partagé, comme je le disais plus haut. Il y a effectivement quelque chose de rafraichissant à découvrir une « autre » histoire de Star Wars adaptée à l’écran (comme Rogue One l’avait en partie fait) et quelque chose d’amusant à voir que John Favreau a choisi de revenir aux sources du genre en faisant de cette série un véritable « serial » dans l’acception original du terme, façon Flash Gordon ou Captain Future. La division en épisodes indépendants où une planète exotique différente est envisagée à chaque fois, où un climat et un enjeu différents sont développés, est une idée qui peut fonctionner. Elle ressemble, en cela, aux nombreuses séries animées déjà produites (dont la qualité varie cependant beaucoup au fil des saisons) à partir de l’univers Star Wars (Clone Wars, Rebels, etc.) J’ai cependant déjà là une première objection : pourquoi avoir choisi ce format séquentiel qui rapproche davantage The Mandalorian d’une série à rallonge ? L’intérêt des séries modernes à nombre modeste d’épisode est bien de conter une histoire continue, à la manière de GoT, de Stranger Things et de je ne sais combien d’autres séries des deux dernières décennies ? Ou, à la limite, de développer des arcs distincts qui peuvent (ou pas) correspondre au découpage en saisons. Toutes les grandes séries récentes de SF partagent ce principe, sauf à retourner en effet à l’époque des premières itérations de Star Trek.

Soit. Je peux accepter la position de principe et m’asseoir dans mon salon pour apprécier ces histoires successives comme j’ai pu le faire il y a bien longtemps avec, par exemple, Cowboy Bebop (un monument de la SF en anime, pour ceux qui l’ignoreraient). Ce découpage implique cependant de facto une grande variation d’intérêt et de qualité entre les épisodes. Et The Mandalorian n’échappe pas à la règle. Si les épisodes qui font avancer l’intrigue générale sont plutôt bien menés, les épisodes-fillers dans le ventre mou de la série sont moins bons. Les épisodes 4 (Le Sanctuaire, où Mando se prend pour le sauveur des Navii locaux), 5 (Mercenaire, où l’hommage à l’épisode IV sur Tatooine est complètement foutu par un Han Solo local de troisième zone qui se paie l’outrecuidance de s’asseoir à la même table dans la Cantine que son illustre prédécesseur et d’être servi, oh! insulte suprême!, par un droïde) et 6 (Le Prisonnier, qui part d’une bonne intention mais qui est desservi par des acteurs tous plus mauvais les uns que les autres) sont assez médiocres. Amusant de constater que les 5 et 6 sont d’ailleurs les seuls à ne pas être scénarisés par John Favreau lui-même. Il reste 5 épisodes de meilleure qualité, vous allez me dire. Mouais…

Ça m’amène à développer mon principal reproche : les chasseurs de primes ne sont PAS gentils. Vous avez vu Jango ou Boba Fett faire des bisous aux Gungans ou aux Jawas, vous ? Moi pas. Mando souffre du même mal que Ryo Saeba dans City Hunter : comment faire d’un personnage de tueur froid (logiquement) un héros qui s’ignore ? C’est tout à fait aussi improbable que de faire d’un Jedi ado un Sith en deux coups de cuillère à pot (Anakin ? Kylo Ren ? Si vous m’entendez…) Alors oui, bien sûr, baby-Yoda (voir ci-dessous) est très mignon. Mais de là à en faire la seule raison pour passer du côté gentil de la Force, ça me semble fort capillotracté. La série se justifie plus tard en disant que le code de conduite des mandaloréens est qu’ils doivent prendre en charge les orphelins et les intégrer dans leur culte. Mais 1/ rien ne dit que bébé-Yoda soit orphelin et 2/ vous voulez dire que si Jango était tombé sur Anakin en lieu en place de Obi-Wan, Jango aurait dû l’adopter et l’instruire dans le culte mandaloréen ? Et Boba, en tant que clone, se qualifie-t-il d’ailleurs comme orphelin ? Mystère.

L’objet du crime…

Et je vois là la disneyisation tant redoutée de l’univers de Star Wars. John Favreau, considéré comme un Dieu par la moitié des fanboys de la planète, n’est autre que le papa d’Iron Man, le film qui a lancé réellement le MCU, cette machine à pop-corn universelle qui rabaisse et infantilise le niveau moyen des blockbusters depuis plus de dix ans maintenant. Et je crains qu’il ne prenne la même voie avec The Mandalorian, plus encore que J.-J. Abrams ne l’avait fait avec son épisode 7 et les suites liées. Pour reprendre une expression chère au Joueur du Grenier, je me suis littéralement face-palmé à la fin du premier épisode quand on découvre la tête de bébé-Yoda. Et plus encore à la fin de l’épisode 3 quand tous les mandaloréens du coin se rassemblent pour sauver leur compatriote et son enfant illégitime. C’est beau, cette franche amitié dans une population connue pour ses qualités martiales et son côté sans pitié. Vous ne voulez pas des licornes et des petits cœurs en sus, non ?

Finalement, parlons également du lore de Star Wars. Si la série est dans l’ensemble assez fidèle à l’extended universe et sait placer toute une série de références qui raviront les fans (dont je fais partie), elle est aussi assez légère sur quelques points essentiels. En effet, si ne pas enlever son casque est à ce point essentiel pour les mandaloréens, comment expliquer maintenant que Jango Fett ne semble pas s’en formaliser quand il l’enlève devant son fils, devant Obi-Wan et devant la moitié des habitants de la planète des cloneurs (dont le nom m’échappe, honte à moi) ? De même, alors que la moitié des critiques de la Terre s’esclaffe devant les nouveaux pouvoirs de Rey dans The Rise of Skywalker, notamment de sa capacité de soin/régénération, personne ne semble s’émouvoir que bébé-Yoda sache faire _exactement la même chose_ ? Et que c’est un _bébé_ ?! Et pas l’incarnation ultime de tous les Jedis ayant existé (oui, j’avoue, ça aussi c’est un peu abusé dans l’épisode 9)…

Et tous ces points, ces faiblesses, m’énervent. En gros, la série n’est pas si mal que ça : elle est très bien réalisée, les musiques sortent enfin du carcan John Williams-esque, Pedro Pascal parvient à « jouer » Mando malgré le fait que l’on ne voit pour ainsi dire jamais son visage, l’art design fait un super boulot et on a, bien sûr, envie de savoir la suite. Où est la cohérence avec les paragraphes précédents, me direz-vous ? Et bien je dirais simplement que, comme tous les Disney, The Mandalorian est très bien produit. Encore heureux, vu le blé engouffré dans l’histoire. C’est spectaculaire, qu’on le veuille ou non. Et ça touche une corde sensible chez tous les geeks de la planète. En étant un moi-même, je ne peux donc pas faire grand-chose d’autre que de m’y plier. Mais cela ne m’empêche pas d’être lucide : si je suis moins négatif que beaucoup sur l’épisode 9, je suis aussi moins dithyrambique sur The Mandalorian qui souffre, pour moi, des mêmes maux. Les McGuffins scénaristiques et le message finalement très rose-bonbon sont aussi invraisemblables dans les deux cas de figure. Bien sûr que je regarderai la saison 2. Mais bien sûr, aussi, que j’aurais préféré une vraie série télé adulte, avec des bounty hunters qui font leur métier plutôt que d’être baby-sitters. Même si ça fait vendre moins de peluches.

McSweeney’s Anthologie d’histoires effroyables

Édité par Michael Chabon, 2002.

Réédition partielle (des nouvelles imaginaires uniquement) de McSweeney’s Méga-anthologie d’histoires effroyables, paru chez Gallimard (collection « Du monde entier« ) en 2008.

Michael Chabon n’est pas un anthologiste fort connu dans le monde de la SFFF. Et c’est assez logique, car ce n’est pas son/ses genre(s) de prédilection. De fait, la McSweeney’s Anthologie d’histoires effroyables n’est qu’un extrait d’une anthologie plus vaste, datant de 2002 et publiée en 2008 dans la collection Du monde entier de Gallimard (la petite cousine de la Blanche, consacrée aux textes étrangers). Dans cette réédition partielle en poche chez Folio SF en 2011 ne sont donc repris que les textes à vocation imaginaire (au sens large). Et c’est assez dommage de se priver de quelques textes de littérature blanche qui faisaient partie de la méga-anthologie (remarquez l’usage subtil du superlatif) d’origine. On se passe donc de textes signés entre autres par Kelly Link, Neil Gaiman, Stephen King ou encore Michael Crichton. De signatures que l’on associerait pourtant volontiers aux littératures de l’imaginaire. Mais soit, n’ergotons pas sur les choix éditoriaux bizarres de Gallimard (puisque Folio-SF est la collection poche de genre de Gallimard, bien sûr).

Avant d’entrer dans le corps du bouquin en tant que tel, encore quelques mots de contexte. D’abord, ne vous laissez pas rebuter par la très moche couverture : ces zombies s’attaquant à un détective de pulp ne correspondent à aucune nouvelle de l’anthologie. Quitte à choisir une illustration au hasard, j’en aurai pris une plus jolie. Soit. Plus intéressant sans doute : mais qu’est-ce donc que le McSweeney ? Eh bien, je n’en savais rien avant d’ouvrir ce recueil. McSweeney est en fait une tentative américaine de faire revivre la revue de nouvelles. L’argument éditorial est que l’art de la nouvelle se perd alors même qu’il s’agissait d’un format prisé par nombre de grandes plumes américaine du début du XXème. Chabon, l’éditeur de cette anthologie en particulier, est l’une des chevilles ouvrières de ce renouveau en faisant jouer son carnet d’adresse visiblement bien remplis pour convaincre ses collègues écrivains de se (re-)lancer dans l’exercice. Et comme vous connaissez sans doute mon amour pour le format en question, vous vous doutez que je ne peux qu’applaudir à deux mains (vous avez déjà essayé avec une, juste pour voir ?). Le site web McSweeney, la publication en question, est un vrai trésor d’imagination et on y découvrira une volonté probablement un peu « arty » de remettre la nouvelle (mais aussi d’autres expressions artistiques) sur le devant de la scène. Quand on voit le prix de certains anciens numéros épuisés sur leur boutique en ligne, on imagine aussi facilement que la revue a un certain succès auprès d’un public d’initiés qui dépensent sans compter. Bref, tout ceci nous éloigne du contenu.

Parlons-en, du contenu. Après une brève intro où Chabon nous explique son intention et les échos positifs des écrivains qu’il a su convaincre de participer, on se lancer dans un premier texte : Les abeilles, de Dan Chaon. Inconnu au bataillon. Mais texte très dérangeant. Il y est question d’un homme rangé que les démons du passé viennent menacer. La mécanique du récit, inéluctable, nous entraîne vers une conclusion sordide, horrible, que l’on voit venir et que l’on espère éviter. Le texte est particulièrement dur à lire si vous êtes vous-mêmes parent d’un enfant en bas âge. Je ne croyais pas être touché par le phénomène (le fait d’avoir un petit gamin ne m’empêche pas de voir le premier Ça, par exemple), mais, en fait, si. Cette première nouvelle, qui touche davantage à l’horreur qu’au fantastique, m’a laissé un goût de cendre dans la bouche…

Le deuxième texte, Le Général, de Carol Emshwiller, est plus classique. Il y est question d’un grand soldat qui fuit le pays qui l’a élevé après avoir massacré sa famille. Sa fuite l’amènera à sympathiser avec de pauvres paysans dans les montagnes qui servent de frontière naturelle entre son pays d’origine et son pays d’adoption. La vengeance, la solitude, la haine et la rédemption sont au menu de ce court texte. C’est bien écrit, mais, comme dit en attaque de ce paragraphe : c’est assez classique.

Sinon, le chaos, de Nick Hornby est la troisième nouvelle de l’anthologie et la première appartenant réellement au domaine du fantastique. L’auteur, pas familier avec le genre, est surtout connu pour son excellent High Fidelity. Le texte est une sorte d’hommage à L’Attrape-Cœurs, malgré le fait qu’il insiste explicitement sur le fait de ne pas l’être, justement. On y suit un ado qui nous raconte sa première expérience sexuelle. Ou, plus exactement, les circonstances qui l’on amené à ça. Il y sera question de déménagement, de cours de musique, de relations monoparentales et… de l’apocalypse, bien sûr. Le texte est très bien écrit, dans le style de la confession d’ado chaotique, allant même jusqu’à se payer le luxe d’être un méta-texte (puisqu’il s’auto-commente volontiers). Exercice périlleux, mais amplement réussi.

La quatrième participation est due à Chris Offutt, autre auteur dont le nom ne me disait (et ne me dit toujours) rien du tout. Le Seau de Chuck penche lui aussi du côté de la SF pure et dure. On y suit un écrivain, Offutt lui-même, qui est en panne d’inspiration alors que Michael Chabon lui a demandé un nouvelle pour son anthologie. Il a peur de ne pas y arriver. De ne pas faire mieux que son père, grand écrivain et grand rival d’Harlan Ellison en son temps (qui est également au programme de l’anthologie, par ailleurs). Son mariage bat de l’aile, sa bagnole est cassée et il a l’impression qu’un fantôme le hante dans ses nuits blanches. Heureusement, un ami scientifique le sortira de cette voie sans issue en lui proposant un voyage dans le temps et/ou dans les univers parallèles. Mais… ce n’est pas sans risque, bien sûr. Amusant, construit tel des poupées russes, le texte est efficace a défaut d’être vraiment marquant.

Le cinquième auteur, Michael Moorcock est un nom nettement plus familier à l’oreille du lecteur de SFFF. L’auteur d’Elric signe ici un texte plus tardif, mineur, qui appartient à une autre série de l’écrivain, à savoir Le Pacte Von Beck. Ou, plus certainement, l’une de ses nombreuses incarnations dans les temps multiples que parcourt la figure tutélaire du Champion Éternel, chère à Moorcock. On y suit l’enquête chronique d’un flegmatique britannique et son assistant dans le Berlin des années 30. La maîtresse d’Hitler est retrouvée morte et l’entourage proche du leader nazi fait appel au Sherlock Holmes local pour résoudre l’affaire. Ce-dernier, aidé par son meilleur ennemi Von Beck, sera face à un choix : résoudre l’affaire, innocenter le monstre ou en profiter pour sauver la paix mondiale ? Farce steampunk, L’affaire du canari nazi est un bel hommage à Conan Doyle et/ou à Maurice Leblanc. C’est drôle, bien écrit, bien mené et dans le ton de l’anthologie. Ce n’est pas ce que l’auteur a signé de mieux, mais c’est très efficace.

La Danse des esprits de Sherman Alexie est une nouvelle âpre sur le racisme ordinaire aux États-Unis. Deux flics tuent deux indiens injustement arrêtés. Sur les lieux de la bataille de Little Big Horn. Pas de chances pour les représentants de la loi, cela réveille le 7ème régiment de cavalerie du Général Custers qui est enterré là depuis des siècles. Et ces braves zombies ont faim. Et ils ne font pas la distinction entre les flics rednecks racistes du fin fond des states ou le premier passant venu. Une véritable tornade de massacre où le message semble être : la violence entraîne la violence. Bien mené, mais la conclusion et le message m’échappent un peu.

Le texte suivant est signé par l’autre grand nom de l’anthologie, à savoir Harlan Ellison, dont la carrière est aussi longue qu’inspirante pour tout amateur de littérature de genre (ou de littérature tout court). Avec Derniers adieux, Ellison signe a son tour une farce sur les gens qui cherchent toute leur vie un sens profond aux choses, un message caché qui leur permette d’atteindre le nirvana. Quid si au lieu d’atteindre le Shangri-La sur l’un des sommets inatteignable de la chaîne de l’Himalaya, notre héros tombait sur… un fast-food cosmique ? Je ne sais pas si ce texte date d’avant l’épisode où Homer visite le premier Kwik-e-mart sur un sommet indien, mais on est dans le même genre de délire. Amusant.

L’avant-dernier texte, Notes sous Albertine, est celui qui se rapproche le plus du cyberpunk. C’est le texte le plus long et le plus ardu de l’anthologie. Rick Moody, son auteur, dont il s’agit ici du seul réel texte de SF traduit en français, signe un récit d’une centaine de page sur un journaliste qui essaie de comprendre d’où provient une nouvelle drogue qui ravage la société américaine depuis la disparition d’une grande partie de New-York dans un attentat ravageur (rappelons-le, l’anthologie date de 2002 dans sa version originale). Cette drogue a pour effet de faire revivre au consommateur ses souvenirs. Pas de se les rappeler ; de les revivre. Et les survivants de s’enfermer dans un monde onirique où il semble possible d’interagir dans une certaine mesure avec les évènements, ajoutant tout une couche de paradoxes temporels au marasme sociétal ambiant. Ça m’a fait penser à un croisement étrange entre Inception et Las Vegas Parano, le côté drôle en moins. Sans doute la meilleure nouvelle de l’anthologie, mais pas la plus simple à prendre en main.

Le dernier texte, signé par Michael Chabon lui-même, nous emmène dans la vie de deux gamins qui sont séparés de leurs parents par la guerre civile américaine et qui sont récupérés par leur oncle à bord d’un dirigeable géant qui fleure bon le steampunk. C’est pas mal du tout, mais c’est très frustrant : L’Agent martien, roman d’aventures planétaire est la première partie d’un diptyque qui a trouvé sa suite dans une autre anthologie McSweeney inédite sous nos latitudes. Et l’histoire développée ne se suffisant pas en elle-même, c’est un peu bizarre de l’avoir inclus.

Que penser, pour finir, de cette anthologie ? Eh bien, au risque de me répéter pour ce genre de publication, du bon et du moins bon. Si tous les textes ne sont pas de grands textes, ils ont tous une qualité minimale suffisante pour retenir notre attention. Notes sous Albertine en particulier promet de belles choses pour son auteur (qui est cependant resté relativement anonyme dans nos contrées). Les nouvelles et ce genre d’anthologie restent de bonnes portes d’entrée dans des imaginaires nouveaux, osant parfois des mélanges de genre ou des développements que des romans classiques n’osent pas. McSweeney’s Anthologie d’histoire effroyables (elles ne le sont pas toutes !) est exactement dans cette tradition : une main tendue vers des auteurs méconnus, épaulés par des noms bien établis qui se lâchent (j’imagine que Moorcock a rarement utilisé Hitler comme personnage dans ses récits !). Une belle surprise à découvrir sans modération. Et on regretta de n’avoir qu’une édition partielle avec cette version Folio SF. Si vous trouvez l’édition intégrale, préférez-la !

Palimpseste

De Charles Stross, 2009.

Une fois n’est pas coutume, parlons novella. Comme j’ai sciemment choisi de ne pas chroniquer les publications d’Une Heure Lumière sur ce blog (puisque tout le monde le fait, il n’est pas nécessaire d’ajouter ma voix à celles d’autres bien plus talentueux que moi), j’en ai rarement l’occasion, le format n’étant pas le plus populaire de ce côté-ci de l’Atlantique. Je saute donc sur l’occasion après la lecture de Palimpseste, novella signée Charles Stross et auréolée du Hugo 2010 dans sa catégorie.

Pour les rêveurs du fond de la classe, il est sans doute utile de rappeler ce qu’est un palimpseste. Il s’agit d’un parchemin ancien dont on a effacé les premières écritures pour pouvoir l’utiliser à nouveau. Quand on additionne cette courte définition avec le fait que Stross est l’un des auteurs britanniques emblématique du renouveau de la SF, rayon hard-SF, et que l’on sait que la novella parle de voyage dans le temps, on peut rapidement imaginer de quel type de palimpseste on parle.

Et, comme prévu, donc, il s’agit bien d’un récit alambiqué de paradoxes temporels en cascade. En résumé, on y suit la vie de Pierce, un anglais paumé qui devient un peu par hasard un membre de l’estimée police de la Stase. Cette institution temporelle a pour but de préserver l’humanité, contre les dangers cosmiques qui la menacent comme (et surtout) contre elle-même. Cependant, alors qu’il est en pleine période d’entraînement (celui-ci se déroulant sur plusieurs années, le temps n’étant plus réellement un problème pour ces agents multi-temporels), il se retrouve pris manifestement au piège d’un palimpseste. Une organisation ennemie tente de le piéger et de réécrire le segment de temps qu’il vient de contrôler, pour une raison qui lui échappe…

Dit comme ça, ça à l’air assez clair. Mais Palimpseste est tout sauf clair. C’est toujours le risque quand on manipule les sauts dans le temps et les paradoxes en cascade : à un moment, cela devient franchement ardu de suivre. Charles Stross n’aide pas, par ailleurs, puisqu’il enchaîne de rare moments d’action avec de longues expositions sur les différentes opérations menées par la Stase pour sauver la Terre de l’extinction de son Soleil, du mouvement inopportun de notre galaxie et des efforts que font ses agents pour créer en cascade, tout au long des millions d’années couverts par le bouquin, les conditions propices à la création de nouvelles civilisations humaines.

Et j’avoue qu’après la cinquième itération, j’ai eu un peu de mal à me rappeler les premières. Le choix du format court oblige Stross à bourrer un maximum d’infos en un minimum de pages, rendant le tout assez indigeste. C’est d’autant plus dommage que les civilisations esquissées semblent vraiment construites et intéressantes et que certaines péripéties de la vie du héros semblent évacuées très vite alors qu’elles laissaient présager des développements intéressants (Pierce, par exemple, est marié et à des enfants dans l’un des segments de temps qu’il parcourt, famille qu’il oublie en deux pages sans s’y appesantir plus que cela).

[SPOILER] Bien sûr, la fin du bouquin revient sur ceci et nous explique qu’il y a autant de Pierce que de réalités parallèles provoquées par les agents de la Stase lors de leurs missions, palimpsestes ou non. Et le fait d’avoir créé une organisation résistante logée ailleurs dans l’espace et dirigée par l’un des nombreux avatars de Pierce fonctionne, en définitive. Mais c’est bizarrement très sage, au regard des éléments développés plus tôt dans la novella. [/SPOILER]

Bref, une lecture dont je ne suis sorti qu’à moitié convaincu. Il y a là de très bonne chose, des idées brillantes et des développements narratifs inattendus. Mais il y a aussi trop d’éléments dans un écrin trop court pour réellement les apprécier. Cet enchaînement infernal ne laisse que peu de place pour respirer, les moments plus calmes étant parasités par un discours scientifique, je dois l’admettre, un peu aliénant. A tester par curiosité, pour les amateurs de paradoxes temporels.

L’homme dans le labyrinthe

De Robert Silverberg, 1962.

Robert Silveberg est une légende de la SF (et dans une moindre mesure de la fantasy, avec son Cycle de Majipoor). Le new-yorkais a écrit des dizaines d’œuvres qui sont devenus, au fil des décennies, des classiques indémodables. Il fut aussi le maître d’œuvre de la formidable anthologie « Légendes« , regroupant des novellas des plus grands auteurs de fantasy introduisant leur univers particulier (Stephen King avec La Tour Sombre, Georges R.R. Martin avec le Trône de Fer, Terry Pratchett avec les Annales du Disque-Monde, Terry Goodkind avec L’Épée de Vérité, etc.) Bref, en un mot comme en cent, un immanquable de tout bon amateur de SFFF.

L’homme du labyrinthe, publié au début des années 60, marque une transition entre sa première vie éditoriale, où Silverberg publiait énormément de nouvelles et romans de piètre qualité, s’assurant ainsi des revenues alimentaires qui lui étaient nécessaires, et une seconde vie éditoriale où il travailla davantage ses textes et livra de nombreux textes d’exception, souvent oubliés de nos jours. L’homme du labyrinthe est de ceux-là. C’est de la SF de papa, sans fioriture, avec un message fort et un ton assez désabusé/sombre. C’est à cette époque que Silverberg prend exemple sur ses aînés et que l’influence d’Asimov (avec qui il collaborera plus tard pour adapter certaines des nouvelles du maître en romans plus longs) se fait sentir : le récit se recentre sur l’essentiel, les effets de style passent à la trappe et le twist scénaristique devient la clé du développement scénaristique.

Le récit nous emmène sur une planète lointaine où un homme vit seul, reclus au sein d’un labyrinthe aussi ancien que mortel, coupé de l’humanité qu’il fuit autant qu’il méprise. Cet homme est Richard Muller, un aventurier, une légende de l’exploration spatiale, le premier homme a avoir un contact avec une civilisation extraterrestre. Ce contact l’a changé, l’a transformé. Depuis, il ne peut s’approcher de ses semblables pour des raisons que je ne dévoilerais pas ici pour éviter de vous spoiler sur le scénario. Malheureusement pour Muller, l’humanité a besoin de lui. Son ancien compagnon de route, le rusé et sans scrupule Charles Boardmann, dirige donc une mission pour récupérer Muller et le ramener à la civilisation. Pour ça, il faudra que Boardmann et son équipe affrontent les pièges mortels du labyrinthe et parviennent à manipuler Muller, l’un des hommes les plus malins et retord que l’humanité n’a jamais produit…

Avec le dernier paragraphe, je vous ai résumé une bonne partie de l’intrigue de la première moitié du bouquin. Et, il faut l’admettre d’emblée : c’est extrêmement efficace. Comme les nouvelles des pères de la SF contemporaines, L’homme du labyrinthe a cette particularité d’être un page-turner diaboliquement efficace. J’ai avalé les 200 et quelques pages du roman en quelques heures à peine et j’en suis ressorti plus que séduit. Silverberg (dont j’avais surtout lu des nouvelles jusqu’à présent) est très bon dans l’exercice. Ses personnages sont fascinants, son intrigue est retorse à souhait. Le classicisme du fond et de la forme (on parle quand même d’un bouquin du début des années 60) sont contrebalancées par un ton adulte et pessimiste, une ambiance de déliquescence qui fonctionne à merveille.

Le labyrinthe qui donne son titre au roman est un endroit froid, angoissant, maintes fois copiés depuis dans nombres d’œuvres qui n’ont ni le brio ni la tension qui se dégage de ce court opus. Hunger Game, pour prendre un nom connu de tous, fonctionne sur le même principe. Sauf que le labyrinthe de Silverberg est presque hygiénique dans son efficacité. Et beaucoup plus inventif dans ses pièges aussi divers que mortels. Mais plus encore que le labyrinthe en lui-même, ce sont les personnages qui fascinent. Boardmann le manipulateur est largement dépassé par Richard Muller, personnage tragique et pourtant attachant. On comprend rapidement qu’il n’aura pas d’autre possibilité que de se raccrocher à l’humanité, malgré ce que ce renouveau social lui coûte. Il est déjà « plus » qu’humain et cette inhumanité partielle rend ses dilemmes passionnant à lire.

Silverberg se paie en plus le luxe d’équilibrer les passages d’action pure avec des passages d’introspection et de dialogue qui fonctionne. Le sens of wonder, si cher à la SF classique, marche à merveille en enchaînant la décrépitude sans âge du labyrinthe de cette planète éloignée où Muller vit en ermite et des contacts avec des civilisations extraterrestres aussi originales qu’inquiétantes. Vous l’aurez compris à la lecture de cet avis au ton inhabituelle dithyrambique : c’est du très bon. Rapide comme un coup de poing, efficace comme une nouvelle d’Asimov ou d’Arthur C. Clarke, je ne saurais que trop vous conseiller de vous plonger dans ce classique de la SF. Dépaysement et réflexion garantis. Et (re-)découverte d’un auteur majeur du genre à la clé. Bonne lecture !

Le formidable évènement

De Maurice Leblanc, 1921.

Dans la série « les grands classiques« , je vous demande Maurice Leblanc. Oui, Maurice Leblanc. Celui d’Arsène Lupin. On retourne donc au printemps de la SF francophone, en 1921 (1920 pour la prépublication dans le magazine Je sais tout), lorsque les « romans scientifiques » se développent progressivement. En cela, la préface érudite à l’édition Folio SF de Serge Lehman est éclairante : en vrai passionné de l’histoire de la littérature de genre, il signe une vingtaine de pages qui replace l’œuvre dans son contexte et nous explique l’influence que ces romans pionniers ont pu avoir tant sur les écrivains français que sur les premiers pulps américains (dont vous n’ignorez pas que je suis un amateur enthousiaste). Leblanc, après avoir créé son personnage à succès a envie de se diversifier. Comme Sir Arthur Conan Doyle, il ne souhaite pas être le créateur d’un unique mythe littéraire. Il se diversifie donc et s’essaie, dans ce roman comme dans d’autres, à la SF avant même que la SF n’existe.

Et il choisit pour objet de son roman scientifique un formidable évènement, comme le titre l’indique, en l’espèce le soulèvement géologique de la Manche, reliant ainsi la perfide Albion au continent. Et j’utilise la perfide Albion à escient, sachant que le héros de ce roman, Simon Dubosc, jeune dandy français musclé, courageux et malin, a seulement quelques jours pour démontrer à l’intraitable Lord Bakefield que, malgré son absence de sang bleu, il est bien apte à marier sa fille, la belle Isabelle. Pour gagner la main de sa belle, il prendra le pari fou d’être un Guillaume le Conquérant moderne. Et le formidable évènement qui survient, décrit avec moult précisions géologiques, façon Jules Verne, lui donnera l’occasion de prouver sa valeur à travers une succession d’aventures rocambolesques aussi improbables que formidablement surannées.

Pour être honnête, ce n’est pas un très bon livre. Le héros est monolithique, rétrograde, sexiste (bien sûr), raciste par moment et rassemble tous les clichés de la masculinité qui fera de la production pulp dans les décennies suivantes une littérature d’exploitation où les textes valables sont des perles dans un champ de tessons de verre. L’histoire et la romance sont cousus de fils blancs, les rebondissements sont invraisemblables, les « formidables évènements » décrits font gentiment sourire par leur côté très local/échelle réduite. Les femmes sont belles ou traitresses. Les étrangers sont les ennemis ou des fourbes. Seul le peau-rouge sauvage fidèle à ses croyances d’origine trouve une certaine forme de compassion chez Leblanc/Dubosc, à l’instar du gentil sauvage (car oui, il y a des amérindiens dans l’histoire… ne vous avais-je pas dit que c’était un peu tiré par les cheveux ?).

Et je suis bien sûr injuste en disant tout cela. Car je lis ce livre avec les yeux d’un lecteur du XXIème siècle. Les clés de lecture et la définition même du sensationnel ont évolué avec le temps et n’ont rien à voir avec celles du lecteur du début du siècle (passé). Cela ne nous empêche cependant pas de comparer avec des textes proches : quelques années plus tard, capitalisant sur une littérature de genre toujours naissante, mais certes plus abondante, Robert E. Howard signait des textes toujours commerciaux et bourrés d’à priori, mais nettement, nettement plus intéressants, profonds et complexes que celui-ci.

Je retiens surtout du Formidable évènement des scènes de violence parfois assez crues qui émaillent le récit lorsque Simon traverse la Manche émergée pour tenter de sauver sa promise des mains du vilain de service. Devenu rapidement un no man’s land en proie aux brigands et réprouvés de toutes sortes, ces nouveaux territoires sont l’occasion pour Leblanc de signer un western franco-anglais. Dans un décor pratiquement post-apocalyptique, où le fond des mers, émergé, laisse apparaître toutes les épaves des siècles passés comme autant de fortins à conquérir par des mécréants sans foi ni loi. Un Mad Max avant l’heure, question décors et ambiance.

Je ne peux donc décemment pas conseiller cet opus au lecteur qui chercherait un bouquin de SF pour s’évader quelques heures. La forme et le fond n’en font au plus qu’une gentille série B un peu cheap. Historiquement, l’œuvre a sans doute de l’importance et elle ravira donc l’historien amateur du genre que vous êtes peut-être. Mais même lui (vous ?) peut sans doute s’arrêter après l’essai de Serge Lehman qui reconnait bien volontiers « qu’il ne s’agit pas d’un chef d’œuvre« . De fait.