Quand les futurs d’hier rencontrent notre présent

Divers, 1950-1970

Contient:
La main tendue, de Poul Anderson, 1950
Audience captive, d’Ann Warren Griffith, 1953
La montagne sans nom, de Robert Sheckley, 1955
La vague montante, de Marion Zimmer Bradley, 1955
Le mercenaire, de Marc Reynolds, 1962
Le pense-bête, de Fritz Leiber, 1962
Continent perdu, de Norman Spinrad, 1970

La maison d’édition Le passager clandestin, davantage spécialisée dans la littérature contestataire et les écrits politiques, entretient depuis quelques années une collection de science-fiction. La collection, appelée Dyschroniques, a pour vocation la réédition des textes courts (nouvelles ou novellas) de grands noms de la SF des années 50 aux années 70. Le point commun entre ces textes est qu’ils préfigurèrent, de manière claire ou détournée, des travers de la société actuelle : une réelle littérature d’anticipation, pour le coup (par exemple le ciblage publicitaire, dans Audience captive).

Chaque texte est en sus suivi d’une courte biographie de l’auteur ainsi que d’un contexte historique en quelques dates et faits marquants. Ces éléments permettent de passer de l’autre côté du miroir et de s’imaginer d’où vient l’imagination fertile des différents écrivains. Les volumes se concluent avec une courte liste de films et de livres traitant de la même thématique, liste qui a peut-être un peu moins d’intérêt, car elle ne fait que reprendre des grands classiques que l’amateur de SF connait déjà pour la plupart.

Un dernier mot sur l’édition avant de passer au contenu : les sept nouvelles sont reprise dans un coffret cartonné qui n’est malheureusement pas d’une solidité à toute épreuve. Les bouquins en eux-mêmes, de très petit format, sont très épurés et très beaux et sont très pratiques à emportés partout. Certes moins beaux que les volumes de la formidable collection Une Heure-Lumière du Bélial, ces courts textes ont l’avantage d’être moins cher. Entre 6 et 8 euros le tome, 30 et quelques pour le coffret ; à ce prix-là, pas d’hésitation à avoir. Mais place maintenant au contenu.

La main tendue, de Poul Anderson, fleure bon la SF de l’immédiate après-guerre. Dans la nouvelle, une peuplade extraterrestre refuse l’aide de la Terre pour se reconstruire après une guerre l’ayant opposé à un voisin galactique (alors que ce dernier accepte l’aide). Le texte est une charge très lucide contre le plan Marshall et inféodation qu’il engendre, tant d’un point de vue économique que scientifique, culturel ou social. Longtemps avant que l’on parle de globalisation, Poul Anderson avait donc anticipé justement le risque de la main-mise de l’Oncle Sam sur ses ouailles, suite à une politique de la main tendue qui ne cache presque pas ses ambitions assimilatrices.

Audience captive, de la méconnue Ann Warren Griffith, tient davantage de la farce que de la nouvelle. Elle dénonce dans ce très court texte, à rapprocher des courtes nouvelles satiriques d’Asimov, Frédéric Brown ou encore K. Dick, les méfaits du spamming publicitaire. C’est d’autant plus amusant qu’elle décrit le ciblage publicitaire à travers l’ajout de puce (RFID ?) sonore sur les produits commerciaux. Bien qu’elle finisse par anticiper la main-mise de la télévision sur le culte du « commercial » (proche de celui qui lui est voué dans Demolition Man), elle ne pensait sans doute pas être encore davantage visionnaire en imaginant l’objet connecté qui fait sa propre pub…

La montagne sans nom est un autre texte assez court. Robert Sheckley y décrit une équipe de terra-formateurs au prise avec la population locale d’une planète ressource encore à vendre, mais également au prise avec une menace nettement plus complexe : la révolte de la nature elle-même. Écrit en 55, on peut y voir les prémices de la révolution hippie, le retour à la Terre, l’écoute de Gaïa. Sauf que Gaïa, ici, comme dans le Signs de Shyamalan bien des années plus tard, n’est en fait plus tellement sympathique envers le genre humain.

Dans La vague montante, Marion Zimmer Bradley, cela fleure bon également la réflexion sur le retour à la Terre. Sans aller jusqu’à un rejet de la technologie, la nouvelle nous conte le retour sur Terre d’un groupe de colons de l’espace, deux générations après le départ de leurs aïeux vers de nouveaux cieux. Et quel n’est pas leur surprise de constater que la bonne vieille société américaine a décidé d’en arrêter avec la course au progrès et a préféré se recentrer sur un mode de vie agrarien, en petite communauté, où chacun à sa place et participe selon ses compétences. Probablement le texte le plus faible de l’anthologie, La vague montante est pour moi un peu trop naïf sur les rapports humains et la construction sociale pour avoir l’impact qu’il souhaitait sans doute avoir. C’est la même raison, d’ailleurs, qui fait que je n’ai pas réellement accroché au grand œuvre de Zimmer Bradley, Ténébreuse.

Le mercenaire est signé par Marc Reynolds en 1962. L’auteur, très discret, n’est autre que le fils du candidat socialiste (oui, vous avez bien lu) aux élections présidentielles américaines de 1924, 1928 et 1932. Et il lire ici un texte étrange, dont j’ai du mal à déterminer si elle est une charge contre la course à l’armement ou une réflexion sur l’inanité de l’innovation technologique. Il s’agit de l’histoire d’un mercenaire vétéran dans un monde où les sociétés commerciales règlent leurs différents sur un champs de bataille (uniquement avec des armes et techniques d’avant 1900) en lieu et place du tribunal. Et ces sociétés de s’acheter les services de mercenaires/stratèges pour défendre aux mieux leurs intérêts. Le twist final vaut à lui seul le plaisir de lire la nouvelle, qui dilue bizarrement son propos en accordant trop de place à ses protagonistes.

Avec Le pense-bête, écrit par Fritz Leiber en 1962, on rentre dans une SF plus moderne, plus noire, plus cynique. Ici, un romancier fantasque (un double de Leiber ?) vend ses idées à des commerciaux dans une société post-apocalyptique où la majeure partie de la population vit sous terre. L’une de ses idées est la création d’un secrétaire automatique/robotique qui vous permettrait de ne plus rater quelque chose en raison de votre mémoire défaillante. Et le modèle est un succès sans précédent. Bientôt, tout le monde a son assistant personnel. Et tout va bien jusqu’à ce que la machine se mette à penser par elle-même. Probablement écrit sous acide (certains passages volent très haut!), le récit se lit d’une traite, même si , depuis 2001 L’Odyssée de l’Espace et Terminator, on commence à anticiper ce qui se passe lorsque l’on laisse trop d’espace à nos machines favorites. A lire en gardant en tête ce que notre smartphone fait pour nous (ou la manière dont il dicte nos vies ?)

Continent perdu, de Norman Spinrad, est à mes yeux le petit bijou de cette anthologie. Rédigée en 1970, à une époque où la SF devenait plus cynique qu’idéaliste, cette novella traite de manière très frontale du racisme de la société américaine. En le renversant. Nous sommes ici sur une Terre qui connu les affres d’une sur-polution excessive où les USA ont perdu leur position dominante au profit du continent africain. Et des touristes africains, pour diverses raisons, viennent visiter le New York de l’âge de l’exploration spatiale, ville-musée morte dans sa gange de polution. Les touristes payent leur tickets et seront embarqués dans l’hélicoptère d’un américain blanc, fruit rebelle d’une société soumise, qui les menèra dans une expédition dont personne ne sortira indemne. Alternant les points de vue du pilote blanc et d’un universitaire noir africain, le texte une veritable réussite qui allie le propos, le style, le suspens et des personnages fouillés, malgré la taille relativement modeste du bouquin (120 pages plus ou moins). On y retrouve un Spinrad inspiré, revanchard, qui signe ici un texte coup de poing qui marque également par sa poésie incongrue. Du tout bon.

Solo

De Ron Howard, 2018

Solo a la particularité d’être le premier Star Wars dont personne n’attendait rien. Alors que la troisième trilogie est le sujet de polémique préféré de tous les geeks de la planète (après un épisode VII hommage et un épisode VIII qui casse -souvent maladroitement- les codes) et deux ans après Rogue One qui entamait de façon inattendue mais brillante les spin-offs, Disney/Lucasfilm nous propose donc une « origin story » de celui qui reste pour beaucoup le personnage préféré de la première trilogie.

Et de Solo, il en est beaucoup question dans ce nouveau long métrage. Peut-être même un peu trop. De fait, le film tente tellement d’expliquer toutes les petites allusions à la vie passée d’Han Solo qui émaillaient la première trilogie qu’il ne laisse pratiquement plus aucune zone d’ombre. Sachant que Solo se termine sur un méchant cliffhanger qui ne peut qu’appeler une (ou des?) suite(s), l’on peut raisonnablement se poser la question de ce qu’il restera à développer comme « Star Wars lore » dans le ou les prochains.

Mais, au-delà de ce problème de fanboy, que peut-on retenir de cet opus particulier ? Et bien, en résumé, que c’est un bon divertissement. Bien sûr, ce n’est pas le film du siècle, ni dans la forme, ni dans le fond. Mais ça reste très agréable à regarder et les deux heures du long passent sans longueur aucune. Pourtant, la production du film fut plus que chaotique. Les deux réalisateurs engagés sur le projet, Phil Lord et Christopher Miller, ont gentiment été dégagé du film après 5 mois de tournage. On ne peut qu’imaginer les discussions enfiévrées au board de Buena Vista quand ils ont vu les premiers rushs et qu’ils ont découvert ce qui semblait être, dans son premier montage, une comédie loufoque.

Sans doute Lord et Miller ont-ils tenté le virage Marvel/MCU pris avec, par exemple, Les Gardiens de la Galaxie ou Thor:Ragnarok. Ils ont du se dire : « Hey! Y’a un public pour les comédies de SF loufoques à 180 millions de dollars la prod. Faisons de Solo un produit comique, puisque Han est quand même l’un de seuls personnages drôle/cynique de la série« . Sauf que non, visiblement, ça n’a pas marché. Chat échaudé craint l’eau froide, comme dirait feu ma grand-mère : après le viandage complet des tentatives d’humour de l’épisode VIII, grand-père Lucas veillait au grain et a probablement engueuler la petite Kathleen Kenedy au téléphone pour lui dire qu’elle déconnait plein tube. Du coup, basta les deux petits jeunes. Appelons une valeur sûre d’Hollywood (et, surtout, un très vieux pote de Lucas).

C’est donc le vétéran Ron Howard, que Lucas casta dans son second long, American Grafiti, qui pris les manettes du spin-off cinq mois après le début du « principal photography« , comme disent nos amis anglo-saxons. Sur un tournage probablement prévu en six mois. En dernière minute, donc. Et il ne s’est pas contenté d’adapter à gauche à droite ou de tenter de sauver le film en salle de montage (la bonne vieille technique de Lucas, le monteur qui se rêvait réalisateur mais qui déteste tourner). Howard a retourner entre 70 et 80% du film. Autant dire que c’est son film et qu’il ne reste que des bribes, par-ci par-là, du film initialement tourné (peut-être peut-on considérer le duo de réalisateurs originaux comme les réalisateurs de la seconde équipe ?)

Et, sans surprise, Ron Howard fait du classique. Comme il l’avait fait avec ses honnêtes adaptations du Code Da Vinci et ses suites, Howard ne prend que peu de risques et livre le film qu’on attend de lui : un film de SF avec du fan service, des scènes d’action, quelques blagues par-ci par-là et, bien sûr, de nouvelles planètes et autres extra-terrestres exotiques. La réalisation alterne le correct (la première scène de course-poursuite sur Corellia qui fait penser à du R-Type… sans la vitesse) et le spectaculaire (la scène du vol sur le train est sans doute le pic dramatique du film). Les acteurs ne détonnent pas, même Emilia Clarke, qui avait pourtant livrer une bien piètre interprétation dans son premier grand rôle post-Daenerys Targayen, à savoir Sarah Connor dans le très oubliable dernier opus de la franchise Terminator. Sont-ils pour autant bons ? Pas réellement, en fait. Ils font le boulot. Alden Ehrenreich, en particulier, qui reprend ici sur ses épaules méconnues la veste en cuir mythique d’Harrison Ford, est assez transparent. Même lorsqu’il mime les poses de Ford, on n’y croit qu’à moitié, car le personnage n’a pas encore l’ampleur qu’il aura dans la première trilogie. C’est juste, ici, une petite frappe qui a plein de rêves de noblesse en tête. Du coup, même s’il n’est pas mal joué, il n’a pas non plus l’impact que l’on espérait de lui.

Abordons maintenant le fond (et, donc, alerte SPOILER) : comme je le disais plus haut, Solo remplit le cahier des charges d’un Star Wars. Le jeune Han est un pauvre gamin exploité par un syndicat du crime relativement anonyme sur Corellia. Mais il voit une opportunité de se barrer avec sa copine lorsqu’il double ses propres chefs pour piquer un ressource naturelle rare à son propre compte (le McGuffin du film). Après moult courses poursuites, Solo parvient à s’envoler vers des cieux meilleurs alors que sa copine est bloquée sur Corellia. Il n’aura donc de cesse de réaliser un gros coup pour retourner sur Corellia chercher sa copine. Mais… On le retrouve quelques années plus tard alors qu’il a fait ses classes à l’Académie de l’Empire (si-si, mais, ça, on le savait grâce à l’univers étendu de Star Wars). Bon pilote, il s’est fait réaffecter à la piétaille en raison de son insubordination. Du coup, quand il voit l’occasion de se barrer avec une équipe de voleurs locaux (menée par Woody Harrelson, égal à lui-même), il n’hésite pas. Embarquant au passage un gentil Wookie qui se trouvait là (sans blague!), le voilà intégré dans une petite équipe de pirates de l’espace (le premier qui siffle le générique de Cobra prend un claque sur le pif) avec son side-kick éternel, le poilu Chewie.

Dans cette équipe, il flaire le gros coup : ils vont piquer un wagon complet de ressource naturelle (la même qu’au début, oui, ça fait répétition) et se faire un max de thunes. Mais, pas de bol, ça ne se passe pas comme prévu et les voilà rendus responsables du fiasco. L’équipe de voleurs travaillait en fait pour l’un des trois/quatre grands syndicats du crimes interstellaires, l’Aube Dorée (à ne pas confondre avec le parti d’extrême-droite grec). Comment se racheter devant le potentat local ? Simple, en allant voler une autre quantité de ressources naturelles (toujours la même, ça commence à faire gimmick), non-raffinée, directement dans les mines. Et, par hasard, il se trouve que la copine initiale de Corellia travaille pour le même patron local du crime. Amazing !

Et la joyeuse équipe d’aller piquer le Millenium Falcon à Lando, de faire le Kessel Run en 12 parsec (c’est toujours une unité de distance, pas de vitesse… ^_^;;) et de tirer en premier (car, oui, Han Solo tire en premier). La seule réelle surprise pour moi est d’avoir exploité officiellement dans un film l’univers étendu de Star Wars. De fait, le nouveau méchant, le patron du syndicat du crime, n’est autre que le brave Darth Maul (on insiste d’ailleurs bien sur son double sabre-laser, plan totalement inutile autrement que pour signaler à l’audience inattentive que c’est bien Darth Maul, oui-oui). Les séries TV/animés de Star Wars avaient déjà exploité cet arc, avec Darth Maul, son frère Savage Opress et le chasseur Aura Sing (dont on apprend ici qu’elle a été tué par le mentor de Solo, Woody Harrelson). Mais tout de même, c’est amusant de retrouver un pont avec la prélogie de Lucas, maintenant assumée.

Que retenir de tout ça, me direz vous ? Et bien, un divertissement honnête et sympathique. On rigole, on fait les casse-cous, on se bat au pistolaser (et non au sabre, laser). Le film du siècle ? Certainement pas. Un ajout essentiel à la mythologie Star Wars ? Non plus, malgré que l’équipe ai fait appel au vétéran Lawrence Kasdan, secondé par son propre fils au scénar. Mais un divertissement honnête. Comme je n’en attendais rien de particulier, je n’ai pas été non plus déçu d’une manière ou d’une autre. Au contraire, dans sa simplicité, Solo est finalement assez humble, quand on le compare aux grosses machines du MCU (Marvel Cinematic Universe, pour les inattentifs). Si le film ne se plante pas totalement au box-office (ce qui semble le cas), j’irai certainement voir le second avec plaisir. Ou pas, donc.

Berazachussetts

De Leandro Ávalos Blacha, 2007

Aouch ! La SF argentine, ça fait mal par où ça passe. Bienvenue dans le délire total issu de l’esprit de Leandro Ávalos Blacha, dont il s’agit ici du premier roman. Comment le résumer en lui faisant honneur ? Il s’agit, en somme, de l’histoire d’une zombie punk, obèse, nommée Trash. Chanteuse d’un groupe punk, donc, elle décide de se barrer de son coin car elle en a marre de ses potes. Et elle est recueillie à moitié à poil à l’orée des banlieues populaires de Berrazachussetts, le quartier fictif d’un Buenos Aires imaginaire, par quatre vieilles veuves qui vivent ensemble depuis de nombreuses années, menée par l’inénarrable Dora.

Humour gore, nonsense et autres délires de torture s’enchaîneront inéluctablement vers une fin (faim?) forcément apocalyptique. Difficile d’en dire plus sans dévoiler l’intrigue. Sachez simplement que, finalement, ce sont plutôt les quatre comparses qui deviennent rapidement les personnages principaux, Trash traversant le récit de manière rectiligne, comme pourrait le faire un zombie qui se fout un peu des convenances.

Critique sociale, caricature des défauts et perversités de la société argentine moderne, le lecteur peu familier avec l’Amérique Latine en général et Buenos Aires en particulier (comme moi) ratera certainement nombre de références. La traductrice essaie bien d’expliquer certaines références en notes en bas de page, et la postface aide également, mais cela reste trop loin de mes références quotidiennes pour que je m’exprime sur la pertinence de ces caricatures grinçantes.

Indépendamment de ces références locales, on lit à travers ces pages une critique cinglante de la structure sociale, très marquée, de la médiocrité des élites dirigeantes et des espoirs ridicules d’une middle-class qui espère toujours monter quelques échelons de revenu. Et on y voit aussi le fantasme d’une nouvelle vie pour des femmes d’une soixantaine d’années qui ont encore plein de rêves, pour aussi foireux qu’ils soient.

Roman coup de poing, rapidement lu, Berazachussetts regorge de personnages bigger than life. Du vieux maire pervers à l’handicapée manipulatrice, Blacha s’assied sur les convenances et nous envoie son pétard de salle gamin en pleine tronche. Et c’est drôle. Désopilant, mais drôle. Je cherchais quelque chose de similaire à Berazachussetts pour faire un parallèle qui pourrait éclairer le lecteur perdu en ces lieux. Mais j’avoue que je ne suis tombé que sur Tamala 2010. Mais bon, ça va pas dire grand chose à grand monde, comme référence ! 🙂 Si vous voulez tester quelque chose d’inhabituel, n’hésitez pas !

Dæmone

De Thomas Day, 2011

Paru initialement sous le nom de Les Cinq derniers contrats de Dæmone Eraser en 2001, Dæmone doit, je pense, être considéré comme un roman différent. Considérablement révisé pour le dixième anniversaire de la sa parution, le texte a été allongé et a gagné, d’après les propos de l’auteur lui-même, en profondeur et en structure.

Thomas Day en a profité, par ailleurs, pour l’intégrer dans son grand œuvre, le monde des Sept Berceaux. Le roman s’ouvre donc avec le personnage d’Alèphe, un Guerrier du temps, sorte d’insecte géant plus ou moins immortel, qui doit prouver à son maître que l’être humain vaut quelque chose, afin d’éviter une éradication totale. Et pour ce faire, l’Alèphe ne trouvera rien de mieux que de tenter de trouver une définition de l’amour.

Assez classique, vous dites-vous. Sauf que, pour trouver cette définition de l’amour, il s’adresse à Dæmone Eraser, David Rosenberg 2.0, un être humain augmenté, mort et ressuscité à partir d’une sauvegarde informatique, gladiateur violent et champion incontesté de l’Aire Humaine, une sorte de survival game quelque part entre Rollerball et Battle Royale, armes technologiques en plus. Ce même Dæmone Eraser qui cherche un sens à sa vie depuis que sa femme est plongée dans un coma sans retour.

L’Alèphe lui proposera donc un marché qu’il ne peut refuser : 5 contrats, en tant que tueur à gage, contre le retour de l’amour de sa vie. Et à partir de là, Dæmone construit un récit en cinq actes, violents, bruts, comme autant de tableaux baroques d’une SF sombre et militaire. La quatrième de couverture, tout comme Thomas Day lui-même, se plaisent à citer Sam Peckinpah comme influence majeure, le western n’étant jamais loin du space-opera. J’y vois personnellement davantage de Gunnm ou même de Shirow dans les influences, avec un propos intelligible en prime.

Le bouquin est court, sens la poudre à canon à toutes les pages et n’hésite pas à tomber dans l’explicite (tant pour l’effet de balles que pour le sexe), comme c’est toujours le cas avec Day. Ce n’est pourtant jamais gratuit. Et l’histoire, le développement des personnages principaux comme secondaires, tiennent de bout en bout. Aux côté de Dæmone, véritable machine à tuer à la limite de la dépression, on découvre une ribambelle de personnages secondaires tous plus « bigger than life » l’un que l’autre. Du garde du corps homme-chat à la compagne bio-mécanique qui tient davantage de l’arme que de la femme (Major Kusanagi, quelqu’un ?), on est, à n’en pas douter, dans du techno-thriller de haut vol.

Alors, bien sûr, on est parfois un peu frustré de ne pas avoir plus d’explications sur le monde qui entoure Dæmone. Bien sûr, on peut regretter que certains personnages sont peu exploités (dans les victimes de Dæmone, le médecin/bourreau repentant avait plein de potentiel), mais c’est le prix à payer pour la force du récit : un véritable coup de poing, bourré d’hémoglobine et de drones ultra-armés. Avec, tout de même, un sens. Au-delà de l’exercice de style, on ne peut qu’être charmé par le brio de Day pour imposer un rythme et un cadre en allant à l’essentiel. Du tout bon.

Entremonde

De Neil Gaiman et Michael Reaves, 2007

Comment ne pas aimer Neil Gaiman ? Après avoir scénarisé Sandman, tout lui sera pardonné. Même cet ébauche de série pour ado, avec super-héros et voyages dans le multivers garantis. Peut-être est-ce l’alliance avec Michael Reaves, surtout connu pour avoir pondu quelques séries dans l’univers étendu de Star Wars ? Peut-être est-ce une envie soudaine de se détendre et de rédiger quelque chose de simple, un peu comme ce que fait Brandon Sanderson avec sa série Alcatraz. Peut-être. Quoi qu’il en soit, Entremonde ne fera pas date.

En résumé, on y suit les mésaventures de Joey, un ado passe-partout qui se découvre le pouvoir de naviguer entre les mondes du multivers (vous savez, comme dans Slider ?), ici appelé l’altivers. Pas de chance pour lui : deux puissantes maléfiques tentent de prendre contrôle de toutes les réalités parallèles. L’une se base sur sa foi en la technologie là où l’autre table sur la magie. Noire, bien entendu.

Et le brave Joey, qui n’est pas doué pour grand chose, se révèle être un « marcheur » (ceux qui savent trouver les passages entre les réalités parallèles) avec un potentiel gigantesque (qui l’eut cru ?). Rapidement menacé par l’empire technologique, il est sauvé par un autre marcheur mystérieux avant d’être enlevé par une sorcière retorse pour servir de carburant à son vaisseau transplaneur. Il est fort heureusement à nouveau sauvé par le marcheur mystérieux qui l’emmène au cœur de la résistance : une cité de l’Entremonde dont tous les habitants sont … des versions parallèles de lui-même !

Et j’arrête là, sinon je vous raconte tout le bouquin. Vous aurez compris aux quelques remarques cyniques que l’histoire m’a laissé relativement indifférent. Handicapé par sa taille réduite (à peine un peu plus de 200 pages), le bouquin ne prend ni le temps d’installer ses personnages, ni de les creuser, ni de rendre crédible sa trame principale. Tout va très vite, les bonnes idées et les rebondissements éculés se succèdent sans même qu’on ait le temps de les laisser macérer un peu.

Pourtant Gaiman est plutôt bon dans les formats courts. Ses multiples nouvelles sont souvent excellentes. Au format mi-long, L’océan au bout du chemin est un véritable tour de force. Que c’est-il donc passé avec Entremonde ? Je ne vois que l’explication d’une amitié improbable avec Michael Reaves qui, de par son palmarès, est plus habitué à ce type de production alimentaire.

Reste quelques idées sympas et l’esquisse d’un monde qu’il serait intéressant de développer. Si le principe d’un multivers où des versions alternatives d’une même personne s’entraident pour lutter contre le chaos n’est pas neuve, il y a certainement un plaisir enfantin à imaginer les mondes d’origine des versions alternatives de Joey (la version homme-loup, la version robot, la version homme-aigle, etc.) Ces personnages secondaires sont cependant expédiés en quelques traits avec la promesse, dirait-on, de les exploiter davantage dans les inévitables suites.

Entremonde sert donc d’introduction à son personnage principal relativement insipide, qui vit ici une aventure confuse (pourquoi se bat-il ? contre quoi exactement ? quelle est la nature de la menace, autre que le péril direct pour le protagonistes ?). Les motifs des uns et des autres restent davantage schématiques qu’explicites. Par exemple, que recherchent réellement les méchants de l’histoire (bon, ok, cette question est vraie aussi pour l’Empereur, Sauron, Voldemort, pour ne citer qu’eux) ?

En refermant le livre, je ne peux donc que regretter le gâchis qu’un manque d’ambition a provoqué. Difficile de déterminer la part de responsabilité de l’un ou l’autre des auteurs, mais inutile de préciser à ce stade, je pense, que c’est très en-dessous de ce à quoi l’on s’attend avec Gaiman d’habitude, même dans sa production jeunesse, forcément plus simple (quoi que, Coraline est-il vraiment un récit tellement simple ?).

Peut-être les suites, Silver Dream, sortie en 2013 et Eternity’s Wheel, 2014, à ma connaissance inédites en français, rachètent-elle le concept et proposent-t-elle davantage à partir des idées esquissées dans Entremonde ? Je ne le saurai sans doute jamais, n’ayant pas réellement l’ambition de perdre davantage mon temps avec une série vraiment trop brouillonne, qui cherche systématiquement la facilité là où elle aurait pu proposer de nouveaux concepts intéressants.