Le vent venu du Soleil

D’Arthur C. Clarke, 1972

Père de la hard-SF et considéré comme l’un des trois grands (avec Asimov et Heinlein), C. Clarke signe ici, si j’en crois la préface et les commentaires éclairés de George W. Barlow, également traducteur du receuil, ses textes les plus tardifs. Et sans doute les plus réfléchis. Sans surprise, ce sont les textes les plus longs qui marquent davantage, sans que les textes plus courts ne soient mauvais pour autant. Ceux-ci relèvent plus de l’exercice de style cher aux novelistes, mais laissent dès lors peu de place à un récit à proprement parler.

La nouvelle donnant son nom au receuil est l’une de celle qui m’a le plus marqué : teintée de poésie, écologique avant l’heure (le texte date de 1964 !), l’odysée de ces skipper d’un temps à venir a toujours autant de force aujourd’hui, plus de cinquante ans après la parution originale. En naviguant sur Internet, on constate même que la nouvelle a fait des émules du côté des scientifiques qui ont tenté de déterminer si la technologie inventée par C. Clarke avait une quelconque chance d’exister un jour. Je ne suis pas spécialiste, mais visiblement, en plus d’être poétique, le texte était aussi fondé, comme le sont la plupart des textes de l’auteur anglais.

L’autre grand texte de ce recueil est sans contexte Face à face avec Méduse (également publié en français sous le nom de Rendez-vous avec Méduse). Lauréat du prix Nebula dans la catégorie Novella en 1972, ce texte plus long nous conte l’aventure d’un astronaute de l’extrème, envoyé aux confins des mondes connus pour observer l’un des mondes de demain. Ce presque humain est déjà lui-même un pied dans un autre réalité que la nôtre. Sans dévoiler davantage l’intrigue ni la chute, il est impressionnant de voir avec quel brio C. Clarke développe un personnage hors-norme dans un récit somme toute classique de conquête spatiale en, finalement, si peu de pages. Une leçon d’écrite, un plaisir de lecture.

 

Légion

De Brandon Sanderson, 2012.

legionSanderson est davantage connu pour ses briques (d’Elantris à la trilogie Fils-des-Brumes, en passant par les derniers tomes de la Roue du Temps, après la mort de Robert Jordan). Cependant, comme tout bon auteur de SF/Fantasy qui se respecte, il pratique également l’art de la nouvelle. Ou de la novella, format très anglo-saxon pratique pour les auteurs qui ont du mal à pondre moins de 900 pages pour raconter une histoire. Amusant, d’ailleurs, de constater que pour eux il s’agit de nouvelles alors que pour Amélie Nothomb, par exemple, c’est un roman à part entière.

Mais arrêtons de digresser. Légion, donc. Comme le dit la Bible, citée en exergue : « Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux ». Rien à voir avec le contenu du bouquin, puisque « Légion », aka Stephen Leeds, le personnage principal et héros, est tout sauf une incarnation du démon (dans la Bible, c’est en effet le démon qui prononce ces paroles dans l’Évangile de Marc… vous me suivez ?) Et il n’y a pas que l’exergue choisie en quatrième de couverture par l’éditeur français (Le Livre de Poche, dans son partenariat avec l’anglais Orbit) qui entraîne la confusion. Légion lui-même est assez confus.

En effet, Stephen Leeds souffre d’un mal assez rare : trop intelligent pour être sain, il multiplie les personnalités différentes non dans son esprit, mais autours de lui, pour l’aider dans ses enquêtes. Conscient qu’il s’agit d’illusions que lui seul peut percevoir, ses multiples avatars (de l’ex-marine brute de décoffrage à la gentille graphologue) souffrent chacun, à leur tour, d’une pathologie mentale particulière. Pour être plus explicite, chaque fois que Stephen Leeds doit apprendre une nouvelle compétence, par exemple l’hébreu dans la nouvelle, il invente une nouvelle personnalité vers laquelle il peut décharger cette connaissance particulière et y faire appel quand le besoin s’en fait sentir, sous la forme d’un dialogue imaginaire avec cette personnalité. Vous me suivez toujours ?

Si mes explications sont confuses, heureusement pour nous Sanderson est un auteur doué et il sait emporter son lecteur après quelques pages seulement dans l’histoire qu’il entend raconter. Car, au-delà de son personnage principal-concept, Légion raconte en effet une histoire. Comme Leeds est réputé pour être un homme brillant qui, par l’extraordinaire capacité de son cerveau à envisager un problème par de nombreux aspects en même temps, il est assez naturellement devenu une sorte de « détective de l’étrange ». Et c’est en effet un cas étrange qui l’occupe ici. Il doit retrouver pour le compte d’une société privée un étrange appareil photo qui permet de prendre des instantanés du passé. Son inventeur, un Philippin chrétien, a en effet décidé de s’enfuir avec son invention avant qu’elle ne puisse servir à de mauvaises intentions. Et comme on sait qu’il est chrétien, le lien avec la nécessité d’apprendre l’hébreu pour résoudre l’enquête devient soudain plus clair…

Sanderson est un roublard. Il parvient à mettre en musique une intrigue intéressante, pleine de rebondissements et laissant la part belle aux scènes d’action, et un personnage principal atypique, composé de multiples personnalités toutes moins monolithiques qu’elles ne paraissent au premier abord, en une petite centaine de page. Réussir ce tour de force n’était pas donné à tout le monde. Et il passe le cap avec brio.

Évidemment, on peut regretter qu’il ne laisse pas un peu plus de place à la trame principale. Sanderson ne fait qu’effleurer le potentiel romanesque d’une telle machine. Mais c’est inhérent à la forme choisie et à la difficulté d’introduire un héros aussi complexe et atypique en une quarantaine de pages sur cent, pages qui sont toutes nécessaires pour nous faire comprendre qui il est tout en nous le rendant attachant. Heureusement, Sanderson est, je le répète, un auteur de SF/fantasy américain dans toute sa splendeur (et, donc, sa prévisibilité) : il n’a pas pu s’empêcher d’écrire un deuxième volet des aventures de Légion, dont je parlerai d’ici peu. Histoire de combler quelques zones d’ombres de Stephen Leeds, de son passé et de son fonctionnement. Verdict final : sachant que le tout coûte seulement 5,10 € dans toutes les bonnes librairies, il n’y a pas vraiment à hésiter !