Le Paradoxe de Fermi

De Jean-Pierre Boudine, 2002 (révisé en 2015).

C’est probablement un trait distinctif de la collection Folio SF, mais force est de constater que je lis souvent chez eux des auteurs français modernes qui traitent du postapocalyptique. Et pas de manière joyeuse, façon massacre de zombies ou lumière d’espoir à la Children of Men. Non, façon pessimiste. Jean-Pierre Boudine, professeur de math, éditeur, journaliste scientifique, a peu écrit de fictions dans sa carrière. Seuls deux romans sont à compter dans sa bibliographie : Le Paradoxe de Fermi, édité en 2002 avant de connaître une seconde vie chez Lunes d’encre en 2015, et Sur la route des terres rares en 2012. Pour le reste, l’homme s’est surtout consacré aux mathématiques, dans des guides pratiques ou des essais, et à une certaine idée, politique, de ce que devrait être nos sociétés (Le Krach Educatif, en 2010 ou encore … Ni tribun (l’avenir de nos idées) en 2020).

Le Paradoxe de Fermi, court roman d’à peine 200 pages, est à la frontière entre la fiction et le message politique, justement. Partant du paradoxe idoine, théorisé par le physicien italien Enrico Fermi dans les années 50, Boudine imagine les derniers temps de l’humanité. Pas dans un futur lointain. Aujourd’hui. Demain. Le système économique s’effondre, victime d’un trop plein de croissance, d’une ultime bulle liée à des spéculations mal définies et, finalement, peu importantes à l’histoire. Robert Poinsot, notre narrateur, nous explique cet effondrement en peu de mots. Lui-même ne saisit qu’une partie de l’histoire, les (télé-)communications s’arrêtant bien vite face aux armes des nations. Ce qui commence par un crash boursier se transforme bien vite en lame de fond qui renverse les acquis de la société l’un après l’autre, avec une rapidité et une facilité désarmantes.

Les réflexes grégaires de l’humanité n’amélioreront pas la situation générale, puisque les armes destructrices seront bien vite employées dans le but de se « protéger » réduisant ainsi à portion congrue les espaces de vie en Europe et partout ailleurs sur la planète. Nous suivrons alors, après les faits, racontées à la manière de mémoires griffonnés au coin du feu, les pérégrinations de Robert Poinsot. S’il débute la survie avec une bande d’amis, scientifiques comme lui pour la plupart, il traverse bien vite d’autres communautés de survivants, pour certaines belliqueuses et utopistes pour d’autres. Mais la réponse qu’il cherche n’est pas là. Ces micro-sociétés s’effondrent à leur tour, victimes de la méfiance intrinsèque de l’être humain vis-à-vis d’autrui, de l’étranger, de l’autre ou encore perdues dans des rêves qui, pour nobles qu’ils soient, n’en demeurent pas moins délétères.

N’attendez donc pas beaucoup d’espoir en ouvrant ce roman postapocalyptique. Le narrateur étant lui-même un scientifique ayant, de son propre aveu, peu de compétences sociales développées (pas de compagne, peu d’amis, liens familiaux ténus), c’est donc un voyage en solitaire à travers la fin du monde auquel nous sommes conviés. Pas de voyage hollywoodien non plus, avec forces et fracas et scènes apocalyptiques savamment orchestrées. Robert et ses compagnons d’infortune fuient les conflits. Ils voyagent à vélo ou à pied pour éviter autant que possible les scènes de destruction et de chaos. Ils quittent la région parisienne avant que celle-ci ne se transforme en zone de non-droit. Ils traversent alors la France rurale avant de piquer vers le Nord de l’Europe dans l’espoir de pouvoir y (sur-)vivre plus longtemps. Mais la civilisation, le besoin de contacts et de lien social s’imposeront toujours à eux, puis à lui,malgré tout. Il finira pourtant seul, quelque part dans le massif alpin, à fuir les derniers survivants qui refusent de laisser la planète à ses prochains hypothétiques occupants.

La postface de Boudine, signée en 2014, ne rassure en rien le lecteur. En quelques pages, le mathématicien dresse un bilan dramatique de la décennie écoulée entre la parution originale et l’édition révisée. Entre guerres larvées, nouveaux fronts (il y est question par exemple des revendications russes en Ukraine, comme quoi…), crises économiques à répétition et nouvel équilibre des puissances toujours plus fragile, Boudine n’a que peu de foi en l’avenir. Et la nouvelle décennie qui s’est écoulée depuis la réédition ne fait que malheureusement lui donner raison : pandémie, nouvelle guerre, crise économique et énergétique ou encore faillite de plus en plus large du modèle démocratique à l’européenne, le climat délétère dans lequel nous vivons depuis quelques années ne fait que s’empirer et laisse présager le pire.

Sommes-nous pour autant à la veille d’un effondrement global ? Difficile de le dire. La logique du paradoxe de Fermi (celui du théorème, pas le roman) est implacable : si nous n’avons pas rencontrer de civilisations extraterrestres avancée jusqu’à présent, c’est parce que les civilisations avancées sont vouées à disparaître. L’évolution technologique qu’elle suppose est l’épée de Damoclès qui finit par avoir raison d’elle. Et cela explique également pourquoi nous sommes sans doute seuls à l’heure actuelle : l’univers étant par définition infini (en taille et en temps), tout au plus pourrons-nous, dans la courte période de temps où la civilisation humaine peut et pourra prétendre aux contacts interstellaires, être confronté à l’archéologie de civilisations extraterrestres depuis longtemps disparues ou aux premières manifestations d’une vie pluricellulaire sur d’autres planètes. C’est évidemment une vision assez pessimiste et qui suppute que la disparition de notre civilisation (humaine, au sens large du terme) arrivera avant notre capacité à s’exporter sur d’autres astres stellaires.

A travers son court roman, donc la qualité littéraire n’est sans doute pas l’objet premier, Boudine parvient donc à nous faire réfléchir sur la société que nous constitunons ensemble et sur ce que nous voulons ou devrions être. Je ne sais pas s’il est naïf de croire que les alertes de la science-fiction aideront l’humanité à collectivement entreprendre quelque chose avant qu’il ne soit trop tard, mais je suis, comme Ian Malcom, persuadé que la vie trouve toujours un chemin. Je veux croire que le sursaut sociétal arriva dans les décennies qui viennent, de mon vivant. L’échec annoncée de la démocratie représentative européenne, accident de l’histoire propre à une idée utopique du XXème siècle, sera peut-être l’occasion de réinventer un vivre-ensemble plus respectueux de notre environnement et de nos vies respectives. Je ne l’appelle pas de mes vœux, mais on peut en voir les signes de tous côtés sur une base quotidienne, dans les urnes ou dans le comportement social de nos charmants concitoyens. Espérons que nous nous relèverons plus forts et collectivement plus intelligents de la période sombre qui nous attend. Et espérons que nous donnerons tort à ce fichu physicien italien des années 50…

Neuro-Science-Fiction

De Laurent Vercueil, 2022.

Sous-titré : Les cerveaux d’ailleurs et de demain

Un nouveau Parallaxe ? Je prends ! La collection spécialisée dans la rencontre entre sciences et science-fiction du Bélial a déjà nourri cette tribune, avec du bon, du très bon et du moins bon. Difficile de prédire le bilan à la vue de la toujours très élégante couverture de ce septième opus, mais qu’importe. Qu’importe car au-delà du livre en lui-même, l’intention de la collection et des auteurs qui la nourrissent suffit à faire de chacun de ces livres une bulle inespérée d’intelligence, d’érudition et, il faut l’admettre, de fun, dans un monde où accorder une place à la science devient chaque jour plus compliqué.

Prenons donc quelques heures pour explorer ensemble ce grand inconnu qui loge dans notre crâne, tout en haut de notre corps. Le cerveau, lieu de l’âme pour les uns, lieux de tous les possibles pour d’autres. C’est donc avec un médecin, du CHU de Grenoble, apparent spécialiste de l’épilepsie et des autres malaises d’origine neurologique, que nous avec rendez-vous pour être un peu plus intelligent après un peu plus de 250 pages. Intelligent, dites-vous ? Encore faut-il que l’on se mette déjà d’accord sur le concept. Concept sur lequel le Dr. Laurent Vercueil, car c’est de lui qu’il s’agit, a déjà de nombreuses choses à nous enseigner.

Comme pour les autres titres de la collection Parallaxe, l’enjeux du livre est de vulgariser les neurosciences à travers de nombreux exemples issus de classiques de la science-fiction. Des blockbusters aux classiques américains en passant par des noms moins courus de la SF française des 50 dernières années, il est évident que l’auteur a, comme les autres auteurs de la collection, une passion pour la SF, un violon d’Ingres qu’il met ici au profit du lecteur curieux. Cela se ressent dans la construction de son ouvrage. Sa première partie, consacrée au cerveau extra-terrestre, doit sa structure même à la définition de l’intellect martien par H.G. Wells dans son grand classique, La guerre des mondes. Vaste, calme et impitoyable, voilà les trois adjectifs qui seront autant de sous-chapitre qui démontreront par A+B que si les extra-terrestres, martiens façon pulp ou Alien à la Ridley Scott, ont réellement un cerveau caractérisé uniquement par ces trois traits, alors ils seront presque immanquablement moins aptes que l’être humain. Et c’est là que l’on revient à la définition de l’intelligence. Si celle-ci n’est que le reflet d’une réussite technologique, alors nous sommes sans doute en retard. L’auteur de s’amuser du fait que le paradoxe de Fermi qui semble nous condamner à être seul dans l’univers est en fait dû à la longueur exceptionnelle de la domination des dinosaures sur notre petite planète bleue, règle qui nous aura en effet couter quelques millions d’années d’évolution perdue…

La seconde partie de l’essai, intitulée « Que faire de son cerveau ? » envisage diverses hypothèses fréquemment rencontrées dans des œuvres de SF et tente d’argumenter ou de contre-argumenter pour atteindre une sorte de vérité scientifique. Y passeront l’extension des capacités de notre cerveau, l’abolition ou l’exploitation du sommeil ou encore l’exploration des rêves et la télékinésie. Le Dr. Verceuil, en plus de placer justement ses hypothèses à partir de classiques de la SF, en profite pour jouer les hoax-busters et tue quelques légendes urbaines. Non, nous n’utilisons pas que 10% de notre cerveau : ce sont juste nos actions provoquées par le conscient (et mesurées par des IRM ou des PETscan) qui utilisent 10% de notre masse cérébrale. Les 90% restant sont également utilisés, mais de manière moins glorieuse : ils sont mobilisés pour faire tourner la machinerie, il est vrai assez complexe, de notre corps. Autre exemple : non, notre temps de rêve ne se limite pas aux dernières secondes qui précèdent notre réveil ou aux quelques secondes qui suivent notre endormissement. Nous rêvons bien toute la nuit, à des fréquences et des durées variables, cependant. De là à savoir précisément comment nos rêves fonctionnent et si l’on peut réellement les utiliser pour FAIRE quelque chose, c’est une autre paire de manches…

Bref, Neuro-Science-Fiction est une pierre de plus dans l’édifice d’une collection brillante de la part du Bélial. Sans tomber dans les excès un peu pesant de Landragin dans son Comment parle un robot ? il y a cependant quelques passages plus ardus dans cet opus-ci également. Passage obligé dans ce type d’essai, l’auteur nous donne en accéléré un bagage théorique et techniques qui nous permet de deviner l’assise scientifique de son propos. Ces passages, forcément moins illustrés par des exemples de fiction, peuvent faire sortir le lecteur peu attentif de sa lecture. Pourtant, même si les concepts sont parfois complexes et le vocabulaire hermétique, le Dr. Vercueil s’évertue à rendre sa démonstration compréhensible. Même si le principe biologique reste incompris dans son détail, il est assez aisé de saisir la démonstration et on ne perd donc pas le fil du chapitre en question. Bien sûr, je ne garantis pas que je retiendrais 100% de ce qui est démontrer dans le bouquin, mais il est clair que c’est une porte d’entrée ludique, intelligemment référencée, dans le domaine assez obscur des neurosciences. Un grand bravo pour cet ouvrage qui m’aura tant donné l’envie de découvrir davantage le fonctionnement de notre cerveau que de me replonger dans certaines références de la SF avec un regard neuf.

The Adam Project

De Shawn Levy, 2022.

Le dernier né des longs produits par et pour Netflix rassemble pour la deuxième fois en deux ans Ryan Reynolds (qui les enchaîne…) et Shawn Levy, après le sympathique Free Guy en 2021. Le réalisateur des très efficaces La Nuit au Musée (mon gamin adore !) laisse cette fois-ci tomber le monde des jeux vidéo pour se lancer dans un film d’aventure de SF qui mêle histoires de famille, voyage dans le temps et vannes cyniques « à la Ryan Reynolds« . Autant dire que Netflix ne prend aucun risque : ils enchainent les valeurs sûres pour réaliser un carton en streaming. Et je suis sûr que ça marchera. Quelques semaines (mois ?) après le grand succès de Red Notice, le studio rempile donc à Reynolds qui fait du Reynolds et remplace The Rock par un gamin et Gal Gadot par Zoe Saldana. Pour la bonne mesure, ils ajoutent même Mark Ruffalo dans un rôle de scientifique un peu barré, pas tellement éloigné du Bruce Banner qu’il incarne dans la saga Marvel.

Et si le film est un divertissement inoffensif et sympathique – je ne me suis honnêtement pas embêter en le regardant, même si je n’ai jamais été le moins du monde surpris, le principal reproche que l’on peut lui faire est et reste son manque de courage. C’est l’exemple parfait d’un film de marketeux. Même s’il ne s’agit pas d’une adaptation, d’une suite ou d’un remake, ce qui est un bon signe, le film enchaîne les scènes convenues avec les gimmicks de réalisation qui ont marché dans tous les blockbusters à succès de ces dernières années. On dirait le résultat d’une séance de brainstorme entre consultants lambda qui ont écrit sur des post-its toutes les idées qu’ils aimaient bien chez Marvel, DC et autres dans la liste de 10 films le plus rentables au box-office depuis 2015. Ryan Reynolds qui lance vannes cyniques sur vannes cyniques ? Check ! Scènes de baston systématiquement soutenue par une musique un peu oubliée des années 80/90 qui désamorce le côté violent ? Check ! Conflit paternel larvé façon Spielberg ? Check ! Et on peut continuer la liste à l’envie.

Le résultat des courses est qu’on a un sous les yeux un film qui manque singulièrement d’âme. Lorsque Levy s’échinait sur les Nuits au Musée, au moins proposait-il un divertissement pour enfant sincère qui amenait quelques idées nouvelles. Même dans Free Guy, dont le mécanisme scénaristique complet est pourtant un copier-coller « cool » du Truman Show, Levy apportait quelques bonnes idées de mise en scène et exploitait mieux le côté benêt naïf de Reynolds. Dans cet Adam Projet, non, rien de cela. Le pauvre gamin qui joue la version jeune de Reynolds aurait pu être l’homme providentiel qui sauvait le film, insérant une dynamique amusante et enfantine dans la logique éculée du buddy movie, mais même là, ça ne fonctionne pas vraiment. Au-delà de ne pas être très agréable et pas très réaliste (son cynisme est excessif pour un gamin de 13 ans et n’est là que pour bien insister sur le fait que c’est Ryan Reynold jeune), son personnage n’apporte pratiquement rien au récit et assistera a la plupart des évènements comme un spectateur extérieur qui traîne dans les pattes de sa version adulte.

On ne va pas s’épancher sur les problèmes de scénar liés au voyage dans le temps, puisqu’il s’agit d’un divertissement qui n’a pas pour ambition de creuser son sujet. S’il fallait résumer l’intrigue, on pourrait se contenter de dire que Ryan Reynolds (le Adam du titre) vit dans un futur pas très amusant et revient dans le passé pour essayer de sauver sa femme disparue quelques années plus tôt dans les méandres du temps. Pas de bol, il revient en 2022 et non en 2018 et tombe sur son moi jeune, qu’il est obligé d’emmener avec lui alors même qu’il est poursuivi à travers le temps par une ancienne associée de son père qui contrôle la société future, visiblement. Ça tire dans tous les sens contre des méchants masqués des pieds à la tête pour les gamins, y’a des références à Star Wars pour et des blagues toutes les cinq minutes minimums pour papa et, enfin, des moments d’émotion pour faire pleurer madame. Le tout assez bien produit et filmé pour faire passer à tous un dimanche après-midi sympathique en famille.

Le problème est qu’en voulant plaire à se point à tout le monde, le film se noie dans une relative médiocrité scénaristique qui rend l’ensemble particulièrement oubliable. Je ne doute pas que le film va réaliser un carton sur la plateforme de streaming. Mais il est tellement intrinsèquement fade qu’il sera oublié dans quelques semaines seulement. Le genre de de film qu’on finit avec le commentaire suivant : « ah ! c’était sympa… bon… qu’est-ce qu’on regarde ?« 

Invincible – Saison 1

De Robert Kirkman, 2021.

A force de voir des memes nsfw sur Reddit cette dernière année, une séance de rattrapage motivée par la curiosité s’imposait. Et pour une fois, Reddit ne m’a pas déçu. Moi qui ne suis pas très comics, à l’exception de quelques titres généralement atypique, je me suis laissé piégé par la série de Robert Kirkman, qui est également l’auteur du comics duquel la série est adaptée, comics conclu il y a quelques années déjà et dispo en FR chez Delcourt (réédition en intégrale en cours, certainement sur ma liste d’achats dans les mois qui viennent !). Si la première demi-heure de l’anime laisse présager une série sympatoche de super-héros classiques, au centre de laquelle on retrouve Mark Grayson, un ado qui découvre ses pouvoirs en même temps les conséquences de ceux-ci, il est évident que c’est la fin du premier épisode qui fait le taf pour accrocher le téléspectateur. En résumé, c’est comme si le red wedding avait eu lieu dans le premier épisode de Game of Thrones.

Le père de Mark, Omni-man, est le super-héros le plus puissant sur Terre. Quel n’est donc pas notre surprise lorsque [SPOILER – en même temps… pas vraiment, puisque c’est pour ça que la série est mondialement connue !] ce dernier débite en petits morceaux sanglants le plus célèbre groupe de super-héros défendant la Terre sans avancer une quelconque raison et sans avoir le moindre remord… [/SPOILER]. Et c’est ce twist initial qui tient le spectateur en haleine dans pendant les 9 épisodes de 45 minutes qui suivent cet épisode d’ouverture magistral : cette menace latente, cette pression liée au fait que tout peut basculer sans raison dans le gore assumé le plus glauque sans s’embarrasser de justification.

Le brave Mark Grayson, qui officie bien vite sous le nom d’Invincible, sera donc amener à rencontrer ses semblables, des ados bourrés de pouvoir et … de problèmes d’ados. Et à affronter des méchants d’opérette, clichés de comics qui sont surtout là pour servir d’excuses au développement des quelques protagonistes principaux. Et la série est généreuse avec ces derniers : alors que la clé de l’histoire est et reste le conflit à venir entre Invincible et son père, Robert Kirkman prend pourtant le temps nécessaire à développer des personnages accessoires qui cherchent eux-aussi un sens à leurs actions et qui doivent apprendre à vivre avec les conséquences de leurs actes et de leurs choix.

Scénaristiquement malin, la série alterne à merveille entre le développement de personnage et le world-building anticipant sur la conclusion attendue dès ce traumatique premier épisode. Et Kirkman de ne pas épargner grand-chose à son héro : déconvenue amoureuse, naïveté dans les causes qu’il défend, amitié gâchée par des choix hasardeux, le tout dans un climat qui ne pardonne pas les faux pas. Pour faire un parallèle, c’est comme si la première saute d’humeur de Peter Parker était la cause directe du fait que Mary-Jane devait être ramassée à la petite cuillère après une chute de 80 étages de mains du Bouffon Vert… Pas de fin heureuse pour Mary-Jane, juste un beau puzzle sanglant pour les spécialistes du médico-légal.

Vous aurez saisi que la série n’est pas à mettre entre toutes les mains. Comme pour les Boys qui cartonnent en ce moment, on en moins dans du Marvel lambda que dans une version moderne des Watchmen. Loin de l’idéalisme d’un Superman ou de l’héroïsme masochiste d’un Batman, Invincible tient plus de l’ado paumé qui frime un temps et se prend les conséquences dans la gueule. Une version sous stéroïdes du « With great powers come great responsabilities » de Spiderman… Le seul aspect de la série qui me semble fort gentil et pudibond reste la manière dont le sexe est envisagé (à savoir : très peu). C’est pourtant un ressort qui aurait également pu être utilisé pour rendre l’ensemble encore plus réaliste et cru, mais il faut croire qu’Amazon et Kirkman ont malgré tout tablé sur un public plus large que le Rated-R que la série mérite par ailleurs (PS : je ne sais pas si le comic d’origine était plus franc du collier sur le sujet, donc c’est peut-être malgré tout une adaptation fidèle). Le fait que Kirkman ait même adapté quelques personnages pour répondre mieux aux enjeux de société actuels (la copie de Mark, lui-même eurasien, est désormais une black) ne gâche rien et s’inscrit parfaitement dans l’histoire, ajoutant sans doute une couche de lecture supplémentaire sans sembler forcé.

Question animation, Amazon ne s’est pas moqué de nous. La qualité reste constante tout au long des 10 épisodes : c’est fluide, percutant, coloré quand il faut, sombre quand cela est nécessaire. Je ne suis pas particulièrement fan du charachter design, mais je le suis rarement dans le monde du comics en général (je suis plus un enfant du manga et/ou de la bd francobelge que des comics us). Mais bon, je pinaille : ça marche très bien et, ce, sans tomber dans l’escalade musculeuse de certains dessinateurs des écuries Marvel et DC. Evidemment, les super-héros sortent d’un moule archi-connu, mais c’est également le principe d’une série qui se veut au moins partiellement méta, manipulant ses archétypes pour mieux surprendre le téléspectateur inattentif.

En résumé, Invincible est une très bonne surprise et l’un des rares animes que j’ai maté en quelques jours depuis de nombreuses années (sans doute une légère overdose il y a une quinzaine d’années a un peu tué l’attrait du média pour moi). C’est sans doute moins révolutionnaire que les mêmes laissent entendre (Watchmen reste quand même quelques crans au-dessus comme forme ultime d’anti-comics, n’en déplaise à certains), mais c’est tout aussi sûrement une série qui gagne à être connue et vue. Dans l’attente des saisons 2 et 3, financées par Amazon, mais qui semblent prendre un peu de temps à être développée si j’en crois cette grande boîte à rumeurs qu’est devenu Internet. Soyons patients.

La profondeur des tombes

De Thierry Di Rollo, 2003.

Cela faisait bien des années que je n’avais pas relu du Di Rollo. Pourtant, son style enjoué, sa plume picaresque et l’humour omniprésent font de ses œuvres de vraies parties de plaisir ! … Naaaaan, je déconne. Ça ne rigole pas des masses, dans les romans de Di Rollo. Que du contraire : le nihilisme, le désespoir et l’horreur à échelle humaine suintent de chacune de ses pages. Et La profondeur des tombes, comme son titre le laisse entendre, est du même tonneau que les autres bouquins que j’ai lu de lui.

Dans un futur postapocalyptique, causé non par la guerre mais par l’extinction des ressources énergétiques qui pousse collectivement l’humanité à retomber sur le charbon, quitte à détruire encore plus vite ce qui lui reste de futur, un homme seul erre au sens propre comme au sens figuré. Porion dans une mine dantesque où la vie humaine n’a que peu de prix, il est chargé de vérifier le travail des uns et des autres et d’amener un nouvel animal synthétique à un « fouineur » chargé de dénicher les nouveaux filons de centaines de mètres sous terre. Il remonte dans la nuit continue, sous un ciel continuellement sombre et dans le froid ambiant causé par la couche de pollution qui voile le soleil faiblard en journée, après avoir traversé des galeries pleines d’âmes en peine.

A la surface, la misère d’une vie solitaire et ses souvenirs l’attendent. Jusqu’au jour où il craque et détruit l’équilibre fragile de sa vie d’esclave lâche et complaisant pour poursuivre une idée, un rêve, dans l’U-Zone, cette grande région de non-droit qui entoure les quelques poches citadines anonyme où l’humanité survit petitement. Il sera accompagné par un ersatz de sa fille, sous la forme d’un répliquant détraqué en fin de vie mécanique et d’une hyène de garde, génétiquement créée et modifiée pour lui obéir en toutes circonstance. Que fera cet homme désespéré, brisé, lorsque son histoire personnelle le rattrapera ?

Et bien il faudra lire le bouquin pour le savoir. Court roman, dur, froid et désespéré, Di Rollo, comme Number Nine, Archeur ou encore La lumière des morts, signe un voyage presque personnel, une étude psychanalytique d’un homme brisé qui a perdu sa raison d’être et de vivre et qui s’enfonce toujours plus loin dans ses illusions. Di Rollo ne se dit pas influencé par K. Dick pour rien : il parvient à dresser en quelques paragraphes disséminés ci et là le portait d’un monde futuriste affreux dont les règles, parfois plus symboliques que pratiques, entraîne invariablement le protagoniste dans une descente aux enfers où souvenirs et présent, où réalité et fictions se mêlent dans un flou violent et presque absurde. Désespérément beau, Di Rollo a également le sens de la fulgurance et la capacité à toucher son lecteur avec quelques tableaux impressionnistes où les trajectoires de vie se croisent et s’éteignent.

A réserver à ceux ne s’enfoncent pas eux-mêmes dans des spirales négatives lorsqu’ils lisent celle d’un autre. Et à classer dans ce genre finalement très française du postapocalyptique personnel, psychologique et pratiquement absurde (le Mondocane de Barbéri m’est revenu en tête à plusieurs moments). Un bon roman, pour autant qu’on est sensible à ce que Di Rollo tente de démontrer. Et pour autant qu’il tente effectivement de démontrer quelque chose et pas simplement de plonger son lecteur dans une expérience de l’absolu, sans concession à la bienveillance ou même au récit en tant que tel.