Alita: Battle Angel

De Robert Rodrigez, 2019.

Après des années et des années de « development hell », l’annonce de la mise en chantier effective de l’adaptation en film live de Gunnm, le formidable manga de Yukito Kishiro, m’avait a l’époque filé des sueurs froides. Le spectre des adaptations internationales précédentes de manga/d’anime en films live, façon Dragon Ball Evolution, me revenaient alors en mémoire. Et ce n’étaient pas des bons souvenirs, bien sûr. Surtout qu’entretemps, nous avions eu le très moyen Ghost in the Shell. Cependant, le Nicky Larson de Lacheau a démontré qu’on pouvait ne pas être japonais et faire une bonne adaptation, donc l’espoir était permis.

Et qu’est-ce que ça donne au final ? Eh bien une demi-réussite. C’est nettement moins pire que je l’imaginais. Mais le film est malgré tout loin d’être épargné par les défauts classiques d’une adaptation hollywoodienne. Bon, commençons par vous raconter en deux mots de quoi ça parle. Je ne suis pas sûr que ce soit réellement nécessaire, vu que Gunnm est quand même un pilier de la culture manga, même en francophonie, depuis sa première parution il n’y a pas loin de 30 ans. Mais bon, pour ceux qui ne sont pas trop versés dans les japonaiseries, Gunnm (et donc Alita: Battle Angel) nous raconte l’histoire d’une jeune et jolie androïde (corps mécanique, cerveau humain) retrouvé sur une décharge par le Docteur Ido (Daisuke dans le manga, Dyson dans l’adaptation US). Ce dernier répare les gentils robots de « La Décharge« , l’une des dernières grandes villes de la Terre après une guerre cataclysmique entre la Terre et Mars quelques décennies plus tôt.

La Décharge porte ce charmant petit nom car elle est, assez littéralement, la décharge à ciel ouvert de la cité volante de Zalem, la dernière des mégacités du monde, refuge de la classe supérieure. Mais le Docteur Ido n’est pas qu’un gentil médecin. C’est également un chasseur de prime qui tue les criminels de La Décharge la nuit à grand coup de marteau mécanique. Ido baptisera assez vite la jeune androïde du nom d’Alita (dans la version US, Gally dans le manga) après l’avoir réparée. Et, à nouveau, on comprendra assez vite qu’Alita, jeune fille innocente et naïve au début du film, cache en fait une machine à tuer aussi rapide qu’efficace. Et j’invite ceux que ce court résumé intrigue de se jeter sur le manga, édité et réédité depuis des années chez Glénat. Et plus sur le manga que sur le film.

Commençons par ce qui marche dans le film : visuellement, Rodriguez ne s’est pas moqué de nous. Zalem et La Décharge sont bien rendues. Alita/Gally, personnage en motion capture, est super réaliste (malgré ses grands yeux qui ont fait débat lorsque la bande d’annonce est parue mais qui ne détonnent absolument pas dans le film). Le film contient même ce qu’il faut de fan-service : il adapte les deux-trois premiers tomes du manga (l’histoire de Hugo, qui avait déjà été adapté dans une version animée très moyenne dans les années 90), mais inclus par exemple des courses de MotorBall, qui apparaissent plus tard dans le manga, mais donnent des visuels spectaculaires. Et, oui, on a droit aux combats avec du Panzer Kunst, avec du plasma et on a droit aussi à un gros plan sur Alita/Gally lorsqu’elle peint les deux traits métalliques sous ses yeux qui rendent le personnage autant kawaï que badass. Et l’histoire ne fait pas totalement l’impasse sur le côté sombre du manga non plus, avec la présence de Vector, la vie assez trouble de Hugo (le beau gamin dont Alita/Gally ne peut évidemment s’empêcher de tomber amoureuse) ou encore la présence fantomatique du méchant de la série, le mystérieux Desty Nova.

Autre bonne surprise : le casting. L’inconnue Rosa Salazar fait une très jolie Alita. Christoph Waltz, égal à lui-même, donne une version d’Ido vieillie et peu plus papy gâteau mais qui marche quand même. Et les seconds rôles de Mahershala Ali en tant que Vector ou encore de Ed Skrein comme Zappan marchent parfaitement. Seul petit regret, côté casting, Keean Jonhson fait un peu trop beau gosse de romcom pour adolescente pour être un Hugo crédible. Hugo, dans le manga, n’a rien d’un leader charismatique. C’est juste un gamin paumé à la vie tragique qui se berce d’illusion et qui provoque un sentiment presque maternel chez Gally/Alita. Ici, on a juste le quarterback lambda dont la back story tragique tombe du coup un peu comme un cheveu dans la soupe.

Ce qui m’amène à mon problème principal avec film. Gunnm n’est pas un shonen. Ce n’est pas un seinen non plus, mais c’est un manga segmenté pour un public intermédiaire (les grands ados, quoi). Et Alita: Battle Angel est un film tout public (enfin, PG-13, pour être exact). Du coup, on a en effet une adaptation du manga sous les yeux, mais une adaptation très très édulcorée. Gunnm est un manga sombre où l’espoir est peu présent. Tous les personnages (Alita/Gally comprise) cachent de sombres démons dans leur passé. Rodriguez nous livre, surtout au début du film, un film post-apocalyptique où les décors sont très colorés et presque… joyeux. La population locale a l’air en bonne santé et on assiste même, un peu gêné, à une sorte d’entraînement aux patins à roulettes (en prévision du MotorBall qui… se joue en effet sur des patins à roulettes, mais à 250 km/h) entre ados en bonne santé et tout droit sortis d’une pub Benetton.

Pourtant, le film n’est pas avare en scènes d’action. Mais elles semblent très … molles par rapport à ce que le manga propose. Même quand Alita fini par se rappeler qu’elle maîtrise le PanzerKunst, j’ai eu la méchante impression de voir des combats au ralentit. Les deux exemples les plus frappants de « mainstream-isation » du manga sont sans doute 1) le fait d’avoir affublé Ido d’une ex-femme et d’une raison très paternelle de s’occuper d’Alita et 2) d’avoir complètement modifier le personnage tragique de Makkaku (un orphelin brûlé à l’acide et jeter dans les égouts de la décharge, récupéré par Desty Nova pour en faire un vers géant qui se nourrit du cerveau de ses proies humaines) en le remplaçant par un gros robot lambda un peu bourrin. Dans le même ordre d’idée, cela m’a perturbé qu’ils ont mis des têtes humaines à tous les participants du MotorBall là où Kishiro avait justement choisi une approche biomécanique beaucoup plus extrême pour développer leurs particularités de combat.

Alita: Battle Angel n’est donc certes pas un ratage complet, mais il n’arrive pas à la cheville de son matériau d’origine. Le script de James Cameron et de Laeta Kalogridis est en même temps étonnamment fidèle à la trame du manga tout en s’en éloignant pour des raisons de malheureux politiquement correct. Si les producteurs n’avaient pas visé le PG-13 mais s’étaient lancé dans une adaptation rated-R, le film aurait sans doute connu un succès moindre (le film, sans être un hit, a fait un score honorable, puisqu’il a rassemblé pas moins de 400 millions de dollars au box-office mondial) mais nous auraient donné un film plus noir, punchy et fidèle à l’esprit du manga. En résumé, Alita: Battle Angel est sans doute un bon film de SF, rythmé, bien joué et bien réalisé pour ceux qui ne connaissent pas l’œuvre. Mais, à ceux-là, je dirais simplement : laissez tomber le film, plongez-vous dans le manga ! C’est d’un tout autre niveau.

PS : Et ce résultat en demi-teinte ne va pas arranger les projets, eux-aussi bloqués en development hell depuis des années, d’adaptation live US d’Akira et d’Evangelion. Tant mieux ? Et on souhaitera beaucoup de patience à Edward Norton, dont le caméo en Desty Nova tout à la fin d’Alita: Battle Angel laissait présager un deuxième volet qui… ne semble pas prêt de voir le jour.

Equilibrium

De Kurt Wimmer, 2002.

Souvent classé dans les très bons films oubliés, Equilibrium a, depuis son four en salle, gagné de nombreux aficionados dans sa carrière DVD/BluRay/On-Demand. Lorsqu’il l’a réalisé, Kurt Wimmer n’était alors qu’un relatif inconnu. Il n’avait dirigé que le très méconnu One Tough Bastard (tout un programme), dont il avait cependant été viré à la moitié de la production. C’était donc un pari assez invraisemblable, début 2000, pour Dimension Film, d’accepter de produire, il est vrai pour un budget relativement modeste (20 millions de dollars), un dystopie SF assez sombre et violente portée par un homme qui n’avait jusque-là pas fait ses preuves (Wimmer réalise, mais c’est également lui l’unique scénariste du film). Comment ce fait-ce (et non cette fesse), me direz-vous ? Et bien tout simplement parce que les studios étaient à la recherche du nouveau Matrix et d’un hold-up sur le box-office similaire à celui que les frères (alors)/sœurs (maintenant) Wachowski avaient réalisés en 1999. Mouais.

De quoi ça parle, en gros ? Eh bien, pour les fans de SF que je vous soupçonne d’être, ce n’est pas bien compliqué. Equilibrium est un hommage très appuyé au THX 1138 de Georges Lucas, lui-même hommage très inspiré du Meilleur des Mondes de Huxley (et de 1984 d’Orwell – ou encore de Nous autres de Zamiatine – et je suis sûr que la dernière référence est plus obscure, hein, hein ? 🙂 ). Bref, une dystopie futuriste classique. John Preston (Christian Bale) est un ecclésiaste du Tetra-Grammaton, un ordre religieux/milice privée du dictateur qui règne sans partage sur cette Terre post-apocalyptique. Depuis la troisième guerre (nucléaire) mondiale, l’humanité a compris que son salut viendrait de la suppression des émotions. Pour ce faire, nous sommes tous obligés de prendre nos doses quotidiennes de Prozium, qui inhibent nos sentiments et nous transforme en gentils zombis inoffensifs. Et les ecclésiastes sont là pour veiller au grain. Surentrainé à l’art du Gun-Kata, une forme d’art martial où le combattant virevolte avec une économie de mouvements pour éviter les trajectoires des ripostes, ce sont de véritables machines à tuer.

Et tout va bien jusqu’à ce que le partenaire de Preston (joué par un Sean Bean qui meurt évidemment au bout de quelques minutes, puisque Sean Bean meurt toujours dans les films !), qui a décidé d’arrêter de prendre ses médocs, sème le doute dans l’esprit de son coéquipier alors que celui-ci l’abat de sang-froid. S’en suit l’histoire classique de la prise de conscience et de la rébellion contre le système en place, trame extrêmement classique pour tout amateur de SF un peu éveillé.

Du coup, son statut de film « culte« , de classique ignoré, m’échappe un peu… Ok le film est relativement maitrisé. Wimmer, malgré des moyens limités, parvient à reconstruire un monde de demain froid et monochrome qui tient la route. L’esthétisme est bien maîtrisé, tout comme les costumes des différents protagonistes, à mi-chemin entre THX1138 et Matrix (pour le côté cuir). Les performances d’acteurs sont remarquables. Bale, comme a son habitude, développe un charisme incroyable malgré l’extrême froideur de son personnage. Les seconds rôles jouent également très juste : Taye Diggs joue un ecclésiaste souriant, ce qui le rend encore plus inquiétant que Preston/Bale; Emily Watson, en victime sacrificielle, est parfaite pour le rôle ; Angus Macfadyen campe un dictateur tout à fait crédible et William Fichtner promène sa tête de chien battu avec brio. Rien à redire niveau casting, donc.

Le film accuse un peu son âge côté technique, avec de incrustations qui ont mal vieillies (notamment et bizarrement dans les transitions entre décors réels et mate paintings). De même, les scènes de fusillade, qui furent visiblement appréciées à la sortie du film pour « leur chorégraphie audacieuse » frisent le ridicule aujourd’hui. Le film est quand même sorti trois ans après Matrix et il n’y a clairement pas photo entre les deux. Dans le montage, le film ose de belles choses, avec quelques montages qui accélèrent intelligemment des parties d’exposition plus longue et certainement inutiles. Cela permet de garder un rythme dans le film et de ce centrer sur son esthétisme et sur son histoire.

Et c’est là que les romains s’empoignèrent. Je n’ai rien contre une histoire balisée, de temps à autre, mais je ne saisis pas en quoi le scénar vaut vraiment le coup. Les développements scénaristiques sont tellement clichés pour l’amateur de SF lambda que l’on n’est littéralement jamais surpris. Equilibrium ne fait d’ailleurs pas l’épargne de quelques facilités qui me laisse perplexe : le passage où Preston sauve un chiot des mains de ses anciens collègues, par exemple, me semble verser dans le pathos facile de manière tellement éhontée que je me demande bien quel scénariste oserait encore faire ce genre de scène dans un film respectable… Les rebondissements n’en sont donc pas et le film avance gentiment vers une fin attendue et convenue.

Comprenez-moi : Equilibrium n’est pas un mauvais film. Loin de là. On sent que Wimmer y a mis ses tripes, parfois naïvement, et qu’il a essayé de faire du mieux qu’il pouvait dans les limites de son budget. En soit, c’est déjà remarquable. Mais son statut de « classique ignoré » me semble totalement usurpé. Son histoire est tellement convenue (nettement plus que celle de son modèle, THX 1138, au passage) qu’on peut au plus le considérer comme une série B très classe et particulièrement bien servie par des acteurs talentueux. Mais pas au-delà de ça. D’où mon incompréhension et mon jugement peut-être un peu sévère.

Sexe !

Sous-titré : Le trouble du héros

D’Alexandre Mare, 2010.

Court essai d’Alexandre Mare sorti chez les Moutons électriques il y a dix ans déjà, la republication récente dans la collection Hélios est l’occasion de redécouvrir ce qui fut, à l’époque, l’une des premières études sérieuses à se pencher le comportement sexuel de nos personnages de fiction préférés. Depuis lors, les études psychologiques, sociologiques ou relevant d’autres volets des sciences humaines sur nos « héros modernes » se sont multipliées et il n’y a plus grand chose d’exceptionnel à gloser de manière très sérieuse sur un matériau de base qui l’est nettement moins. Mais est-ce bien le cas ? Est-il réellement moins sérieux, ce matériau de base ? C’est l’une des questions auxquelles Sexe ! […] répond par la négative.

Pour Alexandra Mare, il y a en effet beaucoup à apprendre par exemple en décortiquant l’organisation sociale de cette grande communauté gay-friendly qu’est le Village des Schtroumfs. Et il y a aussi des leçons à tirer du message contradictoire livré par Alerte à Malibu ! ; l’ostentation charnelle cacherait en fait une pudibonderie bien-pensante où le sexe libre est synonyme de mal et est puni par les scénaristes de manière forcément tragique. Et les pauvres Batman, Superman, Wonderwoman et Captain America sont logés à la même enseigne : comme idéaux, comme archétypes inatteignables du genre humain, ils sont soumis aux affres d’une sexualité impossible qui n’est que le reflet de leur ethos dérangé.

Oui, bon, je simplifie un peu. Pour être honnête, le livre alterne les coups d’éclats, les analyses brillantes et inattendues avec, malheureusement, une certaine forme de verbosité de psychanalyse de comptoir. J’exagère sans doute ici en versant dans l’hyperbole, pour le bien de la démonstration, mais c’est le risque avec ce genre d’interprétation : la surinterprétation. Vouloir donner du sens à tous les comportements humains revient de temps à autre à inventer des corrélations douteuses entre des statistiques qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre (et qui étaient, jusque-là, bien contentes de s’ignorer mutuellement). Du coup, si Alexandre Mare nous force à réfléchir et à nous poser des questions saines sur des comportements malsains, s’il nous amène intelligemment à jeter un regard nouveau sur des choses que l’on croyait connaître, je trouve qu’il est parfois un peu malhonnête dans son raisonnement.

Il le dit d’ailleurs lui-même dans son livre. Explicitement. Il n’a choisi que les éléments qui lui permettait de creuser son idée dans un corpus qui est souvent beaucoup plus large (et presque toujours plus nuancé) que ce qu’il a choisi de traiter. Le meilleur exemple est sans doute Conan, dont il ne traite que la première adaptation filmée de John Milius. Or, pour intéressante que soit son analyse, le premier film de Conan en dit certainement plus long sur la psyché dérangée de John Milius (et d’Oliver Stone, qui scénarisa le film contre toute attente) que sur le personnage imaginé par Robert E. Howard, infiniment plus riche et plus subtil que sa version « simplifiée » du long métrage. Et sans être un spécialiste de Marvel ou de DC, je suis à peu près sûr que les choix établis pour Batman ou pour Captain America sont du même tonneau, peu ou prou.

Cette réserve majeure mise à part, le bouquin est amusant, ludique et m’a fait découvrir, en effet, des éléments que j’ignorais (notamment sur les origines de Superman et le lien très proche avec la violence dans les rapports physiques de ce dernier). C’est clairement l’œuvre d’un homme qui a une culture évidente dans le domaine des comic books et de la littérature de genre : il aime ce qu’il commente. Même Baywatch. Et cela explique aussi, au moins partiellement, la fascination de l’homme envers ces figures monolithiques, presque mythiques des héros modernes. Car Mare est également un roublard sur un autre aspect de son livre : au-delà des analyses très freudiennes sur les pratiques sexuelles des cas envisagés, il dévie largement vers d’autres analyses psychanalytiques, voire même sociétales, dans les différents textes qui composent cet ouvrage. Car, finalement, ces héros modernes ne sont que le recyclage des figures mythiques qui passionnent l’humanité depuis qu’elles existent. La conclusion de Sexe ! […] ne parle d’ailleurs pratiquement que de leurs ancêtres grecs et romains, puisque nos superhéros ne sont jamais que des avatars modernisés de ces modèles classiques (Hercule, Achille, etc.) D’où la deuxième entourloupe : ce qui nous est présenté ici comme un texte « révolutionnaire » s’inscrit en fait dans la longue tradition de l’analyse des textes antiques, avec, il est vrai, un angle particulier. Car pourquoi jaser sur l’homosexualité latente de Batman ? En quoi est-elle différente de celle d’Achille qui fut, et pour une période beaucoup plus longue que le fana de chauves-souris, un modèle pour l’humanité dans son ensemble (de virilité, qui plus est) ?

Reste entre nos mains un petit livre amusant, par moment un peu trop verbeux, mais qui se lit vite et permet de briller en société avec toute une série d’anecdotes qui vous feront passer pour un vieux sage qui sait prendre du recul sur ce qu’il lit. Et ça, c’est déjà pas mal !

PS : et je ne ferais pas de commentaire (en fait si, c’est ce que je suis en train de faire 🙂 ) sur le titre un peu putassier de l’ouvrage. Le fait d’utiliser le mode Sexe ! en grand sur la couverture alors que l’analyse va bien au-delà de cela revient un peu à un mécanisme bassement mercantile pour attirer le chaland. Et le fait que je sois tombé dans le panneau à pieds joints dit sans doute quelque chose sur mon propre équilibre mental ! 🙂

Godzilla: King of the Monsters

De Michael Dougherty, 2019.

Troisième opus du MonsterVerse (après Godzilla en 2014 et Kong: Skull Island en 2017), cette nouvelle plongée US dans l’univers pourtant très japonais du kaiju eiga, le bien nommé Godzilla: King of the Monsters ne fait pas réellement dans la subtilité. On se retrouve quelques années après les évènements du Godzilla de 2014, dans le monde « d’après » la découverte des monstres géants. L’organisation Monarch, qui veille sur le gentil lézard, continue ses activités mystérieuses sous le regard assez suspicieux de divers gouvernements. Et on comprend que Godzilla n’est pas la seule grosse bêbête qu’ils surveillent. On se retrouve donc avec une gentille doctoresse (jouée par la toujours talentueuse Vera Farmiga) qui réveille la larve de Mothra avec une espèce de synthétiseur à émotions de monstres. Elle est accompagnée pour se faire par Eleven, heu… je veux dire par sa fille jouée par Millie Bobby Brown.

Malheureusement pour elles, quand elles arrivent à calmer une Mothra inquiète arrive tout d’un coup un groupe de paramilitaires/terroristes écologiques menés par Charles Dance. Ils embarquent tout ce petit monde (y compris le synthétiseur qui peut réveiller à distance tous les autres grands monstres qui vivent sous nos pieds à différents endroits du globe). Et à l’ex-mari, joué par le monolithique Kyle Chandler, d’endosser les vêtements du héros torturé en quête de rédemption qui retrouvera ses collègues de Monarch (y compris un Ken Watanabe que j’ai trouvé très fatigué) pour contrer les ambitions des Lannister… heu, de Charles Dance et sa bande de gais lurons. Car le brave homme a eu la mauvaise idée, dans son plan machiavélique, de commencer par réveiller King Ghidorah qui, comme chacun le sait, est l’ultime parangon de notre bienveillant lézard atomique.

Alors oui, le résumé est un tantinet moqueur. Mais il faut dire que le film ne brille pas par un scénario particulièrement brillant. Les scènes s’enchaînent de manière assez mécanique et convenue pour bien assoir le spectateur dans le rythme doux et ronronnant des blockbusters aseptisés qui ne prennent aucun risque. Les personnages sont tellement clichés qu’il est difficile de trouver quelque chose de réellement pertinent à dire sur eux. Les motivations du méchant passent du convenu au ridicule quand il se rend compte que son plan initial foire. Les rebondissements se voient venir à des kilomètres et certains personnages ne sont là que pour donner du temps d’écran au casting (Millie Bobby Brown, en particulier, que je trouve pourtant juste et parfois touchante dans Stranger Things, a le charisme d’un pot de fleur et l’utilité de radiateur en plein été dans le film).

Reste, bien sûr, les gros monstres. Et c’est ce qui rattrape au moins partiellement le film. Mon cœur de petit garçon ne peut s’empêcher de faire « ouaah » quand Godzilla se marave la gleu avec King Ghidorah sur grand écran. C’est spectaculaire, c’est efficace et c’est réellement la définition du plaisir coupable. Coupable car les scènes de baston, la clé du film, ne sont pourtant pas tellement centrales. Pas de chance pour nous, la pléiade de scénaristes et le réalisateur Michael Dougherty (surtout connu comme scénariste de superhéros) ont cru bon de s’attarder sur les humains. Grossière erreur. Du coup, Godzilla, qui est pourtant la star du film, passe finalement fort au second plan. Ses intervention (à l’exception sans doute de la bataille finale) sont parfois un peu poussives et n’ont pas le souffle épique que Gareth Edward, il faut bien l’admettre, avait réussi à insuffler dans le premier opus de 2014.

Bon, les effets spéciaux sont évidemment très corrects et la réalisation est professionnelle et léchée. La chorégraphie de certains combats est un peu brouillonne, mais dans l’ensemble, le côté visuel du film se tient. C’est d’autant plus dommage qu’ils n’ont pas pris un ou deux mois de plus pour une énième réécriture qui aurait donné un peu de personnalité à ce film. A titre de comparaison, Kong: Skull Island, avec son côté frondeur et irrespectueux de certaines conventions, était à mes yeux beaucoup plus réussi. Espérons du coup que ce Godzilla: King of the Monsters n’est qu’un faux pas dans une saga de série B friquée qui tenait plutôt la barre jusque-là. On verra bien dans le quatrième film, subtilement intitulé Kong VS Godzilla et qui devait sortir cette année (mais le Covid19 est passé par là), si la franchise repart d’un meilleur pied après un épisode très anecdotique.

La saison de la sorcière

De Roland C. Wagner, 2003.

Feu Roland C. Wagner était un trublion de la littérature SFFF francophone. Si j’ai déjà parlé de lui dans ces colonnes, c’était pour un hommage amusé et amusant à H.P. Lovecraft et, donc, un texte relativement mineur. La saison de la sorcière est également un texte mineur de l’auteur. Il faudra que je m’attaque un jour aux Nouveaux mystères de Paris ou l’imposant Rêves de Gloire. Mais entretemps, il faudra donc se contenter de La saison de la sorcière.

Et qu’est-ce ? Et bien, pour résumé, c’est de la SF de banlieue, de la SF engagée et résolument anti-américaine. Nous sommes en 2003 lorsque l’opus sort : les États-Unis de George W. Bush ont envahi la moitié du Moyen-Orient pour se venger du 11 septembre et, surtout, pour défendre leurs intérêts pétroliers. La France, en la personne du fantasque Dominique de Villepin, se prend alors pour l’objecteur de conscience. 11 septembre ou non, le discours de de Villepin à l’ONU résonne dans les couloirs de la diplomatie internationale comme un rappel à l’ordre : l’ogre américain, le gendarme du monde, ne peut pas faire ce qui lui plaît. Et La saison de la sorcière est la manière que C. Wagner a d’exprimer son soutien à cette idée de rébellion, de presque résistance (sans pour autant épouser les convictions de la classe politique d’alors, hein !).

La saison de la sorcière débute donc avec la sortie de prison de Fric. Ce jeune de la banlieue pauvre parisienne va revoir ses potes de la cité et espère choper un joint ou l’autre pour se remettre de son abstinence en cabane. Pas de bol, ses potes et lui tombent dans un bar sur un soldat américain qui vient débarquer. Ils lui piquent son blé à la fin d’une soirée bien arrosée et le tabassent pour la forme. Mauvais calcul. Surtout quand on sait que la France est devenue un protectorat américain depuis qu’un groupe de terroristes nouveaux, composé de magiciens, a commis plusieurs attentats sur le sol de vielle Europe : la Tour Eiffel a été dérobée par un ptérodactyle géant ; le Tower Bridge a disparu et le Palais du Schönbrunn s’est transformé en un énorme bonbon. Les régimes politiques, un peu partout sur la planète, virent à droite et tombent dans la parano sécuritaire. Même si ces attentats n’ont fait aucune victime, l’apparition de la magie qui frappe aveuglément les nations crée un traumatisme dans des populations habituées à une démocratie ouatée qui leur offre un confort matériel et social certain.

Ni d’une ni de deux, les U$A (ce n’est pas de moi, ni même de C. Wagner, mais c’est comme ça qu’il l’écrit dans le bouquin) se sentent pousser des ailes : ils s’installent dans la pays « amis » pour aider à traquer ces insaisissables terroristes magiciens pour éviter, bien sûr, une attaque sur le sol de la mère patrie. Parallèlement, une équipe de barbouzes ricains, dans un pays en voie de développement indéterminé, mettent la main sur une véritable sorcière. Ramenée chez l’Oncle Sam, on lui fait subir un lavage de cerveau pour qu’elle devienne la nouvelle égérie de l’armée américaine et le porte-étendard de la résistance magique contre les terroristes forcément gauchistes et sans doute musulmans (dans l’esprit des ricains, of course).

Vous l’aurez compris, le parallèle n’est pas réellement subtil et le message du roman est asséné à la truelle. Si les raccourcis politiques de Roland C. Wagner font parfois sourire par leur exagération, je peux imaginer qu’il a choisi l’exagération (souvent) et le cliché (parfois) pour être sûr que son message soit compris par un lectorat peut-être plus jeune. Le mérite de l’hyperbole est qu’elle rend la fable lisible au premier coup d’œil. Est-ce que cela fait un bon roman ? Je ne sais pas. La plume de C. Wagner et sa capacité à pondre un scénar qui tienne la route avec des personnages hauts en couleur et des dialogues percutants sauvent le bouquin. De fait, c’est plutôt fun à lire. Mais ce n’est certes pas le livre du siècle. La fin, qui tombe quand même ‘hachement à plat révèle au besoin la faiblesse principale du livre : si c’est un opuscule à charge contre l’administration Bush qui était le but, la SF dispose de moyens nettement plus subtils pour faire passer le message. Plus subtils et plus marquants. Reste un court roman assez fun, mais qui sera, je le crains, vite oublié.