The Predator

De Shane Black, 2018.

A l’instar de Terminator: Dark Fate, dont il a été question il y a peu en ces lieux, The Predator fait le choix d’ignorer les suites aux deux premiers opus de la licence qui égaya notre jeunesse en mal de gros monstres à dézinguer. Exit donc les Alien VS. Predator et le reboot un peu mou de 2010 signé par Nimród Antal. Et retour aux sources : après Shwarzie et Dany Glover, c’est donc à une nouvelle équipe de se coltiner les extra-terrestres les moins rigolos de l’univers (après les Aliens, j’admets). Et quoi de mieux comme retour aux sources que de confier le tout à Shane Black, l’homme derrière les scénar de L’Arme Fatale, de Predator (le premier, celui de McTiernan), du Dernier Samaritain ou encore de Last Action Hero ?

Admettons : le bonhomme a ensuite connu une loooooongue traversée du désert. Mais l’inspiré Kiss Kiss Bang Bang de 2005 l’avait remis sur les rails jusqu’à lui offrir une place de choix dans l’écurie Disney/Marvel quand il réalisa Iron Man 3 avec son pote Robert Downey Junior qui s’était battu pour l’avoir à la réal ? ça fleurait bon le retour en grâce et une belle histoire de rédemption (car Black a une réputation d’emmerdeur fini et de petit con qui claque toute sa thune en bagnoles de luxe et gonzesses faciles) comme Hollywood les aime. Et là, miracle, on lui confie les rênes du reboot de la saga qu’il a contribuer à lancer et qui est devenu un classique avec le temps : Predator, le chasseur, le chasseur de l’espaaace ! (sur la musique de X-Or, bien sûr).

Et qu’a fait Shane Black avec ce pain béni ? Et bien ce qu’il sait faire de mieux : un film des années 80. Sorti en 2018. Exit la bienséance aseptisée des films d’actions des deux dernières décennies. The Predator est fier de ses origines : c’est un bon gros film d’action de derrière les fagots, avec des muscles, des explosions, de la violence gratuite et explicite (oui, oui, je vous rassure, les Predators arrachent toujours la colonne vertébrale de leur trophée en 16/9èmes) et des punch-lines de la mort comme Shane Black a toujours su les écrire (Le Dernier Samaritain, pas le plus apprécié de sa filmo, est pourtant un catalogue de one-liners qui tuent : une Bible en son genre, dans laquelle je replonge toujours avec beaucoup de bonheur).

Mais le problème, c’est que Shane Black en a fait un peu trop. Caster des inconnus était une bonne idée pour rester sous les radars de la surmédiatisation (après tout, Predator est une saga de séries B, hein !). Mais il les a pris un peu trop jeunes, un peu trop acteurs secondaires. Le brave Boyd Holbrook, acteur surtout connu pour Narcos, endosse un costume un peu trop grand pour lui. Il est sympathique et fait de son mieux pour avoir l’air d’un gros dur qui sort des répliques cools, mais… y’a quelque chose qui ne fonctionne pas. Jason Momoa aurait fait le taf (mais, bon, la seule fois où il a repris un rôle de Shwarzie a donné un Conan de triste mémoire, à la limite de l’étron cinématographique). Même les vannes, d’ailleurs, pourtant la marque de fabrique de Black, ne marchent qu’à moitié : si la bande des siphonnés de l’armée qui constitue cette fois les sidekicks à abattre par le Predator marche sur le papier, les gags s’essoufflent assez vite.

Et Black n’a pas non plus résister aux sirènes du CGI. Si le Predator original et son double « amélioré » qui débarque au milieu du film sont toujours très efficaces (superbes costumes et effets physiques, comme toujours dans la saga), les scènes à bord du vaisseau et, surtout, les innommables « chiens-Predators » ressemblent à une bouillie de pixels mal digérée tout droit sortie d’une cinématique de PS2. Bon, j’exagère : ils ne sont pas si moche que ça. Mais ça ne marche tout simplement pas dans un film qui privilégie par ailleurs l’horreur organique. Le scénar en lui-même est très simple, comme on pouvait s’y attendre : un Predator débarque sur Terre en fuyant un combat. Il tombe sur un soldat américain en opération dans un pays sud-américain lambda, soldat qui parvient à le mettre KO un peu par hasard. Une méchante agence gouvernementale capture le Predator KO et tente d’effacer tous témoins gênants. Le brave G.I., notre gentil héro, ne trouve rien de mieux à faire qu’expédier par la poste (oui, la poste) le masque du Predator ainsi qu’un gadget extraterrestre qu’il trouve dans le coin à son fils de 8 ans. Mais le Predator, qui a le réveil chafouin, ne l’entends pas de cette oreille. Et il dézingue tout le monde dans la base secrète où il est tenu prisonnier avant de se mettre à la recherche de son équipement. Jusqu’à ce qu’un second Predator, nettement plus maous, débarque pour se débarrasser du premier. Et nos chers protagonistes de sauver leur famille et de s’intéresser à ce que vient faire ce second grand échalas dans l’histoire…

Mais bon, le scénar, on s’en tape un peu dans ce genre de film. C’est gros, c’est bourré de ficelles ultra-usées, mais ça marche si on n’est pas trop regardant. Le film atteint d’ailleurs parfois le sublime avec la mise en scène de combats très impressionnants et un certain rythme de film d’action à l’ancienne. Avant de verser dans le trop plein de blagues, le trop-plein d’effets spéciaux et, même, le trop-plein de Predator. Les monstres ne marchent jamais mieux que quand on les voit peu l’écran. Un Predator fonctionne lorsque le spectateur sursaute et a tout de même un peu les chocottes pour le ou les personnages principaux. Ici, on ne tremble pas : on ricaine de temps à autre devant les clins d’œil auto-référencés aux films des années 80. Et on est impressionnés devant la maestria dont Black fait encore preuve pour mettre en scène quelques scènes de bataille/destruction homériques. Pour le reste, on baille un peu. Et c’est bien dommage.

The Cloverfield Paradox

De Julius Onah, 2018.

Voici une nouvelle preuve que Netflix fait du cinéma de seconde zone et devrait se limiter à produire des séries inspirées (rares, dans leur catalogue, mais il faut quand même leur reconnaître cela). The Cloverfield Paradox, sorti il y a déjà deux ans sur la plateforme de streaming, est la seconde suite de Cloverfield, ce found-footage de SF nerveux et original qui laissait New-York en proie aux monstres géants tout droit sortis de l’univers lovecraftien sorti en 2008. Après une incartade intimiste sous forme de huis-clos avec 10 Cloverfield Lane (que je n’ai pas vu), dont j’ai quand même entendu pas mal de bien, c’était donc avec une certaine curiosité que je lançais The Cloverfield Paradox sur mon petit écran (en comparaison avec celui du cinéma, hein !).

Je pensais découvrir une bonne série B de SF dans la grande lignée de Event Horizon, Sphere et autres thrillers de l’espace. Et… c’est exactement ce qu’on m’a servi. Mais sans une once d’originalité ou de peps. En résumé, on suit la vie d’une bande de scientifiques (quelques américains, une chinoise, un allemand, un russe : les équipes spatiales me font toujours penser aux publicités pour Benetton des années 90…) en orbite autour de la Terre alors qu’ils tentent de faire marcher leur accélérateur de particule pour obtenir le secret de l’énergie éternelle. La Terre connait en effet une crise majeure d’énergie qui la fait glisser doucement mais surement dans le chaos global et la guerre généralisée du pétrole et du gaz.

Pourquoi pas, on a connu plus capillotracté pour lancer un film de « space-exploitation » (oui, j’invente les genres, un problème ?) Bon, outre le fait que quelqu’un aurait dû leur dire que l’énergie obéit à au moins une constante, à savoir qu’elle ne peut être créer à partir de rien, le scénar tient la route pendant le premier quart d’heure. Puis, pas de bol, on nous ressort encore une fois le coup de « attention, si vous faites n’importe quoi avec votre expérience, vous allez ouvrir une porte vers d’autres dimensions… et peut-être même l’enfer ! ». Mouais mouais mouais. Je ne sais pas moi… Doom ? Half-Life ? Event Horizon (encore) ? Bref, l’argument du développement scénaristique est tellement éculé que j’ai ris jaune en l’entendant.

Mais bon, le scénar d’Underwater était pas foncièrement original et ça ne m’a pas empêché d’apprécier le film, donc quoi ? Et bien c’est simple. Sur une base donc très très connue, The Cloverfield Paradox se paye le luxe d’enchaîner les facilités sans pour autant récompenser son spectateur avec le minimum syndical que l’on est en droit d’attendre d’un film de genre de ce type. Je développe. Non seulement la protagoniste principale a un background forcément larmoyant, mais le film exploite tous les clichés « nationaux » façon film d’action des années 80 : le russe devient forcément méchant, l’allemand est double, la chinoise (pauvre Zhang Ziyi ! Ils sont loin Tigre & Dragon et 2046 !) est une scientifique qui n’a pas de sentiments, etc. Et le film se paie le luxe d’être très bavard, explicitant à l’envie son scénar avec des dialogues aussi redondants qu’insipides.

Mais le pire, et c’est sans doute un crime de lèse-majesté dans un film de ce genre, The Cloverfield Paradox réussi l’exploit de ne jamais faire frémir. Les personnages sont à tel point prévisibles que les rares scènes d’action tombent à plat. Le nigérian Julius Onah fait ce qu’il peut pour donner du rythme à son film. Mais ça ne marche pas. On n’y croit pas au début, on n’y croit encore moins au milieu et on approche le zéro absolu à la conclusion. C’est dommage de voir que le casting, plutôt bon dans l’ensemble, essaie de faire vivre un scénario indigent qui hésite entre de multiples sous-intrigues qui ne font que nous éloigner du vrai propos du film. On s’en fout de savoir que le gentil copain de l’héroïne sauve une fille sur Terre ! On s’en tape que la scientifique récupérée du monde parallèle veut dégager l’allemande pour récupérer la technologie pour sa réalité à elle ! On veut juste voir les conséquences concrètes de mélanger deux univers parallèles ensemble et, si possible, avoir un monstre ou deux puisque c’est ce que nous promet le film (et la franchise).

Pas de bol, il faudra attendre les dernières secondes à l’écran pour voir apparaitre un bout de tentacule. Trop tard, beaucoup trop tard. Cloverfield est donc une franchise qui meurt doucement dans son coin dans l’indifférence générale. Dommage. Netflix, qui avait sans doute pour ambition de faire un succès critique/commercial avec ce nom connu, a produit un film de série B qui a pour défaut de se prendre beaucoup trop au sérieux et qui n’a définitivement pas les moyens de ses ambitions. Ce n’est même pas un nanard, car on aime regarder les nanards avec un sourire béat aux lèvres : c’est juste un film raté. Passez votre chemin, il n’y a rien à voir.

Pacific Rim: Uprising

De Steven S. DeKnight, 2018.

Et voilà l’histoire d’une suite que personne n’attendait. Guillermo Del Toro, en 2013, avait assouvi le fantasme d’une génération de fanboys élevés aux productions de Go Nagai (Goldorak, Getter Robot et consorts) et, plus généralement, au kaiju ega, ce cinéma d’exploitation nippon qui a offert au monde Godzilla, Mothra et autres King Ghidorah. Avec des moyens considérables, il donnait vie à un rêve de gamin : si des monstres géants débarquaient sur notre planète pour anéantir l’humanité et que l’armée traditionnelle se révélait impuissante, ce serait quand même pas mal d’avoir des robots géants pour leur rendre la monnaie de leur pièce. Si toi aussi tu t’es pris pour Actarus dans ta jeunesse, tu vois ce que je veux dire.

En plus, Del Toro avait eu la bonne idée de le faire avec son univers propre, remplis de monstres dégueux, de personnages improbables et de plans organiques, saturés de couleurs sombres. Le tout dans un univers décrépit, pessimiste, un peu crépusculaire où l’espoir de survie de l’humanité entière tient dans les mains de quelques pilotes rebelles. On était dans du pur Getter Robot où des pilotes représentant les grandes nations du monde sont obligés de travailler ensemble, sous l’impulsion d’un général au discours forcément grandiloquent, pour combattre la menace extraterrestre. Et le film, simple et niais par bien des aspects, marchait merveilleusement bien car il distillait avec parcimonie ce qu’il faut d’épique, de cynisme et de background pour rendre l’histoire prenante.

Malheureusement, Del Toro a perdu ses droits sur la licence et a dû filer ses monstres géants et ses gros robots à une autre équipe. Son bébé devait donc grandir et atteindre l’adolescence dans les mains de Steven S. DeKnight, un réalisateur de télé chevronné dont il s’agissait là de la première expérience sur grand écran. Bizarrement, au lieu de rendre le ton du film plus adulte, les scénaristes et producteurs décidèrent de faire l’inverse : la nouvelle génération de pilote sera composée de gamins, rendant probablement hommage au genre d’origine où les gros robots sont, en effet, généralement pilotés par des ados (Evangelion, Escaflowne, Gundam, etc.) Leur nouveau chef de file, interprété par John Boyega auréolé de son stardom Star Wars-esque, est le fils du général du précédent film qui s’était sacrifié pour permettre aux héros de fermer la faille sous-marine qui laissait passer la kaijus dans notre monde (ah bon ? il avait un fils ?).

Mais voilà. Au début de Uprising, il n’y a pas plus de Kaiju. Puisque la faille est fermée. Alors l’humanité revit et pense à faire la fête. Et Boyega le premier d’entre eux, ayant rejeté l’ombre envahissante de son père pour vivre une vie de petits larcins en pleine « rebellitude » contre le système. Bien vite, cependant, le voilà de retour sur une grosse base militaire où l’on forme encore et toujours des pilotes de gros robots pour assurer la défense de la planète (contre… quoi ?) et l’on apprend alors qu’il était, bien sûr, l’un des pilotes les plus doués de sa génération avant de s’être fritté avec son père quelques semaines avant la mort de ce dernier.

Et tout tombe de Charybde en Scylla quand on se rend compte qu’une entrepreneuse chinoise qui avait développé des robots géants contrôlables à distance s’est faite doubler par un de ses ingénieurs. Les robots télécommandables travaillaient en fait… pour le peuple extraterrestre à l’origine des kaijus ! S’en suivent 45 minutes de combats épiques et titanesques jusqu’à une happy end prévisible et attendue.

Je disais à l’entame que c’est une suite que personne n’attendait. Et personne ne l’a vue, d’ailleurs, cette suite. Gros échec commercial et critique, Pacific Rim: Uprising cumule en effet les défauts et les faiblesses. De sauveurs de l’humanité, les pilotes sont devenus de simples militaires patriotiques façon l’armée américaine de Michael Bay dans les Transformers. Les gamins pilotes n’ont pas réellement de personnalité et les deux ou trois traits qui les caractérisent sont vite oubliés, à tel point que le décès de l’un d’eux tombe complètement à plat (ah oui… c’était qui encore ?). Le fait d’avoir une humanité qui n’est pas proche de son annihilation limite aussi fortement la tension (et donc les ressorts scénaristiques) du film. Bref, d’un film où l’équilibre fragile fonctionnait, on a sur les bras une suite où cet équilibre est brisé pour devenir une série B totalement oubliable.

Tout n’est cependant pas à jeter : les combats, à défaut d’être originaux, sont toujours spectaculaires et jouissifs à regarder (même si moins bien exploités dans, à nouveau, la construction d’une tension scénaristique). Boyega lui-même essaie de faire ce qu’il peut pour porter son personnage à l’écran et tu sens qu’il y met toute son âme et ses tripes (le garçon, en plus d’être éminemment sympathique en interview, a vraiment le potentiel pour être un action star de première classe). Et ça fait toujours plaisir de retrouver un hommage géant aux animes qui ont peuplé notre enfance. Mais le film est largement dispensable. Si vous êtes lassé de voir et de revoir le premier Pacific Rim, découvrez plutôt la saga Giant Robo en anime, dont le sense of wonder et le scénario sont autrement plus intéressants.

Underwater

De William Eubank, 2019.

« In the abyss, no one hear your scream. » Voilà comment pourrait être résumé Underwater, un film de monstres sous-marins sorti fin 2019 dans un anonymat plus ou moins général. La campagne de publicité autours du film fut fort discrète, sans doute car Disney, nouveau propriétaire des studios de la 20th Century Fox, ne savait pas trop quoi faire avec ce film de genre. Du coup, il est resté dans les caves du distributeur pendant de très longs mois (le tournage ayant eu lieu début 2017, soit près de 3 ans plus tôt !). Et sa sortie n’a été que fort peu médiatisée, laissant ça et là apparaître un trailer ou l’autre, une affiche mettant en avant la nouvelle coupe de Kristen Stewart plutôt que l’objet réel du film. Résultat : catastrophe au box-office. Et catastrophe dans la réception critique qui, en résumé, y voit un enfant illégitime et mal aboutit d’Alien et d’Abyss.

Bien sûr, on ne peut pas leur donner tort quant aux origines très référencées du long métrage. Underwater est effectivement un Alien subaquatique, à n’en pas douter. Il capitalise sur une riche histoire de films sous-marins catastrophe où le rôle du monstre est la plupart du temps joué par un gros requin (The Meg, Deep Blue Sea, etc.). L’histoire n’est pas originale pour un sou, bien sûr : on y suit une héroïne (dont le nom m’échappe), qui vit dans une station de pompage d’hydrocarbure au fond de la fosse des Mariannes, le lieu sous-marin le plus profond de la planète. Au-delà de l’absurde de la situation (même en cas de station de pompage sous-marine, il est évident que ce sont des robots qui descendent et entretiennent le matériel pendant que les humains restent bien tranquillement en surface – il est plus simple de construire une base lunaire qu’une base à 15.000 mètres sous l’eau, où la pression est autrement plus mortelle que le vide spatial, bizarrement). On la découvre occuper à se brosser les dents quand la station autours d’elle commence à grincer bizarrement.

Et, quelques minutes après, les diverses parties de la station sous-marine commencent à imploser sous la pression extérieure, lançant l’héroïne et quelques courageux survivants à l’explosion initiale dans une course contre la montre pour atteindre un site B où des capsules de sauvetage leur permettraient de rejoindre la surface sans encombre en respectant les paliers de décompressions. C’est sans compter sur le fait que, là où l’on pense dans un premier temps que des tremblements de terre sous-marins sont responsable de l’accident initial, on voit en fait apparaître subrepticement à l’écran ce qui semble être des créatures marines humanoïdes qui ne nourrissent pas que des sentiments honorables à l’encontre des braves ouvriers/mineurs de grand fond.

S’en suit une heure trente de courses poursuites, de plans sombres et tremblotants filmés caméra à l’épaule où l’on distingue à peine la menace. Le développement des personnages tient sur un timbre-poste, mais on s’en fiche puisque ce n’est absolument pas le propos du film. Reprocher l’unidimensionnalité des protagonistes à Underwater reviendrait à se demander pourquoi les personnages secondaires de Cliffhanger n’ont pas un background psychologique ultra développé. Car Underwater, malgré ses gros moyens, n’est finalement qu’un superbe film de genre ; une série B pleine de moyen.

Et quand on le prend comme ça, c’est une véritable réussite ! N’en déplaise aux critiques (professionnels et non-professionnels) qui semblent s’acharner sur ce film, William Eubank réalise ici un film très maîtrisé où la tension ne fait qu’aller crescendo. Si les mécanismes sont parfois éculés et que certains « jump scare » se sentent venir de loin, ils n’en demeurent pas moins efficace. Peut-être suis-je trop bon public pour ce genre de film, mais je l’ai réellement trouvé agréable à l’œil et finalement très divertissant. On n’apprend rien, c’est juste. Cela ne révolutionne pas le genre, en effet. Mais je préfère 1 Underwater à 100 The Iron Mask. Pour un budget équivalent, Eugan crée un station sous-marine glauque et angoissante et parvient à mettre sur pied une petite équipe de survivants qui, comme de coutume, tomberont les uns derrières les autres aux mains du monstre de service. Et lorsque l’on se rend compte [SPOILER] que le monstre en question est fortement inspiré du brave Cthulhu (belle représentation d’un kaiju, sans doute l’une des meilleures depuis Pacific Rim et depuis le récent reboot américain de Godzilla), cela ne peut faire que plaisir au fanboy que je suis ! [/SPOILER]

Bref, et pour ne pas s’étendre davantage, je dirais qu’Underwater mérite réellement d’être redécouvert dans une soirée pop-corn. Ce n’est pas du cinéma intelligent, mais au moins est-ce un bel hommage au genre, contrairement à Rampage, par exemple, qui a nettement mieux marché que lui sur des prémices pourtant similaires. Même Vincent Cassel, qui retrouve ici les caméras US, s’en sort plutôt bien dans son rôle de commandant désabusé. Non, définitivement, Undewater est une bonne surprise, surtout quand on considère la campagne de bouche à oreille désastreuse qui l’accompagne. Ne boudez pas votre plaisir : c’est régressif, mais ça fait du bien !

L’œil de la Sibylle

De Philip K. Dick, 1947-1984.

Étrange petit recueil de nouvelles que L’œil de la Sibylle. Il regroupe une série de courts textes de Dick, rédigés sur une période de près de 40 ans (pour certains, la date de rédaction est approximative, sachant qu’ils ont été publié à titre posthume dans l’une ou l’autre anthologie de nouvelles de l’auteur), soit pratiquement sur toute la carrière littéraire de Dick. On plonge en plein dans les délires psychotiques, largement influencés par des psychotropes, habituels dans l’œuvre de l’américain.

Le recueil s’ouvre sur deux courts textes théoriques où Dick parle de SF, rédigés probablement à la demande d’éditeur pour introduire un recueil similaire à L’œil de la Sibylle. On y lit le rapport de Dick à la littérature de SF des années 50 et 60, on y découvre les textes qu’il aime et les auteurs qu’il déteste. C’est d’ailleurs l’occasion de voir que Dick participe au malentendu historique qui fait de Robert Heinlein un écrivain rétrograde et fasciste. L’auteur d’Étoiles, garde-à-vous ! (Starship Troopers) traine en effet une réputation sulfureuse depuis de nombreuses années, en raison d’une lecture souvent trop premier degré de ses écrits. La lecture de ses textes plus tardifs devrait cependant démontrer à n’importe quel lecteur que, si Heinlein a bien une forme de fascination pour l’armée, il n’est en rien un belliciste passéiste convaincu, mais plutôt un cynique qui voit d’un œil critique les possibles dérives de l’avenir. Mais assez parlé de Heinlein.

Le premier texte de fiction du recueil est donc la nouvelle Stabilité. Rédigé en 1947 au plus tard, c’est le texte le plus ancien du bouquin. On y découvre un univers dystopique où un citoyen brise la loi immuable de la stabilité (à savoir : une société qui est arrivé à son développement maximal ne peut plus rien inventer de neuf sous peine de connaître le déclin) en participant bien malgré lui à la création du voyage temporel. Et il ramène avec lui un artefact dangereux pour l’humanité. La fin, particulièrement sinistre, vaut son pesant de cacahouètes. La deuxième nouvelle, L’Orphée aux pieds d’argile, joue, elle aussi, avec le voyage dans le temps. On y suit l’escapade d’un employé de bureau dans le passé (via une société privée ressemblant étrangement à celle de Total Recall) pour sortir de son train-train quotidien. Le package commercial promis est : plongez dans l’histoire pour inspirer à son auteur la création d’une de ses œuvres majeures. Et l’employé de choisir un écrivain de SF des années 60 qui ressemble à s’y méprendre à Dick lui-même. Le twist, classique dans une nouvelle de SF, est là aussi particulièrement efficace, même si peut-être un peu gros dans la conclusion de la nouvelle.

Une odyssée terrienne, troisième nouvelle du recueil, est un texte post-apocalyptique fort. On y suit le destin croisé de plusieurs protagonistes qui essayent tant bien que mal de s’en sortir dans une Amérique dévastée par une guerre que l’on devine nucléaire. Certaines obsessions de l’auteur (la perte d’identité, les drogues récréatives, etc.) remontent progressivement à la surface dans ce texte où l’espoir est illusoire.

La quatrième nouvelle, la plus longue du recueil, est aussi la plus étrange. Cadbury, le castor en manque, est je pense l’un des rares (sinon le seul ?) exemple de fantasy animalière dans l’œuvre de Dick. Mais on n’est pas dans la poésie champêtre du Vent dans les saules ou dans la critique sociale et politique de La ferme aux animaux ici. On est bien dans du Dick : Cadbury déteste sa vie et sa femme. Il la fuit dans les psychotropes divers en cherchant par ailleurs une maîtresse aussi intangible qu’intransigeante. Perte d’identité, rêves et délires maniaco-dépressifs sont au programme dans cette farce qui finit à nouveau de manière très pessimiste.

Le très court Au revoir, Vincent vient ensuite. Il s’agit d’un texte plutôt anecdotique sur une mystérieuse concurrente à la poupée Barbie. Amusant mais oubliable. Puis vient la nouvelle éponyme du recueil : L’œil de la Sibylle nous plonge une nouvelle fois dans les affres du temps où la figure classique de la sibylle tente de prévenir l’humanité, à différents âges de la civilisation, des risques qu’elle encourt. Un joli texte plein de poésie.

Le texte suivant, Le jour où Monsieur Ordinateur perdit les pédales, est plus classique dans sa forme. Dick imagine un monde où l’humanité à confier l’ensemble de ses responsabilités à un ordinateur central (de la gestion des feux de circulation à l’utilisation de votre cafetière). Mais, pas de bol, que ce passe-t-il quand cet ordinateur devient dépressif. Comme tout le monde, il a besoin d’un psy. On creusera donc encore davantage les relations difficiles de Dick avec Freud et Jung ainsi que, de manière détournée, sa propre relation avec sa mère. Enfin, le recueil se conclut sur la nouvelle Étranges souvenir de mort, où un homme imagine la vie d’une de ses voisines expulsées par le nouveau propriétaire de son immeuble. Il est ici à nouveau question de la définition de la folie et de la toute petite nuance qui sépare les fous et les être sains dans la société contemporaine.

Lu très rapidement, ce court recueil (un petit 200 pages) nous plonge bien dans la difficile psyché de son auteur. Dick devait être un homme compliqué à comprendre et encore plus compliqué à fréquenter. Si les nouvelles ont des qualités littéraires certaines, leur développement torturé et leur conclusion parfois surprenante mette en lumière les difficultés que Dick éprouvait avec la notion d’identité, de valeur ou encore d’équilibre mental. Bien qu’il ne s’agisse pas de textes majeurs de l’œuvre dickienne, c’est certainement une lecture intéressante pour tous ceux qui s’intéressent à l’homme derrière Blade Runner, Total Recall, Ubik et bien d’autres classiques de la SF. Ou, d’ailleurs, pour tout amateur de SF intelligente et paranoïaque.