De Zack Snyder, 2024.
Je sais bien que j’ai dit de ne pas perdre son temps à regarder le premier il y a déjà quelques mois dans ces colonnes et il peut donc sembler étrange que je chronique tout de même le second. Est-ce du stakhanovisme ? Du masochisme ? Une recherche un peu putaclic de rester dans l’actualité ? Non, rien de cela. J’avais simplement le secret espoir, sans trop d’enthousiasme malgré tout, que Snyder allait pouvoir déployer un peu plus d’ambition dans un second opus qui ne perdrait pas son temps à exposer ses personnages principaux. Je n’espérais pas un film parfait, car je ne pense pas que Snyder ait jamais réalisé un film parfait, mais j’espérais cependant quelque chose de plus grand, un souffle d’épique caché sous une averse de ralentis et de gimmicks de réalisation lourdingues.
Et je fus bien sûr déçu, comme on pouvait s’y attendre. Comme je m’y attendais moi-même, si on est un tout petit peu honnête. Que dire qui n’a pas déjà écrit un peu partout sur Internet entretemps ? Bien sûr, les longueurs inexplicables des deux premiers tiers, essentielles consacrées à la récolte du blé sur la petite lune qui servait de décors au premier opus, frisent le ridicule. Bien sûr, la maigreur du développement des personnages secondaire oblitère tout impact émotionnel quand l’un d’eux décède. Bien sûr, la fascination de Snyder pour ses nouvelles focales fait que pratiquement aucun plan du film n’est agréable à regarder, miner par des flous constants et embarrassants qui rendent tout le travail de design sur les décors inutile. Bien sûr, le scénario, qui emprunte peut-être encore plus largement à Star Wars et à un salmigondis de références SF mal digéré, frise le degré zéro de l’intérêt alors que je fais à priori partie d’un public de convaincus à la cause.
Tout cela n’est pas nouveau, ni inattendu. Non, ce qui me chagrine particulièrement tient essentiellement à deux choses. D’abord, malgré un budget conséquent, on reste dans une production de type « plate-forme« . Si Netflix et les autres sont devenus au fil des dix dernières années le bon canal de production/distribution pour un certain type de cinéma d’auteur, ils montrent leur limite avec le cinéma grand public. Comprenons-nous bien : je ne dis en aucune manière que Netflix et consorts se sont tout d’un coup trouvé une âme de cinéphiles. Quand ils produisent du cinéma que l’on pourrait appeler « d’auteurs« , c’est pour se donner une bonne image lors de la saison des prix, sachant que les œuvres ainsi produites restent au maximum quelques jours en tête de gondole lorsque vous ouvrez votre application, pour rapidement tomber dans les profondeurs d’un algorithme qui favorisera toujours le dernier blockbuster insipide écrit par une a.i. en mal d’inspiration, façon Adam Project ou Red Notice. Car Neflix veut surtout satisfaire le plus grand nombre avec un contenu aseptisé, facile à digérer, facile à oublier. Du Rebel Moon, en somme. Une grosse production (à l’échelle d’une plate-forme), vendue à grand renfort de « nous avons laissé carte-blanche au réalisateur« , alors même que celui-ci est devenu tellement formaté qu’il n’imaginerait même plus sortir d’un cadre de référence qui ne laisse aucune place à l’œuvre, mais fonctionne en termes de produits.
Et c’est mon second problème : même son réalisateur considère Rebel Moon comme un produit. Dès le départ, il nous explique à force d’interviews que le « vrai » film sera la version longue qui sortira en exclusivité dans quelques mois, dont la double promesse est « plus de sexe, plus de violence« . Quel est donc l’objet que Netflix nous sert alors avec de deuxième opus inachevé ? Une version facilement digeste ? Qui passe la censure internationale des nouveaux marchés que sont la Chine ou le Proche-Orient ? Une forme d’industrialisation de la fameuse scène d’embrassade lesbienne du Star Wars 9, formatée pour être coupée pour les marchés « frileux » auxquels Disney accorde tout son crédit ? Le fossoyeur de film, aka François Theurel s’est récemment associé au Marty de la Séance de Marty pour livrer un dytique sur « le cinéma, c’était mieux avant« . Au-delà du fait qu’il s’agit sans doute de l’un des meilleurs documentaires sur l’évolution du cinéma des 20 dernières années, sur le fond comme sur la forme, et au risque de passer pour un vieux con, je dois admettre qu’ils ont raison. Le « bon » cinéma, ou plutôt le cinéma intéressant, existe toujours. Et il est sans doute plus accessible qu’il ne l’a jamais été dans les back-catalogues de toutes nos laiteries digitales que sont les plateformes de SVOD. Mais il ne faut pas se leurrer : ces mêmes plates-formes ne cherchent pas à développer un art qui arrive en fin de cycle, elles cherchent seulement à développer une industrie dont elles pourront tirer profit jusqu’à la dernière goutte. Il est temps de redevenir sélectif et de réinvestir dans les créateurs en allant au cinéma ou en achetant dans le commerce les supports physiques des œuvres qui vous parlent. Cela ne doit pas forcément être un film ouzbèques sur la culture du pavot au XVIII, mais bien une démarche sincère, même lorsqu’il s’agit de produire un honnête divertissement.
Et Snyder et Netflix ne visent aucunement cela. Ils nous servent simplement un produit aseptisé, dont tous le angles ont été arrondis. Une sorte de fast-food de luxe. Un resto de burgers où des barbus musclés et souriants (comme le barista de chez Starbucks) vous servent un « bête » cheeseburger à 29,99€. Même avec un bel emballage dont le marketing est super bien réfléchi, cela reste de la malbouffe. Si l’on résume, non seulement Rebel Moon, partie 2, est oubliable (et déjà en grand partie oublié), mais il incarne sans doute mieux que l’ensemble des autres productions de plate-forme le cynisme commercial de ces boîtes et leurs « créateurs » qui ne visent qu’à livrer des produits simples et prémâchés à des segments de publics toujours davantage réduits et ciblés en fonction de leurs hauts revenus (comprendre : les geeks sont devenus maîtres du monde !). Demeure une lueur d’espoir : le public, aussi segmenté soit-il, commence doucement à se rendre compte de ce formatage limitatif. Le premier volet, vendu avec une campagne de pub rarement vu pour des plateformes de streaming, n’a pas marché. Et le second volet est sorti dans l’indifférence générale, même plus mis en avant par Netflix. Ce qui signifie sans doute que les futurs plans de Snyder pour en faire encore trois-quatre derrière (ah ! le fantasme absolu des « cinématic universe » !) se verra sans doute traduit dans une série télé annulée après une saison ou dans une série de comics confidentiels. Et c’est sans doute pour un mieux. Entretemps, il nous reste deux longs métrages qui s’inscriront dans doute dans l’histoire du cinéma comme le parangon de la médiocrité et du manque de courage d’un certain cinéma des années 2020. L’exemple poussé à l’extrême du fameux distinguo des frères Russo : « In New-York, they make motion pictures, here in hollywood, we make movies« . Or garbage.