Dead Poets Society

De Peter Weir, 1989

« Oh captain, my captain ! » déclamé à haute voix, par quelques étudiants debout sur leur bureau. Voilà l’image qui restera dans l’esprit de ceux qui ont vu (et revu) le Cercle des poètes disparus. Ça, et quelques tirades exceptionnelles sur la liberté de penser que Robin Williams, dans un de ses meilleurs rôles, égrène tout au long du film à une classe pendue à ses lèvres.

Dans la grande tradition des films de collège, Dead Poets Society est un classique un peu oublié de nos jours, signé par le toujours très inspiré Peter Weir (de Pique-Nique à Hanging Rock en 1975 à Master & Commander en 2003, en passant par Witness, Mosquito Coast ou encore The Truman Show). Basé sur un scénario original de Tom Schulman, oscarisé pour l’occasion, dont le seul autre fait d’arme est d’avoir scénarisé la même année Chérie, j’ai rétréci les gosses (si, si, je vous assure), le Cercle des Poètes disparus nous narre l’histoire d’un groupe de potes, fils de la grande et moyenne bourgeoisie américaine de la fin des années 50, tous élèves dans une académie/collège, très britannique dans sa manière de faire et son ambiance.

En internat, ils vivent dans ce microcosme un peu suranné où les valeurs sont l’obéissance, l’étude, le respect de la règle. Jusqu’à qu’un professeur remplaçant, M. Keating, joué par Robin Williams (pour les deux pas attentifs, là, au fond de la classe), reprenne le cours de littérature anglaise. Et transforme son cours en une ode à la libre pensée, à l’expression de soi, à l’anti-conformisme.

Le film mélange alors habillement tous les poncifs du genre (braver l’interdit, l’étudiant qui va trop loin, le mouchard, les hormones qui dictent leur loi à une bande de garçons de 17 ans qui ne voient les filles que d’assez loin, dans leur collège unisexe, etc.) sans pour autant tomber dans le cliché. Bien que certains personnages secondaires ne soient qu’esquissés, on devine la richesse de leur histoire personnelle, la profondeur de leur conflit intérieur. Un court passage où l’on voit le professeur Keating s’attarder une minute sur la photo d’une femme qu’on devine sienne, qu’il a du laisser à Londres pour vivre sa passion de l’enseignement dans un collège dont il connait les limites et les contradictions pour en être lui-même un ancien élève, démontre tout fait cette richesse dans la direction d’acteur et la construction du scénario : nous vivions alors une époque où un film populaire (car c’est bien l’ambition de ce film) pouvait jouer sur le non-dit et ne pas être si inutilement explicite dans chacun de ses développements scénaristiques.

Le Cercle des Poètes disparus ne méprise jamais son spectateur : même les rares moments de slapstick comedy, comme lorsque Williams imite d’autres acteurs hollywoodiens classiques (il n’est alors pas tellement loin du Saturday Night Live de ses débuts), le film les propose soutenus par des dialogues d’une grande richesse, issus des classiques de la poésie, du théâtre et de la littérature anglo-saxonne. Et c’est, d’une certaine manière, rafraichissant de demander à son public un minimum de « temps de cerveau disponible » pour digérer les dialogues et s’ouvrir à leur signification, à leur rythme, à leur musicalité parfois, comme le font les presque-adultes membres du cercle qui donne son nom au film.

Porté par un casting laissant sa place à quelques acteurs chevronnés (Norman Lloyd dans le rôle du directeur acerbe de l’école, Kurtwood Smith dans le rôle d’un père abusif) et à une brochette de jeunes talents (dont Ethan Hawke, qui est le seul a voir réellement confirmé, et Robert Sean Leonard, qui campe un garçon sensible qui se révèle dans le théâtre suite aux suggestions de M. Keating se « profiter du moment présent« ), le film consacre surtout Robin Williams, qui joue ici, tout en subtilité et sans les excès qu’on lui connaîtra parfois plus tard dans une filmographie en dent de scie, un personnage doux, intelligent, iconoclaste et drôle. Un professeur que l’on aurait tous souhaité avoir, même s’il nous aurait certainement bousculé dans nos certitudes d’adolescent.

Le film est de plus particulièrement bien éclairé, tout en nuances de couleurs chaudes dans un premiers temps et pastels et froides dans la seconde moitié du film, et soutenu par les musiques de Maurice Jarre (le papa de l’autre) et les quelques classiques qui émaillent sa bande son. Le film amène le drame, son climax scénaristique et sa conclusion de manière tout à fait naturelle, même si ils n’en restent pas moins difficiles à accepter. Un grand classique, donc, qui devrait être réhabilité et montrer en classe par les professeurs qui n’ont pas l’éloquence suffisante pour porter le discours eux-mêmes. Carpe diem.

Wonder Woman

De Patty Jenkins, 2017.

J’ai toujours été du côté DC de la force. Marvel, c’est gentil, mais à part les X-men (Deadpool compris), c’est quand même pour les gamins. Le fait que je vienne de m’aliéner une grande partie de mon lectorat potentiel n’y changera rien. Batman a lui tout seul le justifie. Bon… Je sais aussi que c’est un peu comme le débat PC ou Mac dans les années 90 (de nos jours, le débat à moins de sens : Mac a gagné le marché parce que c’est hipster) : on n’arrivera jamais à convaincre l’autre partie.

Mais bon, depuis la trilogie de Nolan, on sait que le côté dark de DC permet de viser autre chose que le merchandising de fanboy (Captain America: Civil War est l’exemple type du film qui aurait pu être sympa et qui se contente de ronronner tranquillement). Évidemment, n’est pas Nolan (ou même Burton?) qui veut. Et c’est Snyder qui a pris le relais en premier. DC tente depuis quelques années de créer une franchise/monde à son tour avec The Man of Steel (du Zack Synder avec tous les excès qu’on lui connait), Batman Vs Superman (la même chose, en confus, avec un Lex Luther over-the-top) et Suicide Squad (que je ne me suis toujours pas infligé), en attendant le tout prochain Justice League. Wonder Woman s’inscrit dans cet ensemble comme le premier stand-alone des « personnages secondaires » de l’univers DC, en attendant les longs sur Aquaman et sur le Flash, entre autres.

C’est donc avec une curiosité sans attente particulière que je me suis maté Wonder Woman. Peu familier avec le personnage (qui ne m’a jamais réellement attiré), j’imaginais une « origin story » comme elles sont produites à la chaînes par les grands studios depuis plus de dix ans maintenant, capitalisant sur l’une des dernières valeurs sûres d’Hollywood, les films de super-héros. Et je n’ai pas été surpris : c’est exactement ça. Résumé en quelques mots : Diana (Wonder Woman) est la fille de Zeus, élevée sur une île de guerrières amazones immortelles dans l’attente de pouvoir un jour défaire le maléfique Arès. Vivant sur une île protégée par des brumes éternelles, les gentilles amazones sont envahies par des méchants allemands qui sont alors occupés à mener, comme de bien-entendu, une guerre mondiale provoquée par Arès (la première, en l’occurrence).

Avec les allemands (presque nazis, dommage, on rate la catégorie de méchants universellement reconnus à 30 ans près) débarque aussi un bel espion américain, joué par le toujours efficace Chris Pine. Il n’en faut pas plus à la belle Diana, jouée par la non moins belle Gal Gadot, pour suivre son bellâtre et se transformer, face à l’horreur de la guerre, en Wonder Woman. Sortez les violons. Original comme un trèfle à la Saint-Patrick, le film multiplie les tentatives de décalage et d’humour gentillet. Même les blagues de fesse (des Amazones qui n’ont jamais vu un homme… logique) sont innocentes. Pour se sortir de sa trame convenue, le film tente quelques passages plus noirs, avec la mort de la mentor de Diana, les quelques scènes dans les tranchées ou encore le personne du tireur d’élite repentant joué par le toujours excellent Ewen Bremner. Mais, même ces tentatives sonnent faux. L’horreur des tranchées sur le front belge, sensé provoqué l’éveil de Diana à un destin plus large que la simple vengeance contre Arès, se transforme rapidement en une scène extrêmement classique de démonstrations de super-pouvoirs où tous les personnages secondaires plus ou moins importants s’en sortent eux-aussi comme par miracle. Le tout sans évidemment verser une goute de sang à l’écran. Snyder avait au moins le bon goût d’être plus cru, même si par trop excessif, dans son Batman vs Superman.

De même, avoir fait d’Arès un personnage de diplomate joué par le toujours excellent David Thewlis était une brillante idée. Bien que largement prévisible, le rebondissement aurait pu être exploité pour faire comprendre à Wonder Woman que la force n’est pas forcément une solution, qu’il est nécessaire de développer d’autres armes, comme le Mal l’a fait, pour être efficace à une échelle plus large que l’échelle individuelle. Mais… non. Le vieillissant David Thewlis/Arès, qui se déplace avec un canne de marche une bonne partie du film (il est toujours bon pour jouer les personnage un peu « faiblard« , à l’instar du professeur Lupin de la saga Harry Potter), se transforme en gros-bill habituel pour les dix dernières minutes de bataille finale -au prix, d’ailleurs, d’incrustations vidéos un peu gênantes par leur irréalisme et leur incongruité. La morale est sauve : suffit de taper plus fort.

Bref, chers amis amateurs de pop-corn, Wonder Woman est un spectacle passable. Patty Jenkins, qui n’avait plus tourné de long depuis Monster en 2003, fait un boulot impersonnel qui aurait pu être fait par des centaines d’autres noms gravitants autours de la côte ouest américaine. Elle a cependant réussi un pari inattendu : elle a fait basculé DC dans l’uniformité sans vague des productions Marvel. Si les opus de Snyder étaient bourrés de défaut, ils avaient au moins pour mérite d’essayer quelque chose, de proposer une certaine vision. Wonder Woman ne propose rien. Il exécute ce qui est attendu de lui, sans plus. Et, de manière totalement incompréhensible à mes yeux, il est dès lors devenu l’un des plus gros succès DC et l’un des films de super-héros les plus appréciés outre-atlantique. Vive le mainstream.

Pirates of the Caribbean – Dead men tell no tales

De Joachim Ronning et Espen Sandberg, 2017.

Blockbusters régressifs par excellence, derniers véritables représentants d’un genre qui a tendance à se faire discret, le swashbuckling, j’ai une tendresse particulière pour la trilogie originale du Pirate des Caraïbes. D’aucun trouvaient que les deuxième et troisième opus, déjà, avaient tendance à tomber dans l’excès. Mais, au moins, pouvait-on y voir un arc narratif relativement cohérent, où les quelques scènes « over-the-top » avaient la naïveté de l’attraction mécanique des parcs à thème de Disney. Le sentiment de merveilleux et la présence de personnages importants aux côtés de l’omniprésent Jack Sparrow permettait de développer de véritables interactions, de véritables enjeux scénaristiques.

Puis, la machine à billets d’Hollywood n’a pu se résoudre à tuer la poule aux œufs d’or. Et cela donna le quatrième opus, bancal, poussif, inintéressant. Mais, comme les millions de dollars de recette étaient encore au rendez-vous, un cinquième opus était écrit dans les étoiles. Et c’est ce qui arriva. Tentant de tirer les leçons des erreurs du quatrième volet, le cinquième renoue avec les personnages de la famille Swann-Turner en introduisant le fils d’Orlando Bloom comme personnage principal. Il tentera, cela se tient, de trouver un moyen d’annuler la malédiction qui pèse sur son père, condamné à écumer les mers comme remplaçant de Davy Jones.

Mais les intérêts du jeune Turner ou de sa dulcinée tombent bien vite dans l’anecdotique lorsque l’inévitable Jack Sparrow fait son apparition à l’écran. Fut un temps où Johnny Depp était un acteur qui faisait des choix risqués, savait imposer une certaine candeur et une finesse de jeu qui rendait ses rôles intéressants. Aujourd’hui, et sans épiloguer sur ses problèmes de vie privé qui ne m’intéressent en fait pas mais qui ont bien parasité la sortie de Dead men tell no tales, il est devenu sa propre caricature. Il n’a même plus l’air de s’intéresser à ce qu’il fait. Il cabotine à outrance dans absolument toutes ses scènes, finissant par même gâcher des moments comme le caméo de Paul McCartney là où cela marchait il y a quelques années avec Keith Richards.

Et le pire est qu’il entraîne ses partenaires avec lui. Geoffrey Rush, qui campait un méchant jouissif dans le premier opus et un side-kick drolatique dans les deux suivants, est ici totalement effacé, inexploité. Son visage exprime la question que le spectateur se pose : « qu’est-ce que je fous là ? ». Orlando Bloom et Keira Knightley cachetonnent, Kaya Scodelario et Brenton Thwaites (les deux jeunes de l’épisode) essayent de s’en sortir, mais sans beaucoup de succès. Seul Javier Bardem tire son épingle du jeu, en jubilant dans son rôle de méchant excessif.

Mais peut-on uniquement blâmer les acteurs, au premier rang desquels Johnny Depp ? Soyons honnêtes deux minutes : les acteurs ne peuvent être performants que s’ils ont quelque chose à dire, que si le scénario tient la route et que le réalisateur dirige effectivement sa troupe. Dead men tell no tales ne raconte malheureusement pas grand-chose. Et ce n’est pas tant une question de vraisemblance (les scénars des trois premiers volets ne brillaient pas par leur cohérence ou leur réalisme !) qu’une question de mécanique. Les saynètes successives s’enchaînent sans qu’une progression effective ne transparaisse. Les deux ex machina invraisemblables s’enchaînent pour que l’intrigue avance tout de même, mais on n’y croit pas (plus ?) une seconde.

Visuellement, le tout est très joli : Ronning et Sandberg, dont c’est la première escapade hollywoodienne après leurs débuts suédois, ont tout à fait respecté le cahier des charges : beaucoup de fond vert, des très beaux effets spéciaux (l’équipage de Bardem montre bien l’évolution de la technologie quand on le compare à celui du Pirate original), un certain brio pour la chorégraphie de scènes spectaculaires. Et c’est tout. Ces braves artisans, auxquels je laisse volontiers le bénéfice du doute quant à leurs compétences de réalisateur, n’ont été que les bras armés d’un studio qui ne veut pas/plus prendre de risque et qui nous sert une soupe insipide, vague remake mou du premier. Le sommet émotionnel du film [SPOILER ALERT], à savoir la révélation que la gentille Kaya Scodelario est en fait la fille de Geoffrey Rush, qui bien évidemment se sacrifie pour sauver sa progéniture, sonne archi-faux. C’est mal exploité, mal joué et ne laisse que l’impression durable que c’est une porte de sortie plus ou moins exigée par les producteurs qui s’inquiètent sans doute de l’âge avançant du Capitaine Barbossa… A ce prix-là, ils auraient mieux fait de tuer Jack une bonne fois pour toute. Un reboot intelligent aurait pu en naître (ou pas de reboot du tout, d’ailleurs, la trilogie initiale se suffit à elle-même. [/SPOILER].

[Encore SPOILET ALERT, en fait ! ?] Et le pire, bien sûr, c’est que l’inévitable scène post-générique pour promet un Pirate 6. Avec, là aussi, les restes de la veille accommodés aux produits frais du jour. Au prix, d’ailleurs, d’une invraisemblance scénaristique monstre. Si Davy Jones revient hanter la vie du brave Will Turner, comme tout le laisse présager, comment explique-t-on que Davy Jones soit encore un poulpe ? Le trident de Poséidon, manipulé par nos héros, n’a-t-il pas mis fin à toutes les malédictions en cours sur les mers et océans ? Si Javier Bardem et Orlando Bloom ont été sauvé, pourquoi pas le Davy Jones des épisodes 2 et 3 ? [/SPOILER]

Amis amateurs de pirates, n’hésitez pas à passer votre chemin, à vous re-mattez les trois premiers ou encore à vous plonger dans Black Sails, dont on me dit le plus grand bien mais que je n’ai pas encore pris la peine de découvrir. Dead men tell no tales est un spectacle coloré, pétaradant, divertissant par moment, mais creux et tout aussi vite oublié que son prédécesseur, POTC4. Passez votre chemin, il n’y a rien à voir.

Captain Fantastic

De Matt Ross, 2016.

A mi-chemin entre le feel-good movie et le film anti-système, Captain Fantastic reprend les codes du cinéma indépendant US intelligent, dans la droite descendance de Juno ou encore de Little Miss Sunshine. L’ironie douce qui se dégage de tous ces personnages, leur joie de vivre face à un évènement malheureux (qui, en plus de créer du pathos, crée un moteur scénaristique) met du baume au cœur.

Acteur habitué aux seconds rôles, Matt Ross a bien fait de passer à la réalisation et de choisir le toujours excellent Viggo Mortensen dans le rôle-titre. Formaté pour Sundance, le film a également été présenté à Canne et a remporté quelques titres à Deauville. Bref, beau parcours. Est-ce que le film est à la hauteur de sa réputation ? En un mot comme en cent : oui. Pour peu que l’on est un peu sensible aux thématiques de l’enseignement, de la contre-culture (ou, pour être plus précis, de la culture anti-système) ou des habitudes idiotes de la société de consommation, cette comédie douce-amère offre un super moment.

Sans se montrer moralisateur ou sentencieux, le film pose une série de (bonnes) questions. Au-delà des questions évidentes (peut-on vivre en dehors du système ? peut-on éduquer soi-même ses enfants sans leur permettre de se confronter à des pairs ? etc.), il y a là quelques débats sous-jacents intéressants. Une des questions essentielles soulevées par le film, pour moi, est de connaître la juste mesure dans laquelle on accepte une certaine dose de malheur, de tristesse, mais aussi de déviance sociale, au profit d’une intelligence, d’une réflexion, d’une culture plus grande.

Ben (Viggo) élève en effet ses six enfants dans les bois, leur imposant un régime strict d’exercices physiques et mentaux qui en font des enfants-philosophes-rois (ou des singes pensants, diront les mauvaises langues). Et le suicide de leur mère, atteinte de problèmes psychiatriques graves, oblige la petite famille à se confronter au monde réel.

Film à thèse ? Cela aurait pu. Mais, intelligemment, le film reste une comédie. Chomsky y remplace le père Noël, la religion chrétienne sert de repoussoir aux forces de l’ordre, etc. Et si certaines positions sont parfois antinomique (éduqués comme des enfants sauvages, aucun des enfants ne semble s’offusquer d’utiliser un vieux bus qui consomme des énergies fossiles sans doute avec excès pour un road-trip qui leur fait traverser les USA du Nord au Sud), le scénar a l’intelligence de mettre en avant les doutes du père sur les choix qui sont faits, doutes lourdement martelés par la belle-famille de Ben et par sa propre famille. Et l’intelligence, toujours, de ne pas répondre à ces doutes. La fin est d’ailleurs un compromis entre les valeurs prônées et la nécessaire adéquation au monde qui les entoure.

Le personnage de Bodevan (joué par le bon George MacKay) l’aîné de la fratrie, est révélateur de cet équilibre. Manifestement mal préparé à la gent féminine, on ne peut que s’étonner de constater qu’il n’a pas en lui une révolte plus grande, comme celle que son petit frère exprime. Partagé entre la fascination de son père et le compromis de sa mère (qui l’inscrit aux concours d’entrée des grandes unifs américaines), il est un bon soldat et le reste jusqu’au bout de son propre chemin. Quoi de plus logique, en effet, que d’aller devenir un « véritable adulte » avec un sac à dos sur le dos en partant à l’aventure seul en Namibie. Hipsters, you’re welcome.

Mais, pour revenir à l’expérience d’ensemble, Captain Fantastic reste une très sympathique comédie indépendante, nettement plus intelligente que la majorité des comédies américaines traditionnelles. On rit, on est accroché et, avec un peu de chance, on en ressort un peu plus intelligent nous-même. Que demandez de plus ? Simple, une reprise qui tue sur la BO. Et vous l’avez, avec toute la gentille famille anti-système qui entame a capella avec une guitare sèche la chanson préférée de feu leur mère. Un gentil petit titre indépendant… Sweet Child O Mine. 🙂

The Hateful Eight

De Quentin Tarantino, 2015.

The-Hateful-Eight-BannerAvant d’aborder le film lui-même, il faut que l’on se mette d’accord sur un élément essentiel : les films de Tarantino sont très très cons, mais très très jouissifs. Vous trouverez un peu partout sur le net et dans les revues bien-pensantes des analyses poussées sur le double-discours de ses films. Ainsi, j’ai lu il y a peu (mais je ne sais plus où et ne pourrais donc vous filer l’url) un article assez bien construit qui explique que The Hateful Eight est un film extrêmement contemporain qui met en lumière les jeux politiques américains actuels tout en étant une critique acerbe du ségrégationnisme qui continue à parasiter la société américaine WASP.

Ceci peut sembler fort intéressant comme lecture dudit film.

Mais je n’en crois rien.

Tarantino ne fait pas d’allégorie. Il tourne simplement des histoires qui le font marrer, où tous les personnages sont des salopards et où, généralement, il y en a assez peu qui survivent au générique de fin. Et The Hateful Eight ne déroge pas à la règle. Je ne suis pas un inconditionnel de Tarantino, mais ses films –que j’ai tous vu à l’exception de Django– m’ont toujours fait rire. Ce dernier opus, à nouveau, également. Qu’on ne me comprenne cependant pas mal : c’est une forme de rire de dérision, le rire de réaction devant l’exagération. De fait, il m’a fait penser assez vite à son premier long, Reservoir Dogs : la violence outrancière gratuite, les tirades alambiquées et amorales, la galerie de crapules sans foi ni loi, le jeu de massacre sans queue ni tête.

Et c’est réussi, bien sûr. Tarantino a toujours revendiqué faire du film de genre. Et ce deuxième western le confirme : il vise à créer la forme parfaite de l’entertainment régressif et jubilatoire. S’il n’était pas tellement respectueux des codes  et d’une certaine « méthode » classique héritée de ses pairs (on oublie parfois qu’il est cinéphile avant d’être cinéaste), il aurait probablement versé dans l’exagération extrémiste d’un Zack Snyder sur Sucker Punch.

L’histoire, comme toujours, se résume en quelques mots. Un chasseur de prime, Kurt Russel, escorte l’une de ses proies, méconnaissable Jennifer Jason Leigh, vers un village paumé du Wyoming pour qu’elle y soit pendue par le nouveau shérif. En chemin, forcé par une tempête de neige malencontreuse, il ramasse un autre chasseur de prime, ancien gradé de l’Union, Samuel L, et le nouveau shérif en question, un redneck ex-confédéré, joué par l’excellent second rôle Walton Goggins. Forcé par la tempête de neige, ils se réfugient à la cabine de Minnie. Sauf qu’en lieu et place de Minnie, les accueille à la cabine une série de bonhommes à la mine plus patibulaire l’un que l’autre (Michael Madsen, Tim Roth, Demián Bichir).

Et l’escalade débute assez vite. Pas un d’entre eux ne relève le niveau moyen : comme le dit le titre, ce sont bien tous des salopards. Ce qui m’amène à parler de la plus grande réussite du film. Samuel L. Jackson, qui a fait dans le très bon et dans le très mauvais, trouve ici un rôle à sa mesure. Alors qu’on peut le considérer comme le plus sympathique de la bande, on comprend que c’est un menteur chronique, criminel égoïste qui se plaît à torturer les gens. Mais il le fait avec brio. Et plaisir visible.

Bilan de l’opération : bien tourné, bien joué, bonnes musiques mais… très con et un poil vain. Est-ce que c’est un grand film ? Non. Mais ce n’est pas ça qu’on lui demande. Du pur Tarantino. Les amateurs aimeront, les autres passeront, j’imagine, leur chemin.