OSS 117 – Le Caire, nid d’espions

De Michel Hazanavicius, 2006.

Il est rarement question de comédie sur ce blog. Mais quand il en est question, elles sont généralement françaises. La comédie est sans doute le genre le plus marqué culturellement parlant. Si ressentir de l’effroi, de l’amour ou être frappé par des effets pyrotechnique est relativement universel, de quoi l’on rit l’est généralement nettement moins. Seuls le slapstick et l’humour absurde à la ZAZ sont partagés par à peu près l’ensemble de l’humanité, comme le démontre assez bien l’humour développé dans les dessins animés pour enfants. Ayant cependant revu il y a peu les vieux longs métrages d’animation belges basés sur les albums d’Astérix et Obélix avec mon gamin, force est de constater que même là, le sous-texte culturel, les blagues circonstancielles/sociétales passent forcément au-dessus de la tête d’un gamin de 5 ans. Évidence, allez-vous me dire, car il est trop petit pour avoir les clés. En effet. Mais j’ajouterai simplement que ces clés ne s’acquièrent pas avec l’âge quand elles concernent d’autres cultures. Et la compréhension n’est jamais spontanée si ce n’est pas une culture dans laquelle vous êtes baigné pratiquement en permanence.

C’est sans doute la raison pour laquelle la plupart des comédies US, quand elles sont très marquées sur la culture locale, me laissent généralement froid. Et sans doute également la raison pour laquelle je préfère les comédies françaises. Enfin, pas toute. Une toute petite minorité, en fait : celles qui proposent quelque chose. Prenons un exemple : Brice de Nice (avec Jean Dujardin dans le rôle principal, bien sûr), basé sur des sketches de l’époque de la bande du Carré blanc, était incroyablement idiot mais m’avait bien fait marré comme véritable film de pote à contre-courant de la recherche d’un quelconque succès commercial de masse. Le deuxième film, par contre, est d’une nullité abyssale tant dans son intention que dans sa réalisation (honnêtement, c’est l’un des pires films qu’il m’ait été donné de voir – même au 43ème degré). OSS 117 est à mille lieux de là.

Comédie tirée d’un substrat sérieux, nous ne sommes pas ici dans l’humour gras. Car si le slapstick et l’humour en dessous de la ceinture est bien présent, le film n’est pas gratuit. Il se moque d’un sujet hautement sensible en France : … les français. OSS 117, Hubert Bonnisseur de la Bath, agent des services secrets américains dans les romans des années 50 de Jean Bruce, est ici bien français. Franchouillard, même. Et c’est plutôt amusant de voir Hazanavicius décortiquer par le menu les travers du français moyen, inculte, sexiste et raciste qui pense apporter la civilisation et un certain savoir-vivre aux sauvages de ces pays exotiques. Ce premier opus (suivi quelques années plus tard par un second film et, dans les mois qui viennent, par un troisième en travaux actuellement) s’attaque à l’Égypte de Nasser et, plus généralement, aux musulmans.

Et ça touche. Ça sonne juste. Parce que, comme toutes caricatures réussies, cet OSS 117 ne déforme que légèrement nos travers, n’exagère que par petite touche, juste suffisamment pour rendre son personnage principal ridicule (« naaaan, je ne suis pas comme ça…« ) Les dialogues, ciselés, s’enchaînent à merveille entre Jean Dujardin qui bouffe l’écran avec son air de playboy abruti et un cast de seconds rôles particulièrement inspirés. Bérénice Bejo campe une locale qui résiste tant qu’elle peu à l’imbécilité de l’agent français. Aura Atika est parfaite en principe nympho, Richard Sammel en nazi nostalgique ou même François Damiens dans le rôle « du belge » ne palissent pas et prennent visiblement un malin plaisir à assumer leur rôle dans cette franche rigolade.

Au-delà de la satire, le film connait quelques moments de grâce quand le réalisateur sort de son script pour assumer un délire : l’emblématique scène du Bambino, en plus d’être raccord culturellement et historiquement parlant, est tout simplement magistrale. On rit de bout en bout. D’OSS 117 comme personnage hors de son temps, des dialogues précis qui font mouche, de la tête idiote de Dujardin « petit enfant vexé » quand il est confronté à plus malin que lui (ce qui arrive… très souvent). On rit beaucoup de nous-mêmes également. Ce qui est bien la preuve que ce Caire, nid d’espions, est bien plus malin que ce qu’il veut nous faire croire.

 

1917

De Sam Mendes, 2019.

La seconde guerre mondiale a eu droit à des très nombreux longs métrages de qualité ces dernières décennies. La première guerre mondiale, en revanche, fut assez peu évoquée et, si elle le fut, ce fut toujours avec des moyens nettement plus modestes (l’excellent La chambre des officiers est un des rares exemples qui me vient en tête spontanément, mais ce n’est pas à proprement parler un film de guerre). Il semble qu’elle ait toujours moins inspiré les cinéastes, les romanciers ou les dramaturges en tout genre que sa cadette. Certainement ces 30-40 dernières années.

Je m’attendais cependant, avec l’ensemble des évènements lié au centenaire de la Grande Guerre, à voir fleurir les grosses productions évoquant les poilus et les combats de tranchées. Il n’en fut rien : bien sûr, la première guerre mondiale a finalement assez peu occupé les américains et Hollywood a donc toujours fait assez peu de cas de ses diverses batailles et gestes héroïques qui, pourtant, sont du même ordre que celles et ceux qui se déroulèrent un peu plus de vingt ans plus tard aux mêmes endroits. Il aura donc fallu attendre un an après la fin des célébrations pour que le britannique Sam Mendes laisse tomber James Bond pendant quelques mois pour se lancer dans l’évocation des récits de guerre de son grand-père. Si l’on en croit la dédicace finale de 1917, le grand-père de Sam lui racontait des histoires de guerre dans son enfance. Ce film, injustement boudé aux oscars 2020, est l’adaptation de ces récits d’enfance.

Cependant, Mendes n’en était pas à son premier film de guerre. Au-delà d’American Beauty qui lui valut les honneurs de l’Académie au siècle passé et qui l’a fait découvrir à un large public et avant qu’il ne se consacre quelques années durant à revitaliser la franchise James Bond (l’encensé Skyfall et le plus modeste Spectre sont de lui), Mendes a signé le discret Jarhead. Consacré à la première guerre du Golfe, le film s’acharnait déjà à suivre de près une jeunesse gâchée dans les sables d’Irak, dans un film sec et sans concession. 1917 n’est pas autre chose. On y suit deux braves soldats britanniques qui doivent aller prévenir une division éloignée d’une bonne dizaine de kilomètre qu’ils ne doivent surtout pas attaquer la ligne de front allemande. Si les allemands ont reculé, c’est pour mieux prendre les britanniques au piège dans les terres dévastées du Nord de la France. Et pour prévenir leurs compatriotes, les deux soldats devront traverser le no-man’ s land entre les tranchées ennemies et faire preuve d’un courage proche de la folie.

Bien sûr, on ne peut évoquer 1917 sans évoquer son gimmick de réalisation qui l’a fait connaître au monde : le film est un plan séquence ininterrompu. Et, bien sûr à nouveau, ce n’est pas tout à fait vrai. Au-delà de l’ellipse provoquée par la perte de conscience du personnage principal (justement traduite par un fondu au noir à l’écran), il y a en fait de nombreuses coupures artificiellement camouflée grâce à une utilisation parcimonieuse mais adéquate des effets spéciaux et grâce à un travail insensé de cinématographie. Car peu importe ces avatars technologiques, finalement : le cadrage, la photo et le travail de caméra, qui sont les bases du cinéma, sont tout bonnement époustouflants dans ce film. Ces plans rapprochés, à hauteur d’épaule, nous font vivre l’action de manière incroyablement intense. Mendes parvient cependant à réaliser le tour de force de rendre l’action du film lisible en toutes circonstances. Pas de shaky cam qui floute les personnages et rendent l’action à l’écran illisible ici : tout est net et intelligemment éclairé et montré au spectateur.

Et cela n’empêche pas Mendes, dans certaines scènes choisies, d’éloigner le point de vue pour démontrer l’ampleur des scènes (la fameuse scène abondamment exploitée dans la bande d’annonce où l’on voit le Caporal Schofield -le personnage principal- courir parallèlement à la tranchée dont sortent des dizaines de combattants anglais sous le feu des allemands ; mais aussi des scènes d’une beauté sinistre et presque poétique, comme lorsque Schofield erre nuitamment dans les rues d’un village en ruine, éclairé par les incendies provoqués par les tirs de mortier).

Le film est donc clairement une réussite esthétique. Narrativement, le film est évidemment assez simple : il s’agit d’une opération presque suicide de deux gars choisis au hasard du conflit pour empêcher un massacre inutile. Loin de l’héroïsme hollywoodien classique, Mendes a l’intelligence de développer un script où, bien que les personnages principaux soient effectivement des héros, il questionne en permanence l’utilité de leurs actions. Car quoi de plus anecdotique, finalement, que de préserver la vie de quelques milliers de combattants dans une guerre qui aura coûté la vie à des millions d’innocents et qui aura, en effet, tuer une génération complète. Le film est soutenu en plus par des acteurs qui font un boulot excellent. Au-delà des acteurs secondaires qui illuminent le film de leur présence (Colin Firth, Mark Strong, Benedict Crumberbacht), 1917 doit surtout sa crédibilité à la performance sans faille du jeune George MacKay, déjà vu il y a quelques années dans Captain Fantastic. Son interprétation solide et malgré tout en finesse d’un personnage qui ne peut plus retourner à une vie normale (cela est évoqué dans le film de manière subtile sans s’appesantir sur ce qui est finalement une évidence) font découvrir à ceux qui ne le connaissait pas un grand acteur britannique en devenir.

Jarhead, en 2005, était sous-titré « La fin de l’innocence » en francophonie. 1917 ne parle pas d’autre chose : l’horreur des tranchées nous aura appris une chose ; l’humanité ne pourra jamais plus être innocente à la suite d’un conflit de cette ampleur. 1917, à travers sa richesse visuelle et sa plongée dans le chaos d’un conflit inhumain, délivre ce qu’on attendait de lui : nous donner, enfin, un grand film mature, spectaculaire et intelligent sur la première guerre mondiale.

Bill & Ted’s Excellent Adventure

De Stephen Herek, 1989.

Découvert grâce à la fausse bande d’annonce d’Honest Trailer, réalisée à l’occasion de la vraie bande d’annonce du troisième (!) opus des aventures de Bill & Ted qui devrait sortir cette année, j’avoue que je n’avais jamais entendu parlé de ce film avant cela. Et quand je dis jamais, c’est jamais. Ni dans les listes nostalgiques des films de notre enfance (certainement pas en francophonie où le film semble totalement ignoré, mais pas non plus sur les sites/blogs/vidéos anglo-américains), ni dans la filmo interdite de x ou de y. Pourtant, il semble que le film bénéficie d’un noyau de fidèles solide, ce qui explique une première suite en 1991 et une seconde en 2020, 31 ans après l’original. Mais ce noyau fait, semble-t-il, moins de bruits que les amateurs des Goonies et des films de John Hughes (Sixteen Candles, The Breakfast Club, Weird Science et Ferris Bueller’s Day Off).

Et si comme moi ce film ne vous dit rien, je peux vous le pitcher en une phrase : Dumb & Dumber ados, en plus gentil, qui voyagent dans temps à la recherche de figures historiques pour réussir leur dissert d’histoire. Avec Keanu Reeves dans le rôle d’un des deux crétins. Avec ceci, tout est dit, je pense. Allez, pour le plaisir, je peux vous dire que les deux ado would-be rockeurs voyagent dans le temps car, quelque part dans le futur, leur power ballad va sauver l’humanité. Et qu’il est donc d’une importance cruciale qu’ils réussissent leur devoir d’histoire, sous peine de fin du monde. Et ce n’est pas gagné, puisque quand le prof d’histoire demande à Ted qui est « Joanne of Arc » (je le laisse en anglais, sinon, la vanne ne marche pas), Keanu Reeves répond avec un air réjouis « la femme de Noah ! » (puisque l’Arche de Noé, en anglais, se dit Noa’s Arc…. >_<).

A part ça, on peut voir dans le film Napoléon tricher au bowling, Jeanne d’Arc donner un cours d’aérobic, Beethoven se déchaîner sur 5 synthés à la fois, Genghis Khan semer le chaos dans un magasin de sport et, bien sûr, Socrate tenter de draguer les minettes au mall du coin. Voilà voilà. A la base, ça devait être Hitler à la place de Napoléon, mais les scénaristes ont eu une lueur de lucidité et se sont dit que ça, c’était peut-être pousser le bouchon un peu loin (Maurice) !

Honnêtement, je ne sais pas quoi penser de ce film. Je suis autant atterré par sa bêtise abyssale qu’amusé par le fait Stephen Herek, le réalisateur, reconnaissait lui-même qu’il trouvait le script hilarant mais que son humour n’était pas forcément partagé par tous. Succession de sketches sans queue ni tête mettant en scène de grandes figures historiques, le film repose sur un équilibre très fragile. Le spectateur est-il dans les conditions de se farcir un nanar sympathique où deux idiots parviennent à mettre tout le monde dans leur poche par leur bonhommie avenante ? La machine se grippe très vite si l’on n’est pas tolérant. J’avais déjà ressenti à la vision de Pee-Wee’s Big Adventure : une certaine forme de gêne sur le parti-pris. Et heureusement pour le film qui nous occupe aujourd’hui, là où Pee-Wee Herman m’avait rapidement horripilé, j’avoue m’être laissé avoir par Alex Winter et (un très jeune) Keanu Reeves. Ils (sur-)jouent deux parfaits abrutis, c’est un fait, mais deux abrutis sympathiques.

Pourtant le film en lui-même est nettement moins abouti que Pee-Wee’s Big Adventure, pour rester dans le parallèle. Stephen Herek, réalisateur avec une assez longue filmographie de films de série B (son film le plus populaire est sans doute la version live des 101 Dalmatiens de 1996 sur un scénario, comme c’est étonnant, de John Hughes), n’est pas Tim Burton. Les effets spéciaux sont risibles, la direction d’acteur laisse la plupart du temps à désirer (sauf pour Keanu Reeves et pour George Carlin, le « Doc » du film, qui se débrouillent bien tout seuls sans direction), le rythme est bancal et la plupart des plans sont très basiques. Mais… Mais il se dégage, au risque de me répéter, quelque chose de bizarrement sympathique de l’ensemble. Un peu comme quand, en fin de soirée, vous rigolez aux vannes nazes de vos copains pas drôle, juste parce que l’alcool fait de l’effet. Le lendemain matin, vous vous rendez compte que vous avez ri pour rien, mais vous avez quand même encore le sourire aux lèvres. Voilà tout le programme et toute l’ambition de Bill & Ted’s Excellent Adventure. Ni plus, ni moins.

Le film n’aurait jamais existé sans le succès de Retour vers le futur. Le fantasque producteur de ce film étrange s’est dit qu’il y avait peut-être dans ce script quelques similitudes et s’est donc décidé à le financer malgré l’improbabilité du script. Merci à lui. Il n’a pas obtenu ce qu’il espérait, mais nous a permis de voir cet étrange pari. A tester avant que le troisième épisode ne sorte sur les écrans plus tard dans l’année !

It: Chapter Two

D’Andrés Muschietti, 2019.

Dans ma séance récente de rattrapage de films, j’ai totalement oublié de vous parler du deuxième chapitre de It. Et… ce n’est pas forcément un bon indice quant à la qualité du film. Le premier chapitre, sorti en 2017, est devenu un véritable phénomène et a remis sur le devant de la scène l’absolue nécessité de continuer à adapter les livres de ce merveilleux conteur moderne qu’est Stephen King. Je lis rarement du King, plus par paresse (il aime les briques, le vieux coquin !) que par manque d’intérêt. Mais certains des films tirés de ses œuvres sont passés à la postérité comme de réels classiques modernes : Shawshank Redemption, bien sûr, Stand by me, évidemment, mais également La Ligne verte ou, dans une veine plus horrifique, le formidable The Mist de 2007. Et Shining, qui est cependant plus du Kubrick que du King.

Évidemment, la courte liste ci-dessus donnerait pratiquement l’illusion qu’il n’y a qu’un seul homme qui sait adapter correctement King, à savoir le vétéran Frank Darabont. Ce n’est tout à fait vrai : De Palma a fait une version très correcte de Carrie, John Carpenter de Christine et Rob Reiner de Misery (c’est également Reiner qui réalisa Stand by me). Mais, à côté de ces quelques films, les très nombreuses adaptations ciné et/ou télé des œuvres de King ne valent généralement pas tripette. Alors même qu’il est considéré comme l’un des grands maîtres de l’horreur en littérature depuis maintenant près de 50 ans (et oui, ça ne nous rajeuni pas, les amis !). Comme si, d’une manière ou d’une autre, l’écrivain le plus célèbre du Maine était affublé d’une malédiction à ce sujet. Et, ce, jusqu’au premier chapitre des aventures de notre clown cauchemardesque préféré, Ça, qui ne devint rien de moins que le film d’horreur le plus bankable de tous les temps en 2017, totalement près de 750 millions de dollars au box-office mondial, coiffant alors le vieux record du Sixième sens (qui n’avait d’horrifique que le nom).

Cela dit, bien marcher au box-office n’est pas synonyme de qualité. Je ne citerais pas d’exemple qui risqueraient de nous fâcher. Ce n’est cependant pas le cas avec It. Le film, réalisé par l’inconnu Andrés Muschietti, réalisateur argentin du relativement confidentiel Mama en 2013 (avec, déjà, Jessica Chastain), était une véritable réussite. Sans être novateur, il était servi par un casting de gamins irréprochables et était extrêmement léché question mise en images. Le film avait un budget conséquent et cela se voyait à l’écran. A part un fin un peu trop explicite (mais présente dans le livre), le film jouait parfaitement sur les mécanismes primaires de la peur et ses « jump scare », bien qu’attendu, étaient fichtrement efficaces.

La promesse d’un second chapitre, rapidement mis en chantier après le succès monstre (et sans doute surprise) de la première partie du diptyque était une bonne nouvelle pour les amateurs. Et pourtant, le succès espéré ne fut pas au rendez-vous et le film a rapidement plongé dans l’anonymat après un bouche-à-oreille relativement défavorable. Le hype était passé. Comment l’expliquer ? De plusieurs manières, à mon avis. Le film en lui-même n’a pas grand-chose à se reprocher. Le casting des versions adultes des gamins du premier chapitre est en béton (Jessica Chastain, donc, mais aussi James McAvoy, Bill Hader, James Ransone ou encore Jay Ryan). La réalisation est toujours aussi léchée et la photo maîtrisée. Peut-être le rythme est-il un peu plus lent et le déroulé des scènes un peu plus convenu mais cela reste un défaut mineur. Bill Skarsgard fait le taf avec sa version baveuse, horripilante et effrayante du clown maléfique.

Mais qu’est-ce qui ne marche pas, alors ? Et bien sans doute en premier lieu le fait que les protagonistes aient vieilli. La terreur infantile que provoque l’image du clown marche par définition moins bien sur des adultes. Ils fuient d’ailleurs moins le clown que leur passé. Et si dans le premier chapitre ils devaient déjà se dépasser comme enfant, c’était surtout pour vaincre des peurs irrationnelles et non les affres de la vie adulte. Je ne veux pas dire pour autant que les traumas des enfants n’étaient pas provoqués par le monde réel, mais ils étaient déformés pour jouer sur nos instincts primaires, ce qui rendait leur exploitation par Pennywise encore plus perverse et efficace. Je peux parfaitement compatir au trauma de la jeune Bev Marsh, traumatisée par un père abusif. La voir répéter les mêmes schémas 30 ans plus tard auprès d’un mari abusif ne me touche que beaucoup plus partiellement. C’est injuste, mais cela n’en demeure pas moins vrai.

L’autre élément qui rend le film un peu maladroit est d’avoir voulu créer un triangle amoureux entre Bev, Bill et Ben. Si cela marche avec les frustrations des débuts de l’adolescente, reproduire le même scénario à nouveau 30 ans plus tard nous conduit à penser que les personnages n’ont pas évolué d’un iota. C’est d’ailleurs peut-être l’un des messages du film : aucun de ces personnages n’a pu évoluer car ils sont restés bloqué dans leur passé. Mais si c’est clair pour le personnage de Mike, à tel point qu’il resté sur place et a passé toutes ses années à ressasser les mêmes histoires pour tenter de comprendre ce à quoi il avait affaire, le film nous présente la plupart des autres comme des adultes qui ont tourné la page et qui sont obligés, bien malgré eux, de faire un bond en arrière.

Enfin, le film perd également le grand pouvoir nostalgique d’une Amérique « à papa ». Le premier chapitre fleurait bon l’effet nostalgie, jouant également sur le succès de Stranger Things (qui s’inspirait lui-même largement de King), jusqu’à en reprendre l’un de ses acteurs principaux. L’Amérique moderne, désillusionnée, fait définitivement moins rêver. Et ce second chapitre a également le défait de vouloir trop expliquer et de se lancer dans le décorticage de ce qu’est Pennywise. Or, démystifier réduit bien sûr la portée horrifique du personnage. Difficile de faire autrement si l’on veut conclure la saga et si l’on veut respecter le bouquin de King, je le sais bien, mais il n’empêche que cela tue un peu le côté suspens et jette un voile d’indifférence polie sur le devenir des protagonistes que l’on veut nous faire aimer.

It: Chapter two est donc un film qui ne mérite pas sa mauvaise presse. Il n’est pas raté. Son réalisateur n’a pas fait « n’importe quoi », comme j’ai pu le lire un peu partout sur la toile. Il est resté fidèle à son approche du premier chapitre et a livrer un film techniquement tout aussi maîtrisé, soutenu par des acteurs qui remplissent parfaitement le contrat et marque bien la personnalité de leur personnage malgré leur temps d’écran parfois réduit. Si quelques coupures auraient sans doute aidé à maintenir un rythme plus soutenu et si certains choix de réalisation (notamment les scènes où les personnages sont en proie à des psychotropes amérindiens) sont plus discutables, le film est l’un dans l’autre une réussite formelle. Mais il ne réussit pas la mission sans doute impossible de transcender son matériau de base pour nous embarquer une nouvelle fois dans une véritable « histoire qui fait peur ». Ce qui rend, en définitive, le film assez oubliable. Et c’est bien dommage.

The Gentlemen

De Guy Ritchie, 2020.

Le trublion anglais à la patte si reconnaissable fait un retour aux sources avec un film de gangsters bavard. Après s’être méchamment planté avec son King Arthur: Legend of the Sword (film injustement et bizarrement boudé par tous), qui a failli couler la Warner en 2017 et s’être refait une virginité dans l’écurie Disney avec l’adaptation live d’Aladdin qui a remplis son contrat et dépassé le milliard en salle (devenant ainsi le plus grand succès, et de loin, de la carrière du réalisateur), le brave Guy Ritchie avait sans doute besoin de vacances. De se ressourcer. Et quoi de mieux pour cela que de revenir à ses premières amours ? Filmons des anglais qui bavardent pendant des heures avant de se flinguer à tout va, comme à l’époque dans Snatch ou dans les deux Sherlock Holmes ?

Et oui, comme toujours, Ritchie invite un brave américain pour compléter son cast purement anglais. Cette fois-ci, pas de Brad Pitt ou de Robert Downey Jr. C’est le toujours excellent Matthew McConaughey qui joue les patrons. En résumé, Mickey Pearson (McConaughey) est le boss de l’herbe au Royaume-Unis. Il vieilli et pense à raccrocher, surtout dans la perspective où la Marie-Jeanne pourrait devenir légale sur les terres de sa Majesté dans quelques années. Il commence doucement mais surement à rencontrer quelques intéressés pour la reprise. C’est sans compter sur le fait que les intéressés en question n’ont aucune intention de payer le prix fort et décident de d’essayer de le doubler.

Heureusement pour Pearson et sa petite entreprise, un journaliste véreux (admirablement joué par un Hugh Grant vieillissant mais parfait pour ce rôle de pleutre et vil traitre) décide de prévenir Raymond (le non-moins excellent Charlie Hunnam, qui distribue les répliques qui tuent en costard trois pièces impeccable), le bras-droit de Pearson. Ajouter à ça une bande de jeunes apprentis délinquants coachés par un Colin Farrell en grande forme, un patron de média détestable joué par Eddie Marsan et Michelle Dockery en femme fatale forte et impitoyable et vous avez un cocktail explosif pour faire du Guy Ritchie façon millésime.

Et c’est tout à fait ce qu’est The Gentlemen. Si le réalisateur s’est un peu assagi avec le temps et a réduit certains de ses tics de réalisation au minimum (la caméra fixé aux épaules de l’acteur qui donne l’impression que le monde entier bouge autours de sa tête, les cuts épileptiques, les ralentis exagérés façon John Woo sous stéroïdes pendant les scènes d’action, etc.), The Gentlemen n’en demeure pas moins un film où la patte de Ritchie est présente sur tous les plans. Les personnages bigger than life, leur morale érigée en modèle alors qu’ils sont tous de fieffés criminels, le fait qu’on rigole un plan sur deux alors que l’histoire n’a finalement rien de drôle.

Il faut un certain génie pour nous rendre attachant cette bande de malfrats patentés. Et Ritchie aime ses personnages, c’est évident. La mise en scène les mets tous successivement en valeur, du plus pleutre au plus flamboyant, ils ont tous leur moment de gloire à l’écran. Et c’est véritablement là que Guy Ritchie se démarque de ses homologues habitués au genre de film de gangster : il fait des films centrés sur ses personnages et pas réellement sur l’histoire. Et bon Dieu ! quels personnages ! Je comprends pourquoi les acteurs aiment travailler pour Ritchie ; il leur offre réellement un écrin pour mettre en valeur leur talent. Ou, devrais-je dire, une version totalement exagérée, parfois cartoonesque, de leur talent. Et ça marche.

En un mot, si vous n’êtes pas allergique aux films de gangster, The Gentlemen est simplement parfait dans son genre. La construction aussi implacable qu’efficace de l’intrigue, les scènes d’anthologie et les dialogues mémorables s’enchaînent entre les protagonistes à une vitesse qui ne laisse que peu de temps mort. Si le film n’est pas avare en fusillades, les dialogues ciselés (signés eux-aussi par Ritchie, bien sûr, tout comme le scénar) sont tout autant des passes d’arme mémorable. On ne peut s’empêcher de sourire lorsque Pearson fini par rendre la monnaie de sa pièce à l’instigateur du jeu de dupe au cœur de l’histoire (dont je terrais l’identité pour vous préserver la surprise, évidemment). Bref, un très bon cru pour un Guy Ritchie, loin des dérives peut-être un peu hollywoodiennes qui ont failli lui couter sa carrière que l’on souhaite, du coup, encore longue (à quand un troisième Holmes ?!)