In Search of Darkness

De David A. Weiner, 2019

Un peu plus de quatre heures de frissons intenses ! Frissons de peur et de plaisir. Voilà ce que nous offre David A. Weiner avec son documentaire In Search of Darkness. Né d’un projet comme seul l’ère Internet a su rendre possible, cet essai érudit sur le cinéma d’horreur des années 80 est le résultat d’une campagne de financement participative initialement lancée sur Kickstarter. Financé en deux jours, ce projet d’amoureux du cinéma de genre a récolté 100 K$ sur la plateforme initiale et 250 K$ supplémentaires sur Indiegogo par la suite (cette seconde plateforme servant souvent de relais à des campagnes financées sur la première, afin d’augmenter la cagnotte et offrir donc un peu plus de marge aux créateurs).

Et c’est là qu’on voit qu’une fanbase de geek existe bel et bien sur les plateformes de financement participatif. Et que le geek est effectivement devenu roi au tournant des années 2000. On –car je m’inclus dans la catégorie, bien sûr- est devenu la middle-class qui a les moyens de financer ses passions. Et là où nos parents rêvaient d’un coupé-sport ou d’une villa à la mer, nous sommes plus enclins à financer ce genre de projet qui surfent à fond sur la nostalgie et la culture « alternative« . Enfin, la culture qui était alternative, puisqu’elle est aujourd’hui dominante. Et c’est tant mieux si cela permet à ce genre d’œuvre de voir le jour.

Il est sans doute impossible de citer dans ces critiques l’ensemble des films dont il est question dans In Search of Darkness. Ils y sont sans doute tous (ou, en tous les cas, tous ceux qui nous ont marqué dans notre jeunesse). Le documentaire est intelligemment construit en années et en thématique. Après un chapitre consacré aux films sortis en 1980, on aura donc droit à un chapitre plus court sur l’art du makeup dans les films de monstres, ou encore sur le lien entre sexe et films d’horreur, avant de revenir à un chapitre plus systématique sur les films sortis en 1981. Et ainsi de suite. Et, comme je le disais, l’approche permet de vraiment faire un tour complet du cinéma d’horreur des années 80, en évoquant tant Les Griffes de la Nuit, Vendredi 13 et The Thing que les improbables suites de Psychose, The Blob ou bien sûr Chuky.

La décennie est encore aujourd’hui considérée comme un âge d’or pour le film d’horreur, puisqu’elle s’ouvre en puissance, auréolée du récent succès du premier Halloween, le premier véritable slasher de l’histoire du cinéma. Fort de ce succès, des cinéastes comme John Carpenter, Joe Dante ou encore Sam Raimi vont égrené leurs films de génie tout au long de la décennie pour véritablement construire un « genre », une recette, qui allie le gore, les blagues potaches et une inventivité et une débrouillardise à toute épreuve. La décennie donnera également des perles baroques comme le premier Hellraiser de Clive Barker ou encore La Mouche de Cronenberg, où l’horrible est finalement plus l’homme que le monstre.

David A. Weiner, journaliste spécialisé dans le cinéma depuis des années, signe ici un documentaire classique dans sa forme (les extraits des films cités s’enchaînent avec des interviews de différents acteurs, réalisateurs ou producteurs de l’époque), mais passionnant dans son propos. Il offre, à travers des interviews bien préparées et pensées intelligemment, une vraie trame narrative à son documentaire, où l’on voit progressivement se dessiner l’évolution d’un genre jusqu’à la création de canons qui seront tournés en ridicule dans les années 90 avant de prendre un virage plus sobre et moins gore dans les années 2000 (à l’exception des tortures-porn façon Hostel ou Saw). Et force est de constater, comme Weiner le fait, que les années 80 contiennent parfois en embryon tout ce que deviendra le genre dans les 30 années suivantes, avant malheureusement moins de brio ou d’éclat.

Car au-delà de la fameuse madeleine de Proust, il faut tout de même se demander si la décennie des années 80 n’était pas réellement un âge d’or pour le cinéma américain (j’ai oublié de préciser que Weiner ne s’intéresse qu’au cinéma d’horreur américain dans son reportage, sans ce que cela soit vraiment dérangeant par ailleurs). Au-delà du genre de l’horreur, c’est aussi la décennie des films d’actions qui ont établis les codes du genre, des films de comédie dont les tropes sont encore d’actualité (les buddy movies) ou même des films de SF. Les nouveaux « classiques » sont tous issus de cette décennie qui brisait le classicisme du cinéma des années 50 et 60 et faisaient preuve de beaucoup plus d’audace que les blockbusters des 20 dernières années qui ne sont qu’adaptations de franchise ou suites. Les revivals des classiques de cet époque sont d’ailleurs une valeur sûre pour le box-office actuel et les projets dans cette lignée se multiplient encore.

Il y avait donc quelque chose dans la manière dont les jeunes cinéastes de l’époque envisageaient le cinéma et osaient autre chose. Inspiré par les réalisateurs iconoclastes des années 70 (la bande des barbus : Scorcese, De Palma, Lucas, Spielberg, mais aussi Kubrick, bien sûr), qui ont su casser les codes et faire évoluer le cinéma classique, cette nouvelle génération de cinéaste a carrément laisser tomber les codes pour faire uniquement ce qui les faisait marrer. Les interviews de Carpenter, de Dante ou encore de Larry Cohen démontre cet esprit iconoclaste si besoin est. Et épicurien, dans le genre salle gamin qui ricane dans son coin.

Weiner signe donc, au risque de me répéter, une véritable déclaration d’amour au cinéma, tout simplement, avec In Search of Darkness. Bien sûr, nous avons tous été marqué dans notre jeunesse par ses monstres sanguinolents, par ces mondes bizarres et angoissants que ces artistes nous proposaient (en renvoyant des extrait du Blob dans le reportage, j’ai compris pourquoi le film m’avait traumatisé à l’époque de mes 7-8 ans). Dans le tas, il y a au moins là un film qui vous a filer des cauchemars ou autres phobies inexplicables au regard de vos parents à l’époque (si je dis trois fois Candyman devant le miroir des toilettes au bureau, j’ai un collègue qui s’enfuie encore aujourd’hui en courant à cause de sa peur phobique des hyménoptères en tout genre… :-). Mais ces frayeurs nocturnes n’étaient pas que des facilités destinés à vous faire manger du pop-corn dans des multiplexes. Non, ces films découverts pour la plupart sur VHS étaient pour tout une génération de cinéphiles un vrai premier contact marquant avec le Cinéma. Avec un grand C. Chapeau bas à In Search of Darkness pour nous faire revivre ça, tout en étant fun et intéressant à la fois.

PS: Et la « suite » intitulée In Search of Tomorrow, consacrée quand à elle aux films de SF de la même décennie, vient d’être financée avec succès sur Kickstarter également. J’attends de pied ferme 2021 pour me jeter dessus !

Knives Out

De Rian Johnson, 2019.

Avant d’être universellement détesté par la communauté mondiale des geeks en tout genre pour l’épisode 8 de la saga Star Wars, Rian Johnson fut adulé par la même communauté pour son très malin petit film d’anticipation Looper (2012). Et, dans les deux cas de figure, Johnson a réalisé le film, mais en a aussi signé seul le scénario. Et c’est encore le cas avec Knives Out (sorti sous le nom de A couteaux tirés sous nos latitudes). Inutile donc de dire que les attentes étaient mitigées sur ce qui nous était vendu comme un whodunit à l’ancienne, façon Agatha Christie ou Simenon. Le bande d’annonce et le casting mirent en émoi une partie des cinéphiles qui voyaient d’un bon œil le retour de Rian Jonhson sur un film moins ambitieux où les personnages et l’histoire pouvaient être exploité sans la pression d’un gigantesque studio et d’une franchise où l’erreur (et la créativité ?) n’est pas autorisée sur le dos. L’autre partie des cinéphiles ne lui avait pas pardonné, et ne lui ont toujours pas pardonné d’ailleurs, cet énorme pied-de-nez (certains iraient même jusqu’à dire doigt d’honneur) que fut The Last Jedi.

Personnellement, je me fiche un peu de ces débats d’église. Et si je considère en effet que The Last Jedi est un film bourré de défauts et qu’il n’a fait que confirmer le déclin de la saga Star Wars déjà enclenché avec le précédent opus de J.J. Abrams, cela ne m’empêche pas de lui reconnaître une certaine faconde technique et plus d’ambition scénaristiques que The Force Awakens. Du coup, j’étais curieux de voir ce que pouvait réaliser et raconter son nouveau long métrage, maintenant que la bashing/hate propre à la culture internet était un peu passé au second plan. Et puis, j’aime bien les films de détective.

Car Knives Out est réellement un hommage au genre du policier. Pas le thriller moderne ou au film de flic, mais bien au film de détective, comme au bon vieux temps. Et Knives Out tient presque toutes ses promesses quand on tient cela en compte. Servi par un casting excellent, sur lequel je reviendrais, le film nous narre l’histoire d’une succession qui dérape. Au lendemain de son 85e anniversaire, le romancier à succès Harlan Thrombey, grand spécialiste du roman policier et joué par un excellent Christopher Plummer, toujours bon pied bon œil, est retrouvé mort dans sa mansarde. Un suicide. Un suicide, réellement ? Car il apparaît bien vite que les enfants, beaux-enfants et petits-enfants du romancier ont tous des choses à cacher. Il ne faudra pas longtemps au détective Benoit Blanc pour jeter la lumière sur ces secrets de famille, sans pour autant trouver le coupable de ce qu’il pense être un meurtre.

Et pour Blanc, joué par un Daniel Craig qui s’amuse visiblement à l’écran en exagérant le côté un peu crétin de son personnage à l’accent aussi improbable qu’indéfinissable, seule la brave infirmière personnelle de l’écrivain décédé peut l’aider à démêler ce sac de nœuds, en raison de son incapacité physique à mentir. Cette dernière se met effectivement à vomir dès qu’elle est amenée à travestir la réalité ! Ce qui est évidemment bien pratique pour déceler la vérité dans ce carnaval de mensonges et de mesquineries.

Servi par un casting d’enfer, comme je le disais, Knives out offre des rôles et des performances amusantes à nombre d’acteurs chevronnés. Dans les héritiers potentiels, on ne croise nuls autres que Jamie Lee Curtis, Michael Shanon, Toni Colette ou encore Chris Evans. Et Rian Johnson, comme le genre extrêmement codé dans lequel il opère ici l’exige, de les présenter tour à tour comme des suspects potentiels. Bien sûr, ils sont parfois réduits à des traits de caractères ou à un « rôle » limité (l’emphase étant nécessaire, puisque le film joue aussi sur ce côté mise en abime : il sait que le spectateur sait qu’il regarde un film de détective et s’attend donc à certaines conventions liées au canon du genre). Forcément. L’idée n’est pas ici de signé un drame ou une comédie. Encore moins une étude de personnage. Seule l’infirmière, jouée par Ana de Armas, a réellement droit à un développement de personnage. Et c’est assez normal, puisqu’elle est finalement l’unique héroïne du film (si l’on écarte le Détective Benoît Blanc, lui aussi limité par l’archétype qu’il incarne).

Et, eu égard à tout ceci, il nous reste en fait un bon petit film de détective, de huis-clos à énigme. Le rythme est bon, la directrice artistique excessive et parodique, mais très efficace, le montage moderne et tenant ses promesses. Knives out est donc une partie de Cluedo tournée avec entrain par un Rian Johnson qui fait ce qu’il sait faire de mieux : servir une idée, un genre avec un talent certain pour la mise en scène. Servi par des performances d’acteurs irréprochables (Toni Colette et Daniel Craig sortent réellement du lot), il évite le piège d’un développement trop long ou d’un exposé un peu statique comme on peut les rencontrer trop souvent dans le roman policier. Pourtant il y a malgré tout un bémol, et de taille : le film est finalement trop simple. Bien sûr qu’il y a un twist final pour révéler qui est le coupable. L’ennui c’est qu’en tant que bon spectateur post-moderne que nous sommes, un seul twist ne nous suffit plus. Johnson ayant fait le choix d’un scénario original (contrairement à Kenneth Branagh, par exemple, avec l’excellente adaptation du Crime de l’Orient Express qu’il avait signé il y a quelques années dans un genre très similaire), il n’aurait pas du se restreindre à un retournement de situation finalement aussi simple.

C’est ce point précis qui fait pour moi de Knives out un film qui passe légèrement à côté de son propos et qui en réduit un peu la portée de l’hommage. Je ne me suis nullement ennuyé lors de sa vision. Au contraire, j’ai même ris aux quelques exagérations que Johnson insère çà et là pour rappeler au spectateur qu’il est bien dans un jeu où le propos n’est jamais dramatique. Mais je n’ai pu m’empêcher de conclure l’expérience par un « Ah oui, d’accord, c’est cela le twist. Bon. Ok. Qu’est-ce que j’ai d’autre à rattraper comme film en stock ? » En d’autres termes, même si c’est formellement réussi et agréable à regarder, cela ne marquera en aucun cas l’histoire du cinéma. Ni même du genre. Dommage.

Equilibrium

De Kurt Wimmer, 2002.

Souvent classé dans les très bons films oubliés, Equilibrium a, depuis son four en salle, gagné de nombreux aficionados dans sa carrière DVD/BluRay/On-Demand. Lorsqu’il l’a réalisé, Kurt Wimmer n’était alors qu’un relatif inconnu. Il n’avait dirigé que le très méconnu One Tough Bastard (tout un programme), dont il avait cependant été viré à la moitié de la production. C’était donc un pari assez invraisemblable, début 2000, pour Dimension Film, d’accepter de produire, il est vrai pour un budget relativement modeste (20 millions de dollars), un dystopie SF assez sombre et violente portée par un homme qui n’avait jusque-là pas fait ses preuves (Wimmer réalise, mais c’est également lui l’unique scénariste du film). Comment ce fait-ce (et non cette fesse), me direz-vous ? Et bien tout simplement parce que les studios étaient à la recherche du nouveau Matrix et d’un hold-up sur le box-office similaire à celui que les frères (alors)/sœurs (maintenant) Wachowski avaient réalisés en 1999. Mouais.

De quoi ça parle, en gros ? Eh bien, pour les fans de SF que je vous soupçonne d’être, ce n’est pas bien compliqué. Equilibrium est un hommage très appuyé au THX 1138 de Georges Lucas, lui-même hommage très inspiré du Meilleur des Mondes de Huxley (et de 1984 d’Orwell – ou encore de Nous autres de Zamiatine – et je suis sûr que la dernière référence est plus obscure, hein, hein ? 🙂 ). Bref, une dystopie futuriste classique. John Preston (Christian Bale) est un ecclésiaste du Tetra-Grammaton, un ordre religieux/milice privée du dictateur qui règne sans partage sur cette Terre post-apocalyptique. Depuis la troisième guerre (nucléaire) mondiale, l’humanité a compris que son salut viendrait de la suppression des émotions. Pour ce faire, nous sommes tous obligés de prendre nos doses quotidiennes de Prozium, qui inhibent nos sentiments et nous transforme en gentils zombis inoffensifs. Et les ecclésiastes sont là pour veiller au grain. Surentrainé à l’art du Gun-Kata, une forme d’art martial où le combattant virevolte avec une économie de mouvements pour éviter les trajectoires des ripostes, ce sont de véritables machines à tuer.

Et tout va bien jusqu’à ce que le partenaire de Preston (joué par un Sean Bean qui meurt évidemment au bout de quelques minutes, puisque Sean Bean meurt toujours dans les films !), qui a décidé d’arrêter de prendre ses médocs, sème le doute dans l’esprit de son coéquipier alors que celui-ci l’abat de sang-froid. S’en suit l’histoire classique de la prise de conscience et de la rébellion contre le système en place, trame extrêmement classique pour tout amateur de SF un peu éveillé.

Du coup, son statut de film « culte« , de classique ignoré, m’échappe un peu… Ok le film est relativement maitrisé. Wimmer, malgré des moyens limités, parvient à reconstruire un monde de demain froid et monochrome qui tient la route. L’esthétisme est bien maîtrisé, tout comme les costumes des différents protagonistes, à mi-chemin entre THX1138 et Matrix (pour le côté cuir). Les performances d’acteurs sont remarquables. Bale, comme a son habitude, développe un charisme incroyable malgré l’extrême froideur de son personnage. Les seconds rôles jouent également très juste : Taye Diggs joue un ecclésiaste souriant, ce qui le rend encore plus inquiétant que Preston/Bale; Emily Watson, en victime sacrificielle, est parfaite pour le rôle ; Angus Macfadyen campe un dictateur tout à fait crédible et William Fichtner promène sa tête de chien battu avec brio. Rien à redire niveau casting, donc.

Le film accuse un peu son âge côté technique, avec de incrustations qui ont mal vieillies (notamment et bizarrement dans les transitions entre décors réels et mate paintings). De même, les scènes de fusillade, qui furent visiblement appréciées à la sortie du film pour « leur chorégraphie audacieuse » frisent le ridicule aujourd’hui. Le film est quand même sorti trois ans après Matrix et il n’y a clairement pas photo entre les deux. Dans le montage, le film ose de belles choses, avec quelques montages qui accélèrent intelligemment des parties d’exposition plus longue et certainement inutiles. Cela permet de garder un rythme dans le film et de ce centrer sur son esthétisme et sur son histoire.

Et c’est là que les romains s’empoignèrent. Je n’ai rien contre une histoire balisée, de temps à autre, mais je ne saisis pas en quoi le scénar vaut vraiment le coup. Les développements scénaristiques sont tellement clichés pour l’amateur de SF lambda que l’on n’est littéralement jamais surpris. Equilibrium ne fait d’ailleurs pas l’épargne de quelques facilités qui me laisse perplexe : le passage où Preston sauve un chiot des mains de ses anciens collègues, par exemple, me semble verser dans le pathos facile de manière tellement éhontée que je me demande bien quel scénariste oserait encore faire ce genre de scène dans un film respectable… Les rebondissements n’en sont donc pas et le film avance gentiment vers une fin attendue et convenue.

Comprenez-moi : Equilibrium n’est pas un mauvais film. Loin de là. On sent que Wimmer y a mis ses tripes, parfois naïvement, et qu’il a essayé de faire du mieux qu’il pouvait dans les limites de son budget. En soit, c’est déjà remarquable. Mais son statut de « classique ignoré » me semble totalement usurpé. Son histoire est tellement convenue (nettement plus que celle de son modèle, THX 1138, au passage) qu’on peut au plus le considérer comme une série B très classe et particulièrement bien servie par des acteurs talentueux. Mais pas au-delà de ça. D’où mon incompréhension et mon jugement peut-être un peu sévère.

Big Trouble in Little China

De John Carpenter, 1986.

Il est des films culte à côté desquels on passe pour des raisons qui nous échappent. Big Trouble in Little China était, pour moi, de ceux-là. John Carpenter est pourtant le genre de cinéaste dont la filmographie laisse peu de place au doute : bien qu’inégale, elle compte au moins deux films de genre devenus des classiques, donnant à l’horreur une étiquette de respectabilité cinématographique. Qui, en effet, peut encore aujourd’hui dénigrer ou nier l’influence d’Halloween (1978), premier du nom, ou du remake de The Thing qu’il signa en 1982 ? Il est et restera l’un des grands noms du cinéma de genre des années 80, avant de disparaitre des radars au fil des années 90.

Et Big Trouble in Little China est sans doute son dernier grand film, époque Kurt Russell. L’acteur, qui avait déjà incarné les rôles principaux dans The Thing et dans New York 1997 (sorti en 1981), trouve ici un personnage qui lui va comme un gant. L’interminable titre français de Big Trouble in Little China, Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin, ne s’y trompe pas : c’est un film sur Jack Burton. Le type en question est un conducteur de camion un poil redneck qui vient livrer des surgeler à Chinatown, en plein cœur de Manhattan. À la suite d’un concours de circonstances un peu idiot, il se retrouve à accompagner son ami Wang Chi (joué par le méconnu Dennis Dun) à l’aéroport pour y récupérer sa fiancée. Pas de bol, cette dernière, une chinoise aux yeux verts, cas visiblement extrêmement rare, est enlevée pour être apporté au patron local de Triade. Ce dernier, cependant, se révèle bien vite être plus qu’un simple criminel : c’est un ancien magicien immortel qui a besoin de « consommer » des jeunes femmes aux yeux verts pour assurer la continuité du pacte qui le lie avec les forces obscures.

Mais Jack Burton ne va pas se laisser faire. Même s’il n’y capte pas grand-chose à toute cette histoire de magie et d’immortel, il ne va pas laisser son pote dans la mouise. Il sort son gros camion, ses santiags, ses poings et ça va bastonner sec dans les ruelles de Chinatown ! Vous l’aurez saisi, Big Trouble in Little China est un petit plaisir totalement régressif. Echec commercial retentissant à sa sortie en salle, le film est devenu culte à l’époque bénie des VHS. C’était la comédie d’action un peu grasse qu’il fallait avoir vu. Surfant maladroitement sur la vague des films d’aventure lancée par Indiana Jones (je dis bien maladroitement, car si j’aime bien Carpenter, ce n’est quand même pas Spielberg non plus, hein ! ni dans l’intention, ni dans le résultat) et sur le succès alors encore récent des films d’art-martiaux qui commençaient à franchir le pacifique, Carpenter s’est lancé dans cette blague de potaches avec tout son cœur et toute son inventivité visuelle.

Car on ne s’ennuie pas, en regardant le film. Cela va même tellement vite qu’une partie des scènes d’exposition, nécessaires à l’intrigue, sont rushées en quelques minutes à peine pour laisser plus de place aux bagarres et aux effets spéciaux. Difficile de juger si c’était bien l’intention du réalisateur ou si c’est le résultat d’un compromis avec les producteurs, mais ce qui est sûr, c’est que cela ne laisse que peu de temps pour respirer au spectateur. Le film enchaîne donc les moments de bravoure et les effets spéciaux très années 80. On se croirait, par moment, dans un Goonies pour grands ados, avec des scènes qui appartiennent clairement au genre du fantastique dans un film qui se passe pourtant en plein Manhattan. Les effets spéciaux ont bien sûr vieilli, mais on y retrouve la patte très caractéristique de Carpenter et de toute une série de films d’horreur à moitié désargenté des années 80. Ce qu’ils manquaient en budget, ils l’ont compensé par un véritable artisanat du maquillage et de l’animatronique.

Pour le reste, le film, bien que très divertissant, est quand même franchement bancal. A force d’hésiter entre la fable fantastique et le film de kung-fu, il échoue finalement sur les deux tableaux. Et Kurt Russell, qui s’en donne à cœur joie dans l’ensemble de sa prestation, joue quand même un gros abruti. Ok, Indiana Jones peut être un gros lourdaud quand il le veut (sexiste, hautain, colérique, etc.), mais il n’est jamais ridicule. Jack Burton, lui, est pour finir un gros débile qui s’en sort plus à l’esbroufe qu’en raison de quelconques compétences.

Pourtant, le personnage comme le film en entier son éminemment sympathiques. On y croise les seconds rôles asiatiques qui ont fait le bonheur des comédies d’action US des années 80 : James Hong (trop de films pour les citer) ou encore Victor Wong (L’Année du Dragon, L’Enfant Sacré du Tibet, Tremors, etc.) On y revit également une certaine insouciance, dénuée de cynisme, qui nous emmenait avec plaisir dans des univers et des histories improbables lorsque nous étions encore capables d’apprécier le premier degré. Oui, Big Trouble in Little China n’est pas bien malin. Oui, il a plein de défaut, au premier rang desquels son protagoniste principal tête à claque. Mais c’est aussi une comédie d’aventure et d’action foutrement efficace. Du pur entertainment « à papa« . A consommer sans modération, avec chips et coca (et si possible, potes de la même génération avec lesquels vous pourrez continuer à la soirée en évoquant vos souvenirs de Bloodsport, L’Enfant Sacré du Tibet, Le Diamant du Nil, etc.) Une belle tranche de nostalgie, même si, comme moi, on le découvre sur le tard.

Godzilla: King of the Monsters

De Michael Dougherty, 2019.

Troisième opus du MonsterVerse (après Godzilla en 2014 et Kong: Skull Island en 2017), cette nouvelle plongée US dans l’univers pourtant très japonais du kaiju eiga, le bien nommé Godzilla: King of the Monsters ne fait pas réellement dans la subtilité. On se retrouve quelques années après les évènements du Godzilla de 2014, dans le monde « d’après » la découverte des monstres géants. L’organisation Monarch, qui veille sur le gentil lézard, continue ses activités mystérieuses sous le regard assez suspicieux de divers gouvernements. Et on comprend que Godzilla n’est pas la seule grosse bêbête qu’ils surveillent. On se retrouve donc avec une gentille doctoresse (jouée par la toujours talentueuse Vera Farmiga) qui réveille la larve de Mothra avec une espèce de synthétiseur à émotions de monstres. Elle est accompagnée pour se faire par Eleven, heu… je veux dire par sa fille jouée par Millie Bobby Brown.

Malheureusement pour elles, quand elles arrivent à calmer une Mothra inquiète arrive tout d’un coup un groupe de paramilitaires/terroristes écologiques menés par Charles Dance. Ils embarquent tout ce petit monde (y compris le synthétiseur qui peut réveiller à distance tous les autres grands monstres qui vivent sous nos pieds à différents endroits du globe). Et à l’ex-mari, joué par le monolithique Kyle Chandler, d’endosser les vêtements du héros torturé en quête de rédemption qui retrouvera ses collègues de Monarch (y compris un Ken Watanabe que j’ai trouvé très fatigué) pour contrer les ambitions des Lannister… heu, de Charles Dance et sa bande de gais lurons. Car le brave homme a eu la mauvaise idée, dans son plan machiavélique, de commencer par réveiller King Ghidorah qui, comme chacun le sait, est l’ultime parangon de notre bienveillant lézard atomique.

Alors oui, le résumé est un tantinet moqueur. Mais il faut dire que le film ne brille pas par un scénario particulièrement brillant. Les scènes s’enchaînent de manière assez mécanique et convenue pour bien assoir le spectateur dans le rythme doux et ronronnant des blockbusters aseptisés qui ne prennent aucun risque. Les personnages sont tellement clichés qu’il est difficile de trouver quelque chose de réellement pertinent à dire sur eux. Les motivations du méchant passent du convenu au ridicule quand il se rend compte que son plan initial foire. Les rebondissements se voient venir à des kilomètres et certains personnages ne sont là que pour donner du temps d’écran au casting (Millie Bobby Brown, en particulier, que je trouve pourtant juste et parfois touchante dans Stranger Things, a le charisme d’un pot de fleur et l’utilité de radiateur en plein été dans le film).

Reste, bien sûr, les gros monstres. Et c’est ce qui rattrape au moins partiellement le film. Mon cœur de petit garçon ne peut s’empêcher de faire « ouaah » quand Godzilla se marave la gleu avec King Ghidorah sur grand écran. C’est spectaculaire, c’est efficace et c’est réellement la définition du plaisir coupable. Coupable car les scènes de baston, la clé du film, ne sont pourtant pas tellement centrales. Pas de chance pour nous, la pléiade de scénaristes et le réalisateur Michael Dougherty (surtout connu comme scénariste de superhéros) ont cru bon de s’attarder sur les humains. Grossière erreur. Du coup, Godzilla, qui est pourtant la star du film, passe finalement fort au second plan. Ses intervention (à l’exception sans doute de la bataille finale) sont parfois un peu poussives et n’ont pas le souffle épique que Gareth Edward, il faut bien l’admettre, avait réussi à insuffler dans le premier opus de 2014.

Bon, les effets spéciaux sont évidemment très corrects et la réalisation est professionnelle et léchée. La chorégraphie de certains combats est un peu brouillonne, mais dans l’ensemble, le côté visuel du film se tient. C’est d’autant plus dommage qu’ils n’ont pas pris un ou deux mois de plus pour une énième réécriture qui aurait donné un peu de personnalité à ce film. A titre de comparaison, Kong: Skull Island, avec son côté frondeur et irrespectueux de certaines conventions, était à mes yeux beaucoup plus réussi. Espérons du coup que ce Godzilla: King of the Monsters n’est qu’un faux pas dans une saga de série B friquée qui tenait plutôt la barre jusque-là. On verra bien dans le quatrième film, subtilement intitulé Kong VS Godzilla et qui devait sortir cette année (mais le Covid19 est passé par là), si la franchise repart d’un meilleur pied après un épisode très anecdotique.