De Chad Stahelski, 2019.
Keanu Reeves est un acteur étrange. Il n’a pas forcément le physique d’un action star, mais on constate à sa filmographie qu’Hollywood l’a toujours considéré comme tel. Et la série des John Wick, débutée par le succès surprise de 2014 et sa suite de 2017, en est le parfait exemple. Mieux, même : à l’instar de la série des Jason Bourne, initiée par Doug Liman et poursuivie par Paul Greengrass au début des année 2000, qui avait donné le la pour une série de films d’action nerveux à la violence réaliste, la série de John Wick et son réalisateur, Chad Stahelski, crée un nouvel étalon du film d’action bourrin des années 2010/2020.
Il y a quelque chose de baroque dans la manière dont Stahelski filme le monde de ses assassins super-classes : le choix des couleurs, des décors parfois monochromatiques, des ambiances très particulières et facilement identifiables qui segmentent le film en parties distinctes, sont des artifices de réalisation qui donnent réellement un cachet particulier à la saga. Et je trouve que ce troisième épisode pousse ces curseurs encore plus loin. Le New-York filmé par Stahelski est aussi fictionnel et imaginaire que le Casablanca qu’on nous présente aussi dans le film. Allant souvent au Maroc pour des raisons professionnelles depuis des années, je n’ai pu m’empêcher de rire jaune quand le brave Wick débarque sur côte méditerranéenne, côté Sud. Le Casablanca qu’on y découvre semble figé quelque part au XIXème siècle, sous une forme de vision romantique de l’Orient mystérieux (alors que la réelle Casablanca est tout sauf mystérieuse…) Et j’avoue que ça m’a un peu ennuyé dans le film.
Jusqu’au moment où je me suis rendu compte que le New York qu’il film n’existe pas non plus. John Wick, c’est de la fantasy urbaine, en fait, avec ses castes et ses règles dignes d’un JDR grandeur nature. D’ailleurs, Wick ne fait que poursuivre dans ce troisième opus la quête qu’il a débuté dans le premier opus et poursuivie, bien malgré lui, dans le deuxième chapitre. Notre héros a franchi la ligne : dans le deuxième chapitre, il finissait par tuer un homme en terrain neutre (le Continental de NY). Et, pour cette raison, il était excommunié et devenait la proie de tout le NY interlope, des assassins en tout genre, de tout venant au maître ninja (on y revient). John Wick n’a donc pas beaucoup de choix : il doit dézinguer tout ce qui passe et tenter d’obtenir un sauf-conduit auprès de PNJ providentiel pour quémander la clémence du grand patron, le chef de la Table Haute, qui supervise tout ce petit monde d’assassins en goguette en leur imposant un code de conduite et des règles inspirées, il est vrai, de l’Église chrétienne (détail amusant quand on se rend compte que le chef de la Table Haute est un bédouin de l’Atlas marocain ostensiblement musulman).
Et pour arriver là, Wick devra se battre. Beaucoup. À coup de pied, de main, de hachette, de hache, de poignard, de sabre et d’un nombre incalculable d’armes à feux diverses et variées. Toujours avec la même froideur, toujours avec la même efficacité. Et John Wick est résilient : il en ramasse pas mal sur la tronche, mais il se relève toujours, car il a la haine. Mieux vaut ne pas se mettre sur son chemin.
Bien sûr que le film marche ! Bien sûr que j’ai passé deux bonnes petites heures à être soufflé par la chorégraphie des combats, par la maitrise de la réalisation (la photo est particulièrement remarquable). Keanu s’en donne à cœur joie dans l’absence d’expression faciale (sa marque de fabrique ; le succès de sa carrière). Et les seconds rôles prennent leur pied aussi en état totalement over-the-top : Ian McShane est magistral, Laurence Fishburne joussif, Lance Reddick (le concierge du Continental) parfait pour le rôle. Dans les nouveaux venus, on adore détester Asia Kate Dillon dans le rôle de l’Adjudicatrice, la juge expéditive de la Table Haute. Jerome Flynn, enfin débarrassé de son rôle dans GoT, donne sa pleine mesure dans un rôle de salaud grandiloquent. Même Angelica Huston en matrone de la mafia biélorusse fait plus que le taf !
J’ai juste quelques doutes sur Halle Berry comme double féminin à Wick. Si je n’ai rien à dire sur la choré de ses combats et sur l’usage de ses deux clebs (chapeau au dresseur !), y’a quelque chose qui ne marche pas à la voir endosser ce costume. Même chose pour Saïd Taghmaoui dans le rôle du patron de la Table Haute. Bon, dans ce dernier cas, m’est avis que c’est fait exprès : je doute qu’il soit réellement le dernier Big Boss de la saga. Il me semble plus crédible de l’imaginer comme un énième homme de paille derrière celui ou celle qui tirera définitivement les ficelles. Reste pour moi à parler de Mark Dacascos. Le Crying Freeman de mon adolescence a pris un sacré coup de vieux, mais il assure toujours question combat. Le concept d’en avoir fait un personnage « comique » (pour autant que cela soit possible dans une saga comme celle-ci) était osé et fonctionne finalement assez bien, en frôlant parfois le too much d’un peu trop près.
C’est d’ailleurs mon avis global sur le film, avec lequel je vais conclure cette chronique. On ne regarde pas un John Wick pour sortir plus intelligent de sa séance de cinéma. C’est un actionner bourrin façon années 80 avec cependant beaucoup plus de classe de maîtrise dans la forme que 99% de la production du genre. C’est beau (oui, oui, beau) et efficace. Mais ce troisième chapitre s’approche très souvent de l’excès. A force de vouloir en mettre beaucoup (de combat, de couleurs improbables, de règles bizarres, de décors torturés), on risque d’en mettre trop. L’overdose du genre n’est pas loin. Espérons que le quatrième (et dernier ?) chapitre saura se recentrer sur l’essentiel et éviter le délire stylistique.