John Wick: Chapter 3 – Parabellum

De Chad Stahelski, 2019.

Keanu Reeves est un acteur étrange. Il n’a pas forcément le physique d’un action star, mais on constate à sa filmographie qu’Hollywood l’a toujours considéré comme tel. Et la série des John Wick, débutée par le succès surprise de 2014 et sa suite de 2017, en est le parfait exemple. Mieux, même : à l’instar de la série des Jason Bourne, initiée par Doug Liman et poursuivie par Paul Greengrass au début des année 2000, qui avait donné le la pour une série de films d’action nerveux à la violence réaliste, la série de John Wick et son réalisateur, Chad Stahelski, crée un nouvel étalon du film d’action bourrin des années 2010/2020.

Il y a quelque chose de baroque dans la manière dont Stahelski filme le monde de ses assassins super-classes : le choix des couleurs, des décors parfois monochromatiques, des ambiances très particulières et facilement identifiables qui segmentent le film en parties distinctes, sont des artifices de réalisation qui donnent réellement un cachet particulier à la saga. Et je trouve que ce troisième épisode pousse ces curseurs encore plus loin. Le New-York filmé par Stahelski est aussi fictionnel et imaginaire que le Casablanca qu’on nous présente aussi dans le film. Allant souvent au Maroc pour des raisons professionnelles depuis des années, je n’ai pu m’empêcher de rire jaune quand le brave Wick débarque sur côte méditerranéenne, côté Sud. Le Casablanca qu’on y découvre semble figé quelque part au XIXème siècle, sous une forme de vision romantique de l’Orient mystérieux (alors que la réelle Casablanca est tout sauf mystérieuse…) Et j’avoue que ça m’a un peu ennuyé dans le film.

Jusqu’au moment où je me suis rendu compte que le New York qu’il film n’existe pas non plus. John Wick, c’est de la fantasy urbaine, en fait, avec ses castes et ses règles dignes d’un JDR grandeur nature. D’ailleurs, Wick ne fait que poursuivre dans ce troisième opus la quête qu’il a débuté dans le premier opus et poursuivie, bien malgré lui, dans le deuxième chapitre. Notre héros a franchi la ligne : dans le deuxième chapitre, il finissait par tuer un homme en terrain neutre (le Continental de NY). Et, pour cette raison, il était excommunié et devenait la proie de tout le NY interlope, des assassins en tout genre, de tout venant au maître ninja (on y revient). John Wick n’a donc pas beaucoup de choix : il doit dézinguer tout ce qui passe et tenter d’obtenir un sauf-conduit auprès de PNJ providentiel pour quémander la clémence du grand patron, le chef de la Table Haute, qui supervise tout ce petit monde d’assassins en goguette en leur imposant un code de conduite et des règles inspirées, il est vrai, de l’Église chrétienne (détail amusant quand on se rend compte que le chef de la Table Haute est un bédouin de l’Atlas marocain ostensiblement musulman).

Et pour arriver là, Wick devra se battre. Beaucoup. À coup de pied, de main, de hachette, de hache, de poignard, de sabre et d’un nombre incalculable d’armes à feux diverses et variées. Toujours avec la même froideur, toujours avec la même efficacité. Et John Wick est résilient : il en ramasse pas mal sur la tronche, mais il se relève toujours, car il a la haine. Mieux vaut ne pas se mettre sur son chemin.

Bien sûr que le film marche ! Bien sûr que j’ai passé deux bonnes petites heures à être soufflé par la chorégraphie des combats, par la maitrise de la réalisation (la photo est particulièrement remarquable). Keanu s’en donne à cœur joie dans l’absence d’expression faciale (sa marque de fabrique ; le succès de sa carrière). Et les seconds rôles prennent leur pied aussi en état totalement over-the-top : Ian McShane est magistral, Laurence Fishburne joussif, Lance Reddick (le concierge du Continental) parfait pour le rôle. Dans les nouveaux venus, on adore détester Asia Kate Dillon dans le rôle de l’Adjudicatrice, la juge expéditive de la Table Haute. Jerome Flynn, enfin débarrassé de son rôle dans GoT, donne sa pleine mesure dans un rôle de salaud grandiloquent. Même Angelica Huston en matrone de la mafia biélorusse fait plus que le taf !

J’ai juste quelques doutes sur Halle Berry comme double féminin à Wick. Si je n’ai rien à dire sur la choré de ses combats et sur l’usage de ses deux clebs (chapeau au dresseur !), y’a quelque chose qui ne marche pas à la voir endosser ce costume. Même chose pour Saïd Taghmaoui dans le rôle du patron de la Table Haute. Bon, dans ce dernier cas, m’est avis que c’est fait exprès : je doute qu’il soit réellement le dernier Big Boss de la saga. Il me semble plus crédible de l’imaginer comme un énième homme de paille derrière celui ou celle qui tirera définitivement les ficelles. Reste pour moi à parler de Mark Dacascos. Le Crying Freeman de mon adolescence a pris un sacré coup de vieux, mais il assure toujours question combat. Le concept d’en avoir fait un personnage « comique » (pour autant que cela soit possible dans une saga comme celle-ci) était osé et fonctionne finalement assez bien, en frôlant parfois le too much d’un peu trop près.

C’est d’ailleurs mon avis global sur le film, avec lequel je vais conclure cette chronique. On ne regarde pas un John Wick pour sortir plus intelligent de sa séance de cinéma. C’est un actionner bourrin façon années 80 avec cependant beaucoup plus de classe de maîtrise dans la forme que 99% de la production du genre. C’est beau (oui, oui, beau) et efficace. Mais ce troisième chapitre s’approche très souvent de l’excès. A force de vouloir en mettre beaucoup (de combat, de couleurs improbables, de règles bizarres, de décors torturés), on risque d’en mettre trop. L’overdose du genre n’est pas loin. Espérons que le quatrième (et dernier ?) chapitre saura se recentrer sur l’essentiel et éviter le délire stylistique.

Underwater

De William Eubank, 2019.

« In the abyss, no one hear your scream. » Voilà comment pourrait être résumé Underwater, un film de monstres sous-marins sorti fin 2019 dans un anonymat plus ou moins général. La campagne de publicité autours du film fut fort discrète, sans doute car Disney, nouveau propriétaire des studios de la 20th Century Fox, ne savait pas trop quoi faire avec ce film de genre. Du coup, il est resté dans les caves du distributeur pendant de très longs mois (le tournage ayant eu lieu début 2017, soit près de 3 ans plus tôt !). Et sa sortie n’a été que fort peu médiatisée, laissant ça et là apparaître un trailer ou l’autre, une affiche mettant en avant la nouvelle coupe de Kristen Stewart plutôt que l’objet réel du film. Résultat : catastrophe au box-office. Et catastrophe dans la réception critique qui, en résumé, y voit un enfant illégitime et mal aboutit d’Alien et d’Abyss.

Bien sûr, on ne peut pas leur donner tort quant aux origines très référencées du long métrage. Underwater est effectivement un Alien subaquatique, à n’en pas douter. Il capitalise sur une riche histoire de films sous-marins catastrophe où le rôle du monstre est la plupart du temps joué par un gros requin (The Meg, Deep Blue Sea, etc.). L’histoire n’est pas originale pour un sou, bien sûr : on y suit une héroïne (dont le nom m’échappe), qui vit dans une station de pompage d’hydrocarbure au fond de la fosse des Mariannes, le lieu sous-marin le plus profond de la planète. Au-delà de l’absurde de la situation (même en cas de station de pompage sous-marine, il est évident que ce sont des robots qui descendent et entretiennent le matériel pendant que les humains restent bien tranquillement en surface – il est plus simple de construire une base lunaire qu’une base à 15.000 mètres sous l’eau, où la pression est autrement plus mortelle que le vide spatial, bizarrement). On la découvre occuper à se brosser les dents quand la station autours d’elle commence à grincer bizarrement.

Et, quelques minutes après, les diverses parties de la station sous-marine commencent à imploser sous la pression extérieure, lançant l’héroïne et quelques courageux survivants à l’explosion initiale dans une course contre la montre pour atteindre un site B où des capsules de sauvetage leur permettraient de rejoindre la surface sans encombre en respectant les paliers de décompressions. C’est sans compter sur le fait que, là où l’on pense dans un premier temps que des tremblements de terre sous-marins sont responsable de l’accident initial, on voit en fait apparaître subrepticement à l’écran ce qui semble être des créatures marines humanoïdes qui ne nourrissent pas que des sentiments honorables à l’encontre des braves ouvriers/mineurs de grand fond.

S’en suit une heure trente de courses poursuites, de plans sombres et tremblotants filmés caméra à l’épaule où l’on distingue à peine la menace. Le développement des personnages tient sur un timbre-poste, mais on s’en fiche puisque ce n’est absolument pas le propos du film. Reprocher l’unidimensionnalité des protagonistes à Underwater reviendrait à se demander pourquoi les personnages secondaires de Cliffhanger n’ont pas un background psychologique ultra développé. Car Underwater, malgré ses gros moyens, n’est finalement qu’un superbe film de genre ; une série B pleine de moyen.

Et quand on le prend comme ça, c’est une véritable réussite ! N’en déplaise aux critiques (professionnels et non-professionnels) qui semblent s’acharner sur ce film, William Eubank réalise ici un film très maîtrisé où la tension ne fait qu’aller crescendo. Si les mécanismes sont parfois éculés et que certains « jump scare » se sentent venir de loin, ils n’en demeurent pas moins efficace. Peut-être suis-je trop bon public pour ce genre de film, mais je l’ai réellement trouvé agréable à l’œil et finalement très divertissant. On n’apprend rien, c’est juste. Cela ne révolutionne pas le genre, en effet. Mais je préfère 1 Underwater à 100 The Iron Mask. Pour un budget équivalent, Eugan crée un station sous-marine glauque et angoissante et parvient à mettre sur pied une petite équipe de survivants qui, comme de coutume, tomberont les uns derrières les autres aux mains du monstre de service. Et lorsque l’on se rend compte [SPOILER] que le monstre en question est fortement inspiré du brave Cthulhu (belle représentation d’un kaiju, sans doute l’une des meilleures depuis Pacific Rim et depuis le récent reboot américain de Godzilla), cela ne peut faire que plaisir au fanboy que je suis ! [/SPOILER]

Bref, et pour ne pas s’étendre davantage, je dirais qu’Underwater mérite réellement d’être redécouvert dans une soirée pop-corn. Ce n’est pas du cinéma intelligent, mais au moins est-ce un bel hommage au genre, contrairement à Rampage, par exemple, qui a nettement mieux marché que lui sur des prémices pourtant similaires. Même Vincent Cassel, qui retrouve ici les caméras US, s’en sort plutôt bien dans son rôle de commandant désabusé. Non, définitivement, Undewater est une bonne surprise, surtout quand on considère la campagne de bouche à oreille désastreuse qui l’accompagne. Ne boudez pas votre plaisir : c’est régressif, mais ça fait du bien !

The Iron Mask

D’Oleg Stepchenko, 2019.

Également connu sous le nom de :
* Journey to China: The Mystery of Iron Mask
* Viy 2: Journey to China
* The Mystery of the Dragon Seal
* (et probablement un tas d’autres noms en chinois et en russe !)

Comme beaucoup de gens, ma réaction à la vision du trailer de ce film, il y a quelques mois de cela, était bien sûr : WTF ? Ça sentait bon la série B, voire la série Z. Voire ZZZ. Et c’est exactement ça. The Iron Mask, qui est donc la suite du très méconnu La Légende Viy (du même Oleg Stepchenko, en 2014), est un blockbuster sino-russe. On assiste depuis quelques à cette montée en puissance des industries cinématographiques régionales qui tentent de faire du Hollywood avec une couleur locale. Certains pays avaient déjà une longue tradition de cinéma de divertissement (la Chine, l’Inde, etc.), d’autres s’inventent cette ambition nouvelle, comme la Russie. Oleg Stepchenko en est l’un des fers de lance, côté russe. C’est la raison pour laquelle, en 2014, il a adapté une courte nouvelle fantastique de Gogol qui nous conte les aventures d’un cartographe anglais et de ses voyages dans les Carpates au début du XVIIIeme. Et pour en faire une production internationale, Stepchenko avait pris une star internationale (relative) pour jouer le rôle principal : Jason Flemyng (qui jouait le bon docteur Jekyll et son pendant maléfique dans La Ligue des Gentlemen extraordinaires – autre adaptation très tirée par les cheveux et malaimée par à peu près tout le monde) se trouvait donc au sein d’un casting russo-ukrainien qui connut un succès surprise dans son pays d’origine.

Et uniquement dans son pays d’origine. Mais ça a suffi à donner des ailes aux ambitions du réalisateurs qui se mis à plancher sur une suite. Et c’est ce qui donna The Iron Mask, sorti en 2019 dans les pays qui le diffusèrent au cinéma (directement en VOD ou DVD/Bluray dans nos contrées). Comme les ambitions de Stepchenko était de dépasser les frontières russes et de démontrer qu’il pouvait signer un blockbuster ambitieux et international, il a choisi de chercher des financements en-dehors de la mère patrie. Et quelle meilleure idée que de s’associer avec ses voisins chinois et d’attirer davantage de stars internationales au casting ? Du coup, ce qui était une série B russo-russe retint l’attention de la planète cinéma dans son second opus en castant nuls autres qu’Arnold Schwarzenegger et Jackie Chan eux-mêmes ! Et même Rutger Hauer dans un de ces derniers rôles.

Mais… une production sino-russe, même avec pas moins de dix boîtes de production différentes (j’ai rarement vu un pré-générique aussi long avec les dix logos successifs !), n’est pas une production hollywoodienne. Loin s’en faut. Le film s’ouvre donc sur une bouillie digitale immonde, digne d’un jeu Playstation des années 90 – j’exagère à peine, qui est censée nous résumer la légende d’un dragon qui est à l’origine de la culture du thé (si-si, je vous assure). Mais des méchants sorciers ont usurpé le rôle du maître du dragon (Jackie Chan, bien sûr) pour récupérer les fruits de ce commerce fructueux à leur compte, au détriment du bien-être de ce gentil dragon. Puis, on voit un Londres digital tout aussi moche et on découvre que le maître en question est enfermé sous les combles de la Tour de Londres, dans le même cachot que le Masque de Fer. Ce-dernier est en fait, contrairement à ce que l’on imagine, nul autre que le Tsar légitime de toutes les Russies qui a été, à la suite d’un complot dans son pays d’origine, éjecté lui-aussi vers Londres. Comme quoi, le hasard fait bien les choses. Puis, rushé en vingt très courtes minutes, on nous résume le premier film, on introduit le brave cartographe qui fait le lien entre tous ces personnages et toutes ces intrigues et on assiste aussi à un combat d’anthologie entre Jackie Chan et Arnie (qui joue ici le gardien en chef de la Tour de Londres, qui se fight régulièrement avec les prisonniers pour le sport).

Je vous épargne la logique et les incohérences scénaristiques (ou l’invraisemblance de l’ensemble ? je ne sais pas trop comment l’exprimer). Quoi qu’il en soit, passé cette première demi-heure, on tombe dans un film fantastique chinois plus classique où on a une population locale qui lutte contre l’usurpateur (la méchante sorcière qui exploite le dragon du thé, vous suivez ?), avec un casting chinois qui joue en fait les premiers rôles, suppléés par quelques cosaques en voyage et le pauvre Jason Flemyng qui semble un peu paumé dans tout ça. Et l’ensemble de se diriger lentement vers une résolution très classique et méchamment téléphonée.

Bref, vous l’aurez compris, The Iron Mask est un mauvais film. Voir un très mauvais film. C’est mal réalisé, les SFX ne valent absolument rien, le rythme est problématique, le scénario est indigent et la direction d’acteur est lamentable. Il y a quelques moments qu’on peut sauver dans l’ensemble : Schwarzie est en roue libre et trouve l’ensemble très marrant. Du coup, on rigole bien à le voir faire n’importe quoi à l’écran. Le duel avec Jackie Chan dans la Tour de Londres est aussi très bien réussi et très bien chorégraphié. Mais la raison est toute simple : c’est le staff proche de Jackie Chan qui a pris la main sur ces scènes et j’imagine que le brave Oleg Stepchenko s’est assis dans un coin et a laissé faire « ceux qui savent » (et qui ont déjà chorégraphié à peu près 500 scènes de bataille dans la filmographie kilométrique de papy Chan).

Tout le reste démontre une seule chose : il faut avoir les moyens de ses ambitions. Les 50 millions de dollars du budget sont partis essentiellement dans les poches de Shwarzie et de Chan qui trustent l’ensemble de la promo (alors que leur temps d’écran est quand même vachement limité). Les miettes ont été mises sur ce qui aurait dû être l’essentiel : ce que ça raconte et comment on peut le montrer à l’écran. Le film a d’ailleurs fait un four total au box-office, même en Russie. Ce qui est assez logique, puisqu’en déplaçant l’action en Chine, il perd justement son côté régional/national/nationaliste (oui, le raccourci est un peu facile, mes excuses). C’est d’ailleurs amusant de le voir à l’écran : les acteurs parlent tous leur langue. La question est donc de savoir quelle est la version originale ? La version en russe ? En anglais ? En mandarin ? Mystère. J’aurai bien voulu voir une version non-doublée en anglais, mais une version où chacun parlait sa langue. Évidemment cela aura donné des situations pittoresques où les dialogues se font dans deux langues en même temps, mais cela aurait donné une vision plus réaliste du melting-pot culturel que The Iron Mask ambitionnait de devenir. En hésitant entre toutes ces influences, toutes ces pistes et toutes ces cultures, on a donc un film qui rate sur tous les tableaux. Une vraie série Z ridicule, mais avec trop d’ambition et de moyens mal exploités que pour devenir comique par défaut (à l’instar de la grande saga Sharknado et autres copycats). Une belle heure et demie perdue dans ma vie ! 🙂

Birds of Prey

Sous-titré : And the Fantabulous Emancipation of One Harley Quinn

De Cathy Yan, 2020.

Drôle d’idée que de financer une suite au tellement mal aimé (et malmené) Suicide Squad. Mais on peut reconnaître une chose au DC Extended Universe (nom plus ou moins officiel, je pense, à l’instar du MCU), c’est qu’il est résilient. Malgré les mauvaises critiques, malgré les demi-fours au box-office et malgré leurs films souvent foutraques, DC persévère. Il faut préciser que depuis qu’Aquaman a dépassé Wonder Woman au box-office mondial, franchissant la désormais traditionnelle ligne de démarquage du milliard de dollars de bénéfices en salle, tout semble possible, même l’improbable. Alors, oui, pourquoi ne pas se lancer dans l’aventure d’un deuxième Suicide Squad ? Pour éviter, cependant, de retomber sur ce qui fut quand même le film le plus mal aimé de l’univers cinématographique concerné, les producteurs décidèrent de tabler sur un spin-off plutôt que sur une suite directe. Et un spin-off sur le seul personnage qui avait favorablement marqué le public : Harley Quinn.

La fantasque copine du Joker (pauvre Jared Leto…) a en effet tout pour plaire. Elle est jouée par l’excellente Margot Robbie, elle déconne à plein tube, elle lance des vannes en frappant les gens avec sa batte de base-ball ; elle a un charisme qui bouffe l’écran. Sur le papier, c’est gagné. On ne peut donc que comprendre que DC a mis un petit 85 millions de dollars de budget sur la production de ce spin-off, en pensant largement rentrer dans ses frais. Pour surfer sur l’air du temps, ils en ont même profité pour faire un film « girl-power » (à l’instar de ce que Katleen Kennedy a fait avec la dernière trilogie Star Wars), en adaptant non pas un stand-alone sur Harley Quinn, mais bien Birds of Prey, une association de super-héroïnes façon Justice League ou Suicide Squad. Et en confiant la réalisation également à une femme : Cathy Yan, une relative inconnue auréolée seulement de la bonne réception critique de Dead Pigs, son premier long, primé à Sundance en 2018.

Mieux, même. DC et Warner Bros ont tiré des conclusions des relatifs échecs précédents et se sont dit qu’il fallait se rapprocher de Marvel (ce qui m’énerve passablement, mais soit). Pas du trop policé Avengers, mais davantage des productions « délirantes » : le personnage d’Harley Quinn réussira forcément mieux dans un environnement à la Guardians of the Galaxy ou à la Thor: Ragnarok. Plein de couleurs et des vannes toutes les deux minutes. Mieux, encore. Comme ils se fichaient d’avoir un Rated-R (le succès de leur Joker était encore dans toutes les têtes), ils se sont dit : on va faire du délirant, mais avec en plus un humour limite façon Deadpool, car ça aussi, ça marche plutôt pas mal. Bref, le cahier des charges était clair.

Pourtant, avec autant d’influences et de modèle, fallait-il encore que Birds of Prey ait quelque chose à raconter et ait une identité personnelle. Donc, tout ça mis ensemble ne suffisait encore pas. Du coup, Cathy Yan (à moins que ce ne soit la scénariste Christina Hudsonencore une femme !) a choisi de réutiliser ce qu’on n’avait pas vu depuis des années dans l’adaptation d’un comics : l’esprit cartoon. Une partie des méchants et des décors sont donc directement inspirés du Gotham du dessin animé de Batman des années 90, voire de la série télé Batman des années 60. Le côté gore et adulte en plus.

Et ce mix étrange donna Birds of Prey. Un film over-the-top et ultra in. L’histoire tient sur un timbre-poste, bien sûr : Harley se fait larguer par le Joker. Tout ce que Gotham compte de criminels veut donc lui faire la peau après toutes ces années où elle était intouchable en raison de la peur inspirée par son psychopathe d’ex-copain. Et le pire de ces criminels est bien le patron d’une boîte de nuit de la pègre où Quinn étanche sa soif toutes les nuits et super-méchant à ses heures, le très dérangé Black Mask, homo formidable et amateur de torture glauque jouée avec beaucoup de bonheur par un Ewan McGregor qui prend visiblement son pied. Heureusement pour Harley, Black Mask perd un diamant d’une très grande valeur suite à un concours de circonstances rocambolesque, largement provoqué par Harley elle-même, et succombe dans un moment de faiblesse à la requête de la belle et folle blonde : elle va se charger de le retrouver, ce putain de diamant.

Et comme le bonheur ne vient jamais seul, à nouveau un peu par hasard, elle sera aidée par un flic déchue, une fille de mafieux revancharde, une ado pickpocket et une chanteuse à la voix surpuissante. Par les Birds of Prey, qui donnent leur nom au film, donc. Bon, dans l’histoire, y’a une hyène aussi. Parce que c’est cool, les hyènes. Et là, cher lecteur, tu penses bien sûr que je n’ai pas aimé le film. Eh bien détrompe-toi ! Au contraire, je me suis bien marré de bout en bout !

Évidemment, le film est bourré de faiblesse. La première est que le film aurait du s’appeler The Story of Harley Quinn. And, by the way, the creation of the Birds of prey. Il n’y en a que pour Margot Robbie. Les autres actrices sont très sympas et elles font ce qu’elles peuvent dans leur scène, mais, honnêtement, ce sont des faire-valoir, pas des personnages principaux. Il n’y a en définitive que McGregor qui tire son épingle du jeu et fait à peu près jeu égal avec Robbie dans les scènes qu’ils partagent (McGregor cabotinant tellement que cela en devient effectivement jouissif). Et, oui, bien sûr que l’on voit en très gras le cynisme des producteurs qui ont été cherché tout ce qui marchait ces dernières années pour s’assurer un carton. Ça parasite effectivement le film, qui confond parfois influences et lasagnage… D’ailleurs certains paris ne tiennent qu’à moitié, rayon mixage des influences : le film est effectivement classé R, mais je n’ai pas réellement d’idée du pourquoi, par exemple. L’hémoglobine est tellement cartoonesque que je me demande bien à qui elle peut faire peur. Et si les personnages sont de temps à autre vulgaires, on est très loin du nombre de fuck à la minute des buddy movies des années 90 (au hasard : L’Arme Fatale).

Cathy Yan, par contre, s’en sort très honorablement avec une réalisation balancée aux multiples effets visuels et autres gimmick ultra-tendances. Ça va à 100 à l’heure, c’est foutraque au possible et on se fiche de savoir s’il y a une quelconque progression scénaristique, en définitive. Bien sûr ! Ce n’est pas l’objet du film. Du tout. Le but est juste de faire une grosse farce pleine de thunes avec un casting 5 étoiles pour nous amuser avec le max d’exagérations possibles. Certaines scènes de combat sont trop longues et mal chorégraphiées, mais là aussi on s’en fout. Ce qui compte, c’est voir Harley Quinn s’en sortir avec le sourire en cassant un tas de jambes avec des répliques bad-ass. C’est pour ça que je préfèrerai toujours DC à Marvel. Je l’ai déjà dit dans ces colonnes : ils font des films nettement moins formatés qui sont bourrés de défaut, mais au moins, ils tentent quelque chose. Conséquence logique : longue vie à Harley Quinn (et, très accessoirement, aux Birds of Prey) !

PS : pas de bol pour la Warner et pour DC, l’exploitation du film en salle a tourné vachement court en raison du COVID-19. Du coup, avec son petit 200 millions de dollars au box-office mondial, c’est officiellement le plus mauvais film (économiquement parlant) du DC Extended Universe. Espérons que des critiques plutôt positives (chez ceux qui n’ont pas été énervé par le côté bouffon/ridicule du long) et une sortie digitale très rapide vont quand même sauver sa carrière et ne pas enterrer définitivement toutes idées de suite.

Terminator: Dark Fate

De Tim Miller, 2019.

Un sixième Terminator… Était-ce vraiment nécessaire, après la gabegie de l’épisode 5, largement plombé par des acteurs à côté de leurs pompes (comme l’ignoble Jai Courtney, qui tue toutes les sagas dans lesquelles il joue, ou la pauvre Emilia Clarke, qui a du mal à reprendre le rôle iconique de Sarah Connor) ? Ne valait-il pas mieux laisser cette saga tranquille et simplement se rappeler avec bonheur des deux premiers opus ? Le troisième était déjà assez inégal (sauvé essentiellement par sa fin, à contre-courant de ce que l’on pouvait attendre). Le quatrième avait de bonnes idées mais était tiré vers le bas par un scénar franchement bancal. Le cinquième, cf. la première parenthèse : pour ma santé mentale, je préfère ne pas en parler.

Puis vint la lueur d’espoir dans l’œil de tous les fanboys de la planète. C’est le Dieu-des-geeks, l’homme du blockbuster par excellent, James Cameron lui-même qui allait à nouveau se pencher sur la saga qui a lancé réellement sa carrière. Le plan était clair : on oublie les épisodes 3, 4 et 5 et on relance (encore une fois) une temporalité parallèle. Nous aurions alors un nouvel épisode 3, celui que tout le monde espérait depuis plus de 20 ans maintenant. Il fut même question que le pape du box office dirige lui-même ce troisième opus, avant d’assez vite laisser le siège du réalisateur à toute une série de noms différents qui firent pendant quelques mois les choux gras de la presse geek internationale. Finalement, c’est le brave Tim Miller, auréolé du succès surprise d’un film de super-héros résolument adulte, à savoir Deadpool premier du nom, qui écopa de la lourde charge de s’atteler à la légende.

Cameron n’avait pourtant pas totalement déserté le projet : il s’est assis derrière son PC pour nous pondre une première version du scénar. Mais pas seul. Pour reprendre sa série fétiche, il s’est accordé les services de Josh Friedman (scénariste de la série télé de Terminator, du Guerre de Mondes de Spielberg ou encore des prochains Avatar), de Charles H. Eglee (beaucoup de séries télé et des films de série B) et, enfin, de David S. Goyer (qui a scénarisé à peu près tous les films tirés de DC Comics, du Dark Knight en passant par Blade ou Man of Steel). Du solide, donc. Mais, bien sûr, c’est oublier quelque chose : Terminator 2 avait pour ambition de finir la saga. Nous étions à une époque où les scénaristes osait « terminer » une saga sans laisser 150 portes ouvertes pour des suites juteuses financièrement parlant. Du coup, le scénar se suffisait à lui-même. Construire dessus relève donc de l’illusion, de l’inutile par nature.

Et il y a encore deux soucis majeurs qu’il faut aborder avant de parler du film proprement dit. D’abord et avant tout, commencer à jouer avec des temporalités alternatives dans un film (et à plus forte raison une saga) qui joue avec le temps, c’est casse-gueule par définition. La loi des paradoxes temporels n’est pas faite pour les chiens : au-delà de la destruction de l’univers, c’est surtout de l’incohérence des scénarios qu’elle protège. Ensuite, et c’est probablement une opinion moins populaire, Cameron ne peut pas être et avoir été. Il a vieilli le bougre. Il est bien loin, le temps où il nous racontait des histoires qui valait la peine d’être regardées. Titanic était un excellent film catastrophe. Mais il date de 1997. Depuis, la pêche est maigre : un reportage sur le vrai Titanic, Avatar (très jolie enveloppe vide au scénario ultra-cliché inspiré de la version Disney de Pocahontas) et Alita : Battle Angel, dont je me suis épargné la vision jusqu’à aujourd’hui (étant très fan du manga original mais étant toujours très navré des adaptations de mangas sur grand écran en live). Papy Cameron pédale dans la semoule depuis 20 ans, les gars. Il est loin, le temps des années 90 qui lui virent enchaîner Terminator 2, Strange Days (réalisé par sa femme d’alors) et True Lies. L’annonce en fanfare d’Avatar 2, 3, 4 et je ne sais pas combien, films que personne n’attend, démontre bien qu’il légèrement perdu le sens des réalités.

Est-il donc encore capable d’écrire une bonne histoire ? Terminator: Dark Fate en était le test. Il avait même prévu un Dark Fate 2 (Terminator 7) et un Dark Fate 3 (Terminator 8, à ce rythme-là, on va finir par rattraper les Fast & Furious). Les résultats en demi-teinte, pour être poli, du sixième opus en salles obscures va peut-être limiter les ambitions du canadien le plus célèbre du cinéma.

Mais soyons juste : Dark Fate n’est pas un si mauvais film que cela. Il assure au contraire le spectacle. On retombe dans un bon blockbuster d’action façon années 90. Explosions en tout sens, gros flingues, répliques cultes réutilisées à escient, course-poursuite et scènes de combat qui en mettent plein les mirettes. Tim Miller n’a pas à rougir de sa réalisation : le film est vraiment bien réalisé, même s’il reste très classique dans son genre. Question casting, Shwarzie réussi l’exploit de ne pas être ridicule en reprenant le rôle (alors qu’il l’était certainement dans le 5 !) et Linda Hamilton fait le taf avec sa gueule d’enterrement. Elle a vieilli, mais tu sens encore toute la haine dont elle pouvait faire preuve dans Judgement Day. Natalia Reyes, bien qu’un peu rushée dans son développement, assure le rôle de la nouvelle tête de pont sans trop de crainte : elle dégage effectivement le charisme nécessaire au rôle. Mackenzie Davis, qui joue l’humain « enhanced » (de manière nettement plus convaincante que Sam Worthingthon dans Renaissance) est un peu en deçà, mais n’a finalement que peu de scènes pour développer son personnage. Même Gabriel Luna, le nouvel antagoniste, parvient par moment à se rapprocher du T-1000 de Robert Patrick.

Non, ce qui coince, c’est évidemment le scénario et les problèmes de continuité/de logique. Le premier crève-cœur [SPOILER, évidement !] est la mort de John Connor dans les premières minutes du film. Mettons encore que Skynet ait choisi d’envoyer plusieurs Terminator dans le passé, à l’époque de T2, pour se débarrasser du leader de la résistance, comme cela est expliqué dans le film. Je veux bien le croire. Mais pourquoi avoir envoyé des T-800 et pas d’autres T-1000 ? Et pourquoi le gentil T-800 de T2 ne l’aurait pas signalé, puisque, apparemment, ils peuvent sentir « les modifications de l’espace-temps entraînés par les voyages dans le temps » ? Si le T-800 qui a tué John devient, au fil des années, presque capable d’avoir des sentiments, pourquoi envoyer des textos à Sarah pour qu’elle élimine les nouveaux Terminator ? S’ils n’ont plus de mission, les détruire est vain et inhumain, en fait. Et qui sont-ils, ces deux Terminator intermédiaires ? Ils ne peuvent avoir été envoyé par Skynet, puisque ce futur n’existe plus. Et s’ils ont été envoyé par Légion (le nouveau Skynet), il faut constater qu’ils sont assez nul si Sarah Connor seule a pu les buter… (sans parler de leur mission, du coup, sauf à considérer que c’est déjà la troisième fois que Légion tente de tuer Daniella ‘Dani‘ Ramos, la nouvelle cheffe de la résistance.

Au-delà de ça, la mort de John Connor a un autre grand défaut : elle supprime d’un seul coup tout l’intérêt de l’épisode 1 et de l’épisode 2. Si avoir empêcher Skynet de naître n’empêche pas l’humanité de tomber dans les mains d’une IA militaire qui décide de considérer les humains comme une menace, c’est que le temps résiste, malgré tous les efforts que l’on peut faire, et que le destin de l’humanité est de périr sous les coups des machines. Et, dans ce cas, le discours même de Dani Reyes, la nouvelle héroïne qui nous pousse à faire des choix car le destin n’est pas joué d’avance (le même discours que Sarah Connor à la fin de T2, mais en version positiviste) est alors une mascarade. La merde arrivera, quoi qu’on essaie. Ce qui tue tout enjeu narratif à l’histoire (on se demande même alors pourquoi Légion s’amuse à essayer de tuer Reyes, puisque la logique voudrait qu’il y ait toujours une résistance et que le chef sera simplement quelqu’un d’autre). Enfin, je ne me peux m’empêcher de sourire sur l’étonnante longévité d’un T-800 : le fait qu’il soit encore vivant et qu’il ait vieilli ne me dérange pas, mais je trouve formidable qu’il parvienne encore à faire jeu presque égal avec le nouveau modèle, le Rev-9. C’est un peu comme prétendre qu’une Ford T pourrait rivaliser sur un circuit avec une Chiron (ou alors, la Chiron est vraiment buguée de chez buggée…) [/SPOILER]

Et je ne vous parle pas non plus du discours vaguement politique et féministe qui navigue autours de ce nouvel opus. Je sais que cet aspect a dérangé quelques critiques acerbes, mais personnellement, cela ne m’a pas frappé plus que cela. Note positive bien qu’anecdotique, ce Terminator retrouve un ton sérieux et évite de tomber dans le grand-guignolesque. On a bien droit à quelques vannes de Shwarzie (la meilleure : … Also, this is Texas.) mais elles sont plutôt bien amenées et ne virent pas au ridicule.

En résumé, Terminator: Dark Fate est un film bancal. Il fait le boulot question divertissement, il est tourné et interprété correctement. Le scénar, indépendamment du reste de la franchise, tient la route comme un récit de sci-fi isolé. Le problème est que, dès que l’on commence à réfléchir un peu à ce que l’on vient de voir, l’édifice semble se fissurer de toutes part. Quatre scénaristes chevronnés n’y ont rien changé : il aurait mieux fallu mettre tous ces talents au profit d’une œuvre nouvelle (il y a tant d’excellents titres de SF qui méritent d’être adaptés au cinoch !) plutôt que dans une franchise que l’on ferait mieux de laisser mourir de sa belle mort. Une occasion ratée de se taire.