Renaissance

De Christian Volckman, 2006.

Four cinématographique de 2006, film français d’animation totalement oublié, Renaissance est un formidable échec. Volckman, connu jusque-là pour un court métrage d’animation, a totalement disparu des radars après l’échec commercial de Renaissance jusqu’à 2019, où il signe son premier long métrage live, The Room, passé lui-aussi totalement inaperçu (comme quoi, on a la baraka ou pas). Pourtant, il mérite au moins qu’on lui tire notre chapeau : il fallait avoir un certain courage pour se lancer dans un film d’animation en mocap en 2000 en France (le film a mis six ans à se faire), en noir et blanc (sans nuance de gris), dans une 3D aplatie en 2D. Le concept est pas mal, quand même.

Et quoi de mieux qu’une histoire de SF pour porter le projet ? Le film, dont le nom complet est Paris 2054 – Renaissance se passe donc à Paris… en 2054. On y suit le capitaine Karas, chargé de retrouver la jeune chercheuse Ilona Tasuiev. Celle-ci est le poulain de la puissante société Avalon, dont le core-business est de rajeunir et de prolonger la vie des riches français des années 2050. Karas naviguera dans le Paris interlope du futur, notamment en retrouvant la jolie grande sœur de Ilona qui le mènera petit à petit sur la piste d’un mystère plus épais qu’un simple kidnapping.

Que dire de plus sur l’histoire ? Pas grand-chose, malheureusement. Car si le film est un réussite formelle certaine (bon, le rendu graphique a un peu vieilli, mais le choix du noir et blanc très artistique sauve l’affaire), le fond est franchement léger. Les personnages sont quand même bien archétypaux, le scénario est assez mécanique dans ses développements et les dialogues manquent parfois cruellement d’imagination. Du coup, même si c’est très joli, ça sonne tellement classique et convenu que c’est un poil emmerdant. Après, c’est une enquête policière façon film noir des années 50 projeté dans un Paris futuristes avec quelques belles scènes d’action. Et comme dans tous les films noirs de l’époque, les hommes sont solitaires, durs, et musclés et les femmes sont forcément fatales quand elles n’ont pas besoin d’être sauvées par le héros du jour.

Et c’est vraiment dommage d’avoir mis tellement de temps sur la technique, d’avoir développé une technique presque artisanale pour arriver à un résultat plus que correct sans s’être davantage pencher sur le scénar. Certains critiques de l’époque rapprochaient Renaissance de Matrix ou de Blade Runner, mais… non. Vraiment pas. Ce n’est pas du tout de la SF à portée philosophique. C’est un whodunit qui se passe dans le futur, tout au plus. Et un whodunit sans énormément de surprise quand on a déjà lu quelques bouquins de SF (comme moi ! ;-). Le choix visuel d’un noir et blanc sans nuance de gris donne un côté expressionniste inédit (bien qu’en film live, le très inégale Eden Log allait dans le même sens), mais cela reste un gimmick de réalisation s’il n’est pas suivi par un fond intéressant.

Reste de très belles images et une belle imagination quand on voit par exemple le soin apporté à rendre le Paris Haussmannien futuriste. Cet effort sur les décors (les quais de la Seine étant surplombé par des passerelles piétonnière en verre transparent) donne des images qui s’ancrent dans la rétine du spectateur. Mais c’est pour mieux les faire suivre par des scènes de ruelles sombres sous un crachin soutenu (=cliché) ou encore sur une vue panoramique sur le bureau du méchant patron de la société pharmaceutique, une pièce tout en verre au sommet d’une arche de la Défense améliorée (=cliché encore et toujours). Pourtant, Volckman avait réussi à attirer pas moins que Daniel Craig, Ian Holm et Jonathan Pryce pour le doublage international. Beau casting, mais pour un film oubliable. Joli, mais oubliable. Espérons que Volckman trouve d’autres scénaristes pour ses prochains projets couillus.

The Aeronauts

De Tom Harper, 2019.

Bizarrement, The Aeronauts est ma première incursion dans les longs métrages produits directement par un des nouveaux acteurs du cinéma, façon Netflix. Et ce long de Tom Harper, réalisateur à la filmographie modeste essentiellement connu pour des téléfilms, pour la suite de Woman in Black et pour une comédie musicale anglaise du nom de Wild Rose, est ici un objet financé par Amazon pour son service en ligne Amazon Prime Video. Le film a connu aussi une distribution en salle, mais relativement modeste, essentiellement réservée à quelques festivals et quelques salles dotées d’écrans IMAX, puisque une partie du film a été tourné sous ce format aussi rare qu’impressionnant. A titre d’exemple, aucun écran belge ne l’avait à l’affiche et il aurait fallu que je me déplace aux Pays-Bas pour le voir en salle.

Pourquoi insiste-je sur ceci ? Et bien simplement car ça me permet de commenter la nature même de l’objet. Est-ce un film ? Un téléfilm ? Un épisode particulièrement long de série télé ? La réponse n’est pas simple.

En fait, The Aeronauts est une distraction tout à fait honnête. Une montagne russe de sensations et d’images impressionnantes servie par un duo d’acteurs aussi professionnels qu’efficaces. Le film nous plonge dans le Londres des années 1860. Le scientifique James Glaisher (interprété par Eddie Redmayne, toujours crédible dans ce registre qui lui a quand même valu un oscar) souhaite vérifier ses hypothèses et réaliser des expériences dans les hautes couches de l’atmosphère. Il veut démontrer que l’on peut, dans une certaine mesure, prévoir la météo. Pour cela, il a cependant besoin d’une tête brûlée, d’un aéronaute hors pair, qu’il trouvera en la personne de la veuve Amélia Rennes (jouée par Felicity Jones, actrice trop rare sur le grand écran à mon goût). Elle pilotera sa montgolfière plus haut dans le ciel londonien qu’aucun de ses prédécesseurs, bravant le froid et le manque d’oxygène, afin que James puisse mener à bien sa passion.

Bien sûr, les deux personnages ont des motivations personnelles qui les poussent à se dépasser et à démontrer au monde entier leur valeur. Nous découvrirons ces motivations à travers une série de flashbacks en costumes qui coupent épisodiquement l’ascension en ballon qui occupe le plus clair de l’heure quarante du film. Je ne m’attarde pas dessus pour vous laisser la surprise du développement. Sachez simplement qu’on est dans du très classique.

Et c’est précisément une partie du problème : le film est quand même ‘hachement cousu de fil blanc. Et sans cette distribution irréprochable, sans le côté lunatique de Redmayne ou le côté incontrôlable de Jones, on aurait certainement un film nettement plus moyen. J’exagère probablement : le film est également sauvé par des effets spéciaux discrets mais très efficaces. Je regrette d’ailleurs d’avoir vu le film dans mon salon et non dans une salle IMAX. Les plans larges en plein ciel nuageux sont parfaitement réussis et véritablement impressionnants. C’est aussi « dramatique« , comme disent nos amis anglais, que peut l’être Gravity dans ses plans larges sur le vide spatial. Et le parallèle est tout à l’honneur de The Aeronauts, puisqu’on est dans le même genre de film, sensation de vertige en plus.

[SPOILER] _LA_ scène du film, où le personnage de Felicity Jones grimpe sur le ballon à plus de 11.000 mètres du sol pour aller débloquer une valve gelée au sommet de la montgolfière, m’a littéralement fait dresser les cheveux sur la tête ! [/SPOILER] Donc, pour le côté spectaculaire et technique, le film est clairement une réussite, servi par deux acteurs au mieux de leur forme, qui se connaissent et s’apprécient (Jones jouait la femme de Redmayne dans The Theory of Everything en 2014), dans des rôles qui leur vont bien. Mais qu’est-ce que je lui reproche, alors ?

Et bien c’est simple : une mainstream-isation aussi inutile qu’affligeante. Je ne vais pas faire comme nombre de critiques sur Internet et crier au scandale sur le fait que Jack Thorne, le scénariste, a oser « travestir » la réalité historique des évènements relatés. Si le film se vante d’être « basé sur des faits réels« , je n’ai contre le fait que le scénariste adapte quelques éléments pour en faire un spectacle. Le fait d’avoir remplacé le second historique du personnage de James Glaisher, un autre scientifique anglais en redingote, par une femme librement inspirée d’une aéronaute française décédée 45 ans avant les faits relatés dans le film n’est pas fondamentalement un problème. Cela rajoute une tension dramatique et apporte des nouveaux enjeux au film. De la même manière que les péripéties de vol contées dans le film sont certainement exagérées/excessives par rapport à la réalité du vol de 1862. Mais c’est tant mieux : The Aeronauts est un divertissement, pas une docu-fiction sur l’invention de la météorologie.

Non, mon problème est dans l’excès hollywoodien des adaptations prises par le script. Pourquoi le scientifique est-il obligatoirement un doux rêveur qui s’oppose à ses collègues retords et rétrogrades (à ce titre, The Theory of Everything était nettement plus sobre dans ses ressorts dramatiques) ? Pourquoi est-ce que le personnage d’Amélia Rennes doit-être le symbole d’un féminisme d’avant-garde (pour l’époque) aussi déplacé qu’irréaliste ? Un personnage féminin fort dans un film d’époque doit-il forcément voir son discours parasité par une caution morale très XXème siècle du « we can do it » ? Pourquoi, enfin, avoir caster Himesh Jitrenda Patel dans le rôle du « copain » scientifique de James Glaisher, qui sera le seul à le soutenir dans sa démarche ? Je n’ai rien contre l’acteur, mais un Indien à la Royal Society au XIXème siècle ? Réellement ? Qui va le croire, ça ?

Bref, The Aeronauts est un film spectaculaire, mais qui est réellement brimé par son intention de plaire au plus grand monde. En gommant une partie de la réalité historique qu’il est censé représenter, en incluant dans le script des poncifs de diversité hors-de propos et anachronique, le scénariste Jack Thorne a en fait desservi le film. Et c’est avec ceci que je reviens sur le début de cette critique : non, The Aeronauts n’est pas réellement un film de cinéma. Il en a le goût et l’aspect. Mais son script édulcoré et le manque de risque que cela entraîne le rapproche davantage d’une production télé. Au final, on a donc un objet hybride, agréable à regarder, mais qui s’oubliera très vite en raison d’un scénar tellement convenu qu’il en devient interchangeable. Dommage.

Nicky Larson et le Parfum de Cupidon

De Philippe Lacheau, 2018.

Projet hautement improbable, décrié avant même sa sortie par une myriade de fans outrés, échec au box-office et ignoré par la presse généraliste comme par la presse cinéma, il est important de prendre la plume pour réhabiliter ce long métrage. Si ce n’est pas un chef-d’œuvre du 7ème art, c’est un formidable film d’artisan et de fan. Le concept même devait nous mettre la puce à l’oreille : Philippe Lacheau, né en 1980 et réalisateur des comédies franchouillarde Babysitting, Babysitting 2 et Alibi.com, se lance dans l’adaptation du manga phare de Tsukasa Hojo avec pour ambition de revêtir lui-même le costume bleu (et le t-shirt rouge) du meilleur assassin de Shinjuku. Vraisemblablement biberonné au Club Do, Lacheau tente donc l’impossible : réussir une adaptation de manga du début des années 90 sur grand écran, en France, en 2018, soit près de 30 ans après le succès de la série animée originale.

Et, ma foi, … il y parvient. Si le film a bien sûr des limites (la première étant que la France n’est pas le Japon et que Paris et Nice/Cannes ne ressemble pas réellement à Tokyo), il respire la bonne humeur et l’hommage réfléchi. Bourré de références à la génération Club Do (impossible de toutes les reprendre ici, mais citons dans le désordre les références à Rémi Sans Famille, Ranma 1/2, Les Chevaliers du Zodiaque, l’Inspecteur Gadget, etc. … sans oublier le caméo de Dorothée elle-même et la référence à ses fameuses chaussettes rouge et jaune à petits pois, bien sûr !), le film est avant tout une déclaration d’amour à son matériaux d’origine. Lacheau a non seulement digéré ce qui fit l’essence de Nicky Larson (en ce compris le côté ridicule du doublage et de certaines adaptations bien-pensantes de la VF animée de l’époque), il fait également preuve d’une très bonne connaissance du manga de Hojo, City Hunter. Le rôle de Falcon/Mammouth, l’utilisation fort à propos des musiques originales, l’utilisation de certains mots japonais (comme le fameux mokkori !), le non moins fameux corbeau traversant l’écran, le marteau de Laura, etc. sont des clins d’œil que seuls les connaisseurs repéreront.

Mais c’est surtout dans le fond même de l’histoire que Lacheau touche juste avec son Parfum de Cupidon. La clé du film, comme du manga, est bien sûr la relation Nicky/Laura (Ryo/Kaori). Et si le brave Lacheau fait un Nicky Larson correct, manquant sans doute un peu de carrure, la véritable perle du film est l’actrice Elodie Fontan, qui joue une Laura plus vraie que nature. Elle est juste de bout en bout, dans chacune de ses actions et réactions. Et cette relation est bien sûr le moteur dramatique du film, la promesse à jamais inassouvie d’une relation fusionnelle qui serait trop intense pour être vécue.

Et si le scénario en tant que tel est un poil tiré par les cheveux (il est question d’un groupe armé qui essaie de récupérer un parfum qui, une fois aspergé sur un individu X, rend automatiquement amoureux de ce dernier quiconque le respire) et les intérêts des méchants en particulier restent mystérieux (pourquoi veulent-ils récupérer ce parfum ? pourquoi à ce prix ? pourquoi -spoiler alerte- le méchant Didier Bourdon fait-il appel à Nicky pour se protéger de ses anciens partenaires de crime, sachant qu’il pourrait aussi utiliser le parfum pour éviter tous problèmes ?), cela n’a finalement que peu d’importance. Les scénarios des épisodes de l’anime n’étaient pas tous tellement plus malins… 😉 C’est surtout l’occasion de sortir les flingues, d’enchaîner les bastons, de sortir les belles filles et les belles bagnoles et d’avoir un max la classe pour Lacheau et sa bande de potes.

Et, je le répète ; ça marche. Même les scènes accessoires, centrées sur les personnages de Poncho (un employé municipal benêt qui tombe sous le charme d’une Laura parfumée) et de Gilbert Skippy (un bonhomme lambda qui récupère par hasard le parfum et essaie de s’en servir pour charmer nulle autre qu’une Pamela Anderson vieillissante –qui se prête bien volontiers au jeu ! :-)-, sont amusantes et évitent la lourdeur idiote de nombre de comédies françaises des 15 dernières années (qui copient mal les américains). Le Parfum de Cupidon se déguste donc avec un sourire aux lèvres pendant cette trop courte heure et demie de cascades, vannes et références en tout genre. Une vraie madeleine de Proust, comme je l’ai déjà évoqué plusieurs fois dans ces colonnes.

Malheureusement, c’est également là la plus grande faiblesse du film. Déclaration d’amour à une époque et à un genre depuis longtemps passé de mode, Nicky Larson et le Parfum de Cupidon contient dans son ADN même les raisons de son échec commercial. Sa « cible » est trop limitée. En effet, il faut avoir entre 30 et 40 ans pour comprendre toutes ces références, pour comprendre ce rythme, pour apprécier l’hommage. Les plus jeunes n’y comprendront goutte et n’y verront que les moments de slapstick comedy (qui, s’ils sont amusants, ne suffisent pas à tenir le film entier). Les plus vieux y verront les mêmes sornettes qui les a fait dénigrer l’anime voilà 25 ans. Ce n’est ni le premier ni le dernier film générationnel à tenter l’aventure du grand public. Mais, comme c’est souvent le cas, le Parfum de Cupidon ne parvient pas à transcender son matériau d’origine, à aller au-delà de l’hommage pour devenir une œuvre à part entière, appréciable pour ce qu’elle est et uniquement pour cela.

Il nous reste donc une véritable friandise pour un bonhomme (ou une femme, of course, Laura étant un exemple de héros féminin positif) de mon âge. Et une curiosité sans beaucoup d’intérêt pour tous ceux qui n’entrent pas le cœur de cible. Dommage. Mais tant mieux pour ceux qui en font partie, du cœur de cible : remercions tous Philippe Lacheau pour son investissement et son délire. Il a mis le paquet pour que l’adaptation ne soit pas ridicule (c’est bien un film avec des scènes d’action réalisées de manière plus que correcte, pas un sentaî à costumes en carton-pâte cheap) et nous livre un film-hommage frais, amusant et agréable à l’œil et à l’oreille. Au nom de ma génération d’anime-fan de base, je ne peux que le remercier.

Pee-Wee’s Big Adventure

De Tim Burton, 1985.

Premier long métrage de Burton, à une époque où il était juste un ex-animateur de Disney ayant fait ses classes dans des clips musicaux et pas encore l’idole de tous les ados semi-gothiques de la planète, Pee-Wee’s Big Adventure est un drôle d’objet cinématographique. Véritable véhicule cinématographique mettant en avant le personnage de Pee-Wee Herman, créature imaginée par Paul Rubens, un candidat malheureux de la première saison du légendaire Saturday Night Live qui fit le tour des cafés-théâtres new-yorkais avant de voir son one-man-show immortalisé par HBO au début des années 80. Le personnage de Pee-Wee Herman, un espèce de grand enfant irresponsable et colérique, eu droit à un sérial sur HBO avant de passer sur grand écran en 85, dans le film qui nous intéresse aujourd’hui.

Si Pee-Wee Herman avait à l’origine une tonalité adulte, visiblement, avec des allusions à une sexualité extravagante, celle-ci fut progressivement gommée quand HBO se rendit compte que le personnage marchait davantage avec les enfants qu’avec les adultes et Pee-Wee devint donc un salle gamin (adulte) irrévérencieux en pleine slapstick comedy (les chutes, combats et danses ridicules s’enchaînent). Puis vint le jour où Paul Rubens demanda, comme il le voyait tous les jours aux studios, à la Warner qu’on lui donne un vélo pour se déplacer d’un plateau à l’autre dans la ville-studios hollywoodienne. La Warner lui filant un vélo des années 50, Paul Rubens eut l’idée de raconter l’histoire d’amour entre le personnage de Pee-Wee et son vélo, ce qui devint la clé de voute du futur long métrage.

De fait, le long débute sur le réveil cartoonesque de Pee-Wee (jeux pour enfants, petit-dej automatique à la Doc dans Retour vers le futur, inventions improbables directement tirée de l’imaginaire de Rick Moranis dans Chérie j’ai rétréci les gosses, etc.) Sortant de chez lui impeccablement habillé dans son complet gris, ses chaussures blanches et son nœud-pap rouge pétant, le voilà qui enfourche sa fière bécane pour allers chercher des farces et attrapes et un nouveau klaxon en ville. Mais, drame absolu, l’arch-ennemi de Pee-Wee, le fils gâté (lui aussi adulte) d’un voisin fortuné s’arrange pour lui faire voler son vélo. Et le film d’enchaîner avec 1h30 d’aventures rocambolesques où Pee-Wee rencontrera dans le désordre un repris de justice en cavale, le fantôme d’un camionneuse, un gang de motard ou encore une Française avec le mal du pays dans la tête d’un dinosaure géant en plastique. Avant de finir en apothéose avec un course poursuite directement tirée d’un Tex Avery (ou plutôt un Hanna Barbera) dans les studios de la Warner, à Hollywood.

Tout ceci est bien aimable, mais, je l’avoue, ne m’a pas déridé souvent. Si le cœur de cible est (était?) sans doute un public enfantin, l’invraisemblance du scénar et l’idiotie de certaines péripéties ne sont finalement qu’un moindre mal face au principal problème du film : Pee-Wee Herman lui-même. Le personnage, en plus d’être désagréable et ridicule, est bourrés de tics verbaux et physiques qui font sourire pendant deux minutes (à la manière des clowns au cirque), mais qui agacent très rapidement dans un film d’une heure trente. Et il est difficile d’entrer dans un film quand on a qu’une seule envie : mettre des claques dans le pif du protagoniste principal, tellement c’est un gros con égocentrique. L’on me rétorquera que ce personnage excessif, cartoonesque, n’est pas sensé redescendre de son nuage de folie, au risque de perdre son charme, mais je répondrai qu’il fallait déjà un charme à la base, dans ce cas. Daffy Duck, pour prendre un parallèle, est aussi un personnage horripilant. Mais on (enfin moi, en tous les cas) n’a pas envie de le trucider après 5 minutes…

Que reste-t-il a sauver du film, dans ce cas ? Et bien les débuts de l’homme qui allait réaliser 3 ans plus tard Bettlejuice et enchaîner avec Batman, Edward aux mains d’argent et Batman : Le Défi (avant de commencer à se répéter et s’enfermer dans un style/genre jusqu’à perdre tout intérêt avec, par exemple, Dark Shadows). Et, en effet, on peut y voir les prémices de la patte de celui qui allait proposer un « autre » cinéma populaire à l’aube des années 90. L’univers rose-bonbon factice et super-chargé de la maison de Pee-Wee, le recours dès que possible à un tournage en studio (en l’intégrant même dans l’intrigue à la fin du film), le décalage parfois dérangeant entre des personnages enfantin et une certaine réalité adulte et, bien sûr, une imagerie gothique/noire avec quelques passages en stop-motion (la transformation du visage de la routière fantôme, le passage dans la boutique de farces et attrapes, l’attaque du dinosaure ou encore le passage avec l’opération médicale du vélo de Pee-Wee par une bande chirurgiens fous grimés en clowns grimaçants).

Si ces quelques passages valent en effet quelque chose en terme de mise en scène, cela ne fait cependant pas de Pee Wee’s Big Adventure un grand film. Le personnage, ressuscité par Netflix il y a quelques années après un mise au placard médiatique de Paul Rubens suite à quelques affaires personnelles malheureuses, ne gagne pas à être connu. Les autres acteurs du film ont bien du mal à capter l’attention du spectateur face à l’omniprésent Pee-Wee Herman et n’offrent donc que peu d’intérêt. Une curiosité, donc, qui ne devrait intéressé que ceux qui, comme moi, souhaitaient connaître les premiers pas d’un réalisateur atypique qui réussit à imposer un style avant d’être atteint de sénilité précoce, malgré un certain succès commercial. Espérons, d’ailleurs, que Tim Burton poursuive son retour au source avec le prochain Dumbo, qui suivra deux opus plus réussis que leurs prédécesseurs (Big Eyes, un tout petit budget pour un film intimiste plutôt sympathique et Miss Peregrine’s Home for Peculiar Children, film de commande dans un univers qui colle parfaitement au réalisateur sans être une grosse machine façon Alice au pays des merveilles).

Shutter Island

De Martin Scorcese, 2010

Voilà un bel exemple de film qui gagne à être revu. Vu à l’époque de sa sortie, je me rappelle avoir été déçu du « twist » scénaristique qui arrive assez tard dans le film, alors même que les nombreux indices permettent de le deviner assez vite. Cette impression de facilité m’avait quelque peu gâcher le plaisir à l’époque et j’avais donc assez vite oublié ce que je considérais comme un Scorcese mineur. Maintenant que je l’ai revu, il me faut aussi revoir profondément mon jugement.

[Attention, les amis, difficile de parler de ce film sans spoiler à fond. Donc, je vous suggère de voir le film avant de lire plus avant cette critique/avis, sans quoi votre propre expérience de vision sera certainement amoindrie. Raison pour laquelle je ne vais pas réellement résumer le film et me contenterais-je de dire qu’il s’agit d’une enquête policière dans un asile d’aliénés, où l’une des patiente a mystérieusement disparu. Deux flics du continent débarquent, DiCaprio et Ruffalo, et se rendent bien vite compte que l’endroit lui-même est plus obscur que ce qu’il semble être au premier abord et que le personnel médical semble cacher des choses…]

Près de dix ans plus tard, alors que le détails de l’intrigue étaient un peu brumeux dans mes souvenirs, je me rappelais cependant que le personnage joué par DiCaprio était lui-même un patient de cet asile psychiatrique en pleine mer. Et que le film était donc un grand jeu de rôle. Pourtant, je me suis laissé à nouveau prendre au jeu et j’espérais, en effet, que les deux flics trouvent le fin mot de l’histoire et mettent le directeur médical de l’île, le toujours inspiré Ben Kingsley, devant ses contradictions.

Scorcese n’est pas un manche, évidemment. Il réussit avec ce film à poser un atmosphère inquiétante, dans un décors de fin du monde (la tempête et les pluies diluviennes, probablement inventée par le personnage de DiCaprio, et les cadrages toujours très travaillés rendent les décors menaçants d’un bout à l’autre du film), appuyé par une bande-son oppressante et soutenue par des performances d’acteur irréprochables. DiCaprio, Ruffalo et Kingsley se taillent la part du lion, mais même les rôles secondaires, à l’instar de Max Von Sydow, jouent juste et servent le propos.

Le véritable génie de Scorcese sur ce long est cependant sa maîtrise de la construction du récit et sur les décalages et autres indices qu’il insère dans la linéarité du scénario. Ces petites touchent très rapides qui nous suggèrent que quelque chose ne va pas (un exemple frappant : lors de la scène où DiCaprio interroge les prisonniers, une femme demande un verre d’eau que Ruffalo lui sert obligeamment. Mais, sur un plan de coupe très rapide, on voit la femme faire le geste de boire, mais sans verre en main) durent juste assez de temps pour s’imprimer sur notre rétine. Et notre conscient (pour ceux qui s’attendent à voir un film parfait, sans faute de raccord, puisque c’est du Scorcese) ou notre subconscient (pour les autres !) de se réveiller et de nous signaler qu’on se fait avoir.

Car c’est exactement ça : on se fait avoir. Ce film est une énorme pièce de théâtre où chacun joue un rôle dans l’espoir d’un effet thérapeutique sur le pauvre Teddy Daniel (DiCaprio). Pour l’aider à surmonter son drame personnel qui l’a, il est vrai, poussé à commettre un crime finalement compréhensible. Et si tous les indices mènent à l’inévitable scène d’exposition où la quatrième mur est allègrement franchi (j’adore ces scènes où le réalisateur, par le biais d’un des personnages, nous explique pendant dix minutes tout ce que l’on a pas vu que l’on aurait pu voir, nous explique en somme qu’on a été mené en bateau comme spectateur), la véritable fin arrive dans les derniers instants du film : après la difficile scène où l’on voit DiCaprio revivre l’assassinat de ses propres enfants par leur mère et où on le voit tuer sa propre femme, on retombe dans un monde normal. DiCaprio est un patient parmi les autres, conscient (pense-t-on) de son crime, sur la voie de la rémission, dans cet asile marin où, pour la première fois du film, les couleurs et l’atmosphère semblent printanières sinon estivale. Et il rechute, il retombe dans son délire de fuite, provoquant ainsi sa propre perte par lobotomie médicale. Avant de prononcer une courte phrase à Ruffalo (dont on apprend alors qu’il est le psychiatre attitré de DiCaprio) où il laisse entendre clairement qu’il est conscient de ses actes/qu’il est guérit, mais qu’il préfère se « suicider » que de vivre avec le poids de ses actes et de ses souvenirs. Un véritable drame, donc.