Comment écrire de la fantasy et de la science-fiction

D’Orson Scott Card, 1990

Bragelonne fait œuvre utile en republiant une nouvelle fois le désormais classique « guide » rédigé pour tous les apprentis nouvelliste en SFFF par nulle autre qu’Orson Scott Card, l’homme derrière la saga Ender (entre autres choses). Comme tous les blogueurs rédigeant des critiques et avis dans mon antre numérique, je suis bien sûr caressé de temps à autre par la tentation de prendre la plume et tenter de rédiger quelque historiette matinée de fantasy, de fantastique ou de science-fiction (ma préférence l’écriture suivant cet ordre précis). Mais comme tous les procrastinateurs, le taux de publication sur ce blog en témoigne, je remets évidemment toujours cela au lendemain.

Inspirant, donc, sans doute, de se plonger dans un guide sur le « comment faire« . Devenir Asimov ou Howard pour les nuls, en somme. En gros, le court essai de Scott Card débute par sa définition des sous-genre, élément fort important si l’on entend percer sur le très segmenté marché américain (ce qui est moins vrai dans nos contrées où les frontières sont volontiers plus floues). Puis viennent quelques commentaires sur la construction d’un récit de SF ou de fantasy, les diverses thématiques, la manière de les aborder, les questions de points de vue ou encore le niveau de langage. Enfin, Scott Card clôture en parlant de son expérience personnelle d’écrivain de SF et ce que cela signifie dans sa vie privée (faire tenir son couple, gérer son blé, etc.)

Et tout ça est très fluide, ponctué d’anecdotes et de name-droping, un peu ancien, il est vrai. Amusant, d’ailleurs, de se rendre compte au détour d’une phrase que le bouquin à bientôt trente ans : Robin Hobb y est citée comme « une petite jeune dans le domaine, qui vient de sortir son premier roman » ! Scott Card a, en plus, cette faculté commune chez les grands auteurs anglo-saxons « d’écrire sans style« . Je veux dire par là qu’il travaille tellement son texte qu’il semble aller de soi. Le forme ne vient jamais parasité le propos, ce qui requiert de l’auteur un grand travail pour sembler écrire un langage parlé, alors que c’est tout sauf le cas. Asimov, pour le citer une seconde fois, en était le meilleur exemple : un style direct et simple qui soutien à tout moment le fond en prenant le lecteur par la main, comme dans les histoires que nos parents nous lisaient étant jeunes. Et Scott Card d’appliquer cette recette à ce court essai, qui se lit très vite.

Est-ce pour autant un immanquable ? Mon avis est, là, plus mitigé. Car si le livre s’appelle Comment écrire de la fantasy et de la science-fiction, il n’aborde en fait presque pas le « comment écrire ?« . Scott Card renvoie à d’autres livres qui aborde le sujet et se contente de dire que nous (=ses lecteurs en quête de conseils) avons déjà fait nos classes. On voit par ailleurs aux détours de certaines phrases que, pour Card, bien écrire ne s’apprend pas réellement. Soit on l’a en soit, soit on doit le travailler. Mais, même dans la deuxième option, c’est un travail essentiellement introspectif. Il relativise grandement l’intérêt des cours d’écriture ou même des cercles/clubs d’écrivains débutants. Il n’y voit qu’une opportunité, il le concède souvent utile, de tester un texte sur un lectorat témoin. Et une possibilité pour l’écrivain, troglodyte par fonction, de sortir de chez lui et de parler à d’autres êtres humains. Pour le reste, il est relativement muet sur sa propre méthode (que l’on peut cependant deviner à travers le découpage de ses chapitres de conseils) et ouvre des portes plutôt qu’il ne les ferme.

Cet essai, dans cette édition révisée par Bragelonne (plusieurs passages, traitant uniquement du marché de l’édition nord-américain et, par ailleurs, fort datés, ont été supprimé avec l’accord de l’auteur pour être remplacé par des notes en bas de page assez complètes sur le monde de l’édition SFFF francophone actuel) est donc une lecture intéressante, mais insuffisante, pour celui ou celle qui chercherait une véritable méthode. Il est sans doute un bon compagnon à des lectures plus complètes visant à aider les angoissés de la page blanche, comme moi, qu’elle contienne de la SFFF ou non.

L’Homme Rune

De Peter V. Brett, 2008.

1er tome du Cycle des Démons.

Sous l’affreuse couverture de Milady (c’est souvent le cas avec eux, mais cela ne devrait que moins arriver à l’avenir, maintenant que Bragelonne publie sous son nom les poches de fantasy et de SF et laisse à Milady la bit-lit et autre littérature rose) se cache le parfait exemple de la big-selling-fantasy. J’ai déjà évoqué ci et là dans certaines de mes critiques sur ce blog ce concept très anglo-saxon. Mais qu’est-ce donc, me direz-vous ? La big-selling-fantasy est tout simplement une certaine forme de formatage commercial du récit de fantasy. Le principe est simple : vous prenez un jeune garçon, orphelin si possible, et vous lui faites traverser des épreuves successives de plus en plus dures (comprendre : des monstres de plus en plus badass) jusqu’à faire de lui l’élu d’une nation/d’un continent/d’une monde. Sans oublier de lui adjoindre des side-kicks qui viendront se greffer à sa suite par le grand pouvoir de l’amitié (ou de l’amour, c’est selon le sexe du side-kick) pour former une « seconde famille« .

Les esprits chafouins me rétorqueront qu’il ne s’agit pas là d’un trait propre à la fantasy, mais qu’on touche tout simplement aux fondamentaux du récit, tel qu’il existe depuis que l’homme est homme (et, accessoirement, depuis que le vieux de bande gagnait sa pitance du soir en racontant des histoires, puisqu’il n’était plus capable de bouger son cul pour attraper à bouffer). Et vous auriez raison. Cette trame ne diffère que peu du « coming-of-age » story qui regroupe 50% des récits humains, si l’on exclu l’auto-fiction propre au XXème siècle. En effet, l’archétype du récit que j’ai résumé en quelques mots ci-dessous s’applique aussi bien à Oliver Twist qu’à Harry Potter ou à Naruto (car, oui, la fantasy n’est pas bien loin des recettes ultra-codifées des shonens). Ou même dans la Bible, pour le même prix.

Mais donc, pourquoi mon obsession pour cette prévisibilité dans les romans de fantasy alors ? Parce que la corde est tellement usée que j’ai du mal à constater qu’on tire encore et toujours dessus. Alors, bien sûr, Brett n’est pas un manche. Son beau pavé de 650 pages, premier tome d’une pentalogie (rien de moins que cela), nous présente avec moult fracas les trois personnages principaux de sa future grande saga. Arleen, le semi-orphelin doué qui est amené à devenir le sauveur de la nation contre des ordres de démons. Leesha, la clerc de la bande, rejetée par une partie de son village mais avec un cœur gros comme ça dans la main. Et Rojer, le saltimbanque orphelin (car, oui, un seul ne suffit pas) qui trouvera son courage pour affronter ses démons tant intérieurs que réels. Ais-je réellement besoin d’en dire plus ? Oui, sans doute. Brett a au moins l’originalité de développé un adversaire original. Point de nécromant nordique (comme dans 50% des romans de fantasy) sans ses pages : à chaque crépuscule, des démons élémentaires sortent du sol et s’attaque aveuglément à tous ce qui bouge. Seule parade pour les gentils humains : peindre des runes magique au seuil de leur porte et autours de leur grange pour éviter l’annihilation.

Et c’est dans ce monde désespéré, engoncé dans une passivité protectrice et fatalisme général que nos trois protagonistes vont se lever et décider de changer la donne : la meilleure défense, c’est l’attaque, c’est bien connu. Ce premier tome ouvre également des portes sur des développements futurs, avec notamment quelques indices sur l’origine des démons (peut-être un nécromant… venu du Nord ?) et sur les conflits politiques entre les diverses cités-états qui ne manqueront pas d’éclater. Le court passage dans la cité arabisante du Sud désertique, avec ses propres légendes et ses propres codes de conduite, laisse présager un méchant « conflit culturel » dès le prochain tome, avec trahisons et bassesses à la clé.

Que dire d’autre ? Que je suis sans doute étonné que Brett parvient à nous tenir pendant 650 pages juste pour installer ses personnages. Sans que cela ne paraisse trop long ou trop haché (ce qui est toujours un risque, dans les sagas à protagonistes multiples). Du coup, ça assure question attachement aux personnages, même s’ils ne sont finalement pas originaux pour un sous. Je suis donc fasciné qu’après toutes ces années cela continue à fonctionner avec moi. Je faisais le parallèle avec le shônen en début de texte : bien que j’en ai lu des dizaines et que je vois les mécanismes transparaitre avant même d’appréhender le récit, je me fais quand même avoir quand je tombe sur un shônen de qualité (genre One Punch Man ou l’infatigable One Piece). Et cet Homme Rune est du même tonneau : c’est de la bonne.

Brett le dit d’ailleurs lui-même sur son site officiel : ses inspirations sont Tolkien (of course) et Terry Brooks (Shannara, vous savez, ce plagiat insipide du SDA ?). Et c’est exactement ce qu’on a avec l’Homme Rune, un savant mélange entre de la fantasy qui se veut épique et de la production à la chaîne sans saveur. Le mélange des deux donne cette grosse brique, parfaite lecture d’été, qui se lit très vite avec un sourire un peu benêt aux lèvres quand on tombe sur un rebondissement tellement éculé que même nous, pauvres amateurs, n’aurions osé l’utilisé. Brett, lui, le fait. Avec un certain brio. En très résumé : une lecture agréable, qui ne fait pas de mal à une mouche, mais qui use de mécaniques bien huilées pour amener son lecteur en terrains connus. Dommage qu’il n’ose pas « tenter » quelque chose, comme un Mark Lawrence ou un Joe Abercrombie. C’est probablement ça, le défaut de ce cycle des démons : il est trop sage. Rendez-vous au deuxième tome pour, sans doute, confirmer ces sentiments.

Druide

D’Olivier Peru, 2010.

Cela fait déjà quelques semaines que je procrastine cet avis. Mon problème est de trouver un angle d’attaque original, pour illustrer ce titre maintes fois critiqué sur la blogosphère SFFF. Et j’avoue, pour une fois, devoir donner ma langue au chat. Je ne vois pas comment être original par rapport à ce premier roman d’Olivier Peru, auteur de scénars BD chez Soleil et de séries jeunesse. De fait, je n’ai pas grand chose à dire sur Druide. Le livre est plaisant, il se lit facilement, la construction du récit qui débute comme une course contre la montre pour mener à bien une enquête façon policier donne envie de découvrir la suite.

Même le monde de Druide, où la caste en question (i.e. les druides, pour les deux distraits du fond à gauche) est considéré comme la caste des sages qui peuvent démêler les sombres histoires d’intérêts entre nations belligérantes, est un monde sympathique. On y suit les aventures d’Obrigan, maitre druide accompagné de ses deux apprentis, qui est chargé d’élucider un massacre dans une forteresse militaire qui pourrait servir d’excuse à un conflit armé entre les deux grandes nations du Nord d’un continent imaginaire. Et, bien sûr, les apparences sont trompeuses et le massacre semble bien vite avoir été perpétré par des êtres surnaturels animés de sombres desseins.

Voilà-voilà. Ceci est très plaisant. Mais ça ronronne pas mal, niveau prise de risque. Du coup, pour peu qu’on ne soit pas néophyte en fantasy (et… ce n’est pas mon cas), on est en terrain tellement balisé qu’on s’ennuie un peu. Comprenez-moi bien : il est reposant, parfois, de prendre un bouquin, façon lecture de plage, et de se laisser bercer par des personnages relativement standards vivant des aventures relativement classiques. C’est bien pour recharger les batteries et s’attaquer à une lecture plus exigeante par après. Le problème, c’est quand on essaie de la commenter, à postériori. On ne trouve pas grand chose à dire.

Pour être peut-être un peu plus constructif, je peux tout de même ajouter les éléments suivants : Druide, malgré son succès, souffre de quelques traits typiques des premiers romans. Peru, qui s’attaque avec ce roman pour la première fois au format long, s’est un peu laisser embarquer dans son histoire. Du coup, il a soit voulu trop en mettre, soit n’en a pas mis assez. On sent que, comme tout bon auteur de fantasy qui se respecte, il avait des idées pour une trilogie. Le problème, c’est qu’il a tout mis dans un tome. Du coup, les personnages sont très unidimensionnels, certains aspects du world/lore-building sont à peine esquissés (genre… la magie des druides, par exemple) et les rebondissements, pour s’insérer dans le récit, sont finalement assez prévisibles. Bref, Druide, malgré son rythme paradoxalement assez lent sur les 200 premières pages, tient davantage d’un brouillon que d’une idée réellement maîtrisée, ce qui donne cet aspect très « rushé » à la conclusion ou aux passages moins orientés action qui auraient du nous faire découvrir et aimer ses protagonistes.

Laissons cependant à Peru le bénéfice du doute. Maintenant qu’il s’est fait ses premières armes et qu’il a entamé une nouvelle trilogie de fantasy (bien sûr !) avec Martyr, peut-être se rappellera-t-on de Druide dans quelques années avec nostalgie comme d’un roman de jeunesse qui lui aura servi à construire son style et sa maîtrise du format long. Et, sinon, Druide restera une lecture plaisante, très sage, rapidement lue et rapidement oubliée. On a connu pire.

Le Nordique

Sous-titré : Chroniques retrouvées du dernier convoi

D’Olivier Anselme-Trichard, 2017.

La formidable collection Ourobores de Mnémos s’est enrichie en 2017 du Nordique, de l’illustrateur/auteur Olivier Anselme-Trichard. Œuvre d’une vie, si j’en crois la quatrième de couverture, Le Nordique est surtout un livre-monde très innovant et difficilement comparable. Rédigée sous la forme d’un journal, annoté et éclairé par divers autres intervenants, l’œuvre se veut la confession écrite d’un illustrateur chargé de cataloguer les diverses espèces vivantes rencontrées par le Nordique, convoi monstre de plusieurs centaines de milliers de pèlerins, quittant ses terres natales, marquées par un fondamentalisme religieux de plus en plus agressif, pour la ville de naissance de son prophète, dans une contrée voisine répondant à un autre type de monothéisme exclusif.

Ajoutez à cela que le narrateur, l’illustrateur-naturaliste Cahnis voit poindre en lui une deuxième personnalité alors que le convoi lui-même semble sous l’effet d’une drogue de masse et vous aurez un texte pas piqué des vers. La découverte d’un monde cohérent, avec une société étrange et une faune et une flore détaillée font du Nordique un véritable livre-monde à ambition mytho-poétique. Et c’est, à mes yeux, un véritable succès. Anselme-Trichard, qui a surtout travaillé dans le monde du jeux vidéo (mais aussi de l’animation pour enfant dans ses jeunes années), a une plume acérée, qu’elle soit au service des mots ou des dessins.

Le danger d’un monde nouveau, très différent des canons classiques de la fantasy et du fantastique, est le risque de gloubi-boulga quand on développe son vocabulaire propre. Sans atteindre les hauteurs d’un linguiste façon Tolkien ou la faconde d’un Alain Damasio, on sent à chaque page qu’Anselme-Trichard a travaillé et retravaillé son texte pour le rendre compréhensible malgré l’adoption de tout un vocable nouveau, parfois très alambiqué. Et si certains passages demandent clairement qu’on s’accroche (le personnage principal, parano et régulièrement sous l’effet de drogues diverses, n’est pas toujours d’une cohérence optimale lorsqu’il rédige ses notes/son journal), le récit principal reste limpide du début à la fin.

Le tout est en plus servi par les très beaux dessins de l’auteur. Ils s’insèrent évidemment parfaitement dans le récit, même s’ils n’ont qu’une portée illustratrice. Le style se veut réaliste, même si le design s’approche souvent de Moebius (notamment dans les vêtements des différents protagonistes). Le tout donne le sentiment d’un univers construit dans ses moindres détails, pensé tant dans sa zoologie que dans ses habitus sociaux ou dans l’histoire de ses religions. A travers l’une des illustrations en milieu de bouquin, où l’on voit ce qui semble être un immeuble à l’abandon en arrière-plan, on est en droit de se demander si l’univers du Nordique n’est pas une Terre post-apocalyptique, même si c’est le seul indice possible d’un éventuel lien avec notre monde.

Il n’est pas simple de trouver un point de comparaison, comme je le disais. Le monde développé, à travers l’avis singulier (et torturé) de Cahnis, ne ressemble à rien de connu. Maintenant que je cherche d’autres exemple, je ne peux que penser, à nouveau, aux futurs étranges construits par Moebius dans certaines de ses BD. Ou encore à l’univers très particulier de l’Incal ou des Méta-Barons de Jodorowsky. Ou encore, en effet, à La Horde de Contrevent de Damasio, en plus condensé et plus lisible.

Le Nordique est donc une très belle surprise, qui se lit comme un rêve halluciné dans un monde étrange. Si la fin est un peu abrupte et que l’on aurait aimé suivre Cahnis dans d’autres contrées (sans vouloir davantage dévoilé l’intrigue), Le Nordique est un récit complet, oppressant et jouissif par son inventivité débridée. Bel objet, plus original encore que le Kadath publié dans la même collection et basé sur l’univers de Lovecraft, le roman illustré d’Olivier Anselme-Trichard n’a finalement qu’un seul défaut : son auteur a mis 12 ans à le réaliser. En d’autres termes, si l’on veut parcourir une nouvelle fois les terres du Nordique et en comprendre davantage sur son univers foisonnant, il y a fort à parier qu’il faudra prendre son mal en patience. Pendant longtemps.

Thomas le Rimeur

D’Ellen Kushner, 1990.

Roman de fantasy indépendant, Thomas le Rimeur fut lauréat en son temps du World Fantasy Award et, surtout, du prestigieux Mythopoeic Award. La réputation de ce roman comme développant un univers particulier n’est donc plus à faire. Kushner, qui n’est certes pas la plus productive des écrivains de fantasy actuels, signe ici une très belle fable sur le mythe de Thomas le Rhymer, personnage pseudo-historique du moyen-âge écossais. Ce Thomas, comme celui du roman de Kushner, est un poète/troubadour qui vécu une histoire d’amour avec la Reine des Fées, dans son pays hors du temps.

De fait, le roman nous présente le jeune Thomas, troubadour plein d’avenir, qui tombe progressivement sous le charme d’une paysanne rebelle. Alors que leur relation est en passe de devenir sérieuse, Thomas, parti se promener sur les hauts plateaux, ne peut résister à la visite impromptue de la Reine de Fées. Celle-ci, après lui avoir offert son corps, prend Thomas à son service sept longues années au pays des Fées, sept longues années pendant lesquelles il devra respecter les règles strictes qui lui sont imposées : il ne pourra adresser la parole à personne d’autre qu’à la Reine ; il ne pourra se nourrir d’aliments provenant du pays des Fées, etc. , sous peine d’être enfermé à jamais dans cet univers parallèle. Sept longues années, également, pendant lesquels il pourra ruminer sur le fait qu’il a laissé son seul vrai amour, la jeune paysanne, seule et sans un mot d’explication dans le monde des hommes.

Construit en trois temps, de l’introduction des personnages à l’exil au pays des Fées et, enfin, au difficile retour parmi les hommes, le roman a l’intelligence multiplier les points de vue et les styles. En effet, les protagonistes principaux sont d’abord présentés dans une première partie par le paysan Gavin, un homme de la terre, simple et pragmatique, qui s’exprime peu et juge vite. Puis, vient le récit de Thomas de ses années d’exil, nettement plus sensuel, poétique et tourmenté. Pour finir par une dernière partie racontée successivement par Meg, la femme du fermier Gavin et Elspeth, la jeune paysanne qui attendit Thomas ces longues années. Un regard de femme, dur et mélancolique, sensible et désabusé, que partage les deux protagonistes féminines du roman.

Seule la Reine des Fées n’a pas droit à prendre la parole, ce qui colle parfaitement à son irréalité, ton intangibilité. Elle est un mythe auquel les personnages se confrontent, une certitude éternelle plutôt qu’un réel acteur du récit. Le roman, qui enchaîne un certaine forme d’éloge champêtre moyenâgeuse (Kushner est avant une spécialiste de cette période) avec un voyage en Faërie forcément plus fantastique, est un superbe récit initiatique sur le choix et ses conséquences. Le jeune Thomas apprendre que choisir implique de renoncer. Et que le renoncement a des conséquences sur les autres, souvent malheureuse.

Texte nostalgique, roman d’ambiance, Thomas le Rimeur n’est donc pas à mettre dans le même panier que les romans de Big-Selling-Fantasy. Point de bataille épique, ici. Pas de magie, si ce n’est celle des contes et celle des mots. Éloge aux romans d’amour courtois, sans la partie épique ou héroïque, Thomas le Rimeur est un bel exemple d’une fantasy différente, à rapprocher par exemple des textes de Guy Gavriel Kay ou de Robert Holdstock. Une belle parenthèse entre deux Game-of-Throne-like, pour ceux d’entre vous qui savent aussi prendre le temps de respirer.