La Horde du Contrevent

D’Alain Damasio, 2004.

Difficile d’être original dans une critique sur un bouquin devenu un classique de la fantasy française. A peu près tous les blogs actifs sur les littératures de l’imaginaire ont chroniqué le roman de Damasio à un moment ou l’autre de leur existence virtuelle. En effet, La Horde du Contrevent est réellement devenu un classique : publié chez La Volte en 2004, maison peu habituée aux succès de librairie, le roman a bénéficié d’un bouche-à-oreille tellement positif qu’il a fini par se vendre à plus de 200.000 exemplaires, ce qui est un très très bon score pour de la fantasy francophone. Il est d’ailleurs toujours présenté en bonne place sur les étals des commerçants culturels, genre FNAC et autres (dans sa version poche, chez Folio SF).

Et je comprend parfaitement la raison de son succès. Damasio, que j’avais lu il y a quelques années dans ses formats courts (Aucun souvenir assez solide, également chez Folio SF), est un amoureux de la langue française et joue avec le verbe probablement mieux que l’écrasante majorité des auteurs de SF & fantasy. Là où ses nouvelles se construisaient autours d’un concept linguistique, Damasio a habillement intégré cet amour particulier du mot dans la narration de La Horde. Avec un mécanisme, à priori, simple : en multipliant les points de vue, puisque chacun des membres de La Horde s’exprime à la première personne au sein du récit, identifié par un glyphe personnel en début de paragraphe, Damasio peut ainsi créer, artificiellement, une grosse dizaine de « façon » d’écrire différente. De la gouaille rocailleuse de Golgoth, le traceur et chef de bande, à la verve bondissante de Caracolle, le troubadour, en passant par le langage davantage posé de Sov, le scribe ou de Pietro, le diplomate (tous deux fort utilisés quand il s’agit de faire avancer l’intrigue), les personnages et les styles s’enchaînent au plus grand bonheur de leur auteur.

Damasio s’amuse en sus à casser le rythme classique du roman d’aventure, en maniant l’ellipse à foison, plusieurs années s’écoulant d’une page à l’autre alors que la majorité des chapitres insistent sur le temps réel. Cela peut déstabiliser le lecteur habitué à une lecture plus linéaire, mais permet de faire avancer une histoire qui aurait pu s’étendre sur plusieurs milliers de pages là où elle n’en fait que 650 dans sa version poche. Le choix des passages développés n’en est que plus significatif : lorsque la Horde a à subir plusieurs épreuves successives pour traverser une ville, seule l’épreuve de la joute verbale est détaillée in extenso. Cela permet à Damasio, à travers le toujours bondissant Caracolle, d’aligner les rimes et les palindromes avec un bonheur certain.

Mais tout ceci sert-il l’histoire ? La Horde du Contrevent est l’histoire d’une quête impossible. Une vingtaine d’hommes et de femmes sont élevés depuis l’enfance pour remonter, à pied, à l’extrême-amont, à la source du vent qui coule uniformément du Nord vers le Sud. En partant de l’extrême Sud, la Horde affrontera des années durant la rigueur d’un monde inhospitalier pour aller ne fut-ce qu’un pas plus loin que la génération précédente. Car cela fait huit siècles que des Hordes se lancent à corps perdu dans la recherche de la source des vents, l’extrême-amont, en espérant y découvrir des réponses (même si les questions ne sont jamais formulées). Et huit siècles qu’elles échouent. Mais cette Horde, jugée la plus rapide, la plus complète, la plus forte, porte l’espoir d’un monde pour y parvenir.

En chemin, ils affronteront les diverses formes du vent, de la simple bourrasque à la plus formidable tempête (et au-delà), les mystérieux chrones et les rares humains qui s’opposent, pour des raisons diverses, à leur quête. Et ils s’affronteront surtout eux-mêmes, leurs doutes, leurs dissensions internes, les conflits (inter-)personnels. En résumé, une quête épique menée par des femmes et des hommes en proie à leurs propres démons, un livre-univers qui a l’intelligence de ne se dévoiler qu’indirectement, à travers des trajectoires individuelles parfois contradictoires. Il règne, en plus, une ambiance de fin d’époque sur le roman : la Horde est un instrument du passé, vivant dans la gloire de sa renommée, petit à petit rattrapée par le développement technologique qui utilise le vent et ne se contente plus de lutter contre lui. Une certaine déliquescence qui accueille volontiers la mort, souvent présente, et qui fait la part belle à une interprétation philosophique de leur combat, de la place et de la signification du vent.

On l’aura compris à la lecture de ces quelques lignes qui tentaient tant bien que mal de résumer l’histoire et les enjeux abordés, La Horde du Contrevent est un roman complexe, doté de nombreuses clés de lecture et proposant un palette de personnages « bigger than life » aux quêtes personnelles liées intimement à la quête principale, moteur scénaristique du livre. Pour autant, l’alchimie entre ce programme et une écriture exigeante marche-t-elle ? C’est, je pense, l’explication du succès de La Horde : le lecteur de SF ou de fantasy standard, sans avoir aucune intention de le dénigrer ou même de le juger, n’a que peu l’habitude d’être confronté à un style exigeant. En cela, le livre est exceptionnel : il manie à merveille un fond classique (car si le monde développé dans La Horde est bien inédit, la logique d’une quête éternelle n’est pas réellement neuve dans la SFFF, voir par exemple La Tour Sombre) et une plume acérée. Le choc que cela peut créer chez le lecteur lambda en fait un livre mémorable. Et avec raison : il plane des kilomètres au-dessus de 99% de la production SFFF classique, en terme de qualité littéraire.

Pourtant, il cache à mes yeux une double-frustration. D’abord, Damasio a du contenir son amour de la langue pour malgré tout faire avancer l’intrigue. Et si quelques passages sont du bonheur pur, il y a aussi quelques lourdeurs qui rendent le texte plus indigeste que fluide (ce qui est particulièrement dommage pour un livre sur le vent). Vouloir à tout prix expérimenter en permanence avec le style est un exercice périlleux : le trop plein n’est jamais loin. Et c’est très limite, par moment. Là où cela fonctionnait dans ses nouvelles, dédiées à un concept linguistico-stylistique, l’expérimentation de la novlangue se révèle un peu lourde à la longue, devenant davantage un obstacle au ressenti qu’une aide au propos.

Ensuite, l’histoire elle-même souffre selon moi de certains partis-pris stylistiques. La multiplication des points-de-vue, des temporalités et des styles rend complexe l’entrée dans le roman. Pour être franc, c’est un bouquin qui m’a prit de longs mois à finir, entrecoupés de nombreuses autres lectures. Je ne me suis réellement sentis concerné par le développement de la quête et le devenir des personnages qu’après la moitié à peu près du tome. Il m’a fallut attendre la traversée de la « flaque » pour que j’accroche réellement au propos du livre. Et si je tire mon chapeau pour l’effort d’écriture, il est un peu dommage de constater que je ne suis réellement rentré dedans que pour les 200/250 dernières pages. A titre d’exemple, les morts successives ne m’ont pas réellement touchées jusqu’à ce qu’on arrive aux personnages réellement développés.

On ne retient en définitive que quelques personnages : le Golgoth, Caracolle, Pietro, Erg, Oroshii et, dans une moindre mesure, Sov. Soit six personnages sur les dizaines que compte le roman. Dommage… Autre faiblesse, probablement voulue par l’auteur : les fausses-pistes. Qui est l’organisation qui chasse la Horde ? Quel est son but ? Que sont réellement les chrones ? Autant de questions posées qui ne trouvent pas de réponse. En soi, ce n’est pas un problème, si ce n’est que cela a tendance à dévier le récit de son essence sans réellement apporter une pierre utile à l’intrigue, même indirectement.

Il m’est difficile d’oublier ces réserves pour crier, comme tout le monde, au génie. Ne nous trompons pas : c’est un très bon bouquin, riche, inattendu et innovant. Mais aussi frustrant. Damasio, pour habille qu’il soit avec les mots, n’est pas non plus Perec. Certaines de ces expérimentations sont un peu poussives, transformant la rigueur en acharnement et le plaisir en effort. Une lecture cependant indispensable pour les fans de SFFF, pour s’élever au-dessus de la « big-selling-fantasy » classique à l’américaine, mais probablement pas à conseiller à un novice.

Je suis particulièrement curieux de découvrir l’adaptation en jeu vidéo ou, mieux encore, en film d’animation. Elles pourraient reprendre la force non-négligeable de ce récit en gommant certaines de ses scories. Réduire l’histoire à sa plus simple expression serait sans doute salvateur. Mauvaise nouvelle, cependant, les adaptations vidéoludique et animée sont au point mort depuis des années maintenant (malgré la présence de Jan Kounen et Marc Caro pour cette dernière). Reste la récente BD, prévue en quatre ou cinq tomes, pour vérifier si l’on peut faire mieux que Damasio avec le même matériau de base. A découvrir.

Les habitants du mirage

D’Abraham Merritt, 1932

Pionnier de la fantasy lors de l’âge d’or des pulps, Abraham Merritt est l’un de ces noms sur lesquels l’amateur de littérature de genre tombe régulièrement sans pour autant l’avoir lu. Bien qu’une bonne partie de ses écrits furent en effet traduits en français, notamment en deux tomes de ses œuvres (presque) complètes chez Lefranq fin des années 90, Merritt n’a jamais eu le privilège de rééditions multiples ou des têtes de pont dans les rayonnages de la FNAC et autres grandes surfaces de la culture en masse. Du coup, à part à travers les hommages dithyrambiques de son élève spirituel Lovecraft, on tombe rarement sur le nom de Merritt de nos jours.

Pourtant, le personnage est intéressant. Rédacteur en chef d’American Weekly, il ne consacra qu’un temps réduit à l’écriture d’œuvres SF ou fantasy dans les années 30. Et il acquit alors, à son époque, le statut de référence dans le domaine. Il faut dire que le bonhomme a une bonne plume et un certain don pour raconter des histoires rocambolesques sans tomber dans le simplisme industrieux de certains de ses contemporains. Marqué par son époque et cédant de temps à autres aux mécanismes rodés du pulp (la structure en feuilleton, le héro démiurge à la Conan, les mondes merveilleux mais scientifiquement plausibles, à l’œil de l’homme des années 30, à la façon d’un Tarzan égaré dans un récit de Jules Verne, etc.), Merritt avait pour lui d’écrire avant tout pour son propre plaisir et non pour flatter son lectorat.

En découlèrent quelques œuvres considérées comme majeures, comme la Nef d’Ishtar, le Gouffre de la Lune ou, donc, les Habitants du mirage. Et, chance pour le lecteur, la toute petite maison d’édition Calidor a décidé, pour son line-up de création, de proposer aux lecteurs francophones une nouvelle traduction de ce dernier, qui inclus pour la première fois la fin originale du roman, remplacée pendant les 50 dernières années par une fin édulcorée souhaitée par l’éditeur d’Argosy à l’époque de la parution originale en feuilleton du bouquin aux États-Unis. Le tout, dans une belle édition illustrée par Sébastien Jourdain.

En résumé, on y découvre les péripéties de Leif, un descendant des vikings blond, musclé et malin, qui se trouve être la réincarnation d’un roi des temps anciens qui manipule un monstre tentaculaire sorti d’une autre dimension. Des steppes de Mongolie à la Vallée du mirage, perdue quelque part dans le grand Nord, Leif se battra contre le double qui l’habite et ses pulsions issues des temps ancien, hésitera entre la diaphane Evalie, princesse du petit peuple, et la cruelle et belle Lur, sorcière des Ayjirs.

Le roman mêle donc les découvertes archéologiques sensationnelles, l’aventure, l’érotisme soft et une fantasy un peu light où les sorcières parlent aux loups, où les guerriers se balancent des marteaux de 25 kilos à la tronche et où le personnage principal apprends une nouvelle langue en deux jours. Tout ceci fleure bon l’Aventure avec un grand A. Heureusement, le style, résolument moderne (peut-être est-ce au moins en partie du à la nouvelle traduction de Thomas Garel ?) et le ton, finalement assez pessimiste, rendent le texte toujours percutant pour un lecteur actuel qui n’est pas forcément amateur du charme suranné des pulps. Même les femmes, habituellement victimes ou objets, jouent ici rôle de premier plan et sont moins unidimensionnelles qu’elles ne le laissent présager au premier regard.

Alors, évidemment, ne vous attendez pas à un récit ultra-complexe à personnages multiples. Argosy était peut-être un plus sérieux, comme magazine, que Weird Tales ou Fantastic Tales, mais n’en demeure pas moins une publication « sensationnelle » où l’effroi et le dépaysement faisaient partie de la formule, au plus grand bonheur des jeunes lecteurs contemporains des années folles américaines. Et, dans le genre, c’est un classique, un modèle, un ancêtre de ce qui allait donner quelques années plus tard les héros immortels de Robert E. Howard ou de C.L. Moore. Sans oublier le monstre tentaculaire, commun dans les fictions de l’époque, mais qui fait irrémédiablement pensé à son fan avoué, H.P. Lovecraft.

Derniers mots sur l’édition : bien qu’il semble que les éditions Calidor, dont c’était là le coup d’essai, soient en stand-by pour une durée indéterminée, on ne peut qu’espérer que la collection reprenne un jour. Je ne suis pas tellement convaincu par l’utilité de l’illustration (ni, d’ailleurs, de la qualité de celle-ci : Sébastien Jourdain fait ici dans le convenu, à la limite, parfois, de l’illustration amateur), mais la ligne éditoriale vaut certainement le détour.

The Battles of Tolkien

De David Day, 2016

Le canadien David Day n’en est pas à sa première incursion dans le monde de Tolkien avec ce court essai paru en 2016. Depuis la fin des années 70, c’est déjà son septième bouquin consacré à la Terre du Milieu. Le bonhomme est malheureusement connu pour la faiblesse de son contenu et les imprécisions et erreurs qui entachent ses « companion books« . C’est d’autant plus dommage que ses livres sont généralement de belle facture et richement illustrés (notamment par Alan Lee pour ses anciennes publications).

The Battles of Tolkien ne fait pas exception à la règle. Malgré les 200 pages du livre, dans un format poche agréable à manipuler avec une couverture gravée en simili cuir, il se lit en une petite heure sans trop de problème. De fait, si l’on ne tient pas compte des pages de titres, des quelques schémas et des nombreuses illustrations, le corps du texte en lui même ne doit pas faire beaucoup plus d’une quarantaine de pages mises bout à bout. Et quel est son propos ? Et bien ce n’est pas très clair.

Le livre se vend comme un guide des diverses batailles qui émaillent la Terre du Milieu, depuis sa création dans les premiers livres du Silmarillion jusqu’au nettoyage de la Comté qui clôture la Guerre de l’Anneau. Et… ce n’est pas du tout de cela qu’il parle (ou si peu). Day profite des quelques pages qu’il avait à rédiger pour tracer tout au long du livre une série de parallèles entre les intrigues de Tolkien et ses inspirations mythologiques et historiques (de la cosmogonie scandinave à l’histoire de la Rome antique en passant par Charlemagne et, pourquoi pas ?, la geste héroïque de la famille royale tibétaine).

Si tout cela sonne relativement érudit et si certains emprunts sont indiscutables (on sait tous que Tolkien s’est beaucoup inspiré du Kalevala finlandais ou, dans une moindre mesure, du mythe arthurien et que l’anneau du Nibelung n’est pas tout à fait étranger à l’Anneau Unique), il n’en reste pas moins que d’autres parallèles sont un poil capillotractés. Et surtout assez vains : quel est l’intérêt de répéter inlassablement que tel passage est peut-être inspiré de tel légende ou de tel évènement historique ? Tolkien a suffisamment expliqué que son œuvre n’était en rien une allégorie. Qu’il ait été inspiré par ses lectures et sa connaissance des récits mythologiques, à travers le prisme de la linguistique, personne n’en doute. Depuis la nuit des temps, tout raconteur d’histoire s’inspire de ce qu’il a entendu, vu et lu. Tout l’art est de mélanger savamment ces influences pour ressortir un récit complexe qui s’auto-suffit et ne ressemble ni à un hommage ni à un plagiat (Terry Brooks, Shannara ?).

La conclusion de Day, qui introduit le christianisme de Tolkien comme un deus ex machina, n’apporte rien non plus, puisqu’elle s’égare dans des considérations tout à fait accessoires. Je me rappelle avoir lu une critique assassine de l’essai dans un récent Amon Hen (le périodique de la très sérieuse Tolkien Society) et je comprends mieux pourquoi les amateurs un tant soit peu « sérieux » de Tolkien et son monde rejettent pratiquement en bloc les productions de Day.

Au-delà du texte oubliable, il reste donc le livre comme objet artistique. On y trouve de belles illustrations, parfois à contre-courant de l’iconographie dominante (représenter Morgoth comme un simple humain est un choix que je n’avais, je pense, jamais encore vu). Dommage qu’elle soit légèrement amputée par le format de poche qui, bien qu’il soit pratique pour la lecture, ne rend pas justice aux coups de pinceau des artistes. Autre frustration, les illustrations ne sont pas signées. Il faut donc se reporter à la série de noms des artistes, cités en petits caractères sur la page du copyright pour tenter de deviner qui a dessiné quoi. Enfin, je trouve que les quelques « visions d’artistes » présentant sous forme de carte topographique les grandes batailles sont assez laides et très confuses. Elles n’apportent rien au texte, par ailleurs, puisque, je le répète, le texte ne parle en fait pas du déroulé des batailles.

En résumé, pas de quoi casser trois pattes à un canard ! Si vous voulez réellement en apprendre plus sur la Terre du Milieu, n’hésitez pas à vous plonger dans la très complète (et parfois très lourde) Histoire de la Terre du Milieu de Christopher Tolkien.

Wonder Woman

De Patty Jenkins, 2017.

J’ai toujours été du côté DC de la force. Marvel, c’est gentil, mais à part les X-men (Deadpool compris), c’est quand même pour les gamins. Le fait que je vienne de m’aliéner une grande partie de mon lectorat potentiel n’y changera rien. Batman a lui tout seul le justifie. Bon… Je sais aussi que c’est un peu comme le débat PC ou Mac dans les années 90 (de nos jours, le débat à moins de sens : Mac a gagné le marché parce que c’est hipster) : on n’arrivera jamais à convaincre l’autre partie.

Mais bon, depuis la trilogie de Nolan, on sait que le côté dark de DC permet de viser autre chose que le merchandising de fanboy (Captain America: Civil War est l’exemple type du film qui aurait pu être sympa et qui se contente de ronronner tranquillement). Évidemment, n’est pas Nolan (ou même Burton?) qui veut. Et c’est Snyder qui a pris le relais en premier. DC tente depuis quelques années de créer une franchise/monde à son tour avec The Man of Steel (du Zack Synder avec tous les excès qu’on lui connait), Batman Vs Superman (la même chose, en confus, avec un Lex Luther over-the-top) et Suicide Squad (que je ne me suis toujours pas infligé), en attendant le tout prochain Justice League. Wonder Woman s’inscrit dans cet ensemble comme le premier stand-alone des « personnages secondaires » de l’univers DC, en attendant les longs sur Aquaman et sur le Flash, entre autres.

C’est donc avec une curiosité sans attente particulière que je me suis maté Wonder Woman. Peu familier avec le personnage (qui ne m’a jamais réellement attiré), j’imaginais une « origin story » comme elles sont produites à la chaînes par les grands studios depuis plus de dix ans maintenant, capitalisant sur l’une des dernières valeurs sûres d’Hollywood, les films de super-héros. Et je n’ai pas été surpris : c’est exactement ça. Résumé en quelques mots : Diana (Wonder Woman) est la fille de Zeus, élevée sur une île de guerrières amazones immortelles dans l’attente de pouvoir un jour défaire le maléfique Arès. Vivant sur une île protégée par des brumes éternelles, les gentilles amazones sont envahies par des méchants allemands qui sont alors occupés à mener, comme de bien-entendu, une guerre mondiale provoquée par Arès (la première, en l’occurrence).

Avec les allemands (presque nazis, dommage, on rate la catégorie de méchants universellement reconnus à 30 ans près) débarque aussi un bel espion américain, joué par le toujours efficace Chris Pine. Il n’en faut pas plus à la belle Diana, jouée par la non moins belle Gal Gadot, pour suivre son bellâtre et se transformer, face à l’horreur de la guerre, en Wonder Woman. Sortez les violons. Original comme un trèfle à la Saint-Patrick, le film multiplie les tentatives de décalage et d’humour gentillet. Même les blagues de fesse (des Amazones qui n’ont jamais vu un homme… logique) sont innocentes. Pour se sortir de sa trame convenue, le film tente quelques passages plus noirs, avec la mort de la mentor de Diana, les quelques scènes dans les tranchées ou encore le personne du tireur d’élite repentant joué par le toujours excellent Ewen Bremner. Mais, même ces tentatives sonnent faux. L’horreur des tranchées sur le front belge, sensé provoqué l’éveil de Diana à un destin plus large que la simple vengeance contre Arès, se transforme rapidement en une scène extrêmement classique de démonstrations de super-pouvoirs où tous les personnages secondaires plus ou moins importants s’en sortent eux-aussi comme par miracle. Le tout sans évidemment verser une goute de sang à l’écran. Snyder avait au moins le bon goût d’être plus cru, même si par trop excessif, dans son Batman vs Superman.

De même, avoir fait d’Arès un personnage de diplomate joué par le toujours excellent David Thewlis était une brillante idée. Bien que largement prévisible, le rebondissement aurait pu être exploité pour faire comprendre à Wonder Woman que la force n’est pas forcément une solution, qu’il est nécessaire de développer d’autres armes, comme le Mal l’a fait, pour être efficace à une échelle plus large que l’échelle individuelle. Mais… non. Le vieillissant David Thewlis/Arès, qui se déplace avec un canne de marche une bonne partie du film (il est toujours bon pour jouer les personnage un peu « faiblard« , à l’instar du professeur Lupin de la saga Harry Potter), se transforme en gros-bill habituel pour les dix dernières minutes de bataille finale -au prix, d’ailleurs, d’incrustations vidéos un peu gênantes par leur irréalisme et leur incongruité. La morale est sauve : suffit de taper plus fort.

Bref, chers amis amateurs de pop-corn, Wonder Woman est un spectacle passable. Patty Jenkins, qui n’avait plus tourné de long depuis Monster en 2003, fait un boulot impersonnel qui aurait pu être fait par des centaines d’autres noms gravitants autours de la côte ouest américaine. Elle a cependant réussi un pari inattendu : elle a fait basculé DC dans l’uniformité sans vague des productions Marvel. Si les opus de Snyder étaient bourrés de défaut, ils avaient au moins pour mérite d’essayer quelque chose, de proposer une certaine vision. Wonder Woman ne propose rien. Il exécute ce qui est attendu de lui, sans plus. Et, de manière totalement incompréhensible à mes yeux, il est dès lors devenu l’un des plus gros succès DC et l’un des films de super-héros les plus appréciés outre-atlantique. Vive le mainstream.

La ménagerie de papier

De Ken Liu, 2011-2014

Super-star de la SF depuis quelques années, le sino-américain Ken Liu semble être le Messie que beaucoup de fans de SF attendaient ces dernières années. L’opinion professionnelle semble le reconnaître (la nouvelle éponyme du recueil a gagné le Locus, le Hugo et le World Fantasy) et l’opinion publique aussi – en annexe de cet article, une longue liste, non-exhaustive, des blogs francophones ayant chroniqué le tome -. La question reste donc de savoir si le bonhomme répond aux attentes, forcément hautes.

Et bien en fait, oui et non. Le recueil, comme tout recueil de nouvelles, aligne du très bon, du bon et du plus anecdotique. Comprenons-nous bien : c’est de la bonne came. Achetez-le les yeux fermés ; il y aura au minimum deux trois textes qui vous plairont. Liu a l’intelligence de mélanger les genres, allant de la SF, au fantastique en passant le pastiche de roman policier chinois d’époque. Mais est-ce pour autant génial ? Et bien, bizarrement, je trouve que ce sont les nouvelles primées qui sont finalement les moins surprenantes. Commençons par La Ménagerie de papier. C’est un texte touchant sur le déracinement, sur les rapports familiaux difficiles ; on peut même y lire une tentative de biographie sublimée de l’auteur (j’extrapole ici, ne connaissant rien de la vie de Ken Liu), où le regret et la piété filiale prend la forme d’une allégorie fantastique, d’origamis vivants. Mais enlevez cet élément fantastique et vous avez finalement un récit convenu.

Je suis un grand consommateur de nouvelles de SF, format que j’apprécie encore davantage, je pense, que la novella. Cet écrin de 15 à 40 pages révèle pour moi la qualité de son auteur : si une ambiance, des personnages, une histoire peuvent être développés de manière convaincante en si peu de place, alors il y a toutes les chances pour que l’auteur ait saisi les fondamentaux du récit. Et ceux-ci, Ken Liu les possède certainement. Cependant mes attentes ne s’arrêtent pas là. L’avantage d’un format court est la liberté qu’à l’auteur d’imposer un twist final inattendu. C’est pour ça que j’apprécie particulièrement les vieux roublards comme Asimov ou Silverberg : leurs nouvelles se concluaient, pour la plupart, sur une développement inattendu, sur une morale à contre-courant.

Et c’est exactement sur cela que je bute avec La Ménagerie de papier : peu de ces nouvelles m’ont réellement surprises. Mono no aware, autre nouvelle primée et seconde dans la série de quatre nouvelles qui clôturent le roman à la manière d’un planet-opera, est également symptomatique. Si elle est très bien écrite, si elle joue sur un concept nippon qui ne peut que parler au geek qui sommeille en moi, elle n’est reste pas moins prévisible. Sortie bien des années après l’excellent Sunshine de Danny Boyle, la nouvelle en reprend quasiment étape par étape un des épisodes narratifs, en y ajoutant un pathos familial visiblement cher à l’auteur.

Cela n’en fait pas une mauvaise nouvelle, bien sûr, mais il y a un petit quelque chose qui manque. Une élément de surprise qui marquerait le lecteur pour que le texte devienne effectivement un classique. Cela m’amène d’ailleurs à me poser des questions sur l’évolution des prix littéraire dans le monde de la SF et de la fantasy/du fantastique. Littérature bis par excellence (et ce n’est pas un jugement de valeur, que du contraire), je suis amené à penser que le mainstream fini aussi par toucher une population de juges vieillissante qui tend à primer le politiquement correct plutôt que l’inventivité.

En relisant les derniers paragraphes, je me rends compte que cela peut sonner très négatif. Ce n’était pas le but. Liu est certainement un auteur à suivre : les Algorithmes de l’amour, l’Erreur d’un seul bit ou encore la Plaideuse sont pour moi de belles surprises. Et ces deux textes plus long publié dans la très belle collection Une heure lumière de Bélial, l’Homme qui mit fin à l’histoire et le Regard, sont d’indéniables réussites. J’espère simplement qu’à l’avenir il prendra davantage de risques, comme nouvelliste ou romancier, et saura s’affranchir de développements parfois un peu trop hollywoodiens.

NB: pour les lecteurs bilingues, sachez que le recueil français mis au point par Bélial en 2015 est un inédit. La récente anthologie anglaise The paper menagerie & other stories ne contient pas les mêmes nouvelles que celle chroniquée ci-dessus. Y sont repris tous les textes courts de l’auteur qui ont gagné ou ont été finalistes de l’Hugo, du Nebula, du Sturgeon ou du World Fantasy, en ce compris l’Homme qui mit fin à l’histoire. Et ce recueil vient de gagner le Locus 2017 de la meilleure anthologie.

Autres avis sur le recueil :
Just a Word | Lorkhan | Blog-o-livre | La sortie est au fond du web | La bibliothèque de Philémon | Yozone | Un papillon dans la lune | Book en stock | Quoi de neuf sur ma pile ? | etc.