Sept secondes pour devenir un aigle

De Thomas Day, 2013.

Cela faisait un petit moment déjà que je ne m’étais pas plongé dans du Thomas Day. Et certainement dans ses nouvelles. L’homme a pourtant eu les honneurs de la superbe collection Une Heure Lumière dont il signait le premier volume (ok, davantage avec une novella qu’avec une nouvelle à proprement parler, mais quand même un texte court). Et ça faisait déjà quelques mois que l’édition poche du recueil Sept secondes pour devenir un aigle me faisait de l’œil dans ma PAL. Publié il y a déjà sept ans maintenant, et auréolé à l’époque du Grand Prix de l’Imaginaire, le recueil publié chez Folio SF ne nous réserve que du bon.

Mariposa, le premier texte, nous conte l’histoire d’une île étrange du pacifique, qui hébergerait la tombe de Magellan et qui aurait servi de décors à des batailles de la seconde guerre mondiale, entre des japonais enterrés et des américains conquérants. L’île héberge aussi des arbres à papillons aussi mystérieux que merveilleux. La nouvelle enchaîne les personnages et les styles littéraires (journal de navigation, échanges épistolaires entre un soldat japonais et sa femme resté au pays, minutes d’un interrogatoire musclé d’un vétéran américain récalcitrant, etc.) et développe, contre toutes attentes considérant l’auteur, une véritable poésie presque zen. En cela, bien sûr, la nouvelle touche l’une des obsessions de Day : son amour du Japon et de sa culture.

La seconde nouvelle, l’éponyme du recueil, navigue sur d’autres terres : on y suit un amérindien un peu paumé qui, au milieu du séance d’onanisme, est interrompu par l’arrivée de son vrai père, dont il ne soupçonnait même pas l’existence, qui débarque en assassinant sa belle-mère (la copine de son « père« , qui était en fait son oncle). Et son vrai père de l’entraîner dans un road trip existentiel, à la recherche des origines de son peuple. On retrouve ici davantage le Day que l’on connait par ailleurs : rapide, violent, sentant volontairement le stupre et le sang. Un superbe texte à la morale aussi abrupte que sans merci.

Ethologie du Tigre, le troisième texte, avait déjà été publié dans un recueil inédit de la collection Folio SF pour ses dix ans (en 2010, donc). Je l’avais lu à l’époque mais l’avait un peu perdu de vue. Une fois encore, on change radicalement de contexte : on retourne en Asie, dans l’Asie moderne où un occidental défiguré par un tigre quelques années auparavant est appelé au Cambodge par un homme d’affaire local pour mener l’enquête sur trois têtes de bébé tigre découverts sur le chantier de son plus récent complexe hôtelier. Sans concession, à nouveau, la nouvelle est particulièrement bien construite et sa fin est extrêmement bien amenée. La nouvelle se construit en partie autours du concept fort intéressant de la « barrière Gaïa« , le point de rupture où les catastrophes écologiques feront plus de morts sur base annuelle qu’il n’y a de naissance la même année. Un concept très intéressant à creuser pour de la SF écologique.

Shikata ga nai, « on ne peut rien y changer« , est le plus court texte du recueil. On y suit trois jeunes gens qui vivent dans la zone interdite de Fukushima pour y récupérer ce qui est récupérable et avoir une « vie facile » au mépris d’un danger en grande partie invisible. Intéressant sur le concept, c’est sans doute cependant la nouvelle la moins prenante de l’ensemble. Tjukurpa, le cinquième texte, nous emmène rencontrer les populations aborigènes d’Australie. Comme Sept seconde pour devenir un aigle, cette plongée à contre-courant chez un peuple brimé fait mal par où elle passe. Le personnage principal, une ado moche, se lance dans un nouveau culte de la réalité virtuelle permettant un retour aux sources qui efface « l’homme blanc » et tout le mal qu’il a apporté sur l’île-continent. Puissant.

Le dernier texte, Lumière noire, est davantage une novella qu’une nouvelle. C’est un récit post-apocalyptique plutôt classique où une IA a pris le contrôle des technologies mondiales pour réguler la population humaine. Une sorte de Skynet avec une conscience écologique. La nouvelle est très agréable à lire et est sans doute la plus cinématographique et la plus classique dans son développement de l’ensemble du bouquin. Intéressant de voir Day s’essayer à l’exercice de singer Terminator en y ajoutant une moralité différente et, logique pour l’auteur, très ambigüe. Le recueil se termine sur une essai signé Yannick Rumpala, intitulé « Et la science-fiction entra elle aussi dans l’anthropocène… » Le court essai, érudit, brasse assez largement dans les grands textes de SF (et dans les nouvelles du présent recueil) pour nous expliquer que la SF continue à être un véhicule privilégier de la réalité de demain, même lorsque les paradigmes sociétaux changent. Éducatif, bien que je ne voie pas réellement le lien avec le recueil qu’on a dans les mains. Enfin, si, le lien, je le vois. Mais je trouve étrange de l’intégrer de la sorte, comme une postface qui peut passer inaperçue.

Sept secondes pour devenir un aigle est donc une collection de nouvelles qui confirme si besoin est que Thomas Day est et reste une voix importante de la SFFF francophone. Si certains des textes présentés ici ne font finalement que flirter avec l’imaginaire, ils démontrent dans leur ensemble, en effet, que la SF est toujours un médium formidable pour mettre le doigt où ça fait mal dans la société humaine. Et Day n’hésite pas à jeter du sel sur les plaies ouvertes, bien que je l’aie trouvé ici plus modéré que dans d’autres romans plus anciens. Je ne sais s’il s’assagit avec le temps, mais il rappelle ici à tous qu’il est un nouvelliste hors pair. Avis aux amateurs.

Big Trouble in Little China

De John Carpenter, 1986.

Il est des films culte à côté desquels on passe pour des raisons qui nous échappent. Big Trouble in Little China était, pour moi, de ceux-là. John Carpenter est pourtant le genre de cinéaste dont la filmographie laisse peu de place au doute : bien qu’inégale, elle compte au moins deux films de genre devenus des classiques, donnant à l’horreur une étiquette de respectabilité cinématographique. Qui, en effet, peut encore aujourd’hui dénigrer ou nier l’influence d’Halloween (1978), premier du nom, ou du remake de The Thing qu’il signa en 1982 ? Il est et restera l’un des grands noms du cinéma de genre des années 80, avant de disparaitre des radars au fil des années 90.

Et Big Trouble in Little China est sans doute son dernier grand film, époque Kurt Russell. L’acteur, qui avait déjà incarné les rôles principaux dans The Thing et dans New York 1997 (sorti en 1981), trouve ici un personnage qui lui va comme un gant. L’interminable titre français de Big Trouble in Little China, Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin, ne s’y trompe pas : c’est un film sur Jack Burton. Le type en question est un conducteur de camion un poil redneck qui vient livrer des surgeler à Chinatown, en plein cœur de Manhattan. À la suite d’un concours de circonstances un peu idiot, il se retrouve à accompagner son ami Wang Chi (joué par le méconnu Dennis Dun) à l’aéroport pour y récupérer sa fiancée. Pas de bol, cette dernière, une chinoise aux yeux verts, cas visiblement extrêmement rare, est enlevée pour être apporté au patron local de Triade. Ce dernier, cependant, se révèle bien vite être plus qu’un simple criminel : c’est un ancien magicien immortel qui a besoin de « consommer » des jeunes femmes aux yeux verts pour assurer la continuité du pacte qui le lie avec les forces obscures.

Mais Jack Burton ne va pas se laisser faire. Même s’il n’y capte pas grand-chose à toute cette histoire de magie et d’immortel, il ne va pas laisser son pote dans la mouise. Il sort son gros camion, ses santiags, ses poings et ça va bastonner sec dans les ruelles de Chinatown ! Vous l’aurez saisi, Big Trouble in Little China est un petit plaisir totalement régressif. Echec commercial retentissant à sa sortie en salle, le film est devenu culte à l’époque bénie des VHS. C’était la comédie d’action un peu grasse qu’il fallait avoir vu. Surfant maladroitement sur la vague des films d’aventure lancée par Indiana Jones (je dis bien maladroitement, car si j’aime bien Carpenter, ce n’est quand même pas Spielberg non plus, hein ! ni dans l’intention, ni dans le résultat) et sur le succès alors encore récent des films d’art-martiaux qui commençaient à franchir le pacifique, Carpenter s’est lancé dans cette blague de potaches avec tout son cœur et toute son inventivité visuelle.

Car on ne s’ennuie pas, en regardant le film. Cela va même tellement vite qu’une partie des scènes d’exposition, nécessaires à l’intrigue, sont rushées en quelques minutes à peine pour laisser plus de place aux bagarres et aux effets spéciaux. Difficile de juger si c’était bien l’intention du réalisateur ou si c’est le résultat d’un compromis avec les producteurs, mais ce qui est sûr, c’est que cela ne laisse que peu de temps pour respirer au spectateur. Le film enchaîne donc les moments de bravoure et les effets spéciaux très années 80. On se croirait, par moment, dans un Goonies pour grands ados, avec des scènes qui appartiennent clairement au genre du fantastique dans un film qui se passe pourtant en plein Manhattan. Les effets spéciaux ont bien sûr vieilli, mais on y retrouve la patte très caractéristique de Carpenter et de toute une série de films d’horreur à moitié désargenté des années 80. Ce qu’ils manquaient en budget, ils l’ont compensé par un véritable artisanat du maquillage et de l’animatronique.

Pour le reste, le film, bien que très divertissant, est quand même franchement bancal. A force d’hésiter entre la fable fantastique et le film de kung-fu, il échoue finalement sur les deux tableaux. Et Kurt Russell, qui s’en donne à cœur joie dans l’ensemble de sa prestation, joue quand même un gros abruti. Ok, Indiana Jones peut être un gros lourdaud quand il le veut (sexiste, hautain, colérique, etc.), mais il n’est jamais ridicule. Jack Burton, lui, est pour finir un gros débile qui s’en sort plus à l’esbroufe qu’en raison de quelconques compétences.

Pourtant, le personnage comme le film en entier son éminemment sympathiques. On y croise les seconds rôles asiatiques qui ont fait le bonheur des comédies d’action US des années 80 : James Hong (trop de films pour les citer) ou encore Victor Wong (L’Année du Dragon, L’Enfant Sacré du Tibet, Tremors, etc.) On y revit également une certaine insouciance, dénuée de cynisme, qui nous emmenait avec plaisir dans des univers et des histories improbables lorsque nous étions encore capables d’apprécier le premier degré. Oui, Big Trouble in Little China n’est pas bien malin. Oui, il a plein de défaut, au premier rang desquels son protagoniste principal tête à claque. Mais c’est aussi une comédie d’aventure et d’action foutrement efficace. Du pur entertainment « à papa« . A consommer sans modération, avec chips et coca (et si possible, potes de la même génération avec lesquels vous pourrez continuer à la soirée en évoquant vos souvenirs de Bloodsport, L’Enfant Sacré du Tibet, Le Diamant du Nil, etc.) Une belle tranche de nostalgie, même si, comme moi, on le découvre sur le tard.

Un peu de ton sang

Suivi de Je répare tout.

De Theodore Sturgeon, 1955-1961.

Court roman d’horreur de Theodore Sturgeon, Un peu de ton sang est un texte dérangeant. La postface de l’édition Folio-SF de Steve Rasnic Tem colle tout à fait avec mon ressenti : Rasnic Tem y explique qu’il a été déçu par le texte dans sa jeunesse, s’attendant à découvrir un texte noir et plein d’aventures pour se retrouver finalement avec un texte assez sobre entre les mains. Mais qu’il est revenu encore et encore dans sa vie sur ce texte car il y a trouvé quelque chose d’indéfinissable qui hantait sa mémoire. La nouvella nous conte l’histoire, d’abord par l’échange épistolaire entre deux militaires dont un psychologue, puis par une longue confession rédigée à la manière d’un journal personnel, de George Smith. Le brave George est l’enfant d’un couple de redneck bouseux du ventre mou et agricole des États-Unis. On comprend vite que le bonhomme n’a pas de chance dans la vie, avec une mère hystérique et un père porter sur la bibine et qui n’hésite pas à distribuer les coups. George, rejeté par ses camarades de classe, devient une espèce de brute craint par son entourage et fuyant tous contacts sociaux.

Mais voilà, à l’armée (car quel meilleur endroit pour parquer un bonhomme fort, pas très malin et qui a besoin d’une routine confortable dans sa vie que l’armée), il s’est fait dégager après avoir agressé son supérieur après que ce dernier lui ait avouer avoir lu sa correspondance personnelle. Pour quelle raison ? C’est le mystère que cette novella réserve au lecteur patient qui dépassera les échanges de courriers militaires qui imposent un faux rythme au début du texte. Sturgeon, comme nombre de ses collègues (en ce compris K. Dick), a bien digéré les avancées des travaux en psychologie qui suivirent les débuts de la discipline initiée par Freud. C’est donc à travers le prisme de l’explication psychologique plus que sociologique que les protagonistes essayent de comprendre George. Ses silences et ses raccourcis dans sa confession/journal intime cachent évidemment un sombre secret.

Classé dans la collection SF, le texte aurait sans doute davantage sa place dans une collection thriller/horreur, alors même qu’il ne fait guère frissonner ni haleter le lecteur par son rythme lent et sa construction à postériori. Non, Un peu de ton sang ne fait pas peur : il dérange. Le lecteur de fantastique aura saisi dès la lecture du titre qu’on frôlera le mythe du vampire avec ce texte de Sturgeon. Et c’est effectivement ce que l’on fait. Mais avec un angle tellement inattendu, froid, triste même, désopilant, que le texte marque. Il s’inscrit quelque part à l’arrière de votre subconscient comme une pierre dans votre chaussure : il gène, car il éclaire d’un jour nouveau une thématique que l’on croit maîtriser. Et, non, on peut donc être surpris par un texte sur les vampires, même s’il date de 1961.

Le texte suivant, qui donne quand même un peu de poids au livre, est une nouvelle du nom de Je répare tout. On y suit un autre handicapé social, un homme sans doute difforme, rejeté par ses connaissances qui récupère, par hasard, une femme sur le point de mourir sur un trottoir par loin de chez lui. Au lieu d’appeler les secours, le protagoniste connu pour « réparer tout » se met en tête de soigner l’étrangère et, ainsi, trouver un sens à sa vie. Là aussi, l’horreur (ici plus organique et plus explicite encore) cède sa place à une certaine tristesse pour ce personnage tordu, malheureux, visiblement pas adapté à la société qui l’entoure. La nouvelle fonctionne très bien, même si elle est moins marquante que la novella qui la précède.

Je commence donc à voir une certaine constance dans les textes de Sturgeon, après avoir chroniqué il y a déjà quelques temps Cristal qui songe : il aime les freaks, il aime l’horreur concrète, sensorielle, organique. Et ses textes laissent peu d’espace à l’espoir en un monde meilleur. Un peu de ton sang n’est pas une œuvre majeure de l’auteur, mais c’est une manière intéressante de sortir des sentiers battus et de poursuivre la découverte d’un auteur classique de la littérature de genre, trop souvent oublié à l’heure actuelle. Une lecture très rapide, mais des textes marquant dans leur genre.

Os de Lune

De Jonathan Carroll, 1987.

Court roman et texte précieux, Os de Lune est une nouvelle réédition inspirée de la part de Folio SF. Le texte, depuis sa parution initiale, fut déjà édité et réédité plusieurs fois en français, mais sans doute pas dans une diffusion large comme le permet une édition poche chez Gallimard. Et ce n’est pas plus mal : j’avoue que je n’avais jamais entendu parler de Jonathan Carroll avant de prendre le bouquin dans ma PAL kilométrique. L’homme est écrivain discret et peu prolifique : au cours de ces quarante années de carrière, il a écrit une grosse dizaine de roman et une série de nouvelles remarquées en leur temps. Mais pour le reste, son nom comme son œuvre restent majoritairement dans l’ombre.

Cependant, le fait que l’édition Folio SF s’ouvre sur une préface de Neil Gaiman, comme il l’avait par exemple fait pour l’excellent Lud-en-brume, devrait mettre la puce à l’oreille du lecteur inattentif : on a affaire à texte d’imaginaire différent, délicat, grave et merveilleux, sombre et absurde, comme Gaiman les cultive dans sa propre production. En, en effet, Os de Lune est tout cela à la fois.

Le livre s’ouvre sur une chronique très quotidienne d’une femme qui n’a pas de chance avec les hommes, qui avorte un peu malgré elle d’un enfant non désiré, qui n’a pas confiance en elle et qui n’ose pas réellement vivre sa vie. Jusqu’à ce qu’elle rencontre un nouveau compagnon, une vieille connaissance, le veuf d’une copine d’unif. L’homme la sort de son quotidien, bouscule ses certitudes et l’emmène de l’autre côté de la planète pour le suivre dans une vie de sportif de division 2, pauvre mais pleine de joies. Et tout semble bien aller jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte. Elle se met alors à rêver d’un ailleurs, d’un pays étranger et étrange où l’absurde règne en majesté. Elle accompagne un jeune garçon, répondant au nom de Pepsi, qui se met en quête des Os de Lune, qui lui seront nécessaires pour réclamer le trône de ces contrées étranges. Dans leur quête, ils seront accompagnés d’un chameau parlant, d’une louve gigantesque et d’un chien aussi serviable que brave. Ils affronteront là les peurs de l’enfance, dans tout leur ridicule et leur cruauté, jusqu’à braver le roi actuel, qui pourrait s’avérer être un danger nettement plus réel que ne le pense l’héroïne…

Je ne développerais pas plus avant l’histoire du bouquin. Au long de ses 200 courtes pages, les allers-retours entre la vie new-yorkaise et les expéditions fantasmagoriques de Cullen (c’est le nom de l’héroïne) dans le pays imaginaire du nom de Rondua s’enchaînent à une vitesse impressionnante. Il n’y a pas de temps mort dans ce roman qui fait appel tant à nos craintes d’enfant qu’à nos peurs d’adulte. Jonathan Carroll réussi à nous faire vivre les traumas de Cullen sans jamais tomber dans la démonstration ou l’ostentatoire. Roman symbolique par définition, les tensions et les doutes de Cullen sont contrebalancés par les aventures extravagantes de Pepsi en Rondua, qui obéissent à leur propre logique mais trouvent d’évident parallèles chez sa protagoniste principale.

Bien sûr, quelques rebondissements sont relativement attendus, mais ils n’en demeurent pas moins efficaces et ajoutent une tension emprunte de regrets dans un texte aussi travaillé qu’étrangement fluide à la lecture. Carroll réussi le tour de force, comme Gaiman nous en prévient dans sa préface, a donner du sens à l’expression parfois dévoyée de réalisme magique. Quitte, comme dans les bons contes pour enfants, à être particulièrement cruel et injuste quand il doit l’être. Os de Lune est une lecture différente, mais marquante à plus d’un titre.

The Iron Mask

D’Oleg Stepchenko, 2019.

Également connu sous le nom de :
* Journey to China: The Mystery of Iron Mask
* Viy 2: Journey to China
* The Mystery of the Dragon Seal
* (et probablement un tas d’autres noms en chinois et en russe !)

Comme beaucoup de gens, ma réaction à la vision du trailer de ce film, il y a quelques mois de cela, était bien sûr : WTF ? Ça sentait bon la série B, voire la série Z. Voire ZZZ. Et c’est exactement ça. The Iron Mask, qui est donc la suite du très méconnu La Légende Viy (du même Oleg Stepchenko, en 2014), est un blockbuster sino-russe. On assiste depuis quelques à cette montée en puissance des industries cinématographiques régionales qui tentent de faire du Hollywood avec une couleur locale. Certains pays avaient déjà une longue tradition de cinéma de divertissement (la Chine, l’Inde, etc.), d’autres s’inventent cette ambition nouvelle, comme la Russie. Oleg Stepchenko en est l’un des fers de lance, côté russe. C’est la raison pour laquelle, en 2014, il a adapté une courte nouvelle fantastique de Gogol qui nous conte les aventures d’un cartographe anglais et de ses voyages dans les Carpates au début du XVIIIeme. Et pour en faire une production internationale, Stepchenko avait pris une star internationale (relative) pour jouer le rôle principal : Jason Flemyng (qui jouait le bon docteur Jekyll et son pendant maléfique dans La Ligue des Gentlemen extraordinaires – autre adaptation très tirée par les cheveux et malaimée par à peu près tout le monde) se trouvait donc au sein d’un casting russo-ukrainien qui connut un succès surprise dans son pays d’origine.

Et uniquement dans son pays d’origine. Mais ça a suffi à donner des ailes aux ambitions du réalisateurs qui se mis à plancher sur une suite. Et c’est ce qui donna The Iron Mask, sorti en 2019 dans les pays qui le diffusèrent au cinéma (directement en VOD ou DVD/Bluray dans nos contrées). Comme les ambitions de Stepchenko était de dépasser les frontières russes et de démontrer qu’il pouvait signer un blockbuster ambitieux et international, il a choisi de chercher des financements en-dehors de la mère patrie. Et quelle meilleure idée que de s’associer avec ses voisins chinois et d’attirer davantage de stars internationales au casting ? Du coup, ce qui était une série B russo-russe retint l’attention de la planète cinéma dans son second opus en castant nuls autres qu’Arnold Schwarzenegger et Jackie Chan eux-mêmes ! Et même Rutger Hauer dans un de ces derniers rôles.

Mais… une production sino-russe, même avec pas moins de dix boîtes de production différentes (j’ai rarement vu un pré-générique aussi long avec les dix logos successifs !), n’est pas une production hollywoodienne. Loin s’en faut. Le film s’ouvre donc sur une bouillie digitale immonde, digne d’un jeu Playstation des années 90 – j’exagère à peine, qui est censée nous résumer la légende d’un dragon qui est à l’origine de la culture du thé (si-si, je vous assure). Mais des méchants sorciers ont usurpé le rôle du maître du dragon (Jackie Chan, bien sûr) pour récupérer les fruits de ce commerce fructueux à leur compte, au détriment du bien-être de ce gentil dragon. Puis, on voit un Londres digital tout aussi moche et on découvre que le maître en question est enfermé sous les combles de la Tour de Londres, dans le même cachot que le Masque de Fer. Ce-dernier est en fait, contrairement à ce que l’on imagine, nul autre que le Tsar légitime de toutes les Russies qui a été, à la suite d’un complot dans son pays d’origine, éjecté lui-aussi vers Londres. Comme quoi, le hasard fait bien les choses. Puis, rushé en vingt très courtes minutes, on nous résume le premier film, on introduit le brave cartographe qui fait le lien entre tous ces personnages et toutes ces intrigues et on assiste aussi à un combat d’anthologie entre Jackie Chan et Arnie (qui joue ici le gardien en chef de la Tour de Londres, qui se fight régulièrement avec les prisonniers pour le sport).

Je vous épargne la logique et les incohérences scénaristiques (ou l’invraisemblance de l’ensemble ? je ne sais pas trop comment l’exprimer). Quoi qu’il en soit, passé cette première demi-heure, on tombe dans un film fantastique chinois plus classique où on a une population locale qui lutte contre l’usurpateur (la méchante sorcière qui exploite le dragon du thé, vous suivez ?), avec un casting chinois qui joue en fait les premiers rôles, suppléés par quelques cosaques en voyage et le pauvre Jason Flemyng qui semble un peu paumé dans tout ça. Et l’ensemble de se diriger lentement vers une résolution très classique et méchamment téléphonée.

Bref, vous l’aurez compris, The Iron Mask est un mauvais film. Voir un très mauvais film. C’est mal réalisé, les SFX ne valent absolument rien, le rythme est problématique, le scénario est indigent et la direction d’acteur est lamentable. Il y a quelques moments qu’on peut sauver dans l’ensemble : Schwarzie est en roue libre et trouve l’ensemble très marrant. Du coup, on rigole bien à le voir faire n’importe quoi à l’écran. Le duel avec Jackie Chan dans la Tour de Londres est aussi très bien réussi et très bien chorégraphié. Mais la raison est toute simple : c’est le staff proche de Jackie Chan qui a pris la main sur ces scènes et j’imagine que le brave Oleg Stepchenko s’est assis dans un coin et a laissé faire « ceux qui savent » (et qui ont déjà chorégraphié à peu près 500 scènes de bataille dans la filmographie kilométrique de papy Chan).

Tout le reste démontre une seule chose : il faut avoir les moyens de ses ambitions. Les 50 millions de dollars du budget sont partis essentiellement dans les poches de Shwarzie et de Chan qui trustent l’ensemble de la promo (alors que leur temps d’écran est quand même vachement limité). Les miettes ont été mises sur ce qui aurait dû être l’essentiel : ce que ça raconte et comment on peut le montrer à l’écran. Le film a d’ailleurs fait un four total au box-office, même en Russie. Ce qui est assez logique, puisqu’en déplaçant l’action en Chine, il perd justement son côté régional/national/nationaliste (oui, le raccourci est un peu facile, mes excuses). C’est d’ailleurs amusant de le voir à l’écran : les acteurs parlent tous leur langue. La question est donc de savoir quelle est la version originale ? La version en russe ? En anglais ? En mandarin ? Mystère. J’aurai bien voulu voir une version non-doublée en anglais, mais une version où chacun parlait sa langue. Évidemment cela aura donné des situations pittoresques où les dialogues se font dans deux langues en même temps, mais cela aurait donné une vision plus réaliste du melting-pot culturel que The Iron Mask ambitionnait de devenir. En hésitant entre toutes ces influences, toutes ces pistes et toutes ces cultures, on a donc un film qui rate sur tous les tableaux. Une vraie série Z ridicule, mais avec trop d’ambition et de moyens mal exploités que pour devenir comique par défaut (à l’instar de la grande saga Sharknado et autres copycats). Une belle heure et demie perdue dans ma vie ! 🙂