Vaporetto 13

De Robert Girardi, 1997.

Il y a quelque chose dans la Sérénissime qui attire les écrivains et les emporte dans une sorte de mélancolie contemplative, hésitant entre le fantastique macabre et l’amour maudit. J’avais déjà rédigé quelques pensées sur La forteresse de coton de Philippe Curval dans ces colonnes. 30 ans avant Vaporetto 13, l’auteur français se servait déjà de Venise comme d’un décors à une histoire d’amour hors du temps et hors du commun. Cependant, Robert Girardi est nettement plus terre à terre que son collègue français : c’est un auteur américain qui place le récit devant le style.

Auteur ayant connu quelques années de gloire à la fin de années 90, après dix ans de galères éditoriale et avant de replonger dans l’anonymat à l’aube des années 2000, Robert Girardi était pour moi, je l’avoue volontiers, un parfait inconnu. Mais comme je garde un très bon souvenir de Venise et que la quatrième de couverture me plaisait, je me suis quand même lancé dans son intriguant Vaporetto 13.

En quelques mots, on y suit l’histoire de Jack Squire, un trader américain qui n’aime pas beaucoup sa vie de golden boy, coincé avec une jolie femme qu’il n’aime pas non plus et qui fréquente ses « amis » professionnels qu’il n’aime définitivement pas. La banque pour laquelle il travaille, pour une raison assez obscure (véritable opportunité ? mise au placard ?) l’envoie dans la vieille Europe pour y surveiller les marchés locaux de l’intérieur. Et, plus précisément, dans une succursale italienne du conglomérat bancaire qui l’emploi, à Venise. Là-bas, Jack se sent mal. Sa vie lui échappe et il sombre dans une insomnie causée tant par ses propres remords que par la ville elle-même, aussi repoussante qu’elle peut être attirante. Le Venise touristique est en effet également une ville qui sombre, une ville morte, une ville musée. Où la décrépitude se bat avec le pourrissement. Où les odeurs de moisi se disputent l’air ambiant avec le gasoil puant des bateaux-moteur, beaucoup plus nombreuses que leurs innocentes parentes, les gondoles.

C’est en fin de nuit, à l’heure où la ville dort, qu’il rencontre par hasard lors d’une de ses promenades d’insomniaque désespéré une femme étrange qui nourrit les chats errants de la cité des Doges. Il apprend alors progressivement à la connaître, alors qu’elle l’entraîne dans une ville interlope, méconnue, comme hors du temps. Et sa vie s’effiloche encore davantage, perdue dans les bras de cette amante aussi froide que mystérieuse.

Voilà un roman aussi classique qu’insolite ! Classique, car il ronronne souvent sur du facile. La vie de trader de Jack, les épisodes en flashback nous éclairant sur son histoire et la progression finalement très mécanique du récit ne relèvent pas d’une grande inventivité. De même, certaines « ficelles » d’écrivain transparaissent un peu trop dans les lignes de Girardi. Sans compte une certaine forme de naïveté très année 90 sur les milieux financiers, sur les femmes et sur la rédemption par l’amour.

Pourtant, le bouquin est aussi insolite. De manière assez efficace, le livre est marqué d’une connaissance visiblement documentaire de la Sérénissime, de son histoire et de ses légendes. De manière plus incongrue peut-être, on y découvre un portrait politique de l’Italie moderne alors en pleine transition (je ne m’attendais pas à lire dans un bouquin fantastique plusieurs pages sur le conflit Prodi/Berlusconi). Et ce mélange des genres fonctionne, bizarrement, assez bien. L’amour que l’auteur porte pour Venise, certainement plus que pour son personnage principal qui est finalement assez médiocre, et pour une certaine idée de la décadence italienne sont les véritables forces du roman.

Vaporetto 13 est donc un roman assez inégal, mais qui se lit pourtant avec passion jusqu’à sa conclusion. Si Girardi était davantage sorti des sentiers battus et avait franchi le pas pour verser réellement dans le fantastique, le bouquin en serait probablement sorti grandi. Mais cette hésitation entre les genres, tout comme l’indécision de son héros, qui passe les trois quarts du livre dans un état second par manque de sommeil, rende l’atmosphère de l’œuvre pesante et séductrice tout à la fois. Ce mélange de répulsion et d’admiration force le lecteur à suivre Girardi jusqu’au bout de sa pensée, jusqu’à une fin en demi-teinte, prévisible et pourtant inévitable.

Conclusion : je vous conseille Vaporetto 13 si vous voulez vous perdre quelques heures dans le dédale des impasses et des canaux vénitiens. Vous y trouverez le charme déliquescent si particulier de cette ville. Vous y découvrirez les spécialités culinaires (autre obsession de l’auteur, visiblement). Vos sens seront requis pour suivre Jack dans sa fuite en avant. Vous rappellerez-vous les détails du récit d’ici quelques semaines ? Non, sans doute pas. Mais d’une impression fugace : une décrépitude fascinante. Ce n’est déjà pas si mal.

Songe d’une nuit d’octobre

De Roger Zelazny, 1993.

L’auteur du Cycle des Princes d’ambre fut un auteur relativement discret de son vivant, bien qu’il fut prolifique et remporta les grands prix de la littérature de genre à de multiples reprises (6 Hugo, 3 Nebula, excusez du peu). Il connut même l’honneur d’être ex-æquo en 66 lorsqu’il gagna le Hugo pour Toi l’immortel avec un certain… Frank Herbert, qui se voyait remettre le prix cette année-là pour rien de moins que Dune. Et pourtant, comme je le disais, Zelazny est assez discret. Il n’apparait que rarement dans les classements des grands auteurs de SF et seuls les aficionados d’Ambre le porte effectivement aux nues. Peut-être est-ce dû à une trop courte vie (il est mort à seulement 58 ans, en 1995, après avoir beaucoup ralenti sa production littéraire les dernières années de sa vie) ? Ou à une œuvre qui se démarque sans doute trop des ornières de la SF classique ? Quoi qu’il en soit, si vous êtes passé à côté de Zelazny jusqu’à présent, c’est certainement un auteur à (re-)découvrir et à pratiquer assidument pour s’approprier la richesse de ses textes et l’impact de ses obsessions.

Et pourquoi ne pas débuter par la récente réédition de Songe d’une nuit d’octobre chez ActuSF, à travers la collection poche Hélios ? Derrière ce titre ostensiblement inspiré de Shakespeare (jeu de mots que l’on ne retrouve d’ailleurs pas dans le titre original : A Night in the Lonesome October) se cache un texte seulement à moitié sérieux de l’auteur américain. Sous la forme d’un hommage au mythos lovecraftien, Zelazny s’amuse à mettre en scène une série d’icône de la littérature fantastique dans un chassé-croisé souvent très théâtral. Et excusez du peu : on y croise Dracula, Jack l’éventreur, le Dr. Frankenstein et sa créature, Raspoutine, un loup-garou, une sorcière, un moine fou et, bien sûr, Sherlock Holmes. Entre autres.

Tout ce beau monde se retrouve dans un endroit précis pour jouer une pièce connue de tous ses protagonistes : ils sont les joueurs (littéralement, c’est l’une des obsessions littéraires de Zelazny) qui s’affrontent entre le camp des ouvreurs et des fermeurs. Les ouvreurs ont pour vocation de réussir un rituel qui invoquera un (ou plusieurs ? ce n’est pas forcément très clair) grand ancien sur Terre pour bousculer fondamentalement l’ordre établi. Les fermeurs, eux, tentent de les en empêcher. Et les règles du jeu sont clairs : chaque joueur devra d’abord identifier ses alliés et ses ennemis, conclure d’éventuelles alliances, trouver le lieu de l’évocation et se préparer au mieux pour y jouer son rôle, à l’aider de divers instruments, outils et facilitateurs aux propriétés magiques (des masques, bagues, baguettes et autres).

En soi, le programme est déjà alléchant comme ça. Mais c’est là que Zelazny s’amuse à jouer (lui-aussi) avec les attentes de son lecteur. Car le récit sera raconté non du point de vue de l’un des joueurs, mais du point de vue de leurs familiers. Oui, de leurs familiers. Ainsi, le narrateur principal du livre n’est autre que… le chien de Jack l’éventreur ! Et nous lirons donc essentiellement les dialogues que ce dernier pourra avoir avec les autres familiers (un chat pour la sorcière, une chauve-souris pour Dracula, etc.) Car ce sont les familiers qui sont en première ligne pour s’échanger des infos, espionner les autres joueurs, conclure des pactes, etc. Parfois différents de ceux de leurs maîtres respectifs, d’ailleurs.

Se plonger dans Songe d’une nuit d’octobre revient donc à se plonger dans le récit d’une grande partie d’échec. Les chapitres se succèdent comme un calendrier inversé, débutant le 1er octobre alors que l’on sait que la nuit de l’invocation est, bien sûr, fixée à Halloween. Et le rythme ira crescendo jusqu’au dénouement final, annoncé dès les premières pages mais qui réserve, comme de juste, son lot de surprises et de retournements de situation.

Zelazny s’amuse donc des codes de la littérature fantastique. Il convoque dans ce bouquin tous les archétypes du fantastique élisabéthain, il y ajoute un hommage appuyé à Lovecraft et, par la magie de l’écriture, il en fait un roman de fantasy animalière ! Ce qui peut paraitre être une bouffonnerie humoristique se paie pourtant le luxe d’être un récit qui fonctionne, alternant les passages drôles, les références multiples avec un véritable fil narratif. Ce n’est évidemment pas du tout venant, dans la fantasy, mais c’est autant marrant que prenant. L’intro de l’édition, signée par un fan de Zelazny, vaut également la peine d’être lue pour la richesse de son contenu et l’amour manifeste que son auteur a pour le regretté Roger. En résumé : du tout bon en poche à prix raisonnable ; jetez-vous dessus pour tenter quelque chose qui sort des sentiers battus !

Les Carnets Lovecraft: Dagon

De Howard Philip Lovecraft & Armel Gaulme, 2019.

Alors oui, je sais bien que Dagon est paru en 1917 et pas en 2019. Mais on va parler ici de l’édition toute récente de Bragelonne. Ceux-ci, qui surfent sur l’engouement relativement récent du public francophone pour les nouvelles de SF et les novellas publiées indépendamment (merci Une Heure-Lumière) et, en parallèle, sur l’engouement toujours marqué pour les œuvres du reclus de providence, nous livrent un petit livre-objet avec ce premier tome des Carnets Lovecraft mettant en valeur la première nouvelle publiée de H.P. Lovecraft, Dagon.

Sur le texte, je ne vais pas dire grand-chose : bien qu’il s’agisse de la première nouvelle publiée de Lovecraft, on y trouve déjà, en condensé, tout ce qui fait le charme des textes de l’auteur : le glissement dans la folie, les psychotropes divers, le héros qui raconte son histoire au passé, sous forme de témoignage, ce héros qui n’est est pas un et qui se contente d’être l’observateur des évènements qu’il vit, les décors cyclopéens, etc. Avec en guest, un grand ancien (même si la mythologie n’est pas réellement explicite dans ce premier texte). C’est un texte sympathique, pas le meilleur de son auteur, mais que l’amateur éclairé aura déjà lu de nombreuses fois dans un recueil de nouvelles ou une intégrale quelconque (celles-ci foisonnent, en anglais comme en français).

La véritable valeur ajoutée de cette énième édition de Dagon sont bien sûr les magnifiques crayonnés d’Armel Gaulme, véritable co-auteur de ces Carnets. Bragelonne a eu la bonne idée de laisser libre champ à cet artiste pour illustrer les textes de Lovecraft. Son dessin, précis et monochrome, sert à merveille le texte. Il illustre la bizarrerie du texte, offre une vision d’artiste sur ce qu’est l’univers sous-marin évoqué dans la nouvelle. Abondants, les dessins complètent admirablement les mots pour imposer une certaine lourdeur inquiétante dans la vision des évènements. Comme Armel Gaulme le précise lui-même dans le texte qu’il signe et qui clôture le livre, le propos est probablement encore mieux servi qu’il ne met pas en scène les monstres, tentaculaires ou non, mais bien insiste sur ces paysages et cette architecture « étrangère » qui distille cette horreur indicible qui naît dans la progression du récit.

Bien sûr, c’est moins flamboyant que L’Appel de Cthulhu illustré par François Baranger, publié lui-aussi chez Bragelonne l’année passée. Mais c’est une autre vision de l’illustration, plus économe et peut-être plus évocatrice. Plus retenue, certainement.

Mais… Cela m’amène à parler du principal problème de ce premier tome des Carnets Lovecraft (La Cité sans Nom est prévue pour octobre 2019). Son prix. Car si les 25€ de L’Appel de Cthulhu ne sont pas excessifs au regard du très beau livre objet qu’il est (grand format, papier glacé, une grosse vingtaine de peinture en double-page A4 où le texte vient s’insérer), les 15€ de Dagon sont totalement excessifs. Malgré les dessins de Gaulme, payer ce prix pour une vingtaine de page dans un format poche sur un papier assez basique est un poil de l’arnaque. Dans ce format-là, un prix similaire m’aurait paru correct pour un tome d’une centaine de page (soit trois nouvelles au lieu d’une). L’avoir découpé réserve de facto cette édition aux aficionados et aux collectionneurs (qui dépensent sans compter, comme John Hammond). Le lecteur curieux ferait mieux de se passer des dessins de Gaulme et de se rabattre sur une édition intégrale qui, pour un prix similaire, proposera 200-300 pages de textes de la plume de Lovecraft (et pas une petite dizaine, comme ici, quand on ne compte pas les pages réservées aux dessins).

En résumé, j’ai quelques doutes sur l’approche très commerciale de Bragelonne pour ce texte qui, rappelons-le, est déjà rentabilisé chez eux dans au moins trois ou quatre autres éditions successives. La vraie bonne nouvelle de ce premier Carnet est qu’on aura plus longtemps à attendre pour le deuxième tome illustré par François Baranger. Et que ce prochain tome sera Les Montagnes Hallucinées. Enfin, bonne nouvelle : là-aussi, Bragelonne sent le bon filon, puisqu’ils ont décidé de publier les Montagnes illustrées en … deux tomes. Soit 50€ pour une novella déjà lue et relue. Mettons : les illustrations de Baranger les vaudront certainement.

Le Vent dans les Saules

De Kenneth Grahame, 1908.

Profitant d’une réédition poche chez Libretto à seulement 10 €, avec une agréable couverture en simili-cuir vert clair, je rattrape un manque flagrant à ma culture littéraire fantasy. Grand classique de la littérature enfantine anglaise, Le Vent dans les Saules a été adapté des dizaines de fois en BD, films d’animation, série animée ou même encore film live depuis ses 110 ans d’existence. L’occasion de revenir au texte d’origine était donc trop belle pour passer à côté.

Et grand bien m’a pris ! L’écriture de Grahame n’a pas pris une ride malgré son âge. La rive du petit cour d’eau bucolique qui sert de cadre à la plupart des histoires du recueil est instantanément familière à tout ceux qui eurent la chance de se balader en forêt dans leur jeunesse. Cette campagne anglaise, universellement reconnaissable, est le décors parfait aux aventures de M. Taupe, M. Rat, M. Blaireau et, bien sûr, l’inénarrable M. Crapaud. La douceur de vivre, la langueur même, qui sourdre de ces tranches de vie nous font retourner dans le passé : à travers ces pages, nous sommes à nouveau les jeunes enfants insouciants que nous fûmes, préoccupés par un bon repas, un bon sommeil et des aventures amusantes à raconter le lendemain aux copains.

Mais Kenneth Grahame n’est pas Béatrix Potter : même s’il s’adresse avant tout aux enfants, il ne peut s’empêcher de livrer aussi à travers ses douces histoires une certaine vision de l’Angleterre du début du XXème siècle. Une Angleterre bucolique, rurale, où il est bon de prendre le temps de vivre. Une Angleterre qui n’existait en fait déjà plus à cette date, victime de l’industrialisation massive qui en fit la première puissance mondiale quelques années avant. Car, pour faire un parallèle qui n’étonnera guère le lecteur de fantasy, il y a quelque chose de la Comté le long de cette rivière tranquille qui sert de foyer à nos héros. Et quelque chose d’hobbit-esque chez messieurs Rat, Taupe et Blaireau. Il fait bon vivre à retrouver son foyer, à partager de multiples repas conséquents, à simplement flâner et profiter d’une nature généreuse et belle.

M. Crapaud est là pour semer le trouble dans cet équilibre tranquille. Par ses idées fantasques, sa passion pour les ennuis et sa très haute idée de lui-même, il est le grain de sel qui vient gripper les rouages et forcer nos héros à sortir de leur torpeur bienveillante et à entrer en action. Tout ceci dans le respect des convenances d’un Angleterre victorienne où le vouvoiement est de rigueur et où l’on ne fraie pas avec les Lapins, ces idiots qui ne pensent qu’à se reproduire ou avec les Fouines et Belettes, les racailles du coin.

D’aucun pourrait penser que tout ceci sent bon le suranné. Et s’il est vrai que certains chapitres sont évidemment d’un intérêt moindre pour un lecteur adulte, il n’en demeure pas moins que le livre recèle quelques bijoux fantaisiste qui parleront au cœur même des plus insensibles d’entre nous. Je pense en particulier au chapitre où messieurs Rat et Taupe récupère le fils de M. Loutre chez le joueur de pipeau aux portes de l’aube, l’esprit de a nature. Ou encore au chapitre où M. Rat est tenté de suivre l’un des siens dans un voyage à travers le monde avant d’être rappelé à l’ordre par son ami M. Taupe. Et les plus jeunes, eux, riront sans doute aux mésaventures de M. Crapaud, qui passe chauffard à repenti en passant par la case prison et par une évasion rocambolesque.

On peut d’ailleurs se demander si Le Vent dans les Saules est réellement un livre de fantasy. Bien que classé comme tel, dans le sous-domaine particulier de la fantasy animalière, les personnages du Vent dans les Saules pourraient tout aussi bien être des gentilshommes anglais victoriens tout ce qu’il y a de plus classique. Mais Grahame n’en fait pas des caricatures d’être humains. Même s’ils sont anthropomorphes par bien des aspects, les protagonistes du roman sont bien des animaux parlant. S’ils ont des épiceries, des relations de bon voisinage, s’ils mangent du saucissons en l’accompagnant de vins italiens, ils n’en demeurent pas moins des rats, des taupes et des blaireaux. Grahame parvient donc à croquer certains comportements de ses contemporains, une certaine nostalgie d’un âge d’or (le titre d’un autre de ses romans, d’ailleurs) perdu, un amour de la nature et des éléments fantastiques légers car, rappelons-le nous : les animaux ne parlent pas, dans la vraie vie. Et ils ne conduisent pas non plus d’automobile.

Personnellement, je ne me suis pas embêté une minute à la lecture de ces quelques deux cents pages que j’ai avalé en quelques heures. Je suis particulièrement enchanté par le niveau d’écriture, exigeant, qui n’a pas le défaut de prendre les enfants pour les idiots et qui, comme c’était l’usage à l’époque, s’adresse à eux avec un vocabulaire soutenu et des évocations qui frisent de temps à autre avec la poésie. Le texte prends en plus une couleur particulière lorsque l’on sait que Kenneth Grahame créa cet univers et ces personnages pour son fils, un entêté qui partageait beaucoup de son caractère avec M. Crapaud, malheureusement décédé quelques années plus tard. La garçon, surnommé la souris, était né aveugle d’un œil et en proie à de nombreux problème de santé. Il s’est suicidé à 20 à peine et Grahame, décédé en 1932, du donc vivre pendant plus d’une dizaine d’année avec une œuvre au succès mondial qui lui rappelait chaque jour son fils disparu.

Passé cette anecdote sinistre, je ne peux que vous encourager de découvrir ce classique qui mérite amplement sa réputation et son succès. Le récent poche à l’avantage d’être économique et pratique à lire, mais il est probablement assez simple de se procurer une des nombreuses versions illustrées qui existent qui seront sans doute plus évocatrices si vous partager la lecture avec des enfants. Le mien est encore un peu petit pour suivre ces aventures, mais le bouquin est certainement sur la pile des œuvres à lui faire découvrir, pas bien loin du Hobbit et de Narnia.

Le Dogue noir

De Neil Gaiman, 2016.

A l’instar du Monarque dans la Vallée, Le Dogue noir est une novella, signée Neil Gaiman, qui nous narre un nouvel épisode dans la vie d’Ombre Moons, le héros mutique d’American Gods. La nouvelle est un peu plus courte que le Monarque, mais fait toujours partie de la très bonne production de Gaiman. Fantastique nouvelliste, on comprends à la lecture de ce texte que Gaiman aime retrouver l’univers d’American Gods et d’Anansi Boys. Et, en tant que lecteur, on ne peut qu’être d’accord !

Ombre continue donc son voyage au Royame-Uni (avant ou après le Monarque ? il y a quelques indications de temps passé depuis American Gods, mais j’avoue ne plus m’en souvenir) et le voilà qui arrive dans un pub dans un petit village paumé où il sympathise avec un gentil couple de quadras locaux. Coincé pour la nuit, le couple l’invite à dormir chez eux avant de reprendra sa route le lendemain. Et Ombre les trouve sympathiques, gentils, un peu excentriques peut-être, mais définitivement attachants. Et puis Ombre a également croisé une jeune femme aux cheveux courts, au pull vert et aux jeans délavés qui semble lui marquer un intérêt certain. Ombre se laisse donc tenter et décide de rester quelques jours, d’autant plus que sur le chemin de retour du pub, son gentil hébergeur tombe dans les pommes après avoir vu le dogue noir, synonyme de mauvais présage (de mort, en fait) dans le folklore local.

Mais bien sûr, les apparences sont trompeuses et on croisera avant la fin de l’histoire des fantômes, un assassin et Bastet, qui refait ici une apparition indirecte pour rappeler à Ombre qui il est réellement. Au Diable Vauvert édite cette courte nouvelle dans la même collection que le Monarque et que la réédition d’American Gods et le texte est une nouvelle fois superbement illustré par Daniel Egnéus, qui met ses pinceaux et son style très gothique au profit de la poésie en prose de Gaiman. La mise en page est particulièrement soignée et l’impressionnisme d’Egnéus font à nouveau mouche et le livre, en plus d’être un bel objet, n’en devient que plus agréable à lire.

Même bémol que la dernière fois ; 22 euros pour une petite heure de lecture, ça fait évidemment un peu mal au porte-feuille. Mais il faut avouer que les trois tomes (American Gods et les deux novellas), posés l’un à côté de l’autre, sont du plus bel effet dans une bibliothèque qui fait la part belle au fantastique. Et Gaiman mérite en fait amplement cette édition un poil luxueuse. Du tout bon, en somme !