H.P.L.

Suivi de Celui qui bave et qui glougloute De Roland C. Wagner, 2006-2007.

Réédité il y a quelques mois à l’occasion des 80 ans de la mort du reclus de Providence, ce court volume reprends deux nouvelles du regretté Roland C. Wagner, décédé malheureusement trop tôt voilà quelques années. Ce court volume (140 pages plus ou moins) renferme deux textes très différents l’un de l’autre. Le premier est une biographie fictive d’Howard Philip Lovecraft, si ce dernier n’était pas lui aussi mort jeune mais avait vécu jusqu’à ses 101 ans. Le second est une nouvelle plus classique, hommage là aussi aux monstres tentaculaires sortis des abysses insondables -et forcément indicibles- de l’imaginaire lovecraftien.

Dans le premier texte, H.P.L., Wagner se plaît à imaginer un Lovecraft qui réoriente sa production littéraire vers la S-F après la seconde guerre mondiale et qui prend progressivement le rôle d’un vieux sage de la littérature de genre (ce qu’il est, paradoxalement, effectivement devenu à titre posthume). Wagner en profite même pour corriger certains traits que les amateurs des œuvres lovecraftiennes sont toujours un peu gênés d’évoquer lorsqu’ils parlent de l’auteur : exit le racisme primaire dont il a pu faire preuve et sa sympathie étrange pour le régime nazi. Lovecraft, ici, se rend compte de son erreur et fini même par être inquiété par le maccarthysme dans les années 50/60 pour ses sympathie avec le socialisme.

Au-delà du côté amusant de l’exercice, il faut admettre que cette fausse bio est particulièrement bien pensée en ce qu’elle est crédible. Elle présente en effet une progression, tant littéraire que sociale, de la vie de Lovecraft et le tout tient très bien la route. Wagner démontre par ailleurs sa grande connaissance de l’œuvre du maître, mais aussi et surtout des aléas et travers de l’histoire éditoriale de son œuvre, dans leur version originale comme dans leur version française. Les notes en bas de page regorgent d’anecdotes vraies (ou presque vraies ?) sur l’édition des œuvres de Lovecraft en français, par exemple. Si Sadoul est cité à plusieurs reprises pour ses éditions de best-of des revues pulps (faudra un jour que j’en parle ici, d’ailleurs, étant grand amateur du genre), c’est surtout Bergier qui en prend pour son grade avec sa « lecture » totalement faussée de l’intention de Lovecraft et de ses textes…

Ce premier texte est suivi par une version anglaise du même texte. Il s’agit d’une adaptation plus que d’une simple traduction, puisque les nombreuses références au monde de l’édition francophone sont purement et simplement supprimées, lorsqu’elles ne sont pas remplacées par des références anglo-saxonnes (cependant moins nombreuses). L’effort est notable, mais je comprend mal l’intérêt de le publier dans ce court recueil ostensiblement destiné à un public francophone ? Soit, c’est un moindre mal.

Le troisième et dernier texte (après H.P.L et sa traduction anglaise) est donc Celui qui bave et qui glougloute. Vous imaginerez aisément qu’il s’agit d’un texte à vocation comique. Visiblement, symptomatique de la production de Roland C. Wagner (dont je lis ici la première œuvre, donc je sais difficilement juger par moi-même), il s’agit en effet d’une farce sur le fond qui développe cependant une véritable histoire avec un véritable enjeu dramatique. En deux mots, un groupe d’intellectuels américains, dans le but d’aider les indiens a résister à leur lente extermination par les conquérants de la Frontière, invoque malheureusement des créatures d’outre-espace qui n’ont pas pour ambition d’aider uniquement les indiens à mener un combat juste. Ils veulent aussi asservir l’humanité. Et la situation s’empire quand Washington reçoit à son tour l’aide d’autres créatures extra-terrestres qui, sous le couvert de vouloir équilibrer les chances, importe en fait un conflit millénaire sur Terre.

Et la solution s’impose : il faut invoquer un grand ancien qui va mettre tout le monde d’accord. Mais pas le plus malin ; celui qui bave et qui glougloute. Amusant à lire, la nouvelle invoque toutes les grandes figures que l’on associe volontiers au western : les Daltons, Camility Jane, Wyatt Earpt, etc., etc. Avec, au-dessus de tout cela, un couche de monstres chitineux et protoplasmiques. 🙂

Wagner a rédigé cette nouvelle à l’origine pour une recueil consacré au steampunk. Mais, comme on l’apprends dans la post-face du bouquin (composé d’interviews de l’auteur), Wagner n’est pas un fana de ce sous-genre, considérant qu’il n’apporte pas grand chose au fantastique dans son ensemble et qu’il a même plutôt pour effet de restreindre l’imagination des auteurs qui le pratique. Du coup, plutôt que de choisir bêtement un Londres (ou un Paris) brumeux au tournant du XIX siècle, comme dans 99% de la production steampunk, il a cadré son histoire aux États-Unis, sur la frontière de l’Ouest, la fameuse Frontière de la conquête de l’Ouest. Et il l’a mélangé à l’imaginaire de Lovecraft, pour notre plus grand plaisir de lecture. Mangez-en, les amis, c’est du bon.

Angel Heart

Sous-titré : Le Sabbat dans Central Park

De William Hjortsberg, 1978.

Harry Angel est un privé new-yorkais dans les années 50. Il est engagé par un certain Louis Cypher (ah! mais qui pourrait bien ce cacher derrière ce patronyme ?) pour retrouver le chanteur Johnny Favorite, disparu quelques années plus tôt de l’hôpital pour vétérans de guerre où il était soigné. Et Harry de passer son imper, de mettre son flingue en bandoulière et de partir interroger toutes les connaissances dudit Johnny. Rapidement, il se rend compte que de sombres histoires de rites vaudous et/ou sataniques traînent dans les parages et que la piste de Johnny sent le souffre. Et les choses s’aggravent lorsque les témoins contactés par Harry commencent à mourir l’un après l’autre, de l’assassinat maquillé en suicide en passant par le meurtre rituel…

Hjortsberg, auteur assez peu prolifique, signe avec Angel Heart l’un de ces deux succès d’édition (avec Nevermore, autre roman noir qui convoque Conan Doyle et Houdini pour résoudre une enquête dans les années 20). Et Angel Heart est également son œuvre la plus connue, suite à l’adaptation ciné d’Alan Parker fin des années 80 avec Mickey Rourke (avant chirurgie) dans le rôle principal et Robert De Niro dans le rôle de Lucifer (je ne vous ai pas vraiment spoilé, si ?). Alan Parker eu d’ailleurs la bonne idée de déplacer l’intrigue de New York (dans le roman) vers la Nouvelle-Orléans (dans le film), ce qui donne un côté Sud décadent qui colle à l’histoire et rend l’hommage au jazz de l’entre-deux-guerres encore plus évident.

Le bouquin, lui, se lit pour ce qu’il est : un bon policier. Entièrement centré sur Angel et son enquête, le roman nous fait vivre heure par heure et jour par jour l’avancement du privé dans les méandres sataniques de la vie de Johnny Favorite. Et c’est efficace comme un bon polar : ça se lit vite, c’est plein de rebondissements, de sang et même un peu de sexe. Reste à savoir pourquoi Folio a décidé de le rééditer dans sa collection SF, alors qu’il était originellement publié dans la série noire de Gallimard, où il avait probablement plus sa place. L’élément fantastique du bouquin (vous l’aurez compris : le diable est aux manettes) lui trouverait davantage une place naturelle dans la collection horreur (aux côtés de King ou de Straub) que dans la collection SF.

Mais qu’à cela ne tienne : ça fait longtemps que je n’avais plus lu de polar, n’étant pas tellement friand d’un genre où la mécanique est tellement bien huilée que rares sont les auteurs qui parviennent à innover ; c’était l’occasion ! De plus, par ses fortes chaleurs (il fait 36° chez moi !), la moiteur des clubs de jazz interlopes des bas-fonds de New York sonnent très naturels. Tout comme les sabbats glauques qui donnent leur sous-titre au livre. Enfin, le twist final est bien amené et finalement assez peu prévisible, ce qui joue aussi en faveur du titre. Bref : un bonne histoire, pour ceux que le glauque n’effraie pas, même si ce n’est certes pas un chef-d’œuvre intemporel.

L’Instinct de l’équarrisseur

Sous-titré : Vie et mort de Sherlock Holmes

De Thomas Day, 2002

Hommage punk au canon holmésien, Thomas Day nous relate ici les aventures fantastiques du « vrai » Sherlock Holmes, assassin royal de sa Majesté dans un univers parallèle à la limite du steampunk. Arthur Conan Doyle, l’auteur, le vrai, qui déteste sa création, ne fait ici que relater les aventures de ce double extravagant en les atténuant pour nos yeux de lecteur sage et incrédule. Doyle, donc, sert de passage entre notre monde actuel, dans l’Angleterre victorienne, et le monde parallèle, où Sherlock poursuit les démons à Londen (double étrange de Londres), dans un monde où l’homme cohabite avec un espèce extraterrestre ressemblant à s’y méprendre à des ours en peluche.

Dans son délire fantastico-policier, Day convoque un certain nombre de personnages historiques étrangement falsifiés dans cet univers parallèle : Jack London, Oscar Wilde, Freud, Einstein ou encore Jack l’Éventreur. Sans oublier, bien sûr, le parangon éternel : James Moriarty.

Mêlant habillement, comme à son habitude, le sexe et la violence crue, Day s’arme dans ce qui fut l’un de ses premiers romans publié, d’un humour destructeur mais efficace. Les jeux de mots font mal, au propre comme au figuré. Car Holmes, dans l’Instinct de l’équarrisseur, est davantage proche du psychopathe cocaïnomane que de l’enquêteur misanthrope. Jamais il n’aura été plus proche, finalement, de son double maléfique, le génial James Moriarty.

Sur l’histoire en tant que telle, peu de chose à dire : Doyle accompagne Watson qui accompagne Holmes dans sa lutte contre l’assassin de white chapel dans un premier temps, puis dans sa lutte contre Moriarty dans un second temps (le bouquin pourrait être composé de deux novellas indépendantes, si ce n’est le lien scénaristique ténu entre les deux). D’autres pistes sont évoquées et explorées (la vie de Doyle, le rôle de la compagne de Moriarty, etc.), mais sont relativement secondaires par rapport à la mécanique du récit.

Comme d’habitude avec Day, ça va vite, ça cogne dur, on se marre bien. Tout cela est très efficace. On sent aussi l’amour que Day porte au matériau de base, même s’il le malmène ici à l’extrême. La bibliographie fouillée publiée par l’auteur en fin d’ouvrage montre qu’il connait son Holmes par cœur, et qu’il a un intérêt certain pour les pastiches et hommages qui lui furent rendu en littérature depuis des dizaines d’années. Un bon moment de lecture : du Pierre Pevel sous testostérone.

The Shape of Water

De Guillermo Del Toro, 2017

Puisque tous les réalisateurs barbus à lunette sont destinés à avoir un Oscar à un moment ou un autre (sauf George Lucas, of course), 2017 était l’année de Del Toro. Après avoir livré de la commande en la marquant de sa patte (Mimic, Blade II), avoir imposé un style (Hellboy I et II), s’être révélé intimiste (Le Labyrinthe de Pan), anecdotique (Crimson Peak) ou simplement génial (Pacific Rim), Del Toro se frotte donc à l’exercice du film à prix. Malin comme il est, le bonhomme a rédigé le scénar lui-même (novellisé entretemps), dans l’univers qui est le sien, à mi-chemin entre le film de monstre et le film d’amour.

The Shape of Water tient assurément plus du Labyrinthe que de Pacific Rim ou d’Hellboy, même s’il partage avec ses aînés un univers artistique décalé. Le film nous conte (et, bien sûr, le verbe n’est pas anodin) l’histoire d’Elisa, femme muette dans la trentaine, qui vit seule dans un appartement déglingué au-dessus d’un cinéma de quartier. Ses seuls amis sont son voisin, un vieil artiste gay désargenté (interprété par l’excellent Richard Jenkins) et sa collègue directe, Zelda, une mama black qui passe son temps à râler sur son mal de pied et sur son mari (interprété par la non-moins excellente Octavia Spencer). Femme de ménage pour une agence gouvernementale obscure, sa vie est rythmée par le traditionnel métro-boulot-dodo, dont elle s’échappe en rêvassant et grâce aux facéties de son vieux voisin de palier. Mais son train-train est bousculé lorsqu’elle rencontre un étrange humanoïde amphibien, créature de laboratoire étudiée par des hommes en blouse de scientifique à son boulot.

Malmenée par l’effroyable colonel Richard Strickland, interprété par le non-moins inquiétant Michael Shannon, la pauvre créature se laisse doucement mais sûrement apprivoiser par la gentille Elisa. Tous deux muets, ce couple improbable va se progressivement se rapprocher jusqu’à ce que l’amour naisse entre eux. Bien sûr, les péripéties ne manqueront pas d’arriver (la fuite, la course-poursuite, etc.), mais ce n’est pas le cœur du film. Il s’agit avant tout, comme souvent chez le Del Toro intimiste, de s’intéresser à la vie de marginaux, de personnages sans importance, qui finissent par vivre un destin hors du commun. Comme l’Ofelia du Labyrinthe de Pan, Elisa se trouve au centre d’une histoire qui la dépasse, mais qu’elle choisit de vivre intensément, comme actrice de sa vie et non comme une spectatrice passive, rôle que l’on lui imagine aisément avoir endossé toute sa vie.

Tout cela est très joli et plein de bons sentiments. Mais est-ce que ça fonctionne ? Oui, et non. Le film est, fondamentalement, bancal. Il enchaîne les moments de brillance et les épisodes plus anecdotiques, les fulgurances et les lenteurs. Si l’ambiance est parfaitement dans le ton d’un Tel Toro et si le casting est vraiment impeccable, on a un peu de mal a accrocher réellement à cette belle amourette. C’est précisément cela la faiblesse du film, à mes yeux : l’histoire d’amour, le centre névralgique du scénar, est amenée avec peu de subtilité et développée de manière tellement succincte que l’on a du mal à croire au développement de sentiments véritables. Pour faire un parallèle peu flatteur, le côté sentimental est traité de la même manière que Lucas l’avait fait sur la prélogie Star Wars. On n’y croit pas, malheureusement.

Reste l’univers, le détail de la réalisation, le jeu d’acteur et quelques moments fantastiques (la scène de sexe dans la salle de bain immergée est extrêmement belle). Mais, comme souvent, difficile de réaliser un chef-d’œuvre si l’histoire ne fonctionne qu’à moitié. Dommage, vraiment, d’être passé à côté, comme il était passé à côté de Crimson Peak qui souffrait en définitive du même problème : la prévisibilité du développement n’est pas compensée par un traitement adulte et complexe des personnages qui vivent ces histoires. Difficile, en somme, de comprendre pourquoi l’Académie lui a décerné le prix. Guillermo était-il le seul réalisateur hollywoodien à ne pas harceler ses actrices ? 🙂

Norse Mythology

De Neil Gaiman, 2017

Il ne sera pas dit que je resterai sur une déception avec Neil Gaiman ! L’auteur britannique qui est la littérature fantastique ce que Tim Burton est au cinéma de genre (la répétition caricaturale en moins), signe ici sa propre version de la mythologie nordique. Même s’il se concentre surtout sur Odin, Loki et Thor, Gaiman réinterprète les principales épopées issues de l’edda poétique et de l’edda en prose, tous deux compilés au XIIIème siècle.

On y retrouve donc Odin, le père des Dieux, le borgne sage, Thor, le Dieu du tonnerre, impulsif et belliciste et, bien sûr, Loki, la ruse et la tromperie incarnées, qui sortira plusieurs fois le panthéon nordique de la mauvaise passe dans laquelle il l’avait lui-même entraîné. Au-delà de ces trois dieux principaux, le panthéon nordique est plus épisodique que réellement présent. Heimdall joue un rôle dans plusieurs histoires (et notamment le Ragnarök, bien sûr). Mais sans plus.

De fait, je suis un peu mal à l’aise. C’est le deuxième Neil Gaiman dont je parle dans ces colonnes et le deuxième qui ne me convainc pas réellement. Il transparait à chaque page que Gaiman a été bercé, dès sa petite enfance, par les légendes nordiques. Et que ce court livre, succession d’épisodes plus ou moins célèbres dans les sagas d’Ásgard, n’est qu’un hommage à ses livres de chevet. Si l’on y retrouve la gouaille propre à certains des textes de Gaiman, son style se dilue évidemment dans la forme imposée : on est plus proche du conte que de la nouvelle (ou du roman, of course). Et si le bouquin se lit sans problème d’une traite, le découpage en courts récits peu articulés l’un à l’autre rend l’attachement aux protagonistes difficile. Sans parler de la sensation de progression dans l’histoire qui ne transparait certainement pas.

Ragnarök, en particulier, conclu ce court opus de manière fort brillante et il y a, c’est juste, quelques moments de vrai plaisir de lecture, en particulier lorsque Loki joue les premiers rôles. Mais en dehors de ces quelques passages de lucidité, Norse Mythology est une lecture certes agréable, mais rapidement oubliée et parfaitement anecdotique dans la production de son génial auteur. Dommage, là où nous aurions pu espérer LA somme définitive qui modernisait les sagas nordiques avec une plume acérée. Finalement, mieux vaut se replonger dans American Gods, qui traite aussi de panthéons oubliés avec beaucoup plus de brio.