George Lucas: A Life

De Brian Jay Jones, 2016

Je ne suis pas un grand lecteur de biographies, pour être honnête. Et encore moins de biographies de contemporains. Cependant, quand on vous offre un livre, il n’est que politesse d’au moins tenter de le lire. Et, quand le sujet touche de près ou de loin à Star Wars, cela ne peut que faire vibrer une corde sensible dans mon cœur de fanboy devant l’éternel. Dont acte. Près de 600 pages plus tard, l’heure du verdict tombe.

Puisque je sais ânonner à peu près la moitié des dialogues de la saga Star Wars de tête, j’ai par définition une relation relativement compliquée avec son père spirituel, l’iconoclaste George Lucas. Comme tous les fanatiques de l’univers, je le béni pour s’être battu et avoir réussi le coup de maître de l’épisode IV et je le maudis pour nous avoir imposé, entre autres, les midichloriens et Jar Jar Binks. C’est donc avec une curiosité mêlée d’appréhension que j’ai feuilleté les premières pages de la biographie « non-autorisée » signée par Brian Jay Jones, spécialiste de l’exercice ayant notamment signé une vie de Jim Henson et de Washington Irving. Non-autorisée, considérant que Lucas lui-même n’a pas réellement porté son aide à l’auteur.

C’est sans doute la première qualité de cette biographie, d’ailleurs. Elle n’est en rien hagiographique. S’il est évident que l’auteur est fasciné par le kid de Modesto qui a réussi à bâtir un empire médiatique tout puissant, il ne l’épargne pas moins quand il s’agit de décrire ses obsessions, ses erreurs et ses excès. L’autre force de cette biographie est George Lucas lui-même. Bien qu’il n’ait pas révolutionné la planète, qu’il n’ait sauvé personne à travers un engagement politique particulier, que ce ne soit certes pas un grand écrivain ou même un artiste remarquable, on ne peut qu’être impressionné par le parcours du bonhomme, qui doit sans doute autant à la chance qu’à un sens des affaires aiguisé.

Étudiant médiocre, fils d’une famille commerçante à succès de la petite ville de Modesto, Californie, rien ne prédestine le petit George a devenir un géant de l’industrie de l’entertainment de masse. Pourtant, à travers des choix plus ou moins contraints, il se retrouve assez vite à expérimenter du cinéma d’avant-garde. Cela donnera, par un coup de bol et l’aide de mentors successifs, dont l’inénarrable Francis Ford Coppola, THX 1138. Puis, sur un coup de bluff et pour prouver à sa femme qu’il savait aussi faire dans l’accessible, le facile, il signe malgré les embûches le grand succès populaire qu’allait devenir American Graffiti. Avant de s’atteler à un petit film de science-fiction réalisé en hommage à Flash Gordon et aux comics de sa jeunesse : la légende Star Wars est en marche. Bientôt suivie par la blague de potache qu’il signera avec son pote Steven Spielberg, le non moins fameux Indiana Jones.

Le bouquin de Brian Jay Jones se construit d’ailleurs sur cette temporalité. Une première partie, très factuelle, sur les années galères. Une seconde, incrédule, sur le lancement de la machine, et une dernière, plus courte et davantage orientée sur les regrets et les espoirs déçus de Lucas, sur sa fin de carrière, du status quo d’ILM à la vente de LucasFilm à Disney. Cette biographie se lit comme un roman. Bourré d’anecdotes qu’il me faudra remplacer de temps à autre pour faire le malin (Lucas a tourné plusieurs scènes de l’épisode III avec un teeshirt « Han shot first« !), on y suit la vie de Lucas comme ont suivrait la vie d’un héro de tragédie. De succès en doutes, en passant par ses prises de risque et sa vie sentimentale, tout est magnifiquement orchestré pour nous faire aimer ce vieux barbu à la voix haut perchée. Présenté comme un homme de contraires (passionné par la réalisation, mais n’ayant rien réalisé pendant 22 ans; excellent business man, mais pas intéressé par l’argent; doté d’une vision novatrice, mais incapable de la communiquer à cause de sa légendaire incapacité sociale, etc.), comme un véritable personnage de roman, je doute que George Lucas soit aussi complexe ou ambivalent que cette bio nous le laisse paraître.

Cependant, il faut bien l’avouer, George Lucas: A Life se lit vite, facilement et est, définitivement et certainement, amusant à lire. Que ce soit pour ouvrir de grands yeux quand Lucas décide de vendre Pixar « car il ne sait pas trop quoi en faire » pour une bouchée de pain à Steve Jobs, pour l’admirer quand il lutte de toutes ses forces contre le système des studios ou pour le détester quand il persiste et signe en expliquant que « oui, il a toujours été prévu que Greedo tire en premier« , on ne peut s’empêcher d’être fasciné par cette épopée moderne, à l’américaine, où David fini par être plus fort (et plus riche) que Goliath. Je remarque d’ailleurs que le bonhomme qui s’est battu toute sa vie contre la toute-puissance mercantile des grands studios américains, au nom de l’art, a fini par vendre ses bijoux les plus précieux à Mickey Mouse, alors que ce dernier produisait déjà l’univers Marvel, véritable vache-à-lait aseptisée et sans ambition qui abreuve le monde d’un message mainstream, incolore et inodore afin de faire le plus de profits possible. Comme, d’ailleurs, un certain George Lucas avec Star Wars et la machine du merchandising qu’il a en grande partie inventé, patenté et rentabilisé. La boucle est bouclée.

Reste à conclure sur le livre en tant que livre : érudit, documenté, se basant sur des interviews de proches comme sur l’abondante littérature produite préalablement, Brian Jay Jones est certainement un bon biographe. Il sait mettre en avant le mythe tout en le contrebalançant avec des faits et des interprétations davantage polémiques. Tout comme son objet d’étude, ici, il mixe bien le commercial et le réel. Le livre a même des chances de plaire à ceux qui s’intéressent tout simplement à l’histoire du cinéma et qui ne sont pas particulièrement fan de sabres laser ou de vieux barbus aux noms asiatiques. Bien que lu en VO, je signale que le pavé est également disponible chez Hachette en français sous le titre de George Lucas : Une vie (sans blague).

The Battles of Tolkien

De David Day, 2016

Le canadien David Day n’en est pas à sa première incursion dans le monde de Tolkien avec ce court essai paru en 2016. Depuis la fin des années 70, c’est déjà son septième bouquin consacré à la Terre du Milieu. Le bonhomme est malheureusement connu pour la faiblesse de son contenu et les imprécisions et erreurs qui entachent ses « companion books« . C’est d’autant plus dommage que ses livres sont généralement de belle facture et richement illustrés (notamment par Alan Lee pour ses anciennes publications).

The Battles of Tolkien ne fait pas exception à la règle. Malgré les 200 pages du livre, dans un format poche agréable à manipuler avec une couverture gravée en simili cuir, il se lit en une petite heure sans trop de problème. De fait, si l’on ne tient pas compte des pages de titres, des quelques schémas et des nombreuses illustrations, le corps du texte en lui même ne doit pas faire beaucoup plus d’une quarantaine de pages mises bout à bout. Et quel est son propos ? Et bien ce n’est pas très clair.

Le livre se vend comme un guide des diverses batailles qui émaillent la Terre du Milieu, depuis sa création dans les premiers livres du Silmarillion jusqu’au nettoyage de la Comté qui clôture la Guerre de l’Anneau. Et… ce n’est pas du tout de cela qu’il parle (ou si peu). Day profite des quelques pages qu’il avait à rédiger pour tracer tout au long du livre une série de parallèles entre les intrigues de Tolkien et ses inspirations mythologiques et historiques (de la cosmogonie scandinave à l’histoire de la Rome antique en passant par Charlemagne et, pourquoi pas ?, la geste héroïque de la famille royale tibétaine).

Si tout cela sonne relativement érudit et si certains emprunts sont indiscutables (on sait tous que Tolkien s’est beaucoup inspiré du Kalevala finlandais ou, dans une moindre mesure, du mythe arthurien et que l’anneau du Nibelung n’est pas tout à fait étranger à l’Anneau Unique), il n’en reste pas moins que d’autres parallèles sont un poil capillotractés. Et surtout assez vains : quel est l’intérêt de répéter inlassablement que tel passage est peut-être inspiré de tel légende ou de tel évènement historique ? Tolkien a suffisamment expliqué que son œuvre n’était en rien une allégorie. Qu’il ait été inspiré par ses lectures et sa connaissance des récits mythologiques, à travers le prisme de la linguistique, personne n’en doute. Depuis la nuit des temps, tout raconteur d’histoire s’inspire de ce qu’il a entendu, vu et lu. Tout l’art est de mélanger savamment ces influences pour ressortir un récit complexe qui s’auto-suffit et ne ressemble ni à un hommage ni à un plagiat (Terry Brooks, Shannara ?).

La conclusion de Day, qui introduit le christianisme de Tolkien comme un deus ex machina, n’apporte rien non plus, puisqu’elle s’égare dans des considérations tout à fait accessoires. Je me rappelle avoir lu une critique assassine de l’essai dans un récent Amon Hen (le périodique de la très sérieuse Tolkien Society) et je comprends mieux pourquoi les amateurs un tant soit peu « sérieux » de Tolkien et son monde rejettent pratiquement en bloc les productions de Day.

Au-delà du texte oubliable, il reste donc le livre comme objet artistique. On y trouve de belles illustrations, parfois à contre-courant de l’iconographie dominante (représenter Morgoth comme un simple humain est un choix que je n’avais, je pense, jamais encore vu). Dommage qu’elle soit légèrement amputée par le format de poche qui, bien qu’il soit pratique pour la lecture, ne rend pas justice aux coups de pinceau des artistes. Autre frustration, les illustrations ne sont pas signées. Il faut donc se reporter à la série de noms des artistes, cités en petits caractères sur la page du copyright pour tenter de deviner qui a dessiné quoi. Enfin, je trouve que les quelques « visions d’artistes » présentant sous forme de carte topographique les grandes batailles sont assez laides et très confuses. Elles n’apportent rien au texte, par ailleurs, puisque, je le répète, le texte ne parle en fait pas du déroulé des batailles.

En résumé, pas de quoi casser trois pattes à un canard ! Si vous voulez réellement en apprendre plus sur la Terre du Milieu, n’hésitez pas à vous plonger dans la très complète (et parfois très lourde) Histoire de la Terre du Milieu de Christopher Tolkien.

Lovecraft – Au cœur du cauchemar

Collectif, 2017.

Beau livre des éditions ActuSF, financé via Ulule, la monographie « Lovecraft – Au cœur du cauchemar » nous plonge au cœur de la vie et de l’œuvre du reclus de Providence. Pour un prix somme toute modique (30 €) compte tenu de la qualité du recueil -belle couverture cartonnée, illustrations inédites très jolie, papier de qualité, quadrichromie intégrale, etc.-, l’amateur des Grands Anciens et des Contrées du rêve trouvera là un très bel essai couvrant tant la vie de l’auteur, les grands traits de son œuvre que quelques éléments sur l’univers étendu, le fameux « mythe de Cthulhu ».

Comme dans tout monographie signée collectivement par plusieurs auteurs, il y a à boire et à manger quant à la qualité du contenu. Si certains textes, déjà publiés ailleurs (les préfaces de David Camus, le texte sur la correspondance entre Lovecraft et Howard par Patrice Louinet, etc.) ont d’indéniables qualités littéraires, c’est moins vrai pour d’autres textes davantage mineurs : j’ai personnellement un peu de mal avec le style de Bertrand Bonnet, tout en périphrases et apartés, et je fus frappé par la qualité toute relative du texte de Mathilde Manchon sur les lieux lovecraftiens. On peut également regretter qu’il n’y ait pas davantage eu de relectures attentives avant que la maquette soit envoyée à l’imprimeur : il y a tout de même un bon stock de fautes de frappe, d’espaces manquants et autres problèmes de mise en page mineurs.

Au-delà de ces quelques remarques, la monographie est une agréable surprise qui compte quelques apports très intéressant pour comprendre la place de Lovecraft dans l’imaginaire mondial et francophone en particulier. Le texte de Marie Perrier sur l’histoire des traduction françaises de l’auteur est particulièrement intéressant et surprenant. L’article très complet de Sam Azulys sur les adaptations cinématographiques est également une référence. D’autres ont de belles intentions, mais sont un peu tirés par les cheveux (le texte d’Elisa Gorusuk sur Lovecraft et la science fonctionne davantage sur des clins d’œil que sur un vrai corpus appuyé et argumenté et celui de Florent Montaclair sur Lovecraft et la génération perdue et sa comparaison bancale entre Lovecraft et Dos Passos ne fonctionne tout simplement pas, comparant des pommes et des poires). S’ils restent des curiosités amusantes à découvrir, il ne faut, je pense, pas les confondre avec des vraies contributions universitaires.

Pour le reste, l’amateur éclairé de Lovecraft découvrira des éclairages avec lesquels il ne sera pas forcément familier. Si le public visé n’est pas un public de complet béotien, les lecteurs irréguliers de Lovecraft ne seront pas totalement dépaysés et retrouveront les éléments clés de l’œuvre du maître, de sa personnalité et de son fandom, qui permettront de mieux comprendre le phénomène. En résumé, si l’on ferme les yeux sur quelques erreurs éditoriales, Lovecraft – Au cœur du cauchemar est un très bel objet, érudit et suffisamment complet pour que chacun y trouve son compte. Un bel objet, donc, à mettre en toutes les mains, pour autant qu’elles soient un minimum sensibles au genre.

PS : je m’en rends compte trop tard, mais je ne peux que me réjouir qu’ActuSF ait réussi une autre campagne de financement via Ulule sur Lovecraft. D’ici 2019 (et oui, ça prend du temps), nous devrions donc avoir une très belle traduction de la somme biographique de S.T. Joshi, grand spécialiste mondial de l’homme de Providence, consacrée à Lovecraft, sans doute dans un packaging un peu moins austère que la version longue originale. Je l’inscris déjà dans mes futures acquisitions !

Les stratégies absurdes

De Maya Beauvallet, 2009.

Sous-titré « Comment faire pire en croyant faire mieux »

N’étant pas un grand amateur de « littérature » managériale (un SAS est en général plus surprenant et un Marc Levy mieux écrit), j’eus la faiblesse de me pencher sur ce prêt d’un collègue qui me prétendait y avoir vu la lumière. Une publication au Seuil étant un meilleur gage de qualité qu’une publication aux Éditions d’Organisation (au moins quant à la respectabilité du chercheur assumant la paternité de l’œuvre), je m’y plongeais donc mi sceptique, mi curieux.

Grand mal m’en a pris. Si quelques exemples font sourire, les efforts pour démontrer l’inanité des « objectifs » et des « indicateurs » semblent souvent poussif, voire inusité. Car établir un constat dans le style « tout ceci ne sert à rien » ou « on ne mesure pas ce qui est réellement important » est très sympathique mais un peu éculé. Surtout si rien n’est proposé pour résoudre la difficulté. Je suis très loin d’être un partisan du management par cockpit, mais ne proposer aucun cadre n’a pas non plus de sens. L’imprévisibilité, chez la majorité de nos charmants collègues, est un facteur anxiogène de première importance. Leur faire confiance pour qu’ils fixent le cadre eux-mêmes marche peut-être dans une toute petite start-up où l’ « ingénieur » (dans le sens Mintzberg-ien du terme) prévaut, mais est totalement dysfonctionnel dans une moyenne entreprise, sans parler des grandes.

Je serai donc bien incapable d’expliquer ce qu’il faut retenir de ce livre-t (150 pages, écrites en grands caractères), qui ressemble plus à un brouillon de chapitre de thèse qu’à un véritable livre de gestion. Ne vous laissé pas abuser par l’étiquette du Seuil ; madame Beauvallet a beau être maître de conférences à TELECOM Paris Tech, son salmigondis de fausses bonnes idées et d’exemples téléphonés (le jeu de mot est un peu facile, je l’admets volontiers) ne vaut pas tripette.

Quitte à vous plonger dans la sociologie des organisations et dans le mécanisme de la prise de décision, penchez-vous plutôt sur le proche parent, au moins quant au titre, de cet essai mou du genou : Les décisions absurdes, de Christian Morel, chez Folio. Moins cher, plus amusant et plus instructif.