De J.R.R. Tolkien, 1962
Version éditée par Christina Scull & Wayne G. Hammond, 2014
Tolkien, aux côtés de son œuvre phare et ses textes philologiques, fut aussi l’auteur, de son vivant, d’œuvres plus légères et destinées à un public plus jeune que celui de LoTR. Tolkien, toujours soucieux de remplir sa bourse décemment, répondait en cela à la demande de son éditeur historique qui n’eut de cesse de lui demander une suite au Hobbit (et il obtint… LoTR !). Pourtant, en 62, à la demande d’une de ses tantes qui souhaitait lire un recueil de poésie dans une édition abordable (étaient-ils relativement pingres, dans sa famille ? étaient-ils davantage écossais qu’anglais ? 🙂) et devant l’insistance de son éditeur, Tolkien sortait un court recueil consacré à l’un des personnages les plus énigmatiques de tout LoTR : Tom Bombadil (hey dol! merry dol!).
Pour ceux qui l’ignoreraient, Tom Bombadil est ce personnage mystérieux que Frodo, Sam, Merry et Pippin rencontrent dans la Vielle Forêt et qui les sauve successivement de l’Old-Man-Willow et des Barrow-Wights sur les Hauts de Galgal. Bien que Tolkien n’ait jamais donné d’explication sur qui était Bombadil, d’où il venait réellement, on ne peut que supposer qu’il s’agit d’une sorte d' »esprit de la nature« . Il est visiblement immortel, puisqu’il était là avant l’apparition des Elfes et il est ostensiblement très puissant, puisqu’il peut passer l’Anneau Unique à son doigt sans aucune conséquence. Mais, à part ceci, il est assez nébuleux. D’aucun pensait que Bombadil était la représentation de Dieu pour Tolkien, mais ce dernier l’a bien infirmé, tout comme les nombreuses et foisonnantes études universitaires sur le sujet, qui s’amusent à décortiquer jusqu’au moindre mot de la moindre lettre anodine de l’auteur pour y chercher une signification relevante.
Plus simplement, Bombadil, comme d’autres personnages similaires dans les écrits « divertissants » de leur auteur, est une résurgence du passé de Tolkien. Lorsque ses enfants étaient petit, papa-John les amusait à inventer des histoires rocambolesques pour les endormir. Les jouets des enfants étaient alors baptisés et vivaient des aventures palpitantes pour le plus grand plaisir des bambins. Et Bomdadil n’est autre que le nom donné à l’un de ces jouets (et, par conséquent, de ses histoires). Le même retrouva, bien des années plus tard, une place de choix dans le grand œuvre du maître en devenant le plus important personnage coupé au montage de l’adaptation de Peter Jackson.
Or, donc, sa tante et son éditeur demandaient tout deux à Tolkien un beau geste : un petit recueil lyrique d’historiettes amusantes à la manière des contes et légendes des frères Grimm. Tolkien, après avoir rechigné assez longtemps, se mis à la tâche et pris sur lui de rassembler des poèmes épars, griffonnés à gauche et à droite sur des bouts de papiers à diverses périodes de sa vie littéraire pour les regrouper dans un volume consacré. Chose qu’il fit donc, en publiant en 1962 le volume qui nous occupe.
Nous avons donc dans les mains un recueil de poésie relativement bon enfant. Bien sûr, puisque Tolkien ne peut jamais faire les choses simplement, il réécrit une partie de sa production antérieure pour y apporter une touche plus « Middle-Earth » et remplaçât par exemple çà et là une fée malicieuse par un elfe mélancolique. Certains des poèmes, comme les courts poèmes (The Stone Troll, Olyphaunt, Cat) sont des farces. D’autres, comme Errantry ou The Last Ship, sont nettement plus sérieux et font partie désormais du canon de LoTR en ce qu’il apporte du lore supplémentaire à ceux qui n’auraient pas le courage de se lancer dans le Silmarillon.
Honnêtement, bien que j’apprécie les rimes disséminées ci et là dans le Hobbit ou le SdA, j’ai trouvé un peu indigeste ce recueil, malgré sa taille. Bien sûr, comme Tolkien ne sait jamais faire les choses simplement, il s’amusa à tester des métriques inédites ou archaïques dans ces poèmes (Ah! qu’est ce qu’on se marre avec les philologues !). Si l’on peut applaudir l’effort, le niveau de langue et le vocabulaire volontiers vieillot utilisé rendent la lecture de l’ensemble parfois assez ardue. Qui plus est, je dois probablement être un grand insensible, mais la poésie n’est clairement pas ma tasse de thé (pun intended).
Qu’à cela ne tienne : j’ai lu et critique ici la version de 2014, édité par le très érudit (dans toutes les matières concernant Tolkien, of course) couple formé par Christina Scull et Wayne G. Hammond, deux vieux profs d’unif anglais qui n’en sont pas à leur coup d’essai dans le domaine. Leurs introduction et commentaires généraux sont très instructifs. Leur recherche des variantes en annexe du corpus de texte principal parfois redondants et leurs explications du vocable souvent inutile. Ces scories mise à part, ces Adeventures of Tom Bombadil (qui n’a en fait que deux aventures sur les 16 textes que comptent le recueil) est un bel objet de curiosité pour l’amateur de Tolkien. Certainement pas indispensable, mais bel objet malgré tout : l’édition Harper & Collins dans une version poche réduite à couverture cartonnée, illustrée brillamment par Pauline Baynes, est une véritable réussite. Historiquement intéressant, intrinsèquement passable. A bonne entendeur salut.