De John W. Campbell, 1938.
Le Bélial’ continue sa ligne éditoriale de sa collection Une Heure Lumière en alternant des novellas d’auteurs récents et des novellas classiques, comme celle de Heinlein ou Zelazny. La Chose appartient à cette seconde catégorie. Publiée pour la première fois sous le nom de Who Goes There? sous le nom de plume de Don A. Stuart dans l’Astounding Science Fiction (dont John W. Campbell venait de devenir le directeur et l’éditeur principal, débutant ainsi sa seconde carrière et s’éloignant de l’écriture), La Chose est un histoire familière pour tous les fans de SF depuis près de 40 ans maintenant. Certainement depuis l’adaptation de John Carpenter en 1982, The Thing, qui était déjà la deuxième adaptation cinématographique de la novella.
Vous connaissez donc tous l’histoire : un groupe de scientifiques et d’explorateurs, coincés dans l’hiver antarctique, découvrent une entité extraterrestre un peu par hasard en effectuant des recherches sur le magnétisme. Cette entité est gelée et considérée comme morte. Mais, pas de chance, pour le bien de la science, plusieurs membres de l’expédition souhaitent la dégeler et effectuer quelques recherches sur place. Et il se trouve que la créature, la chose, n’est pas si morte que cela et qu’elle ne veut pas spécialement que du bien aux humains et à la vie terrestre en général…
Ce qui frappe surtout à la lecture de cette nouvelle est sa modernité tant dans le traitement que de la forme. J’ai déjà parlé de nombreuses fois dans ces colonnes de textes fantastiques de la première moitié du XXeme siècle. La Chose date de 1938, rédigée alors que son auteur n’avait même pas 30 ans. Et on la dirait pourtant rédigée hier, à peu de chose près. Bien sûr, quelques concepts scientifiques évoqués ci et là au gré des pages sont un peu surannés et la technologie dont dispose les explorateurs est datée. Mais la tension du texte, le rythme crescendo de ce huis-clos semi-horrifique le rapprochent bien davantage de textes récents que de ses contemporains. Je saisis aisément pourquoi le texte a marqué son époque et inspiré nombre de fictions ultérieures (Alien, The BodySnatchers, etc.) et de réalisateurs. On est à mille lieux de l’ambiance gothique de Lovecraft ou du space-opéra à la Captain Future. Pas d’aventures rocambolesques, de monstres libidineux ou de jeune femme éplorée à sauver ici : on a juste un groupe d’hommes qui se rendent vite compte que leur situation est désespérée et qui essayent de sauver l’humanité et, si possible, leur peau, d’un monstre bien plus flexible, intelligent et insidieux que ses compères de l’âge d’or du pulp.
Sur le fond, La Chose est donc clairement en avance sur son temps et mérite sa place dans l’histoire de la littérature fantastique. Sur la forme, cependant, j’ai quelques doutes. Le style de Campbell, très loin des canons de son époque également, est assez compliqué à suivre. De manière très moderne, voire post-moderne, Campbell choisi de laisser peu de place aux transitions et situe très peu son action. La majorité du texte est en fait composé de dialogues ou de monologues qui se perdent parfois dans des sous-entendus peu clairs. Nombre de phrases se concluent sur des points de suspension quand les acteurs de l’action changent d’avis. Et si c’est fort réaliste, cela ne rend pas le texte plus clair, malheureusement. Le fait que la novella a une grosse dizaine de personnages principaux qui ne sont que très peu développés n’aide évidemment pas à s’accrocher aux trajectoires des uns et des autres.
Pierre-Paul Durastanti, le traducteur, explique dans une courte introduction que Campbell a également rédigé une version longue, initialement, de la même histoire. Un financement participatif sur Kickstarter a permis de l’éditer il y a quelques années. Pourtant, Durastanti précise cette version longue aurait mieux fait de rester dans les cartons oubliés de l’histoire, sa qualité n’était pas géniale (comme quoi, Campbell a eu raison de passer à une carrière d’éditeur, sachant visiblement où couper). Je ne peux pas juger, n’ayant pas lu cette version longue, mais je regrette en tous les cas que Campbell n’ait pas choisi de faire redescendre la pression de temps à autre dans la novella et d’en profiter pour prendre quelques paragraphes pour développer l’un ou l’autre des personnages principaux.
En résumé, La Chose est donc une novella avec une importance historique évidente et a parfaitement sa place dans cette collection dédiée. Elle est clairement en avance sur son temps, tant dans son fond intemporel que dans sa forme très post-moderne. Je regrette simplement qu’elle soit un peu confuse, se perdant dans des personnages interchangeables dont les noms et les rôles se mélangent malheureusement assez vite. A tester, cependant, pour tous les curieux qui se demandaient qui se cachait derrière le Prix John W. Campbell.