D’Andrés Muschietti, 2019.
Dans ma séance récente de rattrapage de films, j’ai totalement oublié de vous parler du deuxième chapitre de It. Et… ce n’est pas forcément un bon indice quant à la qualité du film. Le premier chapitre, sorti en 2017, est devenu un véritable phénomène et a remis sur le devant de la scène l’absolue nécessité de continuer à adapter les livres de ce merveilleux conteur moderne qu’est Stephen King. Je lis rarement du King, plus par paresse (il aime les briques, le vieux coquin !) que par manque d’intérêt. Mais certains des films tirés de ses œuvres sont passés à la postérité comme de réels classiques modernes : Shawshank Redemption, bien sûr, Stand by me, évidemment, mais également La Ligne verte ou, dans une veine plus horrifique, le formidable The Mist de 2007. Et Shining, qui est cependant plus du Kubrick que du King.
Évidemment, la courte liste ci-dessus donnerait pratiquement l’illusion qu’il n’y a qu’un seul homme qui sait adapter correctement King, à savoir le vétéran Frank Darabont. Ce n’est tout à fait vrai : De Palma a fait une version très correcte de Carrie, John Carpenter de Christine et Rob Reiner de Misery (c’est également Reiner qui réalisa Stand by me). Mais, à côté de ces quelques films, les très nombreuses adaptations ciné et/ou télé des œuvres de King ne valent généralement pas tripette. Alors même qu’il est considéré comme l’un des grands maîtres de l’horreur en littérature depuis maintenant près de 50 ans (et oui, ça ne nous rajeuni pas, les amis !). Comme si, d’une manière ou d’une autre, l’écrivain le plus célèbre du Maine était affublé d’une malédiction à ce sujet. Et, ce, jusqu’au premier chapitre des aventures de notre clown cauchemardesque préféré, Ça, qui ne devint rien de moins que le film d’horreur le plus bankable de tous les temps en 2017, totalement près de 750 millions de dollars au box-office mondial, coiffant alors le vieux record du Sixième sens (qui n’avait d’horrifique que le nom).
Cela dit, bien marcher au box-office n’est pas synonyme de qualité. Je ne citerais pas d’exemple qui risqueraient de nous fâcher. Ce n’est cependant pas le cas avec It. Le film, réalisé par l’inconnu Andrés Muschietti, réalisateur argentin du relativement confidentiel Mama en 2013 (avec, déjà, Jessica Chastain), était une véritable réussite. Sans être novateur, il était servi par un casting de gamins irréprochables et était extrêmement léché question mise en images. Le film avait un budget conséquent et cela se voyait à l’écran. A part un fin un peu trop explicite (mais présente dans le livre), le film jouait parfaitement sur les mécanismes primaires de la peur et ses « jump scare », bien qu’attendu, étaient fichtrement efficaces.
La promesse d’un second chapitre, rapidement mis en chantier après le succès monstre (et sans doute surprise) de la première partie du diptyque était une bonne nouvelle pour les amateurs. Et pourtant, le succès espéré ne fut pas au rendez-vous et le film a rapidement plongé dans l’anonymat après un bouche-à-oreille relativement défavorable. Le hype était passé. Comment l’expliquer ? De plusieurs manières, à mon avis. Le film en lui-même n’a pas grand-chose à se reprocher. Le casting des versions adultes des gamins du premier chapitre est en béton (Jessica Chastain, donc, mais aussi James McAvoy, Bill Hader, James Ransone ou encore Jay Ryan). La réalisation est toujours aussi léchée et la photo maîtrisée. Peut-être le rythme est-il un peu plus lent et le déroulé des scènes un peu plus convenu mais cela reste un défaut mineur. Bill Skarsgard fait le taf avec sa version baveuse, horripilante et effrayante du clown maléfique.
Mais qu’est-ce qui ne marche pas, alors ? Et bien sans doute en premier lieu le fait que les protagonistes aient vieilli. La terreur infantile que provoque l’image du clown marche par définition moins bien sur des adultes. Ils fuient d’ailleurs moins le clown que leur passé. Et si dans le premier chapitre ils devaient déjà se dépasser comme enfant, c’était surtout pour vaincre des peurs irrationnelles et non les affres de la vie adulte. Je ne veux pas dire pour autant que les traumas des enfants n’étaient pas provoqués par le monde réel, mais ils étaient déformés pour jouer sur nos instincts primaires, ce qui rendait leur exploitation par Pennywise encore plus perverse et efficace. Je peux parfaitement compatir au trauma de la jeune Bev Marsh, traumatisée par un père abusif. La voir répéter les mêmes schémas 30 ans plus tard auprès d’un mari abusif ne me touche que beaucoup plus partiellement. C’est injuste, mais cela n’en demeure pas moins vrai.
L’autre élément qui rend le film un peu maladroit est d’avoir voulu créer un triangle amoureux entre Bev, Bill et Ben. Si cela marche avec les frustrations des débuts de l’adolescente, reproduire le même scénario à nouveau 30 ans plus tard nous conduit à penser que les personnages n’ont pas évolué d’un iota. C’est d’ailleurs peut-être l’un des messages du film : aucun de ces personnages n’a pu évoluer car ils sont restés bloqué dans leur passé. Mais si c’est clair pour le personnage de Mike, à tel point qu’il resté sur place et a passé toutes ses années à ressasser les mêmes histoires pour tenter de comprendre ce à quoi il avait affaire, le film nous présente la plupart des autres comme des adultes qui ont tourné la page et qui sont obligés, bien malgré eux, de faire un bond en arrière.
Enfin, le film perd également le grand pouvoir nostalgique d’une Amérique « à papa ». Le premier chapitre fleurait bon l’effet nostalgie, jouant également sur le succès de Stranger Things (qui s’inspirait lui-même largement de King), jusqu’à en reprendre l’un de ses acteurs principaux. L’Amérique moderne, désillusionnée, fait définitivement moins rêver. Et ce second chapitre a également le défait de vouloir trop expliquer et de se lancer dans le décorticage de ce qu’est Pennywise. Or, démystifier réduit bien sûr la portée horrifique du personnage. Difficile de faire autrement si l’on veut conclure la saga et si l’on veut respecter le bouquin de King, je le sais bien, mais il n’empêche que cela tue un peu le côté suspens et jette un voile d’indifférence polie sur le devenir des protagonistes que l’on veut nous faire aimer.
It: Chapter two est donc un film qui ne mérite pas sa mauvaise presse. Il n’est pas raté. Son réalisateur n’a pas fait « n’importe quoi », comme j’ai pu le lire un peu partout sur la toile. Il est resté fidèle à son approche du premier chapitre et a livrer un film techniquement tout aussi maîtrisé, soutenu par des acteurs qui remplissent parfaitement le contrat et marque bien la personnalité de leur personnage malgré leur temps d’écran parfois réduit. Si quelques coupures auraient sans doute aidé à maintenir un rythme plus soutenu et si certains choix de réalisation (notamment les scènes où les personnages sont en proie à des psychotropes amérindiens) sont plus discutables, le film est l’un dans l’autre une réussite formelle. Mais il ne réussit pas la mission sans doute impossible de transcender son matériau de base pour nous embarquer une nouvelle fois dans une véritable « histoire qui fait peur ». Ce qui rend, en définitive, le film assez oubliable. Et c’est bien dommage.