Rebel Moon: Part One – A Child of Fire

De Zack Snyder, 2023.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours défendu Zack Snyder. Depuis l’inénarrable 300 à Justice League (la Synder cut, off course), en passant par Watchmen, Man of Steel ou même Sucker Punch, il y a toujours quelque chose à sauver dans ses films. Si l’utilisation abusive des ralentis, si la coolitude volontaire de certaines scènes et si des personnages totalement over-the-top (Lex Luthor, on pense à toi) ne vous dérange pas, alors Snyder est le fantasme de tous les geeks : il a mis en image ses passions, toutes issues de la culture comics. Du coup, on était tous prêt à lui pardonner beaucoup de chose, même des adaptations spectaculaires mais qui ne rendent pas complètement justice aux œuvres de Frank Miller, d’Alan Moore ou aux multiples itérations de l’homme de Gotham.

Il s’était déjà laisser aller à réaliser un projet plus personnel, avec Sucker Punch, dont il était l’auteur principal du scénario (retravaillé ensuite avec Steve Shibuya). Le film, dont je parlerai peut-être un jour ici tant il m’avait marqué à l’époque, était lui aussi bancal : mais il y avait une certaine grandeur, une certaine aspiration qui se dégageait de l’ensemble. Une volonté de filmer une jeune asiatique dans un mécha rose bonbon qui flingue littéralement des nazis zombies dans des tranchées d’une imaginaire première guerre mondiale. Et de filmer ça le plus sérieusement du monde. Le tout servi par un casting impeccable (même si l’actrice principale en est ressortie traumatisée) et une bande son d’enfer.

Vous comprendrez dès lors mes attentes à l’annonce du premier volet d’un dyptique de science-fiction, produit par Netflix et basé sur un scénario original (chose de plus en plus rare dans le Hollywood actuel, exception faite des plates-formes de distribution). Et l’ampleur de ma déception. On sentait déjà avec Batman vs. Superman et The Justice League que le brave Snyder commençait à s’essouffler un peu, sans doute perdu face à l’ampleur de la tâche (vouloir adapter plusieurs séries de comics en même temps dans deux films syncrétiques relevait en effet de la gageure et perdait le spectateur en commettant le péché originel de toute adaptation : oublier qu’on a une histoire à raconter et des personnages à développer).

Le constat est amer : non seulement Snyder s’essouffle, mais il vraisemblable qu’il n’ait plus grand chose à offrir, si on en juge par ce premier volet de Rebel Moon. Je vous fais le résumé en quelques lignes : une jeune femme travaille la terre dans un petit village paysan de ce qui semble être une lune agricole d’une grande planète aux confins de la galaxie. Elle est effrayée lorsqu’elle voit débarquer au-dessus de son village d’adoption un vaisseau amiral du Monde-Mère (l’Empire, pour faire simple) à la recherche des rebelles qui ont assassiné l’ancien Roi de la galaxie. Ce dernier, apparemment belliqueux, est remplacé par un régent issu des rangs de l’armée et qui semble encore plus agressif. Lorsque les troupes du Monde-Mère débarque sur la charmante lune agricole, la situation s’envenime assez vite et la jeune réfugiée, Kora, se retrouve bien vite à mener… il faut bien le dire, une rébellion (si, si, je vous assure). Elle n’aura alors de cesse de chercher des alliés pour enfin ramener la paix dans la galaxie et la facilité pour son village d’adoption.

Heu… Comment dire… Star Wars, quelqu’un ? Enfin, le Star Wars de chez Wish. Car si j’ai bien un reproche à faire à ce film, c’est son côté cheap. Et c’est avec ça qu’on se rend compte que les plateformes de distribution, à l’instar ici de Netflix, n’ont pas les mêmes moyens que les grands studios américains et ne les auront sans doute jamais. D’où ces films au rabais. Je préfère vous prévenir ; je vais spoiler allègrement le film dans la suite de cet article, car, honnêtement, je vous déconseille de perdre deux heures de votre vie devant Rebel Moon et j’espère que ce texte aidera à vous en convaincre. La scène la plus emblématique de cet aspect fauché est pour moi la scène de résolution finale : alors que les dix gentils se sont fait arrêtés, il y a genre cinq pauvres soldats méchants qui traînent sur la rampe de lancement et qui échangent trois coups de pisto-lasers quand les gentils finissent, forcément, par s’échappé. Et du grand vaisseau amiral des méchants (le Star Destroyer du pauvre, encore une fois), on ne voit qu’une bête tourelle qui attaque les chasseurs des alliés des héros avant d’être la cause, par on ne sait quel truchement, de la destruction du Star Destroyer dans son ensemble. Et ça se finit par un duel sur une petite plateforme volante entre la gentille héroïne et le méchant du film (le second couteau du grand méchant qui sera évidemment là dans le deuxième volet) : un remake de la scène de fin de GoldenEye ou encore de Rogue One, mais avec moins d’intensité, moins d’éclat, moins d’enjeux et moins de brio. Snyder n’a même pas pu se résoudre à tuer le méchant de l’épisode, qui reviendra donc nous emmerder dans le second chapitre.

Et ce patchwork d’influences caractérise en fait tout le film : le groupe des héros récupère Djimon Honsou à côté d’un Colisée galactique tellement inspiré de Gladiator que cela en devient navrant (Djimon Honsou jouant dans Gladiator, pour rappel) ; Staz Nair joue un personnage à mi-chemin entre Conan et John Carter from Mars ; Bae-Doo Na joue un archétype de samouraï asiatique au grand cœur (avec sabre laser, s’il vous plaît !); Charlie Hunnam, laisser en roue libre, devient une caricature de ses rôles dans les Guy Ritchie malgré le fait qu’il essaie d’imiter Hans Solo, etc. etc.

Les quelques fulgurances du film, comme la scène d’intro de Némésis (Bae-Doo Na) où elle lutte contre une femme-araignée directement copiée sur le design de Lolth, la déesse drow des Royaumes-Oubliés, ou encore le retournement de situation quand on se rend compte que le personnage de Hunnam est en fait un méchant, sont bien vite gâchées. Ce qui pourrait passer pour de belles idées cache en fait des facilités d’écriture qui ne développent ni l’intrigue ni les personnages. La mort du personnage de Hunnam, qui intervient quelques secondes après la révélation de son retournement de veste, est parfaitement ridicule, pratiquement digne de la mort de Marion Cotillard dans The Dark Knight Returns

Et je pourrais continuer les exemples à l’infini. L’essentiel est que ce patchwork d’influences, ce pot-pourri d’inspirations geeks oublie tout simplement d’avoir une histoire intéressante ou un quelconque développement de personnages. Les péripéties s’enchaînent sans vraiment de lien entre eux. Les quelques flashbacks sonnent creux. La collection de « héros » ne présente aucun lien entre eux et le spectateur est tout à fait en droit de se demander pourquoi ils se retrouvent embarquer dans la même histoire, au-delà d’un simple ressenti contre le Monde-mère.

C’est nul, voilà tout ce qu’il faut retenir. A la veille d’une année où les films attendus sont le deuxième Dune (la suite d’un remake), le nouveau Ghostbuster (la suite d’un reboot), Godzilla x Kong (la suite d’un reboot), Kingdom of the Planet of the Apes (le début de la deuxième trilogie d’un reboot) ou Mad-Max Furiosa (le prequel d’un reboot), on pouvait espérer quelque chose d’un scénario original, du début d’une nouvelle franchise. Les mauvaises langues diront qu’au moins on en a fini avec les Marvel à répétition, mais il n’en demeure pas moins que cela dit quelque chose sur le cinéma actuel : l’idée est de prendre le moins de risque possible, quoi qu’il arrive. Et même une plateforme qui n’a pas les mêmes impératifs, avec un grand réalisateur geek et un scénario inédit n’y arrivent pas : n’étant ni le remake, ni le reboot, ni la suite, ni le prequel de quelque chose, Rebel Moon réussi l’exploit de proposer encore moins que ces concurrents potentiels. Et la promesse d’un « Snyder-cut » ne peut pas sauver le bouzin : c’est devenu un gimmick commercial. Si un réalisateur n’est plus fichu de présenter la bonne version du premier coup, alors qu’il ne propose simplement pas cette première version. Il a perdu son mojo. L’ampleur présente dans ses échecs précédents, l’intention louable, est ici disparue. Reste un navet, même pas un nanard. Amis de la science-fiction intelligente, passez votre chemin : il n’y a rien à voir.

The Karate Kid

De John G. Avildsen, 1984.

Est-il possible, aujourd’hui, de dire du mal de Karaté Kid (ou, sous son titre exact : Le Moment de vérité) ? Et je ne parle pas du remake navrant avec le fils Jaden Smith, qui ferait mieux… de ne pas tenter d’être acteur. Mais bien de l’original. Celui de Cobra Kaï et de Daniel-san. Nous touchons ici à un thème déjà souvent abordé dans ce blog : comment dépasser l’auréole de sympathie que confère la madeleine de Proust ? Car si l’on regarde très objectivement cette gentille histoire d’un gamin qui déménage et qui se perfectionne en karaté pour éviter de se faire taper dessus par l’ex de sa nouvelle copine, il n’y a quand même pas grand-chose à sauver.

Une réalisation tristounette, des performances d’enfants acteurs qui ont autant de subtilité qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine (je n’arrive pas à traduire la très visuelle expression anglaise : « wooden performance« ), des chorégraphies de combat qui sont … simplement non-existantes, des musiques de « montage/entraînement » qui sont oubliées deux secondes après et une amourette maladroite entre the new kid on the block et Elisabeth Shue, qui a l’air d’avoir dix ans de plus que lui et qui ne développe aucune alchimie quelconque à l’écran avec son partenaire. Sans parler d’une production assez médiocre, grevée sans doute par un budget faible qui a limité grandement les choix de décors, qu’ils soient en extérieur ou en studio.

Reste quelques éléments qui sauvent le film du fiasco : Pat Morita, qui nous est sympathique dès sa première minute à l’écran, quelques séquences d’entraînement, une ambiance générale très eighties qui nous rappelle que la vie était plus facile avant. Mais c’est à peu près tout. Pourquoi, cependant, le film est-il plus naze que Blood Sport, L’Histoire sans Fin ou encore Highlander ? En fait, il n’est pas plus naze. Ni meilleur. C’est simplement que je ne l’ai pas vu enfant. Et que si la nostalgie intrinsèque de l’enfance rend n’importe quel film cheezy des années 80 (au hasard, toute la filmo de John Hughes ?) tout à fait acceptable, lorsque cette nostalgie n’est pas présente, alors reste un regard un peu froid d’un adulte cynique et blasé qui se moque.

Je regrette, du coup, de ne pas l’avoir vu au début des années 90 à l’occasion d’une de ses multiples diffusions télé. Avildsen, le réalisateur de Karaté Kid, venait de filmer le premier Rocky (et avait reçu un oscar pour cela, même si on sait entretemps que Stallone lui-même à jouer un rôle important derrière la caméra sans être crédité pour ce faire) : il signait un Rocky pour enfant qui a inspiré une génération entière à trouver le karaté « cool » et, par extension, à aller s’intéresser à tout un cinéma asiatique qui débarquait alors via les VHS à louer de nos vidéo-store. Toute une époque.

Mes excuses, Daniel-san, pour être insensible à ton charme suranné. Et donc de ne voir aucun intérêt dans tes suites, tes remakes et autres séries dérivées 40 ans plus tard (la vache, ils ont pris un coup de vieux dans Cobra-Kaï !). Reste alors un film naïf et assez peu inspiré en termes de réalisation, porter par des acteurs au mieux amateurs et qui met en avant une idéologie finalement très reaganienne (le vainqueur à toujours raison, l’amitié avant tout, les filles sont des trophées, etc). Mais je suis bien conscient que pour la plupart de mes confrères générationnels (et peut-être une partie de mes consœurs ?), cela reste avant tout le film où Daniel-san met une pâtée au méchant blond grâce à l’iconique coup de la grue. Finalement, cela ne se suffit-il pas en soi-même ?

Chien du heaume

De Justine Niogret, 2010.

Si l’on s’en réfère à la postface, Justice Niogret a l’air d’être quelqu’un d’assez joyeux et drôle. Les jeux de mots idiots qu’elle distille dans les diverses définitions qui clôturent son court roman m’ont bien fait marrer. Pourtant, à la lecture du bouquin, rien ne laissait présager cela. Chien du heaume est le premier roman, sorti il y a déjà une grosse dizaine d’année, d’une (jeune – ce concept évoluant avec l’âge de l’auteur de ces lignes !) autrice née en 1978 quelque part en France. Et c’est plutôt efficace, comme premier roman. On est dans une fantasy light (peu de magie dans ce moyen-âge d’inspiration européenne, à part quelques touches ci et là) qui lorgne surtout du côté réaliste.

Le personnage principal, la bien-nommée Chien du heaume, est une mercenaire de son état, vendant ses services au plus offrant. Bien qu’il soit inhabituel de voir une femme endosser ce rôle dans les contrées que l’on découvre, ce n’est pas rare non plus, les femmes ayant appris à se servir de leurs mains pour se défendre et, quand l’occasion se présente, pour attaquer. Chien du heaume n’est en effet pas une faible femme : elle manie la hache bien mieux que les mots et n’hésite pas à s’en servir quand besoin s’en fait sentir. Pour autant, Niogret évite de tomber dans le cliché de « la femme forte de fantasy« . Point de Jeanne d’Arc ou de Brienne de Tarth, ici. Chien du heaume, même si elle a quelques kilos de trop et a, semble-t-il une tronche à faire peur, n’en reste pas moins un protagoniste « normal« . Ni trop courageux, ni trop fort, ni trop angélique. Réaliste, dans un monde où la violence a souvent le dernier mot. Et qui ne crache pas contre le confort quand il se présente.

Et Chien du heaume a bien une quête, comme il sied à un protagoniste de fantasy. Point de roman d’apprentissage ici : elle a la trentaine bien entamée et un paquet de guerre derrière elle. Cependant, elle traverse le moment de sa vie où l’on veut comprendre d’où l’on vient et qui l’on est. Chien du heaume veut simplement découvrir son propre nom. Au-delà de son patronyme, hérité d’un employeur bien peu sensible, elle se lance dans la quête de son nom, de son identité. Et tout au plus a-t-elle pour débuter sa recherche que l’arme étrange, cette hache ouvragée, peu commune, que son père lui a légué. Après qu’elle fut forcée… de le tuer.

Vous aurez compris qu’on ne rigole pas des masses dans ce premier opus (Justine Niogret offrira une suite à Chien du heaume quelques années plus tard à travers le roman Mordre le bouclier). Portant, on n’est pas non plus dans la gritty fantasy. S’il est y a des personnages qui n’hésite pas à user du meurtre pour arriver à leurs fins, si la Mort elle-même rôde dans les brumes, il y a aussi une certaine légèreté qui se dégage du texte. A travers sa quête, Chien du heaume se trouve aussi une nouvelle famille, un nouveau foyer, un endroit qu’elle peut imaginer comme son « chez soi« . Et c’est nouveau pour elle, même si cela évoque une certaine nostalgie d’un paradis perdu, non mérité et jamais connu. Une récompense à ce que l’on imagine être des années d’errance.

Sans spoiler, le prologue laisse entendre le développement du personnage après la fin du roman. Et cette fin ouverte, finalement pleine d’espoir, laisse imaginer le meilleur (celui-ci étant tout relatif) pour une femme que l’on a appris à apprécier à travers ces pages. Mais ce qui fait surtout le sel de cette aventure est son style. Niogret a en effet choisi de développer un style relativement archaïque et un découpage qui se rapproche de ce qu’on pourrait imaginer être une chanson de geste. Le premier tiers (ou la moitié ? difficile à estimer) du bouquin enchaîne en effet les « aventures » de manière assez épisodique. Bien sûr, les éléments successifs qui s’y enchainent, au-delà de nous familiariser à la protagoniste, seront également utiliser plus tard dans le développement de l’histoire, l’autrice n’étant pas une manche. Mais le lecteur l’ignore quand il découvre cette succession de quêtes à l’apparence disparate. Le style, comme je le disais, est également très archaïsant. Ce qui donne en effet l’impression par moment de lire des chansons de geste à la Marie de France, la préciosité en moins. Et on ne peut qu’être admiratif de la faconde particulière dont Justine Niogret fait preuve pour ce faire : malgré un vocable ardu, qui ne sied en fait pas au rang des protagonistes quand on y pense, elle parvient à construire un monde vraisemblable dans lequel on se trouve happé avec bonheur.

Je ne sais comment l’expliquer, mais on est ici face à une fantasy typiquement française qui ne s’inspire que très peu des grands exemples anglo-saxons. Niogret est davantage l’héritière de Chrétien de Troyes que de Tolkien ou Donjons et Dragons. Mais elle a certainement lu George R.R. Martin. Et ça donne un mélange détonnant, qui fut couronné en son temps du grand prix de l’imaginaire et du prix des imaginales, de manière parfaitement justifiée. Très bon premier roman que ce Chien du heaume donc, et l’on ne peut que regretter que l’autrice se soit éloigné assez vite des littératures de genre pour se consacrer à d’autres projets. Ceci ne remet évidemment nullement en cause la qualité de ces autres romans, c’est simplement que nous avons rarement des autrices et auteurs qui maîtrisent la langue française avec un tel brio dans les littératures de genre, malheureusement. Si vous ne l’avez pas encore lu, jetez-vous dessus, il ne quittera pas vos mains avant la dernière page tournée.

John Wick: Chapter 4

De Chad Stahelski, 2023.

Il y a déjà un certain temps, je disais dans ce blog à la fin de ma courte critique sur le troisième opus que : « […] ce troisième chapitre s’approche très souvent de l’excès. A force de vouloir en mettre beaucoup (de combat, de couleurs improbables, de règles bizarres, de décors torturés), on risque d’en mettre trop. L’overdose du genre n’est pas loin. Espérons que le quatrième (et dernier ?) chapitre saura se recentrer sur l’essentiel et éviter le délire stylistique. » Et bien… c’est raté. Le quatrième opus, que j’ai pourtant trouvé mieux maîtrisé que le troisième, en raison de personnages secondaires plus sympathique, tombe dans le superlatif. Toujours plus de baston, toujours plus de délire, toujours plus de style, toujours plus long, toujours plus fort, toujours plus.

A tel point que, pour être honnête, il m’est arrivé quelque fois de regarder ma montre pendant ce quatrième opus. Car, oui, c’est très joli. Oui, niveau action, c’est difficile de faire mieux. Mais j’avais parfois l’impression de me retrouver sur Twitch à regarder quelqu’un faire un run sur le Super Double Dragon de la SNES (petite pointe de nostalgie ; j’aimais finir ce jeu avec un pote à deux manettes quand j’étais gamin. Trop facile, mais très satisfaisant !). Nostalgie passée, disais-je donc, le côté extrêmement long des scènes de (gun-)fight est finalement un peu lassant. Peut-être suis-je, oh comble de l’horreur !, devenu trop vieux pour apprécier cela, mais il y a un côté tragi-comique à voir les méchants hommes de main arriver en continu par grappe de deux ou trois et attendre poliment que le précédent se soit fait dézingué pour à son tour se faire marraver la chetron par un Keanu Reeves toujours aussi efficace.

Le paroxysme de cette logique est même atteint vers la fin du film, dans la scène de l’escalier menant au Sacré-Cœur en plein Paris : après l’avoir grimpé, il doit, très littéralement, recommencer le stage car il s’est pris un pain de trop. Manquait plus que de voir la barre de vie se remplir à nouveau dans le coin haut-gauche de l’écran (ce que Scott Pilgrim vs. the world avait osé, lui, dans son évocation vidéo-ludique). Et je n’ai pu m’empêcher un petit rictus de cynisme en le voyant se relever et recommencer l’ascension avec son pote Donnie Yen (comme le disait le formidable Street Fighter II : « Here comes a new challenger!« ).

Pour l’histoire, pas grand-chose à en dire : John Wick continue sa croisade contre la High Table et essaie de stopper l’escalade de violence qu’il a en fait lui-même provoquer dans les précédents opus. C’est toujours le baba yaga du premier opus (bon, Chad Stahelski s’est un peu planté sur son mythos russe, puisque John Wick n’est pas une femme, mais soit). Il est immortel et bute toujours tous les pignoufs que les méchants lui envoient. Ses potes finissent toujours par mourir. Et à la fin il gagne. Que retient-on donc de ce quatrième épisode ? Les rôles secondaires, sans doute : Bill Skarsgard est impeccable, comme toujours, dans le rôle du salopard classe et stylé. Ian McShane et Laurence Fishburne cabotinent à fond (mais ça marche). Le regretté Lance Reddick reprend son rôle de Charon avec toujours beaucoup d’effet. Au rayon des nouveaux, on a Donnie Yen, qui joue le vieux pote de John Wick (et par ailleurs spécialiste du sabre et aveugle, comme son personnage dans Star Wars ou comme Zatoïchi). Efficace, mais sans plus (Hollywood a du mal à bien utiliser Donnie Yen). Hiroyuki Sanada fait du Hiroyuki Sanada. Clancy Brown joue avec beaucoup de sobriété le nouvel arbitre de la High Table et ça fait toujours plaisir de le voir dans un rôle ou un autre.

J’ai un peu plus de mal avec Shamier Anderson, dont j’ai du mal à saisir l’intérêt comme potentiel allié/ennemi de Wick. Tout comme d’ailleurs Rina Sawayama en tant que fille de Sanada. J’ai vraiment l’impression que Stahelski les a ajoutés au scénar juste pour avoir des pistes à exploiter dans son « cinematic universe » ou son « monde étendu« , concept devenu l’eldorado des boîte de production et qui démontre un certain malaise dans la créativité hollywoodienne. Leurs personnages sont vraiment là pour être exploité dans des spin-offs, en films, série télé ou comics. Du coup, ils n’ont pas vraiment leur place dans ce quatrième opus et ralentissent un développement déjà souvent poussif par des arcs narratifs secondaires qui ne trouvent ni justification ni résolution au sein de ce film.

Bon, je suis assez négatif et ce n’est pas tout à fait juste. Ce quatrième John Wick, comme les trois premiers, se laisse regarder sans problème avec une bonne bière et un paquet de chips. C’est du cinéma d’action bourrin, mais qui continue à en mettre plein la vue. On ne peut que rigoler devant le concept des vestons de costard par balle (avec le bruitage qui va bien), mais en vrai, c’est très marrant à regarder. Je regrette juste que tout ceci se dilue un peu dans un scénar qui met des plombes à avancer. Les scènes d’action sont nerveuses, évidemment, mais le rythme du film est vraiment trop lent : plus de 2h30 pour un scénar qui se résumer à « John Wick à des problèmes, il bute des méchants, un de ses potes est engagé pour le tuer, il est possible de résoudre la situation avec un duel final, on l’organise« , c’est quand même assez long…

Et mon autre problème majeur est [SPOILER ALERT !] que la résolution de ce quatrième opus, qui offrait une fin honorable à la saga avec la mort de Wick et la résolution pour le personnage de Caine/Donnie Yen, est complètement désamorcée par l’annonce à grand fracas médiatique d’un John Wick 5 avec toujours Keanu Reeves dans le rôle-titre. Du coup, la résolution qui se voulait dramatique n’a simplement plus aucun impact émotionnel. Dommage, pour une fois qu’il y avait moyen d’arrêter une saga hollywoodienne avant l’épisode de trop… [/SPOILER]

Pour conclure de manière plus liminaire : John Wick: Chapter 4 est évidemment un bon divertissement et un film d’action spectaculaire. Stahelski continue à enfoncer le clou : il y a moyen de chorégraphier la baston pour la rendre belle, presque artistique. Mais il oublie que le trop est l’ennemi du bien et qu’à nouveau on frise ici l’overdose. Reste à savoir si la franchise pourra quand même se réinventer en explorant des pistes moins spectaculaires mais peut-être plus profonde à travers cette première série télé dont la bande d’annonce est dispo depuis quelques jours (Le Continental, axé sur la jeunesse de Winston). Ils ont déjà eu la bonne idée de caster Mel Gibson dans un univers ultra-violent ; laissons-leur le bénéfice du doute.

Psychopompe

D’Amélie Nothomb, 2023.

Comme chaque fin d’été, la livraison régulière du dernier Nothomb m’enferme dans des souvenirs de jeunesse. La lisant depuis plus de vingt ans maintenant, la relation lecteur/auteur ne peut que se développer, même si elle est plutôt diaphane, considérant l’épaisseur desdites galettes annuelles. Cette courte piqûre de rappel est cependant toujours la bienvenue. Malgré des textes parfois inégaux, il y a toujours chez Nothomb un quelque chose qui fait vibrer mon attrait pour la langue, mon attrait pour les personnages hors du commun, l’auteure belge en étant sans doute le meilleur exemple.

Psychopompe creuse la veine de l’autofiction que Nothomb semble avoir choisie depuis plus d’une dizaine d’année maintenant. Et je parle plus volontier d’autofiction que d’autobiographie puisque, même si l’auteure se livre toujours davantage au gré de ces esquisses successives, il reste compliqué de démêler le vrai du faux. A l’instar de sa première vraie autofiction, Stupeur et tremblements (qui décrit une relation professionnelle au Japon qui ne pourrait en fait par arriver comme elle l’explique), l’épître 2023 se penche au gré des fantaisies de l’auteure sur divers passages de sa vie.

Là où la chose est nouvelle est que Nothomb ne se concentre pour une fois pas sur un épisode particulier, mais bien sur des éléments épars de son histoire personnelle. On y retrouve les années au Japon, en Chine, au Bangladesh. Mais également, pour la première fois sauf si ma mémoire me joue des tours, sur sa propre pratique de l’écriture, allant jusqu’à s’autoréférencer et, donc, à commenter ses propres productions. Et si elle semble davantage fière de ses plus récentes productions, elle aborde également son plaisir absolu de l’écriture, qui fut sans doute un exutoire bien pratique dans une vie qui était, dès son plus jeune âge, décalée. Difficile également d’estimer si les épisdes les plus sombres qu’elle narre (elle aurait été agressée physiquement dans son enfance) sont réellement arrivés : sans remettre en doute la sincérité de l’auteure dans son propos, le fantasmagorique a également sa place dans son narratif, ce qui rend compliqué une nouvelle fois de tenter de séparer le vrai du faux.

Pour finir, cependant, l’exercice est sans doute un peu vain : Nothomb est le personnage principal de ses propres romans. Elle s’attribue dans celui-ci une parentée presque surnaturelle avec la gente aviaire. D’où la thématique du psychopompe. A l’instar des nos amis ailés, l’auteure prétend ici faire oeuvre de psychopompe à travers ses romans récents (et, plus singulièrement, vis-à-vis de son père dont elle fait en effet la légende à travers plusieurs de ses romans, soit de manière très directe soit de manière détournée). Elle s’y trouve même une vocation et semble annoncer que la suite de sa carrière ira en ce sens, avec, comme toujours, la recherche de la forme la plus concise et la plus percutante.

Un roman intéressant, donc, qui nous plonge encore davantage dans la psyché de son auteure, protagoniste et antagoniste. Elle a, certainement, la légerté de l’oiseau quand elle manie la plume. Et si les envolées styllistiques de son début de carrière semble peu à peu s’éloigner, au profit d’une prose qui cherche moins l’éclat que la clarté, il n’en demeure pas moins que nous retrouvons ici une amie. Une amie qui nous confie une nouvelle tranche de sa vie et qui, malgré quelques inévitables coupes de champagne de trop, nous fait le don de quelques instants de merveille et de poésie, malgré l’âpreté de certains propos. Une bonne année, comme un bon milésime. Les amateurs sont déjà conquis.