Dredd

De Pete Travis, 2012.

Aaaaahh, enfin une adaptation de comics qui n’est pas ni une origin story larmoyante ni un combat destiné à sauver l’humanité ! Non, Dredd n’a pas l’ambition démesurée des productions Marvel et DC. Dredd n’est pas un super-héros. Pete Travis et son scénariste Alex Garland (qui signa notamment La Plage, 28 Jours plus tard et Sunshine pour Danny Boyle et réalisera ensuite cette petite perle de SF qu’est Ex Machina) veulent simplement nous raconter une journée type dans la vie de Judge Dredd. Sans fioriture. Sans temps mort. Du coup, ceux qui ne connaissent pas le « héros » de comics anglais (car si Dredd agit sur le sol américain, ses créateurs sont bien des auteurs de BD anglais) ou qui n’ont pas vu l’infamante première adaptation avec Sylvester Stallone au mi-temps des années 90 n’ont qu’à aller se faire voir.

Le film s’ouvre donc sur le minimum possible d’exposition : on est dans un monde post-apocalyptique, où toute la population s’est réfugiée dans quelques monstrueux centres urbains, à l’instar de Mega-City One qui sera le décor de notre histoire. Dans ces villes tentaculaires, des super-gratte-ciels ont vu le jour, véritable Tour de Babel accueillant pas loin d’un million d’âmes chacune. Mais ces « blocs » ne sont pas réservés à l’élite. Au contraire, ce sont les nouveaux HLM, les nouvelles banlieues, tout en verticalité, en proie au crime et à la pauvreté crasse. Dans ce monde où les institutions ont fait faillite, la justice est incarnée par des hommes et des femmes surentraînées qui cumulent les fonctions de flic, de juge et, le cas échéant, de bourreau. Ce sont les Judge. Les procès qu’ils entament sont expédiés en deux phrases et la sanction arrive sans tarder. Et elle fait mal.

Sans transition, on se retrouve dans les rues de Mega-City One pour suivre une légende parmi les Judge, le Judge Dredd, dans ses œuvres quotidiennes. Après s’être débarrassés de quelques camés (sans s’être soucié le moins du monde des dizaines de victimes collatérales que sa chasse à l’homme a causé), il rentre au bercail pour apprendre qu’on lui file une nouvelle rookie. Une Judge un peu jeune qui n’a pas la moyenne aux tests de sélection. Mais qui a l’avantage d’être télépathe. A Dredd de l’éprouver sur le terrain et de juger (arf-arf, j’ai fait exprès) si elle est apte pour le service oui ou non.

Et quelle meilleure manière de tester que d’aller enquêter sur le meurtre de trois pauvres petits dealers qui sont « accidentellement » tombé du 200ème étage de l’un de ces gigantesques immeubles ? Dans cette zone de non-droit, c’est Ma-Ma, un ancienne prostituée devenue baronne d’une nouvelle drogue qui a pour effet de ralentir la perception du temps qui passe, qui règne en maîtresse absolue. Et elle n’aime pas que des Judges viennent fourrer leur nez dans ses petites affaires. Du coup, ça sent la baston.

Et baston il y aura. Dredd n’a d’ailleurs presque que ça à proposer : de la baston, des fusillades crades et sans merci pendant une petite heure et demie. Un actionner bourrin façon années 80. Et ça marche, croyez-moi ! Bon, faut pas être allergique à une certaine forme de violence visuelle, mais mon Dieu ! qu’est-ce que ça fait plaisir de se mater un film d’action 1er degré comme celui-là de temps en temps ! Pete Travis, qui n’avait jusque-là signé que deux films passés totalement inaperçus (Angle d’attaque en 2008, Endgame en 2009) essaie visiblement de faire le maximum avec le budget réduit dont il dispose. Après quelques scènes en extérieur qui montre une ville de SF réaliste tout ce qu’il y a de plus correct, la majeure partie du film se passe dans le méga-building. Du coup, à peu près tout a pu être tourné en studio en limitant les SFX aux explosions et autres artifices utilisés pendant les scènes de baston. Ce qui aurait pu être vu comme un peu cheap donne au contraire une atmosphère oppressante au film qui rend la situation encore plus désespérée.

Côté casting, Travis n’avait pas non plus les moyens de se payer de grands noms. Pourtant, Karl Urban (Eomeeeeer !) fait un boulot convenable en Dredd impitoyable et inexpressif, caché derrière ce casque qu’il n’enlèvera pas une minute dans tout le film. Et Olivia Thirlby tient elle-aussi assez bien le rôle de l’apprentie Judge Anderson, qui, bien que dégoûtée de ce que l’uniforme l’oblige à faire, n’hésite cependant pas plus d’une seconde à le faire. Mais c’est surtout côté méchants que le casting brille : Domhnall Gleeson, quand il n’est pas ridicule en General Hux, démontre qu’il sait aussi joué un personnage sensible et torturé. Wood Harris, en second couteau brute et sang cœur, est aussi très efficace. Mais c’est surtout Lena Headey qui tire son épingle du jeu en maîtresse impitoyable du crime locale. Elle était déjà effroyable avant de s’asseoir sur le Trône de Fer, donc ! 🙂

Alors, bien sûr, la morale du film est douteuse (tout comme l’était la morale du comics, puisque le principe même d’un Judge est à la frontière du fascisme). Bien sûr c’est super-gore. Bien sûr Dredd n’y est qu’un justicier lambda que rien ou presque ne distingue des autres Judge, puisque le parti a été pris de ne pratiquement pas développer l’univers ou les personnages. Mais bon sang qu’est-ce que c’est jouissif de retomber sur ce genre de film faussement simple qui assouvi nos pulsions malsaines avec tout de même un certain brio dans la forme. Verhoeven n’aurait pas craché sur la filiation.

Malheureusement pour Travis, le film a fait un four. Avec un budget de 45 millions de dollars, il n’est même pas rentré dans ses frais et n’a rapporté qu’un peu plus de 40 millions à l’international, signant par là-même la fin (déjà) de la courte carrière de réalisateur de Travis. Dommage, car le film ne le mérite vraiment pas. Évidemment, ce n’est pas un chef d’œuvre, mais c’est un « trésor caché » qui aurait connu une longue carrière en VHS dans les vidéoclubs, s’il était sorti 20 ans plus tôt. Et, l’un dans l’autre, pour une ambition similaire, il est vachement mieux que le Predator de Shane Black

Alita: Battle Angel

De Robert Rodrigez, 2019.

Après des années et des années de « development hell », l’annonce de la mise en chantier effective de l’adaptation en film live de Gunnm, le formidable manga de Yukito Kishiro, m’avait a l’époque filé des sueurs froides. Le spectre des adaptations internationales précédentes de manga/d’anime en films live, façon Dragon Ball Evolution, me revenaient alors en mémoire. Et ce n’étaient pas des bons souvenirs, bien sûr. Surtout qu’entretemps, nous avions eu le très moyen Ghost in the Shell. Cependant, le Nicky Larson de Lacheau a démontré qu’on pouvait ne pas être japonais et faire une bonne adaptation, donc l’espoir était permis.

Et qu’est-ce que ça donne au final ? Eh bien une demi-réussite. C’est nettement moins pire que je l’imaginais. Mais le film est malgré tout loin d’être épargné par les défauts classiques d’une adaptation hollywoodienne. Bon, commençons par vous raconter en deux mots de quoi ça parle. Je ne suis pas sûr que ce soit réellement nécessaire, vu que Gunnm est quand même un pilier de la culture manga, même en francophonie, depuis sa première parution il n’y a pas loin de 30 ans. Mais bon, pour ceux qui ne sont pas trop versés dans les japonaiseries, Gunnm (et donc Alita: Battle Angel) nous raconte l’histoire d’une jeune et jolie androïde (corps mécanique, cerveau humain) retrouvé sur une décharge par le Docteur Ido (Daisuke dans le manga, Dyson dans l’adaptation US). Ce dernier répare les gentils robots de « La Décharge« , l’une des dernières grandes villes de la Terre après une guerre cataclysmique entre la Terre et Mars quelques décennies plus tôt.

La Décharge porte ce charmant petit nom car elle est, assez littéralement, la décharge à ciel ouvert de la cité volante de Zalem, la dernière des mégacités du monde, refuge de la classe supérieure. Mais le Docteur Ido n’est pas qu’un gentil médecin. C’est également un chasseur de prime qui tue les criminels de La Décharge la nuit à grand coup de marteau mécanique. Ido baptisera assez vite la jeune androïde du nom d’Alita (dans la version US, Gally dans le manga) après l’avoir réparée. Et, à nouveau, on comprendra assez vite qu’Alita, jeune fille innocente et naïve au début du film, cache en fait une machine à tuer aussi rapide qu’efficace. Et j’invite ceux que ce court résumé intrigue de se jeter sur le manga, édité et réédité depuis des années chez Glénat. Et plus sur le manga que sur le film.

Commençons par ce qui marche dans le film : visuellement, Rodriguez ne s’est pas moqué de nous. Zalem et La Décharge sont bien rendues. Alita/Gally, personnage en motion capture, est super réaliste (malgré ses grands yeux qui ont fait débat lorsque la bande d’annonce est parue mais qui ne détonnent absolument pas dans le film). Le film contient même ce qu’il faut de fan-service : il adapte les deux-trois premiers tomes du manga (l’histoire de Hugo, qui avait déjà été adapté dans une version animée très moyenne dans les années 90), mais inclus par exemple des courses de MotorBall, qui apparaissent plus tard dans le manga, mais donnent des visuels spectaculaires. Et, oui, on a droit aux combats avec du Panzer Kunst, avec du plasma et on a droit aussi à un gros plan sur Alita/Gally lorsqu’elle peint les deux traits métalliques sous ses yeux qui rendent le personnage autant kawaï que badass. Et l’histoire ne fait pas totalement l’impasse sur le côté sombre du manga non plus, avec la présence de Vector, la vie assez trouble de Hugo (le beau gamin dont Alita/Gally ne peut évidemment s’empêcher de tomber amoureuse) ou encore la présence fantomatique du méchant de la série, le mystérieux Desty Nova.

Autre bonne surprise : le casting. L’inconnue Rosa Salazar fait une très jolie Alita. Christoph Waltz, égal à lui-même, donne une version d’Ido vieillie et peu plus papy gâteau mais qui marche quand même. Et les seconds rôles de Mahershala Ali en tant que Vector ou encore de Ed Skrein comme Zappan marchent parfaitement. Seul petit regret, côté casting, Keean Jonhson fait un peu trop beau gosse de romcom pour adolescente pour être un Hugo crédible. Hugo, dans le manga, n’a rien d’un leader charismatique. C’est juste un gamin paumé à la vie tragique qui se berce d’illusion et qui provoque un sentiment presque maternel chez Gally/Alita. Ici, on a juste le quarterback lambda dont la back story tragique tombe du coup un peu comme un cheveu dans la soupe.

Ce qui m’amène à mon problème principal avec film. Gunnm n’est pas un shonen. Ce n’est pas un seinen non plus, mais c’est un manga segmenté pour un public intermédiaire (les grands ados, quoi). Et Alita: Battle Angel est un film tout public (enfin, PG-13, pour être exact). Du coup, on a en effet une adaptation du manga sous les yeux, mais une adaptation très très édulcorée. Gunnm est un manga sombre où l’espoir est peu présent. Tous les personnages (Alita/Gally comprise) cachent de sombres démons dans leur passé. Rodriguez nous livre, surtout au début du film, un film post-apocalyptique où les décors sont très colorés et presque… joyeux. La population locale a l’air en bonne santé et on assiste même, un peu gêné, à une sorte d’entraînement aux patins à roulettes (en prévision du MotorBall qui… se joue en effet sur des patins à roulettes, mais à 250 km/h) entre ados en bonne santé et tout droit sortis d’une pub Benetton.

Pourtant, le film n’est pas avare en scènes d’action. Mais elles semblent très … molles par rapport à ce que le manga propose. Même quand Alita fini par se rappeler qu’elle maîtrise le PanzerKunst, j’ai eu la méchante impression de voir des combats au ralentit. Les deux exemples les plus frappants de « mainstream-isation » du manga sont sans doute 1) le fait d’avoir affublé Ido d’une ex-femme et d’une raison très paternelle de s’occuper d’Alita et 2) d’avoir complètement modifier le personnage tragique de Makkaku (un orphelin brûlé à l’acide et jeter dans les égouts de la décharge, récupéré par Desty Nova pour en faire un vers géant qui se nourrit du cerveau de ses proies humaines) en le remplaçant par un gros robot lambda un peu bourrin. Dans le même ordre d’idée, cela m’a perturbé qu’ils ont mis des têtes humaines à tous les participants du MotorBall là où Kishiro avait justement choisi une approche biomécanique beaucoup plus extrême pour développer leurs particularités de combat.

Alita: Battle Angel n’est donc certes pas un ratage complet, mais il n’arrive pas à la cheville de son matériau d’origine. Le script de James Cameron et de Laeta Kalogridis est en même temps étonnamment fidèle à la trame du manga tout en s’en éloignant pour des raisons de malheureux politiquement correct. Si les producteurs n’avaient pas visé le PG-13 mais s’étaient lancé dans une adaptation rated-R, le film aurait sans doute connu un succès moindre (le film, sans être un hit, a fait un score honorable, puisqu’il a rassemblé pas moins de 400 millions de dollars au box-office mondial) mais nous auraient donné un film plus noir, punchy et fidèle à l’esprit du manga. En résumé, Alita: Battle Angel est sans doute un bon film de SF, rythmé, bien joué et bien réalisé pour ceux qui ne connaissent pas l’œuvre. Mais, à ceux-là, je dirais simplement : laissez tomber le film, plongez-vous dans le manga ! C’est d’un tout autre niveau.

PS : Et ce résultat en demi-teinte ne va pas arranger les projets, eux-aussi bloqués en development hell depuis des années, d’adaptation live US d’Akira et d’Evangelion. Tant mieux ? Et on souhaitera beaucoup de patience à Edward Norton, dont le caméo en Desty Nova tout à la fin d’Alita: Battle Angel laissait présager un deuxième volet qui… ne semble pas prêt de voir le jour.

In Search of Darkness

De David A. Weiner, 2019

Un peu plus de quatre heures de frissons intenses ! Frissons de peur et de plaisir. Voilà ce que nous offre David A. Weiner avec son documentaire In Search of Darkness. Né d’un projet comme seul l’ère Internet a su rendre possible, cet essai érudit sur le cinéma d’horreur des années 80 est le résultat d’une campagne de financement participative initialement lancée sur Kickstarter. Financé en deux jours, ce projet d’amoureux du cinéma de genre a récolté 100 K$ sur la plateforme initiale et 250 K$ supplémentaires sur Indiegogo par la suite (cette seconde plateforme servant souvent de relais à des campagnes financées sur la première, afin d’augmenter la cagnotte et offrir donc un peu plus de marge aux créateurs).

Et c’est là qu’on voit qu’une fanbase de geek existe bel et bien sur les plateformes de financement participatif. Et que le geek est effectivement devenu roi au tournant des années 2000. On –car je m’inclus dans la catégorie, bien sûr- est devenu la middle-class qui a les moyens de financer ses passions. Et là où nos parents rêvaient d’un coupé-sport ou d’une villa à la mer, nous sommes plus enclins à financer ce genre de projet qui surfent à fond sur la nostalgie et la culture « alternative« . Enfin, la culture qui était alternative, puisqu’elle est aujourd’hui dominante. Et c’est tant mieux si cela permet à ce genre d’œuvre de voir le jour.

Il est sans doute impossible de citer dans ces critiques l’ensemble des films dont il est question dans In Search of Darkness. Ils y sont sans doute tous (ou, en tous les cas, tous ceux qui nous ont marqué dans notre jeunesse). Le documentaire est intelligemment construit en années et en thématique. Après un chapitre consacré aux films sortis en 1980, on aura donc droit à un chapitre plus court sur l’art du makeup dans les films de monstres, ou encore sur le lien entre sexe et films d’horreur, avant de revenir à un chapitre plus systématique sur les films sortis en 1981. Et ainsi de suite. Et, comme je le disais, l’approche permet de vraiment faire un tour complet du cinéma d’horreur des années 80, en évoquant tant Les Griffes de la Nuit, Vendredi 13 et The Thing que les improbables suites de Psychose, The Blob ou bien sûr Chuky.

La décennie est encore aujourd’hui considérée comme un âge d’or pour le film d’horreur, puisqu’elle s’ouvre en puissance, auréolée du récent succès du premier Halloween, le premier véritable slasher de l’histoire du cinéma. Fort de ce succès, des cinéastes comme John Carpenter, Joe Dante ou encore Sam Raimi vont égrené leurs films de génie tout au long de la décennie pour véritablement construire un « genre », une recette, qui allie le gore, les blagues potaches et une inventivité et une débrouillardise à toute épreuve. La décennie donnera également des perles baroques comme le premier Hellraiser de Clive Barker ou encore La Mouche de Cronenberg, où l’horrible est finalement plus l’homme que le monstre.

David A. Weiner, journaliste spécialisé dans le cinéma depuis des années, signe ici un documentaire classique dans sa forme (les extraits des films cités s’enchaînent avec des interviews de différents acteurs, réalisateurs ou producteurs de l’époque), mais passionnant dans son propos. Il offre, à travers des interviews bien préparées et pensées intelligemment, une vraie trame narrative à son documentaire, où l’on voit progressivement se dessiner l’évolution d’un genre jusqu’à la création de canons qui seront tournés en ridicule dans les années 90 avant de prendre un virage plus sobre et moins gore dans les années 2000 (à l’exception des tortures-porn façon Hostel ou Saw). Et force est de constater, comme Weiner le fait, que les années 80 contiennent parfois en embryon tout ce que deviendra le genre dans les 30 années suivantes, avant malheureusement moins de brio ou d’éclat.

Car au-delà de la fameuse madeleine de Proust, il faut tout de même se demander si la décennie des années 80 n’était pas réellement un âge d’or pour le cinéma américain (j’ai oublié de préciser que Weiner ne s’intéresse qu’au cinéma d’horreur américain dans son reportage, sans ce que cela soit vraiment dérangeant par ailleurs). Au-delà du genre de l’horreur, c’est aussi la décennie des films d’actions qui ont établis les codes du genre, des films de comédie dont les tropes sont encore d’actualité (les buddy movies) ou même des films de SF. Les nouveaux « classiques » sont tous issus de cette décennie qui brisait le classicisme du cinéma des années 50 et 60 et faisaient preuve de beaucoup plus d’audace que les blockbusters des 20 dernières années qui ne sont qu’adaptations de franchise ou suites. Les revivals des classiques de cet époque sont d’ailleurs une valeur sûre pour le box-office actuel et les projets dans cette lignée se multiplient encore.

Il y avait donc quelque chose dans la manière dont les jeunes cinéastes de l’époque envisageaient le cinéma et osaient autre chose. Inspiré par les réalisateurs iconoclastes des années 70 (la bande des barbus : Scorcese, De Palma, Lucas, Spielberg, mais aussi Kubrick, bien sûr), qui ont su casser les codes et faire évoluer le cinéma classique, cette nouvelle génération de cinéaste a carrément laisser tomber les codes pour faire uniquement ce qui les faisait marrer. Les interviews de Carpenter, de Dante ou encore de Larry Cohen démontre cet esprit iconoclaste si besoin est. Et épicurien, dans le genre salle gamin qui ricane dans son coin.

Weiner signe donc, au risque de me répéter, une véritable déclaration d’amour au cinéma, tout simplement, avec In Search of Darkness. Bien sûr, nous avons tous été marqué dans notre jeunesse par ses monstres sanguinolents, par ces mondes bizarres et angoissants que ces artistes nous proposaient (en renvoyant des extrait du Blob dans le reportage, j’ai compris pourquoi le film m’avait traumatisé à l’époque de mes 7-8 ans). Dans le tas, il y a au moins là un film qui vous a filer des cauchemars ou autres phobies inexplicables au regard de vos parents à l’époque (si je dis trois fois Candyman devant le miroir des toilettes au bureau, j’ai un collègue qui s’enfuie encore aujourd’hui en courant à cause de sa peur phobique des hyménoptères en tout genre… :-). Mais ces frayeurs nocturnes n’étaient pas que des facilités destinés à vous faire manger du pop-corn dans des multiplexes. Non, ces films découverts pour la plupart sur VHS étaient pour tout une génération de cinéphiles un vrai premier contact marquant avec le Cinéma. Avec un grand C. Chapeau bas à In Search of Darkness pour nous faire revivre ça, tout en étant fun et intéressant à la fois.

PS: Et la « suite » intitulée In Search of Tomorrow, consacrée quand à elle aux films de SF de la même décennie, vient d’être financée avec succès sur Kickstarter également. J’attends de pied ferme 2021 pour me jeter dessus !

Knives Out

De Rian Johnson, 2019.

Avant d’être universellement détesté par la communauté mondiale des geeks en tout genre pour l’épisode 8 de la saga Star Wars, Rian Johnson fut adulé par la même communauté pour son très malin petit film d’anticipation Looper (2012). Et, dans les deux cas de figure, Johnson a réalisé le film, mais en a aussi signé seul le scénario. Et c’est encore le cas avec Knives Out (sorti sous le nom de A couteaux tirés sous nos latitudes). Inutile donc de dire que les attentes étaient mitigées sur ce qui nous était vendu comme un whodunit à l’ancienne, façon Agatha Christie ou Simenon. Le bande d’annonce et le casting mirent en émoi une partie des cinéphiles qui voyaient d’un bon œil le retour de Rian Jonhson sur un film moins ambitieux où les personnages et l’histoire pouvaient être exploité sans la pression d’un gigantesque studio et d’une franchise où l’erreur (et la créativité ?) n’est pas autorisée sur le dos. L’autre partie des cinéphiles ne lui avait pas pardonné, et ne lui ont toujours pas pardonné d’ailleurs, cet énorme pied-de-nez (certains iraient même jusqu’à dire doigt d’honneur) que fut The Last Jedi.

Personnellement, je me fiche un peu de ces débats d’église. Et si je considère en effet que The Last Jedi est un film bourré de défauts et qu’il n’a fait que confirmer le déclin de la saga Star Wars déjà enclenché avec le précédent opus de J.J. Abrams, cela ne m’empêche pas de lui reconnaître une certaine faconde technique et plus d’ambition scénaristiques que The Force Awakens. Du coup, j’étais curieux de voir ce que pouvait réaliser et raconter son nouveau long métrage, maintenant que la bashing/hate propre à la culture internet était un peu passé au second plan. Et puis, j’aime bien les films de détective.

Car Knives Out est réellement un hommage au genre du policier. Pas le thriller moderne ou au film de flic, mais bien au film de détective, comme au bon vieux temps. Et Knives Out tient presque toutes ses promesses quand on tient cela en compte. Servi par un casting excellent, sur lequel je reviendrais, le film nous narre l’histoire d’une succession qui dérape. Au lendemain de son 85e anniversaire, le romancier à succès Harlan Thrombey, grand spécialiste du roman policier et joué par un excellent Christopher Plummer, toujours bon pied bon œil, est retrouvé mort dans sa mansarde. Un suicide. Un suicide, réellement ? Car il apparaît bien vite que les enfants, beaux-enfants et petits-enfants du romancier ont tous des choses à cacher. Il ne faudra pas longtemps au détective Benoit Blanc pour jeter la lumière sur ces secrets de famille, sans pour autant trouver le coupable de ce qu’il pense être un meurtre.

Et pour Blanc, joué par un Daniel Craig qui s’amuse visiblement à l’écran en exagérant le côté un peu crétin de son personnage à l’accent aussi improbable qu’indéfinissable, seule la brave infirmière personnelle de l’écrivain décédé peut l’aider à démêler ce sac de nœuds, en raison de son incapacité physique à mentir. Cette dernière se met effectivement à vomir dès qu’elle est amenée à travestir la réalité ! Ce qui est évidemment bien pratique pour déceler la vérité dans ce carnaval de mensonges et de mesquineries.

Servi par un casting d’enfer, comme je le disais, Knives out offre des rôles et des performances amusantes à nombre d’acteurs chevronnés. Dans les héritiers potentiels, on ne croise nuls autres que Jamie Lee Curtis, Michael Shanon, Toni Colette ou encore Chris Evans. Et Rian Johnson, comme le genre extrêmement codé dans lequel il opère ici l’exige, de les présenter tour à tour comme des suspects potentiels. Bien sûr, ils sont parfois réduits à des traits de caractères ou à un « rôle » limité (l’emphase étant nécessaire, puisque le film joue aussi sur ce côté mise en abime : il sait que le spectateur sait qu’il regarde un film de détective et s’attend donc à certaines conventions liées au canon du genre). Forcément. L’idée n’est pas ici de signé un drame ou une comédie. Encore moins une étude de personnage. Seule l’infirmière, jouée par Ana de Armas, a réellement droit à un développement de personnage. Et c’est assez normal, puisqu’elle est finalement l’unique héroïne du film (si l’on écarte le Détective Benoît Blanc, lui aussi limité par l’archétype qu’il incarne).

Et, eu égard à tout ceci, il nous reste en fait un bon petit film de détective, de huis-clos à énigme. Le rythme est bon, la directrice artistique excessive et parodique, mais très efficace, le montage moderne et tenant ses promesses. Knives out est donc une partie de Cluedo tournée avec entrain par un Rian Johnson qui fait ce qu’il sait faire de mieux : servir une idée, un genre avec un talent certain pour la mise en scène. Servi par des performances d’acteurs irréprochables (Toni Colette et Daniel Craig sortent réellement du lot), il évite le piège d’un développement trop long ou d’un exposé un peu statique comme on peut les rencontrer trop souvent dans le roman policier. Pourtant il y a malgré tout un bémol, et de taille : le film est finalement trop simple. Bien sûr qu’il y a un twist final pour révéler qui est le coupable. L’ennui c’est qu’en tant que bon spectateur post-moderne que nous sommes, un seul twist ne nous suffit plus. Johnson ayant fait le choix d’un scénario original (contrairement à Kenneth Branagh, par exemple, avec l’excellente adaptation du Crime de l’Orient Express qu’il avait signé il y a quelques années dans un genre très similaire), il n’aurait pas du se restreindre à un retournement de situation finalement aussi simple.

C’est ce point précis qui fait pour moi de Knives out un film qui passe légèrement à côté de son propos et qui en réduit un peu la portée de l’hommage. Je ne me suis nullement ennuyé lors de sa vision. Au contraire, j’ai même ris aux quelques exagérations que Johnson insère çà et là pour rappeler au spectateur qu’il est bien dans un jeu où le propos n’est jamais dramatique. Mais je n’ai pu m’empêcher de conclure l’expérience par un « Ah oui, d’accord, c’est cela le twist. Bon. Ok. Qu’est-ce que j’ai d’autre à rattraper comme film en stock ? » En d’autres termes, même si c’est formellement réussi et agréable à regarder, cela ne marquera en aucun cas l’histoire du cinéma. Ni même du genre. Dommage.

Le Cavalier suédois

De Leo Perutz, 1936.

Roman d’aventure picaresque dans la filiation directe des récits de Hugo ou de Dumas, Le Cavalier suédois aurait pu être écrit un siècle plus tôt. Pourtant, rédigé à l’origine en Allemand par l’écrivain autrichien Léo Perutz, il est bien sorti dans les années 30 du siècle passé, après la 1ère guerre mondiale. Et si je parle de ceci, ce n’est pas par hasard : le fantôme du conflit, meurtrier, inhumain, et inutile, hante le texte sans jamais être explicitement montré. Bien sûr, il ne s’agit nullement du premier conflit mondial dont il est question ici, mais bien des ambitions belliqueuses du Roi de Suède au début du XVIIIe siècle.

Le roman s’ouvre sur la fuite éperdue d’un nobliau suédois, déserteur, sur le territoire frontalier entre la Pologne et l’Allemagne (alors Empire austro-hongrois, bien sûr) et de son compagnon d’infortune, un voleur répondant au seul sobriquet de Piège-à-Poules. À la suite d’un concours de circonstances rocambolesque, le voleur aura l’occasion d’usurper l’identité du lâche suédois pour s’installer sur les terres qui lui étaient dues et marier sa promise. Non par roublardise, mais bien par amour et parce qu’il est convaincu que le déserteur ne sera à la hauteur des attentes de la jeune femme et qu’il ne saura redresser son domaine, spoiler par un parrain concupiscent et par des serfs bien peu regardant.

Le Cavalier suédois est une donc une ode à l’amour véritable, au respect de la terre et à la valeur de l’effort et du travail. Ce qui sonne là comme très conservateur est totalement contrebalancer par la charge virulente du roman contre la folie des hommes, l’armée et la religion. Ironiquement, c’est grâce à la violence que le voleur pourra mener une vie vertueuse et à cause de ses ambitions martiales que le véritable cavalier suédois sera voué aux gémonies. Le Cavalier suédois est également un roman d’aventure où les péripéties et la tension s’enchaînent pour conserver toujours égal l’intérêt de son lecteur. Il est en cela plus moderne que ces illustres modèles (Hugo, Balzac, Zola, etc.), tout en conservant le sel et le charme d’une écriture érudite, complexe et pourtant parfaitement lisible.

Considéré dans les biographies officielles de Perutz comme un œuvre relativement mineure, Le Cavalier suédois est également décrit, par des amateurs éclairés, comme un véritable trésor caché de sa bibliographie. C’est le premier livre de Perutz qu’il m’est donné de lire et je ne pourrais donc juger de la qualité de sa production dans son ensemble, mais il est clair que Le Cavalier suédois est un roman de qualité, maîtrisé dans forme, complexe dans son fond et passionnant de la première à la dernière page. Libretto ne s’est pas trompé quand il a réédité dans une édition spéciale ce roman à l’occasion de leurs dix ans : non content d’être l’un de leur best-seller, c’est également une formidable épopée historique, l’un de ses romans qui sait jouer sur nos sentiments tout en nous faisant réfléchir. Les clés de lecture multiples qui permettent d’apprécier l’œuvre dans sa fausse simplicité ne se livrent pas directement : il faut prendre le temps de reposer le livre sur sa table de nuit et se laisser porter par ses pensées pour saisir la véritable ampleur du Cavalier suédois.

Car au-delà de l’épisode anecdotique de ce voleur au grand cœur et au sens moral atypique, le roman est aussi une œuvre sur l’homme dans ce qu’il a de complexe. Notre héros n’est sans doute pas un homme bon. Et c’est pourtant le meilleur des hommes que nous croiserons dans ces pages. Et c’est aussi un bon père et un bon mari. Le Cavalier suédois n’a rien à envier au destin d’un Jean Valjean ou d’un Comte de Monte-Cristo : c’est un personnage multiple, profond, inquiet et parfois inquiétant que l’on se surprend à aimer. Nous sommes ici dans le domaine de la grande littérature. Perutz ne bénéficie sans doute pas de l’illustre reconnaissance de ses modèles, mais il n’a rien à leur envier en tant que pair. Je ne peux que vous invitez à le découvrir de toute urgence.