The Dark Crystal: Age of Resistance – Saison 1

De Louis Letterier, 2019.

Il y a bien longtemps, dans les profondeurs de ce blog, je vous ai parlé du classique de la fantasy de 1982, The Dark Crystal. Le film, signé par Jim Hensson et Frank Oz, les deux grands marionnettistes d’Hollywood, est devenu avec les années un classique de la fantasy au cinéma et une référence pour toute une génération d’enfants nés du milieu des années 70 au milieu des années 80. Par un mystère étrange, j’avais échappé à ce classique jusqu’il y a quelques années et je n’avais donc pas particulièrement été touché par le film lorsque je l’ai finalement vu. Si la prouesse technique était impressionnante et l’univers très riche, j’avais trouvé le film un peu vide et les poupées principales (les deux Gelfings) très inexpressives et statiques, ce qui m’avait un peu sorti du film.

Autant dire que l’annonce d’une série télé produite par Netflix ne m’avait pas particulièrement marqué. Elle était à ranger, pour moi, aux côtés de la nouvelle saison de La Fête à la Maison ou encore d’une éventuelle suite à Gilmore Girls. En gros : une manière pour Netflix d’une nouvelle fois jouer sur la nostalgie de son cœur de cible principal, les trentenaires/quarantenaires qui n’hésiteraient à binge-watcher les dix épisodes de ce rappel nostalgique à leur enfance. Une machine à faire du blé, en somme, comme Netflix et les autres nouveaux acteurs (Amazon Prime, Disney+, etc.) aiment à produire depuis quelques années, en capitalisant sur une marque connue et en offrant un énième reboot/remake souvent moyennement inspiré.

C’est aussi la raison pour laquelle je n’avais pas sauté sur la série lors de sa sortie. J’avais vu d’un œil distrait que l’accueil critique était positif, mais le « hype » était retombé assez vite, surtout en francophonie. Confinement oblige, je cherchais quelque chose à regarder et je me suis dit « allez, pourquoi pas… » Et grand bien m’en a pris. Age of Resistance est tout simplement l’une des meilleures séries télé que j’ai vu ces dernières années. Cela mérite bien quelques explications.

D’abord et en premier lieu, il s’agit d’un véritable travail d’artisan. A une époque où filmer tout sur fond bleu avec des acteurs principaux en CGI devient très simple, se lancer dans la construction de marionnettes est aussi suranné que couillu. De fait, partir du principe que le téléspectateur moderne va s’assoir sur son canapé et regarder pendant un peu moins de dix heures des marionnettes vivre de multiples aventures était un pari risqué. Louis Letterier, réalisateur français derrière Le Transporteur, Le Choc des Titans ou encore L’Incroyable Hulk (deuxième film officiel du MCU), est visiblement un fan de longue date du film original. Et c’est avec beaucoup de bonheur qu’il a recontacter l’entreprise familiale de Jim Hensson (décédé entretemps, mais le flambeau a été repris par sa femme et toute une série d’artisans amoureux de leur métier) pour mettre en œuvre ce reboot qui était dans dans l’air depuis de nombreuses années. Et, honnêtement, on sent l’amour du travail bien fait dans la construction non seulement des marionnettes des différents protagonistes, mais également dans la construction des décors du monde de Thra. Vu l’ampleur du projet, ils ont en effet multiplié les environnements là où le film original ne faisait que survoler quelques sets bien distincts. Et c’est un bonheur pour les yeux de voir que le moindre élément du décor est bourré d’animatroniques pour faire interagir à l’écran, par exemple, les plantes et les petits animaux qui peuplent le background.

Les marionnettes en elles-mêmes sont aussi nettement plus mobiles et expressives que dans le film d’origine. Je regrettais particulièrement que les deux Gelfings du film soient très statiques. Ce n’est plus vrai dans la série où les producteurs et scénaristes ont décidé de donner une vraie personnalité aux sept tribus différentes des Gelfings de Thra. Mais il n’y a pas que les Gelfings qui ont bénéficié d’un lifting important : les Skeksis sont aussi nettement plus mobiles (mais toujours aussi laids) et même les Poldings ont de vrais traits de personnalités. Bien sûr, la technologie n’est pas tout à faire absente. Les grands mate matings des années 80 ont été remplacé par des écrans bleu. Mais c’est clairement un plus : cela permet de là aussi une plus grande mobilité des marionnettes qui ne sont pas bloqués dans des plans larges. De vrais scènes d’action ont pu être créé. De manière anecdotique, certains détails des marionnettes ont également été digitalisé là où les animatroniques touchaient leurs limites. Les langues des Skesis, en particulier, sont maintenant très expressives.

Mais tout ceci est de l’ordre du détail par rapport à l’effort fait sur le scénar. Le choix de faire un prequel pouvait étonner, mais est finalement assez logique. Faire une suite au film d’origine limitait fort l’enjeu scénaristique : lorsque les Seksis disparaissent, il n’y a plus d’antagoniste fort, sauf à imaginer un autre type d’ennemis. Et le cristal qui donne son titre à l’œuvre perd de son intérêt s’il est à nouveau entier et non plus menaçant. Le choix de faire un prequel était donc le bon choix. Cela permettrait de redécouvrir les territoires de Thra lorsque ceux-ci étaient plein de vie et non moribonds/crépusculaires, comme dans le long métrage. Bien sûr, le choix du prequel est aussi un risque : le spectateur connait la fin. Il sait, pour faire un parallèle, qu’Anakin Skywalker finira par devenir Darth Vador. Il sait que les Gelfings vont perdre leur duel face aux immondes Skesis.

Et pourtant on ne peut s’empêcher d’espérer, de vivre les aventures de l’héroïque Rian, de la curieuse Brea et de l’ingénue Deet. Je ne vais pas vous résumer l’histoire. Sachez simplement qu’en quelques mots on assistera aux trajectoires parallèles de 3 Gelfings (ceux que je viens de citer, pour les distraits) qui découvriront chacun que les Skesis ne sont pas des despotes éclairés mais bien des monstres pervers qui ne reculeront devant aucune horreur pour s’assurer leur immortalité. Et lorsque le Dark Crystal ne leur donne plus leur ration quotidienne de pouvoir, les affreux rats/oiseaux de proie se tourneront vers les Gelfings pour leur voler leur essence vitale.

Comme le film d’origine, la série n’hésite pas à tomber dans le tragique et la représentation frontale de la violence à l’écran. Nous sommes toujours dans un cadre de fantasy relativement proche du conte fantastique qui pencherait donc vers un public enfantin. Pourtant, la série fait également peur, les gens y meurent, les trahisons se multiplient. Bien sûr, nous ne sommes pas dans un scénario à la Game of Thrones : il y a des gentils et des méchants (et quelques protagonistes qui se perdent en chemin) facilement identifiable. La quête est relativement simple. Mais les personnages et le monde gagnent tellement en profondeur par rapport au film de 1982 que cela donne réellement une histoire passionnante à suivre, pleine de suspens et de rebondissements. Les passages magiques, amusants s’enchaînent à merveille avec des moments tragiques et sombres. Sans parler du fait que la série réussis même à être épique lorsqu’elle le doit. Certains personnages, déjà intéressants dans le film d’origine, le deviennent ici encore plus : le Chambellan est définitivement mon Skesis favori ; c’est un salopard formidable à la LittleFinger dans GoT. Et Mother Augra gagne en tragique quand elle se rend compte qu’elle est elle-même largement responsable des évènements tragiques qui tuent petit à petit le monde de Thra.

Je pourrais encore longuement parler de cette série (vous ais-je dit, par exemple, que les musiques de Daniel Pemberton et Samuel Sim tournent en boucle dans mon casque depuis une grosse semaine ?), mais il faut bien conclure cet avis. Je répète donc ce que je disais : The Dark Crystal: Age of Resistance est non seulement une bonne surprise, c’est aussi l’une des meilleures séries télé sorties ces dernières années à mes yeux. Derrière un travail d’artisan remarquable digne du Studio Aardman, on découvre une histoire maîtrisée, intéressante, réjouissante même, filmée avec passion et brio par Letterier qui répète à l’envie, dans toutes les interviews qu’il a donné sur le sujet, que c’était certainement là son plus dur boulot depuis ses débuts dans le cinéma. Je le crois sur parole. Et merci à Netflix d’avoir financé cette folie pendant les trois ans de préproduction. Espérons juste que la deuxième saison ne mettra pas trois ans à sortir à son tour !

Big Fan

De Fabrice Colin, 2010.

J’ai déjà commenté l’un ou l’autre livre de Fabrice Colin en ces colonnes. C’est un des auteurs du renouveau de la fantasy française des années 90 (comme son collègue proche Mathieu Gaborit) qui ont relancé une vague de publications dans la littérature de genre début des années 2000. Et, rien que pour cela, cette génération mérite nos remerciements. Colin, en particulier, est un auteur que j’aime bien. Il ne fait pas de concession : doté d’une vraie plume, il rédige des textes au scénario complexe qui se digèrent progressivement comme une mille-feuille très élaboré. Du coup, ses romans sont souvent bordéliques, leur construction narrative partant en vrille après un moment.

C’était le cas dans Winterheim, c’était le cas dans Arcadia et c’est encore le cas dans ce court opus, Big Fan, sorti il y a dix ans déjà mais republié en poche il y a quelques temps chez Folio SF (qui fait, soit dit en passant, toujours un travail éditorial admirable, tant pour mettre en valeur le back-catalogue de Fleuve Noir que pour laisser une place aux « jeunes » auteurs en devenir). Big Fan, du haut de ces courtes 200 pages, nous plonge dans la vie de Bill Madlock. Bill est un no-life anglais à la vie fort triste : abandonné par son père, élevé par sa mère qui a compensé son manque d’amour maternel par une surabondance de bouffe, Bill est un gros garçon asocial qui traverse son enfance et son adolescence dans un mode « repli sur soi/rejet de la société ».

Seule lumière dans son désert affectif (et social) : Radiohead. Pour Bill, seul Radiohead vaut quelque chose, question musique. Le reste du rock alternatif est au mieux médiocre, sans parler du R&B, du hip-hop ou de l’honnie pop commerciale. Bill trouve un sens à sa vie dans les paroles de The Bend ou de OK Computer. Mieux encore, il comprend que Thom Yorke, à travers ses textes torturés et ses prestations scéniques hallucinées, a accès à une vérité autre, plus élevée. Il sait, comme lui, que l’humanité vit son apocalypse, vit ses dernières années. Le monde est surveillé par la Police du Karma et il appartient à Bill de sauver Thom, de lui permettre de continuer à s’exprimer librement pour mettre en garde l’humanité entière contre sa propre destruction.

Vous aurez compris que Big Fan est un roman très dur, froid et déprimant. Fabrice Colin choisit d’alterner son récit entre des lettres-confessions de Bill au fond de sa prison/hôpital psychiatrique (marrant de retrouver ici le procédé du dernier Goncourt, Tout les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, dont la chute était aussi annoncée dès les premières pages, le récit ne constituant qu’une longue accumulation de malheurs vers ce point de non-retour) et les chapitres plus didactiques sur l’histoire du groupe de Oxford, de sa création à la sortie de l’album Kid A en 2001, quelques jours avant les évènements du 11 septembre. Ces chapitres didactiques, intéressant au demeurant pour qui s’intéresse au groupe, sont de manière assez amusante commenté, annoté par Bill lui-même qui n’hésite pas à se moquer du style journalistique et des clichés liés qui sont utilisés par Colin pour présenter le groupe et sa production musicale.

C’est d’ailleurs le défi du roman : comment écrire sur le sentiment que provoque, l’impression qui se dégage de l’écoute attentive d’une chanson, d’un album, de la musique d’un groupe ? Je n’ai pas résisté à la tentation et j’ai lu une grande partie de Big Fan avec Ok Computer dans les oreilles (ça faisait longtemps que je n’avais pas réécouter l’album, qui date de mon adolescence, il faut le savoir). Et je comprends très bien pourquoi Fabrice Colin a choisi ce groupe en particulier. Il se dégage quelque chose de la voix de Thom Yorke d’inquiétant. Son physique et sa présence sur scène ne font que renforcer ce sentiment. Je ne les ai vu qu’une fois en live, il y a des années, au Lotto Arena d’Anvers. C’était (malheureusement) déjà leur période électro/expérimentale. Mais même à distance, une forme de malaise se faisait ressentir.

C’est donc le groupe et, à plus forte partie encore, le chanteur idéal pour provoquer un trouble de la personnalité chez son protagoniste principal. Ce dernier se coupe petit à petit de la réalité et vire dans la paranoïa la plus totale quand un nouveau malheur (que je tairais pour vous préserver la surprise) s’abat encore injustement sur lui. Big Fan est une histoire navrante, triste et difficile. Les derniers chapitre, comme d’habitude chez Colin, partent en vrille au niveau de la construction littéraire et de de la logique du récit. Cela colle cependant parfaitement avec la descente aux enfers du pauvre Bill, le persécuté qui a choisi de faire un doigt d’honneur à son destin, qui a préféré la voie de la violence à celle de la compréhension et de l’apaisement. Un beau texte, à mi-chemin entre les références geek à D&D et à l’anarchie sans concession d’une certaine frange du punk des années 70.

PS : par contre, le pourquoi d’avoir publié le texte dans une collection SF m’échappe. Colin, depuis de nombreuses années maintenant, à quitter la SFFF pour se tourner vers le polar et le thriller. Big Fan appartient davantage à cette catégorie qu’à la SFFF. Mais, bon, finalement, cela n’a que peu d’importance au regard de la qualité du texte qui transcende son affiliation à un genre en particulier.

Underwater

De William Eubank, 2019.

« In the abyss, no one hear your scream. » Voilà comment pourrait être résumé Underwater, un film de monstres sous-marins sorti fin 2019 dans un anonymat plus ou moins général. La campagne de publicité autours du film fut fort discrète, sans doute car Disney, nouveau propriétaire des studios de la 20th Century Fox, ne savait pas trop quoi faire avec ce film de genre. Du coup, il est resté dans les caves du distributeur pendant de très longs mois (le tournage ayant eu lieu début 2017, soit près de 3 ans plus tôt !). Et sa sortie n’a été que fort peu médiatisée, laissant ça et là apparaître un trailer ou l’autre, une affiche mettant en avant la nouvelle coupe de Kristen Stewart plutôt que l’objet réel du film. Résultat : catastrophe au box-office. Et catastrophe dans la réception critique qui, en résumé, y voit un enfant illégitime et mal aboutit d’Alien et d’Abyss.

Bien sûr, on ne peut pas leur donner tort quant aux origines très référencées du long métrage. Underwater est effectivement un Alien subaquatique, à n’en pas douter. Il capitalise sur une riche histoire de films sous-marins catastrophe où le rôle du monstre est la plupart du temps joué par un gros requin (The Meg, Deep Blue Sea, etc.). L’histoire n’est pas originale pour un sou, bien sûr : on y suit une héroïne (dont le nom m’échappe), qui vit dans une station de pompage d’hydrocarbure au fond de la fosse des Mariannes, le lieu sous-marin le plus profond de la planète. Au-delà de l’absurde de la situation (même en cas de station de pompage sous-marine, il est évident que ce sont des robots qui descendent et entretiennent le matériel pendant que les humains restent bien tranquillement en surface – il est plus simple de construire une base lunaire qu’une base à 15.000 mètres sous l’eau, où la pression est autrement plus mortelle que le vide spatial, bizarrement). On la découvre occuper à se brosser les dents quand la station autours d’elle commence à grincer bizarrement.

Et, quelques minutes après, les diverses parties de la station sous-marine commencent à imploser sous la pression extérieure, lançant l’héroïne et quelques courageux survivants à l’explosion initiale dans une course contre la montre pour atteindre un site B où des capsules de sauvetage leur permettraient de rejoindre la surface sans encombre en respectant les paliers de décompressions. C’est sans compter sur le fait que, là où l’on pense dans un premier temps que des tremblements de terre sous-marins sont responsable de l’accident initial, on voit en fait apparaître subrepticement à l’écran ce qui semble être des créatures marines humanoïdes qui ne nourrissent pas que des sentiments honorables à l’encontre des braves ouvriers/mineurs de grand fond.

S’en suit une heure trente de courses poursuites, de plans sombres et tremblotants filmés caméra à l’épaule où l’on distingue à peine la menace. Le développement des personnages tient sur un timbre-poste, mais on s’en fiche puisque ce n’est absolument pas le propos du film. Reprocher l’unidimensionnalité des protagonistes à Underwater reviendrait à se demander pourquoi les personnages secondaires de Cliffhanger n’ont pas un background psychologique ultra développé. Car Underwater, malgré ses gros moyens, n’est finalement qu’un superbe film de genre ; une série B pleine de moyen.

Et quand on le prend comme ça, c’est une véritable réussite ! N’en déplaise aux critiques (professionnels et non-professionnels) qui semblent s’acharner sur ce film, William Eubank réalise ici un film très maîtrisé où la tension ne fait qu’aller crescendo. Si les mécanismes sont parfois éculés et que certains « jump scare » se sentent venir de loin, ils n’en demeurent pas moins efficace. Peut-être suis-je trop bon public pour ce genre de film, mais je l’ai réellement trouvé agréable à l’œil et finalement très divertissant. On n’apprend rien, c’est juste. Cela ne révolutionne pas le genre, en effet. Mais je préfère 1 Underwater à 100 The Iron Mask. Pour un budget équivalent, Eugan crée un station sous-marine glauque et angoissante et parvient à mettre sur pied une petite équipe de survivants qui, comme de coutume, tomberont les uns derrières les autres aux mains du monstre de service. Et lorsque l’on se rend compte [SPOILER] que le monstre en question est fortement inspiré du brave Cthulhu (belle représentation d’un kaiju, sans doute l’une des meilleures depuis Pacific Rim et depuis le récent reboot américain de Godzilla), cela ne peut faire que plaisir au fanboy que je suis ! [/SPOILER]

Bref, et pour ne pas s’étendre davantage, je dirais qu’Underwater mérite réellement d’être redécouvert dans une soirée pop-corn. Ce n’est pas du cinéma intelligent, mais au moins est-ce un bel hommage au genre, contrairement à Rampage, par exemple, qui a nettement mieux marché que lui sur des prémices pourtant similaires. Même Vincent Cassel, qui retrouve ici les caméras US, s’en sort plutôt bien dans son rôle de commandant désabusé. Non, définitivement, Undewater est une bonne surprise, surtout quand on considère la campagne de bouche à oreille désastreuse qui l’accompagne. Ne boudez pas votre plaisir : c’est régressif, mais ça fait du bien !

Les Crépusculaires

De Mathieu Gaborit, 1995-1996

Les Crépusculaires sont composées de :
* Souffre-Jour, 1995
* Les Danseurs de Lorgol, 1996
* Agone, 1996

La seule incartade pseudo-steampunk de Gaborit dans ces colonnes, cosignée avec Fabrice Colin, ne m’avait pas spécialement charmée. Pourtant, Gaborit bénéficie d’un bouche-à-oreille fort favorable chez le fan de fantasy francophile. Il fait partie des pionniers d’un certain renouveau de la fantasy adulte dans la langue de Molière, au mi-temps des années 90 du siècle passé. Je n’ai donc pas résisté à la l’achat de la superbe intégrale des 20 ans de la parution originale chez Mnémos. Cette intégrale contient également le diptyque d’Abyme, qui fera certainement l’objet d’une chronique ultérieure un de ces quatre. La superbe édition, sortie en 2018, traînait au sommet de ma PAL depuis donc un peu moins de deux ans. Mnémos ressorti cette version « luxe » de l’intégrale, sous le nom des « Royaumes Crépusculaires » en parallèle au nouvel opus de Gaborit faisant suite à Abyme, La Cité exsangue (2018), Tome 1 des Nouveaux Mystères d’Abyme.

Mais revenons aux fondamentaux avec la première série publiée de l’auteur, Les Crépusculaires. Ces trois courts romans (un petit 200 pages en poche chacun) sont donc regroupés ici en 400 pages d’un volume très agréable à prendre en main, doté d’une superbe couverture signée Goulven Quentel & Julien Delval. Les trois opus se lisent d’une traite tant la séparation est plus question de découpage éditorial que réelle question de progression scénaristique distincte. En d’autres termes ; les chapitres se suivent sans discontinuer et passer de Souffre-Jour aux Danseurs de Lorgol, par exemple, ne se remarque que par la présence d’une page d’intertitre.

Gaborit nous livre avec cette trilogie fondatrice de son œuvre ce qui peut arriver de bien quand un DM de jeux de rôle a des compétences stylistiques évidentes. Les Royaumes Crépusculaires, qui servent de cadre au récit, ne devraient en effet pas dépayser le lecteur de fantasy chevronné. On y croise des guerriers, des magiciens, des nains, des lutins ou des gargouilles. Le tout dans un contexte de royaumes sensiblement moyenâgeux qui ont tendance à comploter les uns contre les autres pour des raisons tant bassement matérielles que spirituelles ou philosophiques. Les écoles de magie, par exemple, ne s’aiment pas beaucoup l’une l’autre, ce qui provoque évidemment nombre de conflits aussi inévitables que sanglant.

Et l’auteur de nous conter l’histoire d’un jeune homme (bien sûr), noble (c’est évident), au passé torturé (et pourquoi pas, après tout ?), qui rejette sa famille et refuse sont héritage à la mort de son baron de père. Il préfère en effet se vouer corps et âme à un ordre pseudo-religieux dont la vocation est d’apprendre aux paysans à lire afin qu’ils puissent eux-aussi accéder au savoir et, donc, au pouvoir. Cette rébellion aux échos adolescents tourne cependant court en raison du décès de son père qui entends bien faire de lui son héritier, putatif s’il le faut. Par son testament, il l’oblige à suivre les cours de l’Académie de Souffre-jour pendant au minimum jours, au terme desquels il pourra décider de son futur. Persuadé qu’il restera fidèle à ses idéaux libertaires, ce fils ingrat qui répond au nom d’Agone de Rochronde va cependant rapidement être confronté à une toute autre réalité, plus sombre et plus complexe qu’il ne l’avait jamais imaginé.

Avec ceci, je ne vous résume que l’entame du premier tome et non la suite. Mais sachez cependant que Gaborit avait visiblement (bien) construit sa trilogie dès le départ, puisqu’il égrène au fil des chapitres des éléments et des personnages qui ne prendront parfois leur sens qu’une centaine de pages plus loin. Et que les complots en cascades retourneront bien sûr les enjeux et les alliances à de multiples reprises chemin faisant, transformant l’ennemi d’hier en allié du jour au gré des rebondissements de l’intrigue.

Et le moins que l’on puisse dire est que rebondissement il y a ! Le récit file à une vitesse parfois aberrante. Si le premier tome prend son temps pour nous introduire le personnage d’Agone, alors encore adolescent mal dégrossi, et l’Académie de Souffre-Jour, le tempo s’accélère méchamment passé les 50 premières pages et se succèdent alors à grande vitesse des nouveaux concepts et de nouveaux personnages à peu près tous les chapitres. Ceux-ci sont courts (4 à 8 pages en général) et laissent peu de place à la respiration parfois nécessaire dans cette quête qui fera mûrir Agone de manière parfois très cruelle. Sans tomber dans le glauque à la Mark Lawrence ou à la Joe Abercrombie, Mathieu Gaborit n’hésite pas à affirmer à travers sa plume qu’il fait de la fantasy pour adulte. Les personnages sont cruels et n’hésitent pas à tuer ou à torturer lorsque cela sert leurs intérêts. Si Gaborit est finalement très prude, côté mœurs, il est cependant assez clair qu’il a dépassé Tolkien et qu’il s’approche d’une fantasy politique et sombre à la George R.R. Martin (le premier tome du Trône de Fer sort en 1996) ou à la Glen Cook (le premier opus de La Compagnie Noire date déjà de 1984 !).

Cependant, je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine frustration après avoir conclu le troisième et dernier tome des aventures d’Agone. Confié à un autre auteur, nous aurions cependant eux 3 tomes de 500/600 pages chacun et non trois courts romans de 200 pages. Si le tempo s’en trouve effectivement maintenu tout du long, je regrette que l’auteur n’ai pas choisi de ralentir le récit à certains moments pour creuser davantage son monde ou, mieux, ses personnages. Les Royaumes de Crépusculaires sont en effet un monde de fantasy, pour aussi bien construit qu’il est, finalement assez classique. La bonne idée est d’avoir développé un système de magie qui obéit à des contraintes non-habituelles pour le genre, avec l’adoption des danseurs, ces petits familiers qui sont la source de la magie pour ses praticiens. Mais cette frustration est encore plus importante en ce qui concerne les personnages. Nombre d’entre eux ne sont qu’esquisser en quelques traits stéréotypés là où nous aurions aimé les voir approfondis, enrichis d’une histoire personnelle qui aurait rendu leurs choix et leurs actions plus logiques.

Seul Agone, finalement, a droit a ses moments d’introspection. Mais c’est probablement le personnage le moins intéressant, finalement. Bien malgré lui, il endosse le rôle du « héros » de fantasy classique. Et si sa force ne sera pas dans ses muscles, on ne peut s’empêcher de remarquer que tout lui réussit : il doit apprendre le maniement des armes ? Une fée noire légendaire lui forgera une rapière intelligente (et ultra-puissante) en quelques pages. Il doit apprendre le maniement d’un instrument pour manipuler les sentiments d’autrui ? Le voilà maître de son instrument en quelques jours. Il doit apprendre la magie ? Aucun problème, le voilà praticien après quelques semaines à observer des mages confirmés dans une sombre taverne de la capitale. Et si toutes ses compétences ne s’acquièrent qu’au prix de sacrifices souvent cruels, il n’en demeure pas moins que l’on ne peut que rester rêveur devant la facilité déconcertante avec laquelle ce prince se réinvente tous les cinq chapitres.

Heureusement, Gaborit a l’intelligence de le faire évoluer au fil des volumes et il passe d’un ado mal dégrossi, d’un rebelle parfois horripilant dans le premier tome, à un personnage sombre et tragique dans le troisième opus. C’est ce qui rend Agone attachant, pour finir. Même si, dans un jeu de rôle, il se classerait haut la main dans les gros bills, on vit sa trajectoire personnelle et ses deuils successifs avec une peine croissante, nous menant à une fin aussi inévitable qu’annoncée. Et comme Gaborit a la verve aussi facile qu’érudite, Les Crépusculaires se lisent en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Compte tenu de son âge déjà canonique pour la fantasy française, il est évident que Les Crépusculaires est une œuvre fondatrice qui démontra à l’époque à une génération d’ados devenus depuis lors auteurs qu’on pouvait aussi faire de la fantasy mature, intelligente et adulte de ce côté-ci de l’Atlantique. Dommage, cependant, que Gaborit n’ai pas pris plus de temps (et de pages) pour faire prendre de l’ampleur à son histoire, son monde et ses personnages.

PS: le jeu de rôle tiré de l’œuvre, rédigé en partie par Gaborit lui-même, donne visiblement des clés supplémentaires et creuse davantage le monde créé par l’auteur. C’est sans doute vrai, mais je me vois mal acheter le JdR juste pour ça.

The Iron Mask

D’Oleg Stepchenko, 2019.

Également connu sous le nom de :
* Journey to China: The Mystery of Iron Mask
* Viy 2: Journey to China
* The Mystery of the Dragon Seal
* (et probablement un tas d’autres noms en chinois et en russe !)

Comme beaucoup de gens, ma réaction à la vision du trailer de ce film, il y a quelques mois de cela, était bien sûr : WTF ? Ça sentait bon la série B, voire la série Z. Voire ZZZ. Et c’est exactement ça. The Iron Mask, qui est donc la suite du très méconnu La Légende Viy (du même Oleg Stepchenko, en 2014), est un blockbuster sino-russe. On assiste depuis quelques à cette montée en puissance des industries cinématographiques régionales qui tentent de faire du Hollywood avec une couleur locale. Certains pays avaient déjà une longue tradition de cinéma de divertissement (la Chine, l’Inde, etc.), d’autres s’inventent cette ambition nouvelle, comme la Russie. Oleg Stepchenko en est l’un des fers de lance, côté russe. C’est la raison pour laquelle, en 2014, il a adapté une courte nouvelle fantastique de Gogol qui nous conte les aventures d’un cartographe anglais et de ses voyages dans les Carpates au début du XVIIIeme. Et pour en faire une production internationale, Stepchenko avait pris une star internationale (relative) pour jouer le rôle principal : Jason Flemyng (qui jouait le bon docteur Jekyll et son pendant maléfique dans La Ligue des Gentlemen extraordinaires – autre adaptation très tirée par les cheveux et malaimée par à peu près tout le monde) se trouvait donc au sein d’un casting russo-ukrainien qui connut un succès surprise dans son pays d’origine.

Et uniquement dans son pays d’origine. Mais ça a suffi à donner des ailes aux ambitions du réalisateurs qui se mis à plancher sur une suite. Et c’est ce qui donna The Iron Mask, sorti en 2019 dans les pays qui le diffusèrent au cinéma (directement en VOD ou DVD/Bluray dans nos contrées). Comme les ambitions de Stepchenko était de dépasser les frontières russes et de démontrer qu’il pouvait signer un blockbuster ambitieux et international, il a choisi de chercher des financements en-dehors de la mère patrie. Et quelle meilleure idée que de s’associer avec ses voisins chinois et d’attirer davantage de stars internationales au casting ? Du coup, ce qui était une série B russo-russe retint l’attention de la planète cinéma dans son second opus en castant nuls autres qu’Arnold Schwarzenegger et Jackie Chan eux-mêmes ! Et même Rutger Hauer dans un de ces derniers rôles.

Mais… une production sino-russe, même avec pas moins de dix boîtes de production différentes (j’ai rarement vu un pré-générique aussi long avec les dix logos successifs !), n’est pas une production hollywoodienne. Loin s’en faut. Le film s’ouvre donc sur une bouillie digitale immonde, digne d’un jeu Playstation des années 90 – j’exagère à peine, qui est censée nous résumer la légende d’un dragon qui est à l’origine de la culture du thé (si-si, je vous assure). Mais des méchants sorciers ont usurpé le rôle du maître du dragon (Jackie Chan, bien sûr) pour récupérer les fruits de ce commerce fructueux à leur compte, au détriment du bien-être de ce gentil dragon. Puis, on voit un Londres digital tout aussi moche et on découvre que le maître en question est enfermé sous les combles de la Tour de Londres, dans le même cachot que le Masque de Fer. Ce-dernier est en fait, contrairement à ce que l’on imagine, nul autre que le Tsar légitime de toutes les Russies qui a été, à la suite d’un complot dans son pays d’origine, éjecté lui-aussi vers Londres. Comme quoi, le hasard fait bien les choses. Puis, rushé en vingt très courtes minutes, on nous résume le premier film, on introduit le brave cartographe qui fait le lien entre tous ces personnages et toutes ces intrigues et on assiste aussi à un combat d’anthologie entre Jackie Chan et Arnie (qui joue ici le gardien en chef de la Tour de Londres, qui se fight régulièrement avec les prisonniers pour le sport).

Je vous épargne la logique et les incohérences scénaristiques (ou l’invraisemblance de l’ensemble ? je ne sais pas trop comment l’exprimer). Quoi qu’il en soit, passé cette première demi-heure, on tombe dans un film fantastique chinois plus classique où on a une population locale qui lutte contre l’usurpateur (la méchante sorcière qui exploite le dragon du thé, vous suivez ?), avec un casting chinois qui joue en fait les premiers rôles, suppléés par quelques cosaques en voyage et le pauvre Jason Flemyng qui semble un peu paumé dans tout ça. Et l’ensemble de se diriger lentement vers une résolution très classique et méchamment téléphonée.

Bref, vous l’aurez compris, The Iron Mask est un mauvais film. Voir un très mauvais film. C’est mal réalisé, les SFX ne valent absolument rien, le rythme est problématique, le scénario est indigent et la direction d’acteur est lamentable. Il y a quelques moments qu’on peut sauver dans l’ensemble : Schwarzie est en roue libre et trouve l’ensemble très marrant. Du coup, on rigole bien à le voir faire n’importe quoi à l’écran. Le duel avec Jackie Chan dans la Tour de Londres est aussi très bien réussi et très bien chorégraphié. Mais la raison est toute simple : c’est le staff proche de Jackie Chan qui a pris la main sur ces scènes et j’imagine que le brave Oleg Stepchenko s’est assis dans un coin et a laissé faire « ceux qui savent » (et qui ont déjà chorégraphié à peu près 500 scènes de bataille dans la filmographie kilométrique de papy Chan).

Tout le reste démontre une seule chose : il faut avoir les moyens de ses ambitions. Les 50 millions de dollars du budget sont partis essentiellement dans les poches de Shwarzie et de Chan qui trustent l’ensemble de la promo (alors que leur temps d’écran est quand même vachement limité). Les miettes ont été mises sur ce qui aurait dû être l’essentiel : ce que ça raconte et comment on peut le montrer à l’écran. Le film a d’ailleurs fait un four total au box-office, même en Russie. Ce qui est assez logique, puisqu’en déplaçant l’action en Chine, il perd justement son côté régional/national/nationaliste (oui, le raccourci est un peu facile, mes excuses). C’est d’ailleurs amusant de le voir à l’écran : les acteurs parlent tous leur langue. La question est donc de savoir quelle est la version originale ? La version en russe ? En anglais ? En mandarin ? Mystère. J’aurai bien voulu voir une version non-doublée en anglais, mais une version où chacun parlait sa langue. Évidemment cela aura donné des situations pittoresques où les dialogues se font dans deux langues en même temps, mais cela aurait donné une vision plus réaliste du melting-pot culturel que The Iron Mask ambitionnait de devenir. En hésitant entre toutes ces influences, toutes ces pistes et toutes ces cultures, on a donc un film qui rate sur tous les tableaux. Une vraie série Z ridicule, mais avec trop d’ambition et de moyens mal exploités que pour devenir comique par défaut (à l’instar de la grande saga Sharknado et autres copycats). Une belle heure et demie perdue dans ma vie ! 🙂