The Aeronauts

De Tom Harper, 2019.

Bizarrement, The Aeronauts est ma première incursion dans les longs métrages produits directement par un des nouveaux acteurs du cinéma, façon Netflix. Et ce long de Tom Harper, réalisateur à la filmographie modeste essentiellement connu pour des téléfilms, pour la suite de Woman in Black et pour une comédie musicale anglaise du nom de Wild Rose, est ici un objet financé par Amazon pour son service en ligne Amazon Prime Video. Le film a connu aussi une distribution en salle, mais relativement modeste, essentiellement réservée à quelques festivals et quelques salles dotées d’écrans IMAX, puisque une partie du film a été tourné sous ce format aussi rare qu’impressionnant. A titre d’exemple, aucun écran belge ne l’avait à l’affiche et il aurait fallu que je me déplace aux Pays-Bas pour le voir en salle.

Pourquoi insiste-je sur ceci ? Et bien simplement car ça me permet de commenter la nature même de l’objet. Est-ce un film ? Un téléfilm ? Un épisode particulièrement long de série télé ? La réponse n’est pas simple.

En fait, The Aeronauts est une distraction tout à fait honnête. Une montagne russe de sensations et d’images impressionnantes servie par un duo d’acteurs aussi professionnels qu’efficaces. Le film nous plonge dans le Londres des années 1860. Le scientifique James Glaisher (interprété par Eddie Redmayne, toujours crédible dans ce registre qui lui a quand même valu un oscar) souhaite vérifier ses hypothèses et réaliser des expériences dans les hautes couches de l’atmosphère. Il veut démontrer que l’on peut, dans une certaine mesure, prévoir la météo. Pour cela, il a cependant besoin d’une tête brûlée, d’un aéronaute hors pair, qu’il trouvera en la personne de la veuve Amélia Rennes (jouée par Felicity Jones, actrice trop rare sur le grand écran à mon goût). Elle pilotera sa montgolfière plus haut dans le ciel londonien qu’aucun de ses prédécesseurs, bravant le froid et le manque d’oxygène, afin que James puisse mener à bien sa passion.

Bien sûr, les deux personnages ont des motivations personnelles qui les poussent à se dépasser et à démontrer au monde entier leur valeur. Nous découvrirons ces motivations à travers une série de flashbacks en costumes qui coupent épisodiquement l’ascension en ballon qui occupe le plus clair de l’heure quarante du film. Je ne m’attarde pas dessus pour vous laisser la surprise du développement. Sachez simplement qu’on est dans du très classique.

Et c’est précisément une partie du problème : le film est quand même ‘hachement cousu de fil blanc. Et sans cette distribution irréprochable, sans le côté lunatique de Redmayne ou le côté incontrôlable de Jones, on aurait certainement un film nettement plus moyen. J’exagère probablement : le film est également sauvé par des effets spéciaux discrets mais très efficaces. Je regrette d’ailleurs d’avoir vu le film dans mon salon et non dans une salle IMAX. Les plans larges en plein ciel nuageux sont parfaitement réussis et véritablement impressionnants. C’est aussi « dramatique« , comme disent nos amis anglais, que peut l’être Gravity dans ses plans larges sur le vide spatial. Et le parallèle est tout à l’honneur de The Aeronauts, puisqu’on est dans le même genre de film, sensation de vertige en plus.

[SPOILER] _LA_ scène du film, où le personnage de Felicity Jones grimpe sur le ballon à plus de 11.000 mètres du sol pour aller débloquer une valve gelée au sommet de la montgolfière, m’a littéralement fait dresser les cheveux sur la tête ! [/SPOILER] Donc, pour le côté spectaculaire et technique, le film est clairement une réussite, servi par deux acteurs au mieux de leur forme, qui se connaissent et s’apprécient (Jones jouait la femme de Redmayne dans The Theory of Everything en 2014), dans des rôles qui leur vont bien. Mais qu’est-ce que je lui reproche, alors ?

Et bien c’est simple : une mainstream-isation aussi inutile qu’affligeante. Je ne vais pas faire comme nombre de critiques sur Internet et crier au scandale sur le fait que Jack Thorne, le scénariste, a oser « travestir » la réalité historique des évènements relatés. Si le film se vante d’être « basé sur des faits réels« , je n’ai contre le fait que le scénariste adapte quelques éléments pour en faire un spectacle. Le fait d’avoir remplacé le second historique du personnage de James Glaisher, un autre scientifique anglais en redingote, par une femme librement inspirée d’une aéronaute française décédée 45 ans avant les faits relatés dans le film n’est pas fondamentalement un problème. Cela rajoute une tension dramatique et apporte des nouveaux enjeux au film. De la même manière que les péripéties de vol contées dans le film sont certainement exagérées/excessives par rapport à la réalité du vol de 1862. Mais c’est tant mieux : The Aeronauts est un divertissement, pas une docu-fiction sur l’invention de la météorologie.

Non, mon problème est dans l’excès hollywoodien des adaptations prises par le script. Pourquoi le scientifique est-il obligatoirement un doux rêveur qui s’oppose à ses collègues retords et rétrogrades (à ce titre, The Theory of Everything était nettement plus sobre dans ses ressorts dramatiques) ? Pourquoi est-ce que le personnage d’Amélia Rennes doit-être le symbole d’un féminisme d’avant-garde (pour l’époque) aussi déplacé qu’irréaliste ? Un personnage féminin fort dans un film d’époque doit-il forcément voir son discours parasité par une caution morale très XXème siècle du « we can do it » ? Pourquoi, enfin, avoir caster Himesh Jitrenda Patel dans le rôle du « copain » scientifique de James Glaisher, qui sera le seul à le soutenir dans sa démarche ? Je n’ai rien contre l’acteur, mais un Indien à la Royal Society au XIXème siècle ? Réellement ? Qui va le croire, ça ?

Bref, The Aeronauts est un film spectaculaire, mais qui est réellement brimé par son intention de plaire au plus grand monde. En gommant une partie de la réalité historique qu’il est censé représenter, en incluant dans le script des poncifs de diversité hors-de propos et anachronique, le scénariste Jack Thorne a en fait desservi le film. Et c’est avec ceci que je reviens sur le début de cette critique : non, The Aeronauts n’est pas réellement un film de cinéma. Il en a le goût et l’aspect. Mais son script édulcoré et le manque de risque que cela entraîne le rapproche davantage d’une production télé. Au final, on a donc un objet hybride, agréable à regarder, mais qui s’oubliera très vite en raison d’un scénar tellement convenu qu’il en devient interchangeable. Dommage.

The Mandalorian – Saison 1

De John Favreau, 2019.

Maintenant que le « hype » Star Wars de décembre 2019 est un peu retombé, peut-être est-il temps de parler un peu sérieusement des derniers opus de la saga ? Je me réserve encore pour The Rise of Skywalker, car, à chaud, tout a déjà été dit et redit par des gens plus assertifs et plus convaincants que moi, sans doute. Si la tendance générale est bien sûr au bashing bête et méchant, certains avis argumentés sont éclairants sur la fin de la trilogie Disney. Joueur du Grenier en parle par exemple de manière très émotionnelle, comme tout fanboy qui se respecte, là où Durendal est, comme à son habitude, plus argumenté (mais pas plus aimable avec le film qui, il est vrai, est bourré de raccourcis faciles et autres deus ex machina gênants). Du coup, le meilleur moyen d’en parler est probablement… de ne pas en parler ! Je me réserve donc pour une critique épisode par épisode après la sortie Blu-ray dans quelques mois.

Entretemps, parlons donc de ce qui, au contraire, semble ravir les fans de la saga à travers toute la planète : la première série télé live de Star Wars ; The Mandalorian. L’univers entier (y compris dans des galaxies fort fort lointaines) est uniformément positif sur cette première saison de 8 courts épisodes. J’ai, personnellement, quelques réserves… Je ne m’explique donc pas cet engouement quasi-généralisé (la série aurait-elle un taux de midi-chloriens particulièrement élevé ?). La seule piste que j’entrevois est qu’il s’agit d’une appréciation « en négatif« . Les amateurs de la saga ayant été tellement dégoûtés de la post-logie disneyenne, ils n’étaient que trop heureux de se mettre sous la dent autre chose. Mon problème principal étant que c’est tout aussi disneyen. Je vais essayer d’argumenter ce point de vue.

Mais, en premier lieu, revenons peut-être à l’histoire pendant quelques lignes (ça ne prendra de toute manière pas plus que ça). En gros, cette première saison nous conte l’histoire d’un chasseur de prime mandaloréen quelques années après la chute de l’Empire, telle que restituée dans l’épisode VI. Nous apprenons que les mandaloréens ne sont pas réellement une « race » extra-terrestre, mais plutôt une forme de culte qui regroupe des individus disparates qui se reconnaissent par le port constant de leur armure et par la croyance en un crédo très martial. Les représentants les plus célèbres dans l’univers de Star Wars de ce culte sont bien sûr Jango et Boba Fett, pour les inattentifs du fond de la classe.

Dans la série, le chasseur de prime, qui sera fort astucieusement surnommé Mando (!) vivote comme il peut en enchaînant les contrats (vous savez, les bounties, comme dans bounty hunter ?). Un contrat non-officiel, en dehors de la guilde des chasseurs de primes, l’amène à aller chercher un prisonnier pour le compte d’un groupuscule local de survivants de l’Empire. Mais le brave Mando a des scrupules quand il constate que le prisonnier en question n’est autre qu’un enfant, le nouveau super-mème de l’année 2019, le désormais très célèbre baby-Yoda (et vous êtes prié de vous exclamer, comme la planète entière, « Ooohhhh, qu’il est mignon !« ). S’en suit alors une série d’épisodes relativement indépendants les uns des autres où le brave Mando passera d’une planète à l’autre pour sauver les locaux et s’assurer que le bébé-Yoda échappe à la convoitise des survivants de l’Empire. Voilà, en gros, le résumé de la série jusqu’au dernier épisode, qui nous introduit bien sûr le grand méchant de la série, un nouveau Grand Moff (Gideon, et non Tarkin, qui semble bien mort dans l’univers Star Wars – on n’est plus sûr de rien depuis la résurrection de l’Empereur !). Celui-ci veut s’approprier le bébé-Yoda pour une raison obscure qui sera sans doute le développement scénaristique de la saison 2.

Voilà voilà. Et je suis très partagé, comme je le disais plus haut. Il y a effectivement quelque chose de rafraichissant à découvrir une « autre » histoire de Star Wars adaptée à l’écran (comme Rogue One l’avait en partie fait) et quelque chose d’amusant à voir que John Favreau a choisi de revenir aux sources du genre en faisant de cette série un véritable « serial » dans l’acception original du terme, façon Flash Gordon ou Captain Future. La division en épisodes indépendants où une planète exotique différente est envisagée à chaque fois, où un climat et un enjeu différents sont développés, est une idée qui peut fonctionner. Elle ressemble, en cela, aux nombreuses séries animées déjà produites (dont la qualité varie cependant beaucoup au fil des saisons) à partir de l’univers Star Wars (Clone Wars, Rebels, etc.) J’ai cependant déjà là une première objection : pourquoi avoir choisi ce format séquentiel qui rapproche davantage The Mandalorian d’une série à rallonge ? L’intérêt des séries modernes à nombre modeste d’épisode est bien de conter une histoire continue, à la manière de GoT, de Stranger Things et de je ne sais combien d’autres séries des deux dernières décennies ? Ou, à la limite, de développer des arcs distincts qui peuvent (ou pas) correspondre au découpage en saisons. Toutes les grandes séries récentes de SF partagent ce principe, sauf à retourner en effet à l’époque des premières itérations de Star Trek.

Soit. Je peux accepter la position de principe et m’asseoir dans mon salon pour apprécier ces histoires successives comme j’ai pu le faire il y a bien longtemps avec, par exemple, Cowboy Bebop (un monument de la SF en anime, pour ceux qui l’ignoreraient). Ce découpage implique cependant de facto une grande variation d’intérêt et de qualité entre les épisodes. Et The Mandalorian n’échappe pas à la règle. Si les épisodes qui font avancer l’intrigue générale sont plutôt bien menés, les épisodes-fillers dans le ventre mou de la série sont moins bons. Les épisodes 4 (Le Sanctuaire, où Mando se prend pour le sauveur des Navii locaux), 5 (Mercenaire, où l’hommage à l’épisode IV sur Tatooine est complètement foutu par un Han Solo local de troisième zone qui se paie l’outrecuidance de s’asseoir à la même table dans la Cantine que son illustre prédécesseur et d’être servi, oh! insulte suprême!, par un droïde) et 6 (Le Prisonnier, qui part d’une bonne intention mais qui est desservi par des acteurs tous plus mauvais les uns que les autres) sont assez médiocres. Amusant de constater que les 5 et 6 sont d’ailleurs les seuls à ne pas être scénarisés par John Favreau lui-même. Il reste 5 épisodes de meilleure qualité, vous allez me dire. Mouais…

Ça m’amène à développer mon principal reproche : les chasseurs de primes ne sont PAS gentils. Vous avez vu Jango ou Boba Fett faire des bisous aux Gungans ou aux Jawas, vous ? Moi pas. Mando souffre du même mal que Ryo Saeba dans City Hunter : comment faire d’un personnage de tueur froid (logiquement) un héros qui s’ignore ? C’est tout à fait aussi improbable que de faire d’un Jedi ado un Sith en deux coups de cuillère à pot (Anakin ? Kylo Ren ? Si vous m’entendez…) Alors oui, bien sûr, baby-Yoda (voir ci-dessous) est très mignon. Mais de là à en faire la seule raison pour passer du côté gentil de la Force, ça me semble fort capillotracté. La série se justifie plus tard en disant que le code de conduite des mandaloréens est qu’ils doivent prendre en charge les orphelins et les intégrer dans leur culte. Mais 1/ rien ne dit que bébé-Yoda soit orphelin et 2/ vous voulez dire que si Jango était tombé sur Anakin en lieu en place de Obi-Wan, Jango aurait dû l’adopter et l’instruire dans le culte mandaloréen ? Et Boba, en tant que clone, se qualifie-t-il d’ailleurs comme orphelin ? Mystère.

L’objet du crime…

Et je vois là la disneyisation tant redoutée de l’univers de Star Wars. John Favreau, considéré comme un Dieu par la moitié des fanboys de la planète, n’est autre que le papa d’Iron Man, le film qui a lancé réellement le MCU, cette machine à pop-corn universelle qui rabaisse et infantilise le niveau moyen des blockbusters depuis plus de dix ans maintenant. Et je crains qu’il ne prenne la même voie avec The Mandalorian, plus encore que J.-J. Abrams ne l’avait fait avec son épisode 7 et les suites liées. Pour reprendre une expression chère au Joueur du Grenier, je me suis littéralement face-palmé à la fin du premier épisode quand on découvre la tête de bébé-Yoda. Et plus encore à la fin de l’épisode 3 quand tous les mandaloréens du coin se rassemblent pour sauver leur compatriote et son enfant illégitime. C’est beau, cette franche amitié dans une population connue pour ses qualités martiales et son côté sans pitié. Vous ne voulez pas des licornes et des petits cœurs en sus, non ?

Finalement, parlons également du lore de Star Wars. Si la série est dans l’ensemble assez fidèle à l’extended universe et sait placer toute une série de références qui raviront les fans (dont je fais partie), elle est aussi assez légère sur quelques points essentiels. En effet, si ne pas enlever son casque est à ce point essentiel pour les mandaloréens, comment expliquer maintenant que Jango Fett ne semble pas s’en formaliser quand il l’enlève devant son fils, devant Obi-Wan et devant la moitié des habitants de la planète des cloneurs (dont le nom m’échappe, honte à moi) ? De même, alors que la moitié des critiques de la Terre s’esclaffe devant les nouveaux pouvoirs de Rey dans The Rise of Skywalker, notamment de sa capacité de soin/régénération, personne ne semble s’émouvoir que bébé-Yoda sache faire _exactement la même chose_ ? Et que c’est un _bébé_ ?! Et pas l’incarnation ultime de tous les Jedis ayant existé (oui, j’avoue, ça aussi c’est un peu abusé dans l’épisode 9)…

Et tous ces points, ces faiblesses, m’énervent. En gros, la série n’est pas si mal que ça : elle est très bien réalisée, les musiques sortent enfin du carcan John Williams-esque, Pedro Pascal parvient à « jouer » Mando malgré le fait que l’on ne voit pour ainsi dire jamais son visage, l’art design fait un super boulot et on a, bien sûr, envie de savoir la suite. Où est la cohérence avec les paragraphes précédents, me direz-vous ? Et bien je dirais simplement que, comme tous les Disney, The Mandalorian est très bien produit. Encore heureux, vu le blé engouffré dans l’histoire. C’est spectaculaire, qu’on le veuille ou non. Et ça touche une corde sensible chez tous les geeks de la planète. En étant un moi-même, je ne peux donc pas faire grand-chose d’autre que de m’y plier. Mais cela ne m’empêche pas d’être lucide : si je suis moins négatif que beaucoup sur l’épisode 9, je suis aussi moins dithyrambique sur The Mandalorian qui souffre, pour moi, des mêmes maux. Les McGuffins scénaristiques et le message finalement très rose-bonbon sont aussi invraisemblables dans les deux cas de figure. Bien sûr que je regarderai la saison 2. Mais bien sûr, aussi, que j’aurais préféré une vraie série télé adulte, avec des bounty hunters qui font leur métier plutôt que d’être baby-sitters. Même si ça fait vendre moins de peluches.

Dungeons & Dragons – Art & Arcana

Sous-titré : A Visual History

De Michael Witwer, Kyle Newman, Jon Peterson et Sam Witwer, 2018.

La période des fêtes fut riche en lectures diverses, mais je n’ai pas réellement eu le temps de les chroniquer ici-bas. S’occuper de gamins est chronophages ! Mais bon, trêves d’excuses. Débutons donc ces chroniques en retard par celle d’un joli cadeau reçu pour ce Noël 2019 : le très luxueux (et très pesant) Art & Arcana, une formidable déclaration d’amour de quatre geeks au roi des RPG papier, Dungeons & Dragons. Je ne peux croire, si vous lisez ces lignes régulièrement, que vous ignoriez ce qu’est Donjons et Dragons, cette pierre angulaire de la fantasy depuis les années 70 et jusqu’à nos jours. Je ne vais donc pas développer. Retenons simplement que, comme toutes les belles histoires qui débutent dans la décennie des papys-geeks (IBM, Micorsoft, Apple, etc.), celle de D&D débute dans un garage. Ou dans une cave plus précisément.

Cette somme historique, finaliste dans la catégorie « essai » du Hugo et du Locus 2018, nous emmène dès ses premières pages dans la vie d’un petit vendeur d’assurance du fin fond des États-Unis, qui a une passion certaine pour le wargaming et les pulps des années 30. Ce bonhomme, c’est Gary Gygax. Comme tous les self-made men, ce-dernier a un coup de génie au début des années 70 quand il « sent » le succès de Tolkien chez ses concitoyens et qu’il constate parallèlement qu’il est devenu honorable pour des adultes (ou de grands ados) de continuer à jouer avec ses petits soldats de plomb. Du coup, il ratisse ses fonds de tiroirs, fait appel à sa famille et à ses potes et parviens à produire une petite boîte en carton contenant trois fascicules de quelques dizaines de pages. Le premier « boxed set » de D&D était créé. Le tout tiré à 1000 exemplaires et vendu la modique somme de 10 dollars. L’un des auteurs de Art & Arcana s’amuse dans la conclusion de l’ouvrage à revenir sur le prix atteint par la vente de l’une de ces boîtes, pourtant utilisée, en 2008 sur eBay : la modique somme de 20.000 dollars (ici, une troisième édition à +4.000 € !)

Car oui, D&D, pour les intimes, est devenu très hype. Référencé dans à peu près tous les grands show mainstreams des dernières années (de Stranger Things à Big Bang Theory), D&D a quitté les caves de ses premiers utilisateurs pour devenir un gimmick culturel. Est-ce tant mieux ? Et bien le bouquin hésite, justement. Et bizarrement. C’est en cela qu’il s’agit sans doute d’un essai sincère, si l’on ne tient pas compte du dernier chapitre, véritable panégyrique en faveur de la 5eme (et dernière, à ce jour) édition du célèbre jeu de rôle. Entre les débuts modestes et l’expansion folle de la seconde édition, le livre s’attarde tant sur les bonnes idées de TSR que sur ses ambitions folles et ses échecs successifs (la série animée, par exemple). Art & Arcana résume bien l’incapacité des quelques geeks qui ont développé le produit original à maitriser et gérer l’industrie qu’il était devenu à la fin des années 80. Et comme dans le cas d’Apple, le parallèle est intéressant, cela s’est traduit par l’écartement pur et simple du concepteur original, dégagé par un board qui n’a pourtant pas su améliorer la balance financière de l’entreprise après coup.

En effet, si la deuxième édition d’AD&D (pour Advanced Dungeons & Dragons) est sans doute la meilleure et la plus diversifiée (pensez donc, ils éditèrent en l’espace de seulement quelques années les campagnes Forgotten Realms, Spelljammer, Dark Sun, Ravenloft ou encore Planescape !), elle fut aussi le synonyme pour la maison-mère d’une folie des grandeurs qui segmenta le marché à tel point qu’ils devinrent leur propre concurrent. Avec autant de lignes de produits en parallèle, les joueurs et leurs fameux maîtres du jeux ne savaient plus où investir leurs pièces de bronze, d’argent ou d’or. Bref, leurs deniers. Et, ce, d’autant plus que les nouveaux concurrents n’étaient pas bien loin : c’est à cette époque que Vampire: The Masquerade s’envole. Ou encore GURPS. Pire : leur public s’éloigne début 90 pour se diriger vers une autre expérience de jeu amenée à devenir un modèle pour les années qui suivirent: Magic The Gathering, par nul autre que Wizard of the Coast (loisir qui coûte un bras, par ailleurs).

L’ironie voulant qu’à peine quelques années plus tard, c’est ce même Wizard of the Coast, responsable des derniers clous dans le cercueil de D&D old-school, qui racheta la licence avec tout son back-catalogue. WotC produira alors une troisième édition qui mélangera le très bon (le système D20 en licence libre, qui verra de nombreux petits acteurs du monde de la fantasy se lancer dans des produits compatibles avec les règles de base D&D) et le moins bon (la volonté affichée d’en faire un jeu de figurines avec la vente, selon le modèle de MTG, de boosters très chers avec des figurines pré-peintes, mais forcément moins courues que l’inaltérable Warhammer, déjà bien installé dans le segment « wargames » à l’époque). Du coup, cette hésitation entre le RPG de papa, avec feuilles blanches, crayons et dés et le wargame à la Warhammer en fit un produit vite dépassé par ses concurrents profitant de la licence ouverte. Et, pas de bol, WotC réagira en produisant quelques années plus tard une quatrième édition décriée par les aficionados pour son côté excessif. Exit le jeu de rôle réaliste et bienvenue à la mode MMORPG avec cette quatrième édition, où les XP caps ont disparus au profit d’une course au loot divin et aux arbres de compétences complexes et sans fin. Seulement, pas de bol, là où D&D première et seconde éditions donnèrent un modèle à suivre, les troisième et quatrième éditions s’efforçaient de copier la concurrence pour rattraper les joueurs perdus, symptôme d’un manque de vision flagrant de WotC sur le bébé qu’ils avaient dans les mains en rachetant la licence. Heureusement, cette sombre période vu aussi l’éclosion des jeux vidéo mythiques que sont les Baldur’s Gate et les Neverwinter Nights qui sauvèrent largement le nom de la marque auprès des amateurs de fantasy lambda.

D’après les auteurs, la cinquième édition, la plus récente (2014 à nos jours) reviendrait aux fondamentaux. Je ne la connais pas (m’étant personnellement surtout concentré sur la seconde, à l’époque), mais je doute de l’honnêteté intellectuelle des fan-boys ayant écrit le bouquin, sachant que rien n’est aussi vendeur qu’une belle histoire de rédemption (sauf que WotC n’est pas un paladin déchu repentant ; c’est juste une entreprise commerciale qui essaye de faire du profit). On notera également que le bouquin insiste aussi beaucoup sur le succès du trans-média : quand TSR comprit à l’époque des balbutiements du merchandising à outrance de Star Wars qu’il était aussi intéressant commercialement parlant de diversifier les produits, ils s’y sont donnés à cœur joie. Romans, comics, jeux vidéo, jeux de plateau, dessin animé mais aussi (et pourquoi pas ?) jeu de carte à collectionner, bonbons et serviettes de plage (je n’invente pas). On retiendra de cet « univers étendu » un nombre considérable de romans qui, bien qu’ils ne soient souvent pas des chefs d’œuvre, apporte une profondeur aux mondes créés par la marque. À tel point qu’il devinrent, avec les années, des mondes de fantasy à part entière qui réussirent à se détacher de leurs inspirations originales (le Seigneur des Anneaux, Conan ou encore le Cycle des Épées de Fritz Leiber).

Enfin, il me reste à parler du côté visuel de l’objet. En effet, le bouquin ne s’appelle pas « A Visual History » pour rien. L’histoire de la marque, intéressante en soi, ne serait rien sans le développement de son visuel. Et, là aussi, le parallèle avec Star Wars fonctionne à merveille : de débuts très amateurs où les livres de règle de la première édition étaient illustrés par des gamins du quartier ou de gentils bénévoles de la famille étendue de Gygax, il est frappant de voir à quel point l’évolution de l’illustration sert aussi la marque. Si les images étaient, dans un premier temps, informatives (le plan du donjon devait permettre au maître du jeu de s’y retrouver, le première Bestiaire monstrueux devait lui permettre de se faire une image mentale d’un mindflyer, d’un ettercap ou d’un owlbear), elles devinrent bien vite évocatrices. Voire épiques. Et si la quatrième édition fut malheureusement marquée par un virement très Marvel/WOW-like, la cinquième semble revenir à une certaine modestie. On voit aussi clairement à travers ces 45 ans d’illustrations que le concept visuel même de la fantasy a évolué : l’adaptation cinématographique du SdA et la série télé de GoT sont passées par là. On peut désormais être un véritable artiste peintre, certains proche du photoréalisme, en se limitant pourtant à illustrer des mondes imaginaires.

En résumé, Art & Arcana est un très bon « beau livre » pour les amateurs de D&D. Les textes fourmillent de détails qui mettent en lumière l’histoire d’un jeu de rôle qui, bien que dépassé par d’autres RPG plus matures et plus modernes, n’en reste pas moins l’alpha et l’oméga du genre. Le modèle sur lequel tous les concurrents se sont construits et continue à se construire. Le tout est magnifiquement illustré par des images issues des multiples extensions des différentes éditions, de photos des produits dérivés issus de collections privées ou encore d’archives inédites et de dessins de production de TSR. Mon seul bémol restera la conclusion probablement trop optimiste pour être honnête. Mais on pardonnera volontiers ce biais à la brochette d’auteurs qui ne pouvaient sans doute être objectifs jusqu’au bout avec ce qui constitua certainement une partie dorée de leur enfance. Faites un jet de test d’honnêteté intellectuelle -4 si vous ne me croyez pas ! 🙂

PS: J’ai lu et je chronique ici la version originale du livre, mais un version française est également disponible chez Huginn & Muninn.Vu l’éditeur, j’imagine qu’elle est certainement de très bonne facture également.

McSweeney’s Anthologie d’histoires effroyables

Édité par Michael Chabon, 2002.

Réédition partielle (des nouvelles imaginaires uniquement) de McSweeney’s Méga-anthologie d’histoires effroyables, paru chez Gallimard (collection « Du monde entier« ) en 2008.

Michael Chabon n’est pas un anthologiste fort connu dans le monde de la SFFF. Et c’est assez logique, car ce n’est pas son/ses genre(s) de prédilection. De fait, la McSweeney’s Anthologie d’histoires effroyables n’est qu’un extrait d’une anthologie plus vaste, datant de 2002 et publiée en 2008 dans la collection Du monde entier de Gallimard (la petite cousine de la Blanche, consacrée aux textes étrangers). Dans cette réédition partielle en poche chez Folio SF en 2011 ne sont donc repris que les textes à vocation imaginaire (au sens large). Et c’est assez dommage de se priver de quelques textes de littérature blanche qui faisaient partie de la méga-anthologie (remarquez l’usage subtil du superlatif) d’origine. On se passe donc de textes signés entre autres par Kelly Link, Neil Gaiman, Stephen King ou encore Michael Crichton. De signatures que l’on associerait pourtant volontiers aux littératures de l’imaginaire. Mais soit, n’ergotons pas sur les choix éditoriaux bizarres de Gallimard (puisque Folio-SF est la collection poche de genre de Gallimard, bien sûr).

Avant d’entrer dans le corps du bouquin en tant que tel, encore quelques mots de contexte. D’abord, ne vous laissez pas rebuter par la très moche couverture : ces zombies s’attaquant à un détective de pulp ne correspondent à aucune nouvelle de l’anthologie. Quitte à choisir une illustration au hasard, j’en aurai pris une plus jolie. Soit. Plus intéressant sans doute : mais qu’est-ce donc que le McSweeney ? Eh bien, je n’en savais rien avant d’ouvrir ce recueil. McSweeney est en fait une tentative américaine de faire revivre la revue de nouvelles. L’argument éditorial est que l’art de la nouvelle se perd alors même qu’il s’agissait d’un format prisé par nombre de grandes plumes américaine du début du XXème. Chabon, l’éditeur de cette anthologie en particulier, est l’une des chevilles ouvrières de ce renouveau en faisant jouer son carnet d’adresse visiblement bien remplis pour convaincre ses collègues écrivains de se (re-)lancer dans l’exercice. Et comme vous connaissez sans doute mon amour pour le format en question, vous vous doutez que je ne peux qu’applaudir à deux mains (vous avez déjà essayé avec une, juste pour voir ?). Le site web McSweeney, la publication en question, est un vrai trésor d’imagination et on y découvrira une volonté probablement un peu « arty » de remettre la nouvelle (mais aussi d’autres expressions artistiques) sur le devant de la scène. Quand on voit le prix de certains anciens numéros épuisés sur leur boutique en ligne, on imagine aussi facilement que la revue a un certain succès auprès d’un public d’initiés qui dépensent sans compter. Bref, tout ceci nous éloigne du contenu.

Parlons-en, du contenu. Après une brève intro où Chabon nous explique son intention et les échos positifs des écrivains qu’il a su convaincre de participer, on se lancer dans un premier texte : Les abeilles, de Dan Chaon. Inconnu au bataillon. Mais texte très dérangeant. Il y est question d’un homme rangé que les démons du passé viennent menacer. La mécanique du récit, inéluctable, nous entraîne vers une conclusion sordide, horrible, que l’on voit venir et que l’on espère éviter. Le texte est particulièrement dur à lire si vous êtes vous-mêmes parent d’un enfant en bas âge. Je ne croyais pas être touché par le phénomène (le fait d’avoir un petit gamin ne m’empêche pas de voir le premier Ça, par exemple), mais, en fait, si. Cette première nouvelle, qui touche davantage à l’horreur qu’au fantastique, m’a laissé un goût de cendre dans la bouche…

Le deuxième texte, Le Général, de Carol Emshwiller, est plus classique. Il y est question d’un grand soldat qui fuit le pays qui l’a élevé après avoir massacré sa famille. Sa fuite l’amènera à sympathiser avec de pauvres paysans dans les montagnes qui servent de frontière naturelle entre son pays d’origine et son pays d’adoption. La vengeance, la solitude, la haine et la rédemption sont au menu de ce court texte. C’est bien écrit, mais, comme dit en attaque de ce paragraphe : c’est assez classique.

Sinon, le chaos, de Nick Hornby est la troisième nouvelle de l’anthologie et la première appartenant réellement au domaine du fantastique. L’auteur, pas familier avec le genre, est surtout connu pour son excellent High Fidelity. Le texte est une sorte d’hommage à L’Attrape-Cœurs, malgré le fait qu’il insiste explicitement sur le fait de ne pas l’être, justement. On y suit un ado qui nous raconte sa première expérience sexuelle. Ou, plus exactement, les circonstances qui l’on amené à ça. Il y sera question de déménagement, de cours de musique, de relations monoparentales et… de l’apocalypse, bien sûr. Le texte est très bien écrit, dans le style de la confession d’ado chaotique, allant même jusqu’à se payer le luxe d’être un méta-texte (puisqu’il s’auto-commente volontiers). Exercice périlleux, mais amplement réussi.

La quatrième participation est due à Chris Offutt, autre auteur dont le nom ne me disait (et ne me dit toujours) rien du tout. Le Seau de Chuck penche lui aussi du côté de la SF pure et dure. On y suit un écrivain, Offutt lui-même, qui est en panne d’inspiration alors que Michael Chabon lui a demandé un nouvelle pour son anthologie. Il a peur de ne pas y arriver. De ne pas faire mieux que son père, grand écrivain et grand rival d’Harlan Ellison en son temps (qui est également au programme de l’anthologie, par ailleurs). Son mariage bat de l’aile, sa bagnole est cassée et il a l’impression qu’un fantôme le hante dans ses nuits blanches. Heureusement, un ami scientifique le sortira de cette voie sans issue en lui proposant un voyage dans le temps et/ou dans les univers parallèles. Mais… ce n’est pas sans risque, bien sûr. Amusant, construit tel des poupées russes, le texte est efficace a défaut d’être vraiment marquant.

Le cinquième auteur, Michael Moorcock est un nom nettement plus familier à l’oreille du lecteur de SFFF. L’auteur d’Elric signe ici un texte plus tardif, mineur, qui appartient à une autre série de l’écrivain, à savoir Le Pacte Von Beck. Ou, plus certainement, l’une de ses nombreuses incarnations dans les temps multiples que parcourt la figure tutélaire du Champion Éternel, chère à Moorcock. On y suit l’enquête chronique d’un flegmatique britannique et son assistant dans le Berlin des années 30. La maîtresse d’Hitler est retrouvée morte et l’entourage proche du leader nazi fait appel au Sherlock Holmes local pour résoudre l’affaire. Ce-dernier, aidé par son meilleur ennemi Von Beck, sera face à un choix : résoudre l’affaire, innocenter le monstre ou en profiter pour sauver la paix mondiale ? Farce steampunk, L’affaire du canari nazi est un bel hommage à Conan Doyle et/ou à Maurice Leblanc. C’est drôle, bien écrit, bien mené et dans le ton de l’anthologie. Ce n’est pas ce que l’auteur a signé de mieux, mais c’est très efficace.

La Danse des esprits de Sherman Alexie est une nouvelle âpre sur le racisme ordinaire aux États-Unis. Deux flics tuent deux indiens injustement arrêtés. Sur les lieux de la bataille de Little Big Horn. Pas de chances pour les représentants de la loi, cela réveille le 7ème régiment de cavalerie du Général Custers qui est enterré là depuis des siècles. Et ces braves zombies ont faim. Et ils ne font pas la distinction entre les flics rednecks racistes du fin fond des states ou le premier passant venu. Une véritable tornade de massacre où le message semble être : la violence entraîne la violence. Bien mené, mais la conclusion et le message m’échappent un peu.

Le texte suivant est signé par l’autre grand nom de l’anthologie, à savoir Harlan Ellison, dont la carrière est aussi longue qu’inspirante pour tout amateur de littérature de genre (ou de littérature tout court). Avec Derniers adieux, Ellison signe a son tour une farce sur les gens qui cherchent toute leur vie un sens profond aux choses, un message caché qui leur permette d’atteindre le nirvana. Quid si au lieu d’atteindre le Shangri-La sur l’un des sommets inatteignable de la chaîne de l’Himalaya, notre héros tombait sur… un fast-food cosmique ? Je ne sais pas si ce texte date d’avant l’épisode où Homer visite le premier Kwik-e-mart sur un sommet indien, mais on est dans le même genre de délire. Amusant.

L’avant-dernier texte, Notes sous Albertine, est celui qui se rapproche le plus du cyberpunk. C’est le texte le plus long et le plus ardu de l’anthologie. Rick Moody, son auteur, dont il s’agit ici du seul réel texte de SF traduit en français, signe un récit d’une centaine de page sur un journaliste qui essaie de comprendre d’où provient une nouvelle drogue qui ravage la société américaine depuis la disparition d’une grande partie de New-York dans un attentat ravageur (rappelons-le, l’anthologie date de 2002 dans sa version originale). Cette drogue a pour effet de faire revivre au consommateur ses souvenirs. Pas de se les rappeler ; de les revivre. Et les survivants de s’enfermer dans un monde onirique où il semble possible d’interagir dans une certaine mesure avec les évènements, ajoutant tout une couche de paradoxes temporels au marasme sociétal ambiant. Ça m’a fait penser à un croisement étrange entre Inception et Las Vegas Parano, le côté drôle en moins. Sans doute la meilleure nouvelle de l’anthologie, mais pas la plus simple à prendre en main.

Le dernier texte, signé par Michael Chabon lui-même, nous emmène dans la vie de deux gamins qui sont séparés de leurs parents par la guerre civile américaine et qui sont récupérés par leur oncle à bord d’un dirigeable géant qui fleure bon le steampunk. C’est pas mal du tout, mais c’est très frustrant : L’Agent martien, roman d’aventures planétaire est la première partie d’un diptyque qui a trouvé sa suite dans une autre anthologie McSweeney inédite sous nos latitudes. Et l’histoire développée ne se suffisant pas en elle-même, c’est un peu bizarre de l’avoir inclus.

Que penser, pour finir, de cette anthologie ? Eh bien, au risque de me répéter pour ce genre de publication, du bon et du moins bon. Si tous les textes ne sont pas de grands textes, ils ont tous une qualité minimale suffisante pour retenir notre attention. Notes sous Albertine en particulier promet de belles choses pour son auteur (qui est cependant resté relativement anonyme dans nos contrées). Les nouvelles et ce genre d’anthologie restent de bonnes portes d’entrée dans des imaginaires nouveaux, osant parfois des mélanges de genre ou des développements que des romans classiques n’osent pas. McSweeney’s Anthologie d’histoire effroyables (elles ne le sont pas toutes !) est exactement dans cette tradition : une main tendue vers des auteurs méconnus, épaulés par des noms bien établis qui se lâchent (j’imagine que Moorcock a rarement utilisé Hitler comme personnage dans ses récits !). Une belle surprise à découvrir sans modération. Et on regretta de n’avoir qu’une édition partielle avec cette version Folio SF. Si vous trouvez l’édition intégrale, préférez-la !

Palimpseste

De Charles Stross, 2009.

Une fois n’est pas coutume, parlons novella. Comme j’ai sciemment choisi de ne pas chroniquer les publications d’Une Heure Lumière sur ce blog (puisque tout le monde le fait, il n’est pas nécessaire d’ajouter ma voix à celles d’autres bien plus talentueux que moi), j’en ai rarement l’occasion, le format n’étant pas le plus populaire de ce côté-ci de l’Atlantique. Je saute donc sur l’occasion après la lecture de Palimpseste, novella signée Charles Stross et auréolée du Hugo 2010 dans sa catégorie.

Pour les rêveurs du fond de la classe, il est sans doute utile de rappeler ce qu’est un palimpseste. Il s’agit d’un parchemin ancien dont on a effacé les premières écritures pour pouvoir l’utiliser à nouveau. Quand on additionne cette courte définition avec le fait que Stross est l’un des auteurs britanniques emblématique du renouveau de la SF, rayon hard-SF, et que l’on sait que la novella parle de voyage dans le temps, on peut rapidement imaginer de quel type de palimpseste on parle.

Et, comme prévu, donc, il s’agit bien d’un récit alambiqué de paradoxes temporels en cascade. En résumé, on y suit la vie de Pierce, un anglais paumé qui devient un peu par hasard un membre de l’estimée police de la Stase. Cette institution temporelle a pour but de préserver l’humanité, contre les dangers cosmiques qui la menacent comme (et surtout) contre elle-même. Cependant, alors qu’il est en pleine période d’entraînement (celui-ci se déroulant sur plusieurs années, le temps n’étant plus réellement un problème pour ces agents multi-temporels), il se retrouve pris manifestement au piège d’un palimpseste. Une organisation ennemie tente de le piéger et de réécrire le segment de temps qu’il vient de contrôler, pour une raison qui lui échappe…

Dit comme ça, ça à l’air assez clair. Mais Palimpseste est tout sauf clair. C’est toujours le risque quand on manipule les sauts dans le temps et les paradoxes en cascade : à un moment, cela devient franchement ardu de suivre. Charles Stross n’aide pas, par ailleurs, puisqu’il enchaîne de rare moments d’action avec de longues expositions sur les différentes opérations menées par la Stase pour sauver la Terre de l’extinction de son Soleil, du mouvement inopportun de notre galaxie et des efforts que font ses agents pour créer en cascade, tout au long des millions d’années couverts par le bouquin, les conditions propices à la création de nouvelles civilisations humaines.

Et j’avoue qu’après la cinquième itération, j’ai eu un peu de mal à me rappeler les premières. Le choix du format court oblige Stross à bourrer un maximum d’infos en un minimum de pages, rendant le tout assez indigeste. C’est d’autant plus dommage que les civilisations esquissées semblent vraiment construites et intéressantes et que certaines péripéties de la vie du héros semblent évacuées très vite alors qu’elles laissaient présager des développements intéressants (Pierce, par exemple, est marié et à des enfants dans l’un des segments de temps qu’il parcourt, famille qu’il oublie en deux pages sans s’y appesantir plus que cela).

[SPOILER] Bien sûr, la fin du bouquin revient sur ceci et nous explique qu’il y a autant de Pierce que de réalités parallèles provoquées par les agents de la Stase lors de leurs missions, palimpsestes ou non. Et le fait d’avoir créé une organisation résistante logée ailleurs dans l’espace et dirigée par l’un des nombreux avatars de Pierce fonctionne, en définitive. Mais c’est bizarrement très sage, au regard des éléments développés plus tôt dans la novella. [/SPOILER]

Bref, une lecture dont je ne suis sorti qu’à moitié convaincu. Il y a là de très bonne chose, des idées brillantes et des développements narratifs inattendus. Mais il y a aussi trop d’éléments dans un écrin trop court pour réellement les apprécier. Cet enchaînement infernal ne laisse que peu de place pour respirer, les moments plus calmes étant parasités par un discours scientifique, je dois l’admettre, un peu aliénant. A tester par curiosité, pour les amateurs de paradoxes temporels.