La frivolité est une affaire sérieuse

De Frédéric Beigbeder, 2018.

Comment ? Deux Beigbeder dans la même année ? Luxe ultime ! Et… non. Bien essayé. La frivolité est une affaire sérieuse, titre soufflé par l’éditrice de Beigbeder, n’est pas le deuxième texte de fiction de son auteur pour cette année, après l’amusant Une vie sans fin, dont nous avons déjà parlé ici. C’est plus simplement un recueil de 99 essais (démarche bêtement commerciale pour rappeler son plus gros succès de librairie, qui date déjà d’il y a un paquet d’année, en fait, puisqu’on comptait encore en francs) que l’auteur a publié un peu partout au cours des dix dernières années. Enfin, essais… davantage des billets d’humeur, qu’il signa pour Lui, Entrevue ou encore des magazines russes et allemands.

Partisan du moindre effort, Beigbeder a donc collecté les textes qui traînaient dans sa cave, les regroupant vaguement par thématique, pour constituer une sorte de « journal » de la dernière décennie. Décennie qui l’a vu passer de la fin de la trentaine (de la petite quarantaine, si l’on est honnête) à la cinquantaine grisonnante, avec deux jeunes gosses. Du coup, les textes évoluent lentement de la fête permanente cocaïne/boîte de nuit/mannequins russes à … la même chose, mais une fois par semaine (car c’est plus difficile de récupérer, avec l’âge).

Et Beigbeder n’est jamais aussi bon que dans la déconne, justement. Dans le je-m’en-foutisme un poil snob mâtiné de name-dropping et de références littéraires très ciblées. C’est d’ailleurs son message, dans La frivolité est une affaire sérieuse : nous ne sommes pas là pour bien longtemps, autant nous amuser, quitte à tomber dans l’excès (c’est cette dernière phrase qui le différencie de D’Ormesson, dont la mort a gâché les vacances de Beigbeder, comme on l’apprends dans l’une des pastilles). Le recueil est divisé, par ailleurs, en trois parties : avant 2015, 2015 et après 2015. Beigbeder voit dans l’année 2015, débutée par Charlie Hebdo et terminée par la vague d’attentats parisiens, une année charnière pour lui. Déjà marqué par les évènements de 2001 (cf. son bouquin Windows on the World, 2003), la vague de 2015 semble, de manière assez résumée, lui avoir fait peur. Et la peur lui avoir fait prendre conscience que son dandysme assumé est en fait plus qu’une simple posture : c’est un manifeste de résistance, une philosophie de vie à opposer aux extrémistes de tout poil, une réponse.

Mouais. Pourquoi pas. Le cynisme est une réponse qui dénote une certaine forme d’intelligence, trait dont sont souvent dépourvus les « hommes en training » (pour paraphraser l’une des victimes du Bataclan, citée par Beigbeder dans l’un des articles). Mais une réponse un peu vaine, je le crains. D’ailleurs, à mes yeux, les textes de 2015 sont les moins bons : on y découvre un bobo finalement un peu de droite qui se replie sur ses valeurs cathos de base et qui tente la moralisation dans plusieurs textes parfois un peu maladroits. La palme revenant à son allégorie sur la libre circulation des armes qui, bizarrement, pourrait presque être utilisée en l’état par la NRA dans un spot publicitaire, tellement l’ironie est parfois trop fine. Chasse et pêche, nous voici.

Heureusement, dans les textes post-2015, il retrouve sa plume acerbe et amusante et navigue à nouveau de frivolités en frivolités, avec cependant un peu plus de poils gris dans la barbe et un peu moins de shots de vodka dans le cerveau. Il y gagne un peu de gravité, mais sait éviter, après l’émotion, la bonne morale en guise de conclusion. On passe donc un moment globalement agréable, où Easton Ellis côtoie bien sûr Salinger et Fitzgerald. Mais aussi Kate Moss et Rihana. Du Beigbeder classique, donc, dans une forme courte, journalistique, qui privilégie le développement d’une idée conne mais drôle en deux pages. Plus direct, moins construit, plus franc, sans doute. Pour ceux qui, comme moi, aime le personnage et savent rire de futilités (je sais, c’est un peu moins valorisant que frivolité), c’est fort agréable. Notons pour finir que l’auteur fait une infidélité à Grasset pour les relativement méconnues Éditions de l’Observatoire. La diffusion médiatique en prends un coup, du coup (justement, pour un observatoire…).

Le monarque dans la vallée

De Neil Gaiman, 2004.

Quelques temps après les évènements relatés dans American Gods, le mutique Ombre a quitté les États-Unis et tente de se retrouver de l’autre côté des l’Atlantique. Un peu par hasard, il accepte un job de gardiennage pour une soirée VIP assez mystérieuse dans la campagne du nord de l’Écosse. Mais, pas de bol, la soirée dérape. Et il y est, bien sûr, question de Dieux oubliés qui se bastonnent, de personnages totalement excessifs et d’ambiance noires et gothiques.

Après plusieurs essais infructueux dans ces colonnes, voici donc un bon Gaiman a critiquer ! Au Diable Vauvert, éditeur historique de Gaiman en français, a eu la bonne idée de ressortir cette novella (ou nouvelle ? le texte est assez court) en 2017 dans une belle édition abondamment illustrée par Daniel Egnéus. La novella avait déjà été éditée précédemment dans le recueil Des Choses Fragiles, mais elle trouve ici un véritable écrin à sa hauteur dans cette superbe réédition qui fait suite à la republication d’American Gods illustré, lui-aussi, par Daniel Egnéus. Le monarque dans la vallée sera d’ailleurs suivi, quelques mois plus tard, par la publication du Dogue noir, la seconde novella de Gaiman mettant en scène Ombre comme personnage principal.

Que dire ? Pas grand chose si je ne veux pas vous dévoiler l’intrigue. La nouvella fait une petite centaine de page max (en fait, probablement une petite cinquantaine si on ne tient pas compte des illustrations) et il est difficile de développer davantage que dans le premier paragraphe ci-dessus. Ajoutons simplement que c’est du tout bon Gaiman : l’écriture est fluide, les personnages sont développés en quelques traits, l’histoire est haletante. Et, comme dans American Gods, on est emporté par l’incroyable flegmatisme d’Ombre qui subit le récit comme nous. La présence de Dieux/de légendes dans l’histoire offre en plus l’incroyable luxe de pouvoir utiliser des deus ex machina sans que cela ne semble être un artifice scénaristique éculé.

Le illustrations d’Egnéus, tout en clair-obscur, s’intègrent parfaitement dans le récit et servent le propos d’un bout à l’autre du livre. Par ses quelques coups de pinceaux, parfois à la limite de l’impressionnisme, Egnéus réussi à intégrer sa vision dans le texte comme un tout cohérent. A la différence du travail d’un John Howe sur les multiples textes de Tolkien qu’il a illustré, Egnéus ne livre pas des tableaux ajoutés en encart, mais bien des dessins qui se jouent de la pagination du bouquin. Je n’ai que rarement vu ça en dehors des histoires illustrés dans les livres pour enfants. D’une certaine manière, il adapte cette façon de faire (comme dans les récentes éditions illustrées des trois premiers Harry Potter) à de la littérature adulte, avec forcément un ton plus sombre et des illustrations parfois cauchemardesques.

C’est donc une très belle surprise que ce petit volume, dont le seul bémol est sans doute, justement, sa taille. Et, par conséquent, son prix. 22 euros pour une grosse heure de lecture, c’est évidemment pas donné. C’est un bel objet de collection à poser dans sa bibliothèque, mais Au Diable Vauvert aurait pu, il est vrai, joindre au Monarque dans la vallée la seconde novella, Le Dogue noir, plutôt que de privilégier une édition séparée. On leur pardonnera cette logique peut-être un peu trop visiblement mercantile (Gaiman est une valeur sûre) au regard de la qualité du travail d’édition, cependant. Du tout bon, qui m’a donné envie de relire American Gods ! (dont je n’ai toujours pas, honteusement, vu l’adaptation télé…)

Panorama illustré de la fantasy et du merveilleux

Édité par André-François Ruaud, 2018.

Troisième édition de cet ouvrage référence, après une première version en 2004 et une seconde édition augmentée et financée participativement sur Ulule en 2015, toutes deux épuisées, c’est également la première dans une version « semi-poche« . Malgré un format réduit par rapport à l’édition de 2015, qui ne semble que très peu différer au niveau du contenu, Hélios a fait un bon boulot pour sortir ce pavé de plus de 600 pages, avec ses dizaines d’illustrations couleurs, dans un format plus grand que leurs poches habituels en restant très agréable à prendre en main. J’ai toujours un peu de mal avec les couvertures, chez Hélios, que je trouve très fragile et dont la tranche, visiblement coupée avec le reste du livre, est assez rude. Mais, passées ces quelques remarques de forme, je ne peux qu’applaudir la volonté de publier dans une collection plus abordable ce qui est largement considérée comme l’une des meilleures références concernant la fantasy et le merveilleux en français.

Et quel ouvrage ! Ruaud, grand spécialiste du domaine depuis le début des années 90, s’est entouré de noms prestigieux pour signer un véritable panorama d’un pan de la littérature mondiale. Il s’agit, de fait, d’un panorama et non d’un encyclopédie : les grands noms s’y retrouvent, bien sûr, mais nombre d’auteurs connus et reconnus sont également laissés de côté (mais où est la Companie Noire ?!). Laissons cependant directement tomber ces débats stériles : les choix personnels de Ruaud et de ses coauteurs colorent évidemment le contenu et nous avons entre les mains une véritable déclaration d’amour, documentée et passionnante, sur le merveilleux et la fantasy de la préhistoire du genre jusqu’à nos jours. La grande force du bouquin est d’ailleurs de n’avoir pas imposé une forme aux articles. Si les textes signés par Ruaud lui-même, majoritaires, épousent la forme classique d’une biographie de l’artiste et d’un commentaire sur ses œuvres principales, ce n’est pas le cas d’autres articles. Ainsi, à titre d’exemple, le texte sur J.K. Rowling se concentre presque exclusivement sur la polémique ayant suivi l’exceptionnel succès de son œuvre maîtresse entre les auteurs et spécialistes du domaine, qui alternaient entre mépris et hommage.

De même, l’on pourra s’étonner que le panorama consacre plus de pages à Tad Williams qu’à J.R.R. Tolkien. Cela tient, cependant, comme lors de son premier essai consacré au genre publié dans la collection Folio SF début 2000 (Cartographie du Merveilleux), au fait que Ruaud sait très bien à qui il s’adresse. Le panorama n’est pas un ouvrage d’introduction ; son but n’est pas de faire de prosélytisme pour un genre méconnu auprès d’un public ignorant. Ruaud s’adresse avant tout aux passionnés, à ceux qui ont déjà fait leurs armes dans la littérature de genre, et qui cherchent à se cultiver davantage et à découvrir de nouveaux noms qu’on ne croisent que rarement dans des bouquins grand public ou dans les multiples tops 10/50/100 publiés sur le net. Grâce à cet angle, même des lecteurs relativement érudits ne manqueront pas d’y apprendre des choses, même sur leurs auteurs favoris.

L’autre grande force du panorama est de ne s’être pas limité aux auteurs de fiction. S’il est relativement classique d’y retrouver également les auteurs de contes (Andersen, les Grimm, Perrault) dans des ouvrages consacré à l’histoire du genre, il est moins courant d’y croiser autant d’illustrateurs (Rackham, Dulac, etc.) ou même de musiciens (l’un des derniers articles, consacré au merveilleux dans la musique classique est passionnant et aurait pu être développé encore bien davantage!). On y croisera également des auteurs dits de littérature « blanche » pour leurs incursions remarquées dans le domaine de la fantasy : Murakami, Auster ou même Hugo avec sa Légende des siècles. Bien sûr, comme les auteurs sont multiples, certains essais sont un peu plus faibles que d’autres (leur grande érudition les rend parfois abscons, à l’instar du texte de Jarowski sur les JdR qui, s’il est intéressant, n’est pas des plus marquants) ; la qualité générale moyenne restant cependant très élevée.

Je finis cette critique avec quelques regrets, cependant : d’abord, le passage en poche réduit par définition le nombre d’illustrations intégrée. La version de luxe publiée il y a trois ans grâce au financement participatif semblait regorger de magnifiques reproductions (je juge sur photo, je ne l’ai jamais eu en mains), alors que les articles de cette version poche sont au mieux illustrés d’une ou deux images par texte (peut-être trois pour certains). Si cela n’est pas dérangeant outre mesure pour les articles consacrés à des auteurs (Howard, Lewis, Leiber, etc.), c’est évidemment un poil déconcertant pour les nombreux articles consacrés aux illustrateurs. J’imagine qu’il faudra se reporter sur les beaux livres, également édités par Ruaud, consacrés à Rackham, Dulac ou Robinson. Autre regret ; s’il est vrai que le genre est archi-dominé par des anglo-saxons, il est assez dommage de n’avoir pas consacré une petite place à d’autres nations. Le Japon, qui a une tradition multi-séculaire dans le domaine, est par exemple très absent du panorama (et je ne parle pas que des mangas, complètement ignorés, mais également des histoires de yokaï, etc.) Enfin, j’ai pu remarqué quelques fautes, mots manquants et autres typos qui font toujours un peu tâche dans une troisième édition.

Mais bon, ces quelques regrets n’enlèvent rien à la qualité générale de l’ouvrage. Bien que volontairement construit comme un dictionnaire avec des entrées successives plus ou moins classées par ordre chronologique, le Panorama illustré de la fantasy et du merveilleux se lit sans aucun problème d’une traite. Chez un autre éditeur, il se serait appelé le Dictionnaire amoureux de la fantasy et du merveilleux, ce qui lui aurait peut-être donné un lectorat plus large, qu’il mérite amplement. Et le tout, pour un peu moins de 26€. Un must-have.

Comment écrire de la fantasy et de la science-fiction

D’Orson Scott Card, 1990

Bragelonne fait œuvre utile en republiant une nouvelle fois le désormais classique « guide » rédigé pour tous les apprentis nouvelliste en SFFF par nulle autre qu’Orson Scott Card, l’homme derrière la saga Ender (entre autres choses). Comme tous les blogueurs rédigeant des critiques et avis dans mon antre numérique, je suis bien sûr caressé de temps à autre par la tentation de prendre la plume et tenter de rédiger quelque historiette matinée de fantasy, de fantastique ou de science-fiction (ma préférence l’écriture suivant cet ordre précis). Mais comme tous les procrastinateurs, le taux de publication sur ce blog en témoigne, je remets évidemment toujours cela au lendemain.

Inspirant, donc, sans doute, de se plonger dans un guide sur le « comment faire« . Devenir Asimov ou Howard pour les nuls, en somme. En gros, le court essai de Scott Card débute par sa définition des sous-genre, élément fort important si l’on entend percer sur le très segmenté marché américain (ce qui est moins vrai dans nos contrées où les frontières sont volontiers plus floues). Puis viennent quelques commentaires sur la construction d’un récit de SF ou de fantasy, les diverses thématiques, la manière de les aborder, les questions de points de vue ou encore le niveau de langage. Enfin, Scott Card clôture en parlant de son expérience personnelle d’écrivain de SF et ce que cela signifie dans sa vie privée (faire tenir son couple, gérer son blé, etc.)

Et tout ça est très fluide, ponctué d’anecdotes et de name-droping, un peu ancien, il est vrai. Amusant, d’ailleurs, de se rendre compte au détour d’une phrase que le bouquin à bientôt trente ans : Robin Hobb y est citée comme « une petite jeune dans le domaine, qui vient de sortir son premier roman » ! Scott Card a, en plus, cette faculté commune chez les grands auteurs anglo-saxons « d’écrire sans style« . Je veux dire par là qu’il travaille tellement son texte qu’il semble aller de soi. Le forme ne vient jamais parasité le propos, ce qui requiert de l’auteur un grand travail pour sembler écrire un langage parlé, alors que c’est tout sauf le cas. Asimov, pour le citer une seconde fois, en était le meilleur exemple : un style direct et simple qui soutien à tout moment le fond en prenant le lecteur par la main, comme dans les histoires que nos parents nous lisaient étant jeunes. Et Scott Card d’appliquer cette recette à ce court essai, qui se lit très vite.

Est-ce pour autant un immanquable ? Mon avis est, là, plus mitigé. Car si le livre s’appelle Comment écrire de la fantasy et de la science-fiction, il n’aborde en fait presque pas le « comment écrire ?« . Scott Card renvoie à d’autres livres qui aborde le sujet et se contente de dire que nous (=ses lecteurs en quête de conseils) avons déjà fait nos classes. On voit par ailleurs aux détours de certaines phrases que, pour Card, bien écrire ne s’apprend pas réellement. Soit on l’a en soit, soit on doit le travailler. Mais, même dans la deuxième option, c’est un travail essentiellement introspectif. Il relativise grandement l’intérêt des cours d’écriture ou même des cercles/clubs d’écrivains débutants. Il n’y voit qu’une opportunité, il le concède souvent utile, de tester un texte sur un lectorat témoin. Et une possibilité pour l’écrivain, troglodyte par fonction, de sortir de chez lui et de parler à d’autres êtres humains. Pour le reste, il est relativement muet sur sa propre méthode (que l’on peut cependant deviner à travers le découpage de ses chapitres de conseils) et ouvre des portes plutôt qu’il ne les ferme.

Cet essai, dans cette édition révisée par Bragelonne (plusieurs passages, traitant uniquement du marché de l’édition nord-américain et, par ailleurs, fort datés, ont été supprimé avec l’accord de l’auteur pour être remplacé par des notes en bas de page assez complètes sur le monde de l’édition SFFF francophone actuel) est donc une lecture intéressante, mais insuffisante, pour celui ou celle qui chercherait une véritable méthode. Il est sans doute un bon compagnon à des lectures plus complètes visant à aider les angoissés de la page blanche, comme moi, qu’elle contienne de la SFFF ou non.

Pee-Wee’s Big Adventure

De Tim Burton, 1985.

Premier long métrage de Burton, à une époque où il était juste un ex-animateur de Disney ayant fait ses classes dans des clips musicaux et pas encore l’idole de tous les ados semi-gothiques de la planète, Pee-Wee’s Big Adventure est un drôle d’objet cinématographique. Véritable véhicule cinématographique mettant en avant le personnage de Pee-Wee Herman, créature imaginée par Paul Rubens, un candidat malheureux de la première saison du légendaire Saturday Night Live qui fit le tour des cafés-théâtres new-yorkais avant de voir son one-man-show immortalisé par HBO au début des années 80. Le personnage de Pee-Wee Herman, un espèce de grand enfant irresponsable et colérique, eu droit à un sérial sur HBO avant de passer sur grand écran en 85, dans le film qui nous intéresse aujourd’hui.

Si Pee-Wee Herman avait à l’origine une tonalité adulte, visiblement, avec des allusions à une sexualité extravagante, celle-ci fut progressivement gommée quand HBO se rendit compte que le personnage marchait davantage avec les enfants qu’avec les adultes et Pee-Wee devint donc un salle gamin (adulte) irrévérencieux en pleine slapstick comedy (les chutes, combats et danses ridicules s’enchaînent). Puis vint le jour où Paul Rubens demanda, comme il le voyait tous les jours aux studios, à la Warner qu’on lui donne un vélo pour se déplacer d’un plateau à l’autre dans la ville-studios hollywoodienne. La Warner lui filant un vélo des années 50, Paul Rubens eut l’idée de raconter l’histoire d’amour entre le personnage de Pee-Wee et son vélo, ce qui devint la clé de voute du futur long métrage.

De fait, le long débute sur le réveil cartoonesque de Pee-Wee (jeux pour enfants, petit-dej automatique à la Doc dans Retour vers le futur, inventions improbables directement tirée de l’imaginaire de Rick Moranis dans Chérie j’ai rétréci les gosses, etc.) Sortant de chez lui impeccablement habillé dans son complet gris, ses chaussures blanches et son nœud-pap rouge pétant, le voilà qui enfourche sa fière bécane pour allers chercher des farces et attrapes et un nouveau klaxon en ville. Mais, drame absolu, l’arch-ennemi de Pee-Wee, le fils gâté (lui aussi adulte) d’un voisin fortuné s’arrange pour lui faire voler son vélo. Et le film d’enchaîner avec 1h30 d’aventures rocambolesques où Pee-Wee rencontrera dans le désordre un repris de justice en cavale, le fantôme d’un camionneuse, un gang de motard ou encore une Française avec le mal du pays dans la tête d’un dinosaure géant en plastique. Avant de finir en apothéose avec un course poursuite directement tirée d’un Tex Avery (ou plutôt un Hanna Barbera) dans les studios de la Warner, à Hollywood.

Tout ceci est bien aimable, mais, je l’avoue, ne m’a pas déridé souvent. Si le cœur de cible est (était?) sans doute un public enfantin, l’invraisemblance du scénar et l’idiotie de certaines péripéties ne sont finalement qu’un moindre mal face au principal problème du film : Pee-Wee Herman lui-même. Le personnage, en plus d’être désagréable et ridicule, est bourrés de tics verbaux et physiques qui font sourire pendant deux minutes (à la manière des clowns au cirque), mais qui agacent très rapidement dans un film d’une heure trente. Et il est difficile d’entrer dans un film quand on a qu’une seule envie : mettre des claques dans le pif du protagoniste principal, tellement c’est un gros con égocentrique. L’on me rétorquera que ce personnage excessif, cartoonesque, n’est pas sensé redescendre de son nuage de folie, au risque de perdre son charme, mais je répondrai qu’il fallait déjà un charme à la base, dans ce cas. Daffy Duck, pour prendre un parallèle, est aussi un personnage horripilant. Mais on (enfin moi, en tous les cas) n’a pas envie de le trucider après 5 minutes…

Que reste-t-il a sauver du film, dans ce cas ? Et bien les débuts de l’homme qui allait réaliser 3 ans plus tard Bettlejuice et enchaîner avec Batman, Edward aux mains d’argent et Batman : Le Défi (avant de commencer à se répéter et s’enfermer dans un style/genre jusqu’à perdre tout intérêt avec, par exemple, Dark Shadows). Et, en effet, on peut y voir les prémices de la patte de celui qui allait proposer un « autre » cinéma populaire à l’aube des années 90. L’univers rose-bonbon factice et super-chargé de la maison de Pee-Wee, le recours dès que possible à un tournage en studio (en l’intégrant même dans l’intrigue à la fin du film), le décalage parfois dérangeant entre des personnages enfantin et une certaine réalité adulte et, bien sûr, une imagerie gothique/noire avec quelques passages en stop-motion (la transformation du visage de la routière fantôme, le passage dans la boutique de farces et attrapes, l’attaque du dinosaure ou encore le passage avec l’opération médicale du vélo de Pee-Wee par une bande chirurgiens fous grimés en clowns grimaçants).

Si ces quelques passages valent en effet quelque chose en terme de mise en scène, cela ne fait cependant pas de Pee Wee’s Big Adventure un grand film. Le personnage, ressuscité par Netflix il y a quelques années après un mise au placard médiatique de Paul Rubens suite à quelques affaires personnelles malheureuses, ne gagne pas à être connu. Les autres acteurs du film ont bien du mal à capter l’attention du spectateur face à l’omniprésent Pee-Wee Herman et n’offrent donc que peu d’intérêt. Une curiosité, donc, qui ne devrait intéressé que ceux qui, comme moi, souhaitaient connaître les premiers pas d’un réalisateur atypique qui réussit à imposer un style avant d’être atteint de sénilité précoce, malgré un certain succès commercial. Espérons, d’ailleurs, que Tim Burton poursuive son retour au source avec le prochain Dumbo, qui suivra deux opus plus réussis que leurs prédécesseurs (Big Eyes, un tout petit budget pour un film intimiste plutôt sympathique et Miss Peregrine’s Home for Peculiar Children, film de commande dans un univers qui colle parfaitement au réalisateur sans être une grosse machine façon Alice au pays des merveilles).