De Sam Mendes, 2019.
La seconde guerre mondiale a eu droit à des très nombreux longs métrages de qualité ces dernières décennies. La première guerre mondiale, en revanche, fut assez peu évoquée et, si elle le fut, ce fut toujours avec des moyens nettement plus modestes (l’excellent La chambre des officiers est un des rares exemples qui me vient en tête spontanément, mais ce n’est pas à proprement parler un film de guerre). Il semble qu’elle ait toujours moins inspiré les cinéastes, les romanciers ou les dramaturges en tout genre que sa cadette. Certainement ces 30-40 dernières années.
Je m’attendais cependant, avec l’ensemble des évènements lié au centenaire de la Grande Guerre, à voir fleurir les grosses productions évoquant les poilus et les combats de tranchées. Il n’en fut rien : bien sûr, la première guerre mondiale a finalement assez peu occupé les américains et Hollywood a donc toujours fait assez peu de cas de ses diverses batailles et gestes héroïques qui, pourtant, sont du même ordre que celles et ceux qui se déroulèrent un peu plus de vingt ans plus tard aux mêmes endroits. Il aura donc fallu attendre un an après la fin des célébrations pour que le britannique Sam Mendes laisse tomber James Bond pendant quelques mois pour se lancer dans l’évocation des récits de guerre de son grand-père. Si l’on en croit la dédicace finale de 1917, le grand-père de Sam lui racontait des histoires de guerre dans son enfance. Ce film, injustement boudé aux oscars 2020, est l’adaptation de ces récits d’enfance.
Cependant, Mendes n’en était pas à son premier film de guerre. Au-delà d’American Beauty qui lui valut les honneurs de l’Académie au siècle passé et qui l’a fait découvrir à un large public et avant qu’il ne se consacre quelques années durant à revitaliser la franchise James Bond (l’encensé Skyfall et le plus modeste Spectre sont de lui), Mendes a signé le discret Jarhead. Consacré à la première guerre du Golfe, le film s’acharnait déjà à suivre de près une jeunesse gâchée dans les sables d’Irak, dans un film sec et sans concession. 1917 n’est pas autre chose. On y suit deux braves soldats britanniques qui doivent aller prévenir une division éloignée d’une bonne dizaine de kilomètre qu’ils ne doivent surtout pas attaquer la ligne de front allemande. Si les allemands ont reculé, c’est pour mieux prendre les britanniques au piège dans les terres dévastées du Nord de la France. Et pour prévenir leurs compatriotes, les deux soldats devront traverser le no-man’ s land entre les tranchées ennemies et faire preuve d’un courage proche de la folie.
Bien sûr, on ne peut évoquer 1917 sans évoquer son gimmick de réalisation qui l’a fait connaître au monde : le film est un plan séquence ininterrompu. Et, bien sûr à nouveau, ce n’est pas tout à fait vrai. Au-delà de l’ellipse provoquée par la perte de conscience du personnage principal (justement traduite par un fondu au noir à l’écran), il y a en fait de nombreuses coupures artificiellement camouflée grâce à une utilisation parcimonieuse mais adéquate des effets spéciaux et grâce à un travail insensé de cinématographie. Car peu importe ces avatars technologiques, finalement : le cadrage, la photo et le travail de caméra, qui sont les bases du cinéma, sont tout bonnement époustouflants dans ce film. Ces plans rapprochés, à hauteur d’épaule, nous font vivre l’action de manière incroyablement intense. Mendes parvient cependant à réaliser le tour de force de rendre l’action du film lisible en toutes circonstances. Pas de shaky cam qui floute les personnages et rendent l’action à l’écran illisible ici : tout est net et intelligemment éclairé et montré au spectateur.
Et cela n’empêche pas Mendes, dans certaines scènes choisies, d’éloigner le point de vue pour démontrer l’ampleur des scènes (la fameuse scène abondamment exploitée dans la bande d’annonce où l’on voit le Caporal Schofield -le personnage principal- courir parallèlement à la tranchée dont sortent des dizaines de combattants anglais sous le feu des allemands ; mais aussi des scènes d’une beauté sinistre et presque poétique, comme lorsque Schofield erre nuitamment dans les rues d’un village en ruine, éclairé par les incendies provoqués par les tirs de mortier).
Le film est donc clairement une réussite esthétique. Narrativement, le film est évidemment assez simple : il s’agit d’une opération presque suicide de deux gars choisis au hasard du conflit pour empêcher un massacre inutile. Loin de l’héroïsme hollywoodien classique, Mendes a l’intelligence de développer un script où, bien que les personnages principaux soient effectivement des héros, il questionne en permanence l’utilité de leurs actions. Car quoi de plus anecdotique, finalement, que de préserver la vie de quelques milliers de combattants dans une guerre qui aura coûté la vie à des millions d’innocents et qui aura, en effet, tuer une génération complète. Le film est soutenu en plus par des acteurs qui font un boulot excellent. Au-delà des acteurs secondaires qui illuminent le film de leur présence (Colin Firth, Mark Strong, Benedict Crumberbacht), 1917 doit surtout sa crédibilité à la performance sans faille du jeune George MacKay, déjà vu il y a quelques années dans Captain Fantastic. Son interprétation solide et malgré tout en finesse d’un personnage qui ne peut plus retourner à une vie normale (cela est évoqué dans le film de manière subtile sans s’appesantir sur ce qui est finalement une évidence) font découvrir à ceux qui ne le connaissait pas un grand acteur britannique en devenir.
Jarhead, en 2005, était sous-titré « La fin de l’innocence » en francophonie. 1917 ne parle pas d’autre chose : l’horreur des tranchées nous aura appris une chose ; l’humanité ne pourra jamais plus être innocente à la suite d’un conflit de cette ampleur. 1917, à travers sa richesse visuelle et sa plongée dans le chaos d’un conflit inhumain, délivre ce qu’on attendait de lui : nous donner, enfin, un grand film mature, spectaculaire et intelligent sur la première guerre mondiale.