D’Amélie Nothomb, 2020.
Comme chaque année, la fin de l’été est synonyme de la livraison du Nothomb annuel. Après un cru 2019 vraiment réussi, notre amateure de fruits pourris préférée (la seule que nous connaissions, soyons honnête) nous livre cette année un millésime malheureusement éventé. Pas que Les aérostats soit un mauvais livre, non. Simplement qu’il n’apporte strictement rien. Soif, en 2019, apportait quelque chose de neuf à l’œuvre de l’auteure belge : malgré ses lubies et obsessions traditionnelles, elle sortait de son carcan classique pour proposer une biographie imaginaire à un personnage historique (et, tant qu’à faire, autant viser du très connu avec Jésus de Nazareth !). Les aérostats, au contraire, ronronne méchamment.
Au programme de l’opus 2020 : une jeune femme socialement isolée, sa colocataire ignoble au prénom forcément peu commun, une famille de dysfonctionnels argentés qui souhaite louer (cher) ses services pour un deus ex machina quelconque qui permet à Nothomb de gloser, comme à son habitude, sur la proximité de la violence absurde et du sexe, sur la qualité du champagne et sur ses modèles littéraires. Le lecteur habitué de Nothomb étouffera donc un bâillement. Bien sûr, les personnages sont forcément décalés, bien sûr, les personnages secondaires ne sont caractérisés que par un trait dominant qui les déshumanise complètement. Et, comme toujours, le livre est composé à 80% de dialogue sur sa petite centaine de pages qui rend la lecture aussi rapide que malheureusement oubliable.
Les mécanismes qui font que le style Nothomb accroche autant qu’il continue à plaisir sont toujours là cependant : ces personnages en total décalage avec la société qui les entoure nous amuse toujours par leur naïveté en même temps que par leur érudition conférant au savoir-vivre d’un autre siècle. Comme, d’ailleurs, Nothomb elle-même lorsqu’on l’écoute en interview. Bien que je sois persuadé qu’il ne s’agit que d’une posture, je peux comprendre qu’il n’y a que peu d’intérêt à casser une formule qui marche. Cependant, dans une démarche artistique, je ne saisis pas l’intérêt. Nothomb elle-même prend-elle encore du plaisir à ressasser les mêmes formules, les mêmes marottes, les mêmes dénouements ? On glose beaucoup sur l’écriture quasi-automatique d’un Guillaume Musso. Mais Nothomb ne fait finalement pas plus d’efforts.
Évidemment, cela m’amène à me poser la question qui en découle : l’auteur doit-il continuellement faire des efforts ? Je n’ai pas de réponse et je ne sais pas s’il y a une réponse. Un jeune lecteur qui tomberait aujourd’hui sur Les aérostats sera-t-il charmé par cette musique si particulière, cette couleur littéraire propre à Nothomb, comme je le fus il y a vingt ans de cela lorsque je dévorais avec un plaisir évident Stupeur et tremblement, L’hygiène de l’assassin ou encore Acide sulfurique ? Peut-être. Je ne pourrais en tous les cas, moi qui suis un fidèle de l’auteure en question, plus jamais retrouver ce plaisir initial. Et je peux donc me permettre, à titre purement personnel, de regretter cette mécanique trop bien huilée de laquelle l’auteure s’éloigne de moins en moins avec les années qui passent.
Soif m’avait donné l’espoir d’un certain renouveau, avec une nomination au Goncourt à laquelle je croyais comme « prix de reconnaissance » pour une carrière littéraire à succès tout en préservant une certaine forme d’autonomie par rapport aux modes successives. Et Soif réinventait partiellement le style Nothomb en l’amenant vers des territoires jusque-là inexplorés (en tous les cas, de cette manière). J’espérais alors que le livre marquerait un tournant libérant Nothomb d’une formule toute faite pour la pousser à se diversifier en restant fidèle à elle-même. Force est de constaté, avec Les aérostats, que ce virage n’est pas pris. Il ne me reste qu’à espérer que ce virage arrive. Un jour prochain.