De Clifford D. Simak, 1976.
Roman tardif de son auteur, La planète de Shakespeare fait partie de ces romans de SF qu’il faut désormais chercher chez les bouquinistes. Édité en 1977 chez Présence du Futur/Denoël, il n’a pas connu l’honneur d’une réédition depuis. Et 43 ans maintenant, ça fait long. Cela ne m’empêche pas, cependant, de me jeter de temps en temps dans cette vieille collection de SF dont Folio SF se délecte régulièrement pour nourrir son « back-catalogue« , comme disent nos amis anglo-saxons.
J’avais déjà parlé de Simak dans ces colonnes à l’occasion de la lecture de son chef d’œuvre, Demain les chiens. Ce qui avait été une très bonne surprise sera-t-il confirmé par cette nouvelle lecture ? Eh bien, oui. Et non. La planète de Shakespeare s’ouvre sur un acte anthropophage. Un homme répondant au nom de Shakespeare demande à son compagnon d’infortune, un humanoïde répondant au doux nom de Carnivore, de se délecter de son corps avant son décès prochain des suites d’une maladie incurable. Et de ne rien laisser si ce n’est ses os blanchis par l’appétit dévorant de son « ami« .
Sans transition, le second chapitre nous présente le brave Horton. Horton est l’un des quatre astronautes d’un vaisseau ayant quitté la Terre des centaines d’années auparavant à la recherche d’une nouvelle planète habitable. La folie des hommes les amenant à détruire leur écosystème, leur salut était donc dans l’exploration spatiale. Pas de chance pour lui, Horton se réveille de sa stase prolongée comme seul survivant de l’expédition. Nicodème, le robot de service, n’a eu d’autre choix que de le sauver lui lors d’un incident technique quelques siècles auparavant car… il était dans la capsule n°1 et que son esprit logique lui a dicté de sauver le premier dans la liste.
A peine remis du choc, Horton découvre la planète sur laquelle le vaisseau pensant à choisi de se poser : un double lointain de la Terre, apparemment inhabité. Jusqu’à ce que Horton rencontre l’attachant mais étrange Carnivore et le crâne encore souriant du dénommé Shakespeare qui observe tout cela de ses orbites vides et amusées. La planète de Shakespeare est donc un planet-opéra tout ce qu’il y a de plus classique. On y croise des voyageurs dans l’espace lointain, des robots intelligents, des purs esprits tourmentés par leur éternité, des extraterrestres sympathiques, d’autres effrayants et, bien sûr, une jeune femme qui tombe forcément dans les bras du personnages principal (j’exagère, ce n’est pas aussi cliché que cela).
Je n’ai bien sûr rien contre un cocktail aussi classique. C’est souvent dans les plus vieilles marmites que l’on fait les meilleures soupes, comme le dit l’adage. Et Simak, vieux de la vielle de la SF (il est pratiquement né avec le XXème siècle a connu tant la SF des années 20 que celle des années 50), use et abuse d’un schéma déjà très connu. Pourtant, ce livre est, à mes yeux, assez bancal. S’il est trop lent dans ses premiers chapitres, il est au contraire beaucoup trop rapide dans les derniers. Simak ajoute d’ailleurs dans le désordre un être hors du temps, un dragon ou encore une représentation du mal absolu dans ces 35 dernières pages de ce court roman. Du coup, il dilue son récit en lui faisant prendre des virages aussi extrêmes que peu développés. A trop vouloir y mettre, on perd un peu le fil réel du bouquin et on se noie dans un catalogue sur space-opéra typé année 50.
Et c’est assez dommage, car le livre part sur de bons prémices et développe nombre d’idées intéressantes, plus ou moins abandonnées à mi-chemin (par exemple, le vaisseau spatial de Horton, dirigé par un triumvirat de cerveaux humains qui s’interrogent sur leur mission et leur devenir, est bizarrement développé dans un premier temps avant d’être plus ou moins laissé de côté au moment de conclure). Le bouquin est donc assez frustrant tout en offrant une vitrine sur une SF d’un autre temps, qui n’était déjà plus dans le ton de son époque lorsqu’elle fut publiée pour la première fois au mi-temps des années 70. Fenêtre ouverte sur un style en fin de vie, La planète de Shakespeare est un court roman de SF assez anecdotique qu’on réservera aux amateurs d’un SF surannée, intelligente il est vrai mais passéiste dans sa forme et ses gimmicks narratifs. Et aux inconditionnels de Simak, bien sûr, même si ceux-ci se font de plus en plus rares.