De Goethe, 1774.
Et pourquoi ne pas se plonger dans un vrai grand classique de la littérature ? Je le fais déjà de temps en temps, mais pas assez pour finir, préférant des lectures sans doute plus faciles (au niveau de la forme) après de trop longues journées de boulot. Il est pourtant aussi salutaire qu’édifiant de se lancer à l’assaut de monstres sacrés de temps à autre. Pour le simple plaisir de désacraliser et d’aller au-delà de l’apriori.
Goethe, Johann Wolfgang von Goethe de son nom complet, n’a que 24 ans lorsqu’il rédige Les Souffrances du jeune Werther, véritable best-seller de l’époque. Le roman, non content de trouver un très large public en son temps, a grandement contribuer à lancer le genre du Sturm und Drang (Tempête et Passion) dans l’Allemagne de la fin du XVIIIeme. Ceux qui ne sont pas familier avec le genre trouverons toutes les explications nécessaires sur Wikipédia, comme toujours. Pour les moins curieux, retenez simplement qu’il s’agit là du mouvement précurseur au romantisme qui marquera de son empreinte toute la littérature du XIXeme. Et il est effectivement question de tempête et de passion dans le roman de Goethe.
Construit majoritairement comme un roman épistolaire (à l’instar des Liaisons dangereuses de Laclos du Dracula de Bram Stocker), le livre suit les mésaventures successives de Werther, un jeune bourgeois/aristocrate qui découvre la vie adulte dans l’Allemagne champêtre de cette fin de siècle. Le brave jeune homme, plein de fougue et promis à un avenir brillant, tombe en pâmoison devant une jeune femme du nom de Charlotte. Problème : cette dernière est déjà promise à un autre sympathique jeune homme, absent au début du roman. L’amour impossible et inexprimé qui éclot alors plonge Werther dans des abîmes de mélancolie et dans la dépression. Il s’en ouvre dans de nombreuses lettres à un ami proche. Quittant alors cet amour impossible, il tente une carrière dans une province lointaine, carrière qu’il abandonne bien vite, trop obnubilé par la belle Charlotte pour consacrer son esprit à autre chose.
Le roman, à sa sortie, créa le scandale essentiellement par sa chute. Il est probablement difficile de spoiler un texte qui a près de 250 ans, donc j’éviterais les mises en garde habituelle : le suicide de Werther, résolument à l’encontre des mœurs de son époque, a suscité de bien vives réactions. Goethe, peut-être inconsciemment et bien qu’il s’en est par après vivement défendu, présente le suicide comme une solution honorable dans la diégèse du roman. Avec des yeux de lecteur du XXIeme siècle, c’est évidemment nettement moins choquant. C’est même, osons le dire, un peu niais. Et ce n’est pas commettre un acte de lèse-majesté qu’avoir un jugement sévère : Goethe lui-même, si j’en crois la préface de la Pléiade dans laquelle j’ai lu ce classique, était un peu mal à l’aise quant au succès de son texte et quant à son contenu même. Il avoua ne l’avoir relu qu’une seule fois, bien des années après sa publication originale et admis à ce moment-là qu’il aurait été bien incapable d’écrire à nouveau une œuvre similaire.
Pas pour des raisons de thématique ou de forme, mais plutôt pour des raisons de développement des protagonistes. Le titre est explicite : Werther est jeune. Et la fougue, la passion parfois aveugle de la jeunesse lui font perdre pied selon un mécanisme sans doute un peu trop net, trop linéaire. Son amour est si absolu qu’il en perd tout sens commun. Vous me retoquerez qu’il s’agit justement là de la définition même de l’amour dans le mouvement romantique. Cependant, et peut-être est-ce dû à notre époque hautement cynique, je n’ai pu m’empêcher de ricaner sottement face à la naïveté, l’ingénuité de l’ami Werther. L’obsession confine à la bêtise quand elle tend à idéaliser unilatéralement l’autre. Est-ce là réellement quelque chose qu’on apprends avec l’âge et l’expérience (j’ai aussi, comme tout le monde, connu des moments rétrospectivement totalement excessifs de déprime pour des histoires de cœur) ? Ou suis-je simplement un monstre a-sentimental ? Non, je pense plus simplement que Goethe a poussé à son paroxysme la notion d’idéal, jusqu’à son aboutissement le plus tragique. Et cela est toujours bien de notre temps : j’ai aussi connu dans ma jeunesse pas si lointaine (bon, ok, c’était un autre siècle… un autre millénaire !) des connaissances qui ont dramatiquement choisi cette voie-là, pour des raisons qui n’étaient pas beaucoup plus sérieuses ou rationnelles qu’un simple amour impossible.
Et c’est précisément ce qui fait la force de ce classique. Au-delà d’un ton parfois suranné et d’une situation dépeinte par moment de manière presque caricaturale, Les Souffrances du jeune Werther portent en elles le mal-être du passage à l’âge adulte. L’incroyable souffrance, en effet, que peut provoquer la passion, ici amoureuse. En cela, ce livre est universel et intemporel. Et cela en fait donc un classique indémodable sur lequel nombre de commentateurs nettement plus avisés que moi se sont penchés à travers les décennies. Reste un texte exigeant tout en étant abordable car peu marqué d’archaïsmes (sans doute dû à la très bonne traduction de la pléiade). Un premier pas dans la vie d’un auteur phare du XVIIIeme sur lequel je reviendrai certainement pour découvrir ses œuvres « adultes« .