D’Andrus Kivirähk, 2020.
Illustrations de Clara Audureau.
L’Homme qui savait la langue des serpents fut une véritable découverte pour moi il y a quelques mois et reste l’une de mes lectures les plus marquantes de 2020. C’est donc avec anticipation que je me suis jeté sur le nouveau Andrus Kivirähk publié au Tripode en cette fin d’automne. Premier constat : le livre est nettement plus court que le précédent, environ 200 pages, illustrations comprises. Deuxième constat : si le ton est toujours féérique, il le reste cette fois-ci de bout en bout. Les Secrets, contrairement à L’Homme […] fait partie de la production « pour la jeunesse » de son auteur. Accessible dès une dizaine d’années. Qu’à cela ne tienne, jetons-nous dedans.
On y découvre donc la vie de la famille Jalakas, une gentille famille d’une middle class estonienne intemporelle, composée du jeune Siim (4/5 ans), de sa soeur Sirli (6/7 ans), du père, un type un peu looser qui aime regarder le sport à la télé, et de la mère, qui navigue entre son boulot la journée et son boulot de mère le reste du temps. Soit un picth à la Mes voisins les Yamada, pour ceux qui se souviennent de l’excellent yonkoma manga publié chez Delcourt (dans sa collection Shampooing) il y a des années, adapté en long métrage d’animation par nul autre qu’Isao Takahata, l’Estonie en prime. Et le parallèle n’est pas idiot. Car la famille Jalakas, à l’instar des Yamadas, se distingue surtout par les rêves que chacun d’entre eux poursuivent. Contrairement aux Yamadas, cependant, les rêves des Jalakas ne sont pas que des rêves. Siim se rend réellement dans son monde parallèle où il joue les magiciens démiurges. Sirli prend réellement l’ascenseur de leur bloc d’immeuble pour danser dans les nuages en partageant les potins avec le Soleil et la Lune, qui s’engueulent comme un vieux couple. La mère a également son véritable château de conte de fées et le père bat réellement tous ses « ennemis » lors d’évènements sportifs fantasmagoriques où il parvient toujours seul à remporter la victoire face à une adversité toujours plus forte.
La mécanique connait cependant des ratées avec l’arrivée dans le récit du gentil concierge, qui vit la plupart du temps dans le monde sous-marin de son placard à balais, et de la bataille qui l’oppose à l’irascible écrivain du 3e étage, le seul de ces personnages qui ne rêve pas et qui passe son temps à broyer du noir… Vous l’aurez compris, Les Secrets tient davantage du conte que du roman. Les chapitres, volontairement épisodiques jusqu’à la moitié du roman, nous font découvrir les protagonistes, leur vie prosaïque et leur vie rêvée tour à tour. Ce n’est qu’à la moitié du roman que les éléments s’entrecroisent réellement pour tisser la trame d’une « intrigue » principale dont le message est aussi simple que puissant : croyez en vos rêves. Ne les laissez jamais tomber. Ils ne feraient que grossir et noircir jusqu’à devenir une charge pour votre âme et pour tous ceux qui vous entourent.
Les Secrets est donc un récit optimiste, drôle, surréaliste, à 1000 lieues du récit complexe qu’était L’Homme qui savait la langue des serpents. On y retrouve une certaine plume, une admiration pour la naïveté et pour l’enfance qui met du baume au cœur. Si le livre touche forcément moins aux tripes que son aîné, Les Secrets, dans son genre, est une véritable réussite. A lire avec vos gamins quand ils ont un coup de bourdon ou qu’ils n’osent pas faire quelque chose. Kivirähk nous le dit et nous le répète de toutes les manières possibles : osez. Laisser faire votre imagination, poursuivez vos rêves, vous y arriverez.
PS : Les illustrations de Clara Audureau sont plaisantes mais n’apportent en définitive pas grand-chose au texte. Trop simples pour être envisagées comme œuvre à part entière et trop peu nombreuses pour être de véritables supports à la lecture pour les plus jeunes. Un coup dans l’eau.