De Fabrice Colin, 2002.
Fabrice Colin hante ces colonnes depuis longtemps déjà et ses œuvres, toujours particulières, émaillent de leur éclat une production SFFF francophone sans doute trop sage. Or not to be, qui vient d’atteindre sa majorité (déjà 18 ans depuis la publication originale !) ne fait pas exception. Et L’Atalante a été bien inspirée de proposer ce classique alternatif dans sa collection poche et lui redonner, ainsi, une certaine visibilité depuis quelques années. Colin, qui a malheureusement quitté la littérature de genre depuis pour se consacrer à une carrière fructueuse et prolifique en littérature blanche, revenait avec ce texte shakespearien sur quelques-unes des obsessions abordées dans l’inégal mais enthousiasmant Arcadia en 1998. Il est à nouveau question du barde anglais, de l’Arcadie mythique et des mondes parallèles.
Moins délirant qu’Arcadia, cependant, Or not to be nous conte l’histoire de Vitus Amleth de Saint-Ange dans l’Angleterre des années 20. Amnésique, obsédé par les écrits autant que par la vie de Shakespeare, Amleth, à l’annonce de la mort de sa mère, s’échappe du sanatorium dans lequel il vient de passer sept longues années, protégé du monde extérieur. Partagé entre un sentiment de rejet et l’amour presque incestueux qu’il ressent encore pour cette mère-univers, c’est un jeune homme dérangé et perdu qui se lance en quête de ses souvenirs. Pour cela, il se rend au village de Fayrwood, bourgade perdue du Nord de l’Angleterre et absente de toute carte, village hors du temps où il a passé quelques semaines de vacances essentielles dans sa vie d’enfant. Il s’y était alors déjà perdu, plongeant sous les ombres des arbres de la vielle forêt voisine. Plongeant si loin qu’il y trouva un très vieil habitant, souvenir des temps anciens, souvenir qui inspira entre autres Songes d’une nuit d’été à son obsession littéraire…
Construit de manière asynchrone, les souvenirs se mêlant au récit, lui-même interrompu par le présent, ce texte érudit signé par Colin est une nouvelle fois exigeant, complexe et passionnant. Si les premières pages peuvent décontenancer, le roman trouve son vrai souffle après quelques chapitres et l’on ne peut que se plonger à corps perdu dans cette fractale étrange qu’est le destin d’Amleth. Ce voyage à travers la folie, le souvenir et l’amour connait ses moments d’extase et de félicité. A titre d’exemple, je n’ai que rarement lu une scène érotique plus intense que celle qui marque le point de non-retour dans la vie du personnage principal. Magnifiquement écrite, elle se justifie par ailleurs parfaitement dans la construction du récit et démontre que l’amour est aussi un combat, une extase et, forcément, une déception, dans une certaine mesure.
Roman adulte traitant d’un thème très classique en SFFF, à savoir l’histoire de Pan et de son petit peuple, Or not to be n’est certainement pas à ranger du côté des histoires de fantasy préfabriquées et prémâchées. Colin, comme à son habitude, devient parfois foutraque dans sa construction, égarant le lecteur dans des fausses pistes ou dans des digressions étranges. Si, dans l’ensemble, le texte est plus sage que Winterheim ou Arcadia, il n’en demeure pas moins un texte ardu. S’il me fallait le résumer en une phrase, je dirais que c’est Memento dans l’univers de Narnia. Ce n’est cependant pas lui rendre justice. La fin, abrupte, tombe un peu à côté du propos à mes yeux. Mais, à nouveau, rien de surprenant pour un bouquin de Colin qui est habitué du phénomène. Si l’on excuse ces quelques faiblesses, reste un texte passionné et passionnant et une très bonne manière de rentrer dans l’œuvre de son auteur, pour celles et ceux qui ne le connaîtrait pas encore.