De Nathalie Sarraute, 1939.
Texte de jeunesse de Nathalie Sarraute, refusé par de nombreux éditeurs et resté très confidentiel à sa sortie initiale, Tropismes est depuis considéré comme l’œuvre fondatrice du « nouveau roman ». Il ne s’agit pas à proprement parlé d’un texte unique, mais bien de la succession de 24 textes courts (l’auteur en ayant retiré et ajouté certains, jusqu’à arriver à cette liste définitive de 24 pour la réédition de 1957) qui reprennent chacun un « tropisme ».
Qu’est-ce donc ? Le tropisme est un concept scientifique. Il désigne la réaction, le déplacement ou la transformation d’un élément sous l’effet d’un stimulus extérieur. Sarraute applique le principe à nos semblables : comment un élément d’apparence anodine peut provoquer un changement chez l’homme ou la femme qui le subit. Elle est fascinée, à travers ces courts textes successifs, par les réactions infinitésimales de l’humain, ces changements soudains et peu prévisibles de l’humeur. Ces textes les décrivent par le menu : le sentiment de malaise, la complaisance, la rébellion, etc.
Sarraute rédige cela en respectant le postulat de base du nouveau roman (qui n’est pas formulé en 39, raison pour laquelle on parle d’œuvre fondatrice). Le « personnage » fictionnel n’a pas d’importance ; aucun nom ou prénom dans ces 24 textes, les acteurs étant réduit à des « il » ou des « elle ». Il n’y a pas non plus de récit, de chronologie ou d’action à proprement parler ; les textes ne font que décrire des réactions émotionnelles sur base de quelques éléments de contexte épars où le non-dit est au moins aussi important que l’explicite.
J’ai déjà dit dans ces colonnes le scepticisme que j’avais éprouvé à la lecture d’un court roman d’un autre père du nouveau roman (Djinn, de Robbe-Grillet), mais ce que j’ai dit alors n’est pas valable ici. Sarraute, dans Tropismes, n’a d’autres prétentions que de s’attacher à les décrire, ces tropismes. Reste donc, dans la mémoire du lecteur, des impressions fugaces, l’une ou l’autre situation qu’il retiendra car elle trouve un écho particulier dans son propre vécu. Le reste s’estompera assez vite dans une confusion générale. A moins d’être très attentif ou de lire Tropismes dans un but de recherche en littérature comparée, le bouquin s’oubliera, je le crains, assez vite.
Car Tropismes appartient au domaine de la littérature, à n’en pas douter. Mais à celui de la littérature exigeante, celle qui requiert qu’on la lise dans de bonnes conditions, au calme, avec des moments d’introspection qui permettent de s’approprier le texte et faire résonner son sens. Or, j’ai lu ces 60 pages (moins, en fait, puisque j’ai lu la version de la Pléiade, concentrée en une petite vingtaine de pages), comme souvent, dans les transports en commun, ce qui n’est certes pas le cadre idéal que ces pages méritaient sans doute.
Je ne peux donc que réserver mon jugement et me promettre de rependre du Sarraute à une autre occasion, lorsque le contexte s’y prêtera davantage.