De Philippe Engels, 2021.
Voici le genre de littérature que je pratique peu. Les écrits « politiques » liés à l’actualité et les journalistes d’investigation qui livrent le fruit de leurs enquêtes donnent souvent des livres courts, parfois mordants, et rapidement dépassés et oubliés lorsque les bonnes feuilles ont été publiées dans la presse nationale et que le prochain scandale fasse oublier le précédent. Le clan Reynders, qui parle en somme nettement moins de Reynders, de son clan ou du MR en général et bien davantage d’un petit bonhomme à la réputation sulfureuse qui hante les couloirs de la SNCB depuis des lustres, le dénommé Jean-Claude Fontinoy, est totalement dans ce créneau.
Philippe Engels a le profil, pour ce genre de bouquin. Ex-pilier de la rédaction de l’Écho et du Vif, fondateur de Médor, il est spécialiste de la traque à la corruption, la fraude et autres joyeusetés. Et il a une plume amusante et amusée, n’hésitant pas à verser dans le ton familier et moqueur de l’investigation en lieu et place du ton souvent plus neutre des grands reporters politiques ou internationaux. C’est ce qui rend plaisante la lecture de son livre, divisé de manière assez inédites en chapitres qui sont autant d’adresses des méfaits du sinistre Fontinoy, méfaits qui émaillent une relation de plus de 30 ans maintenant avec son ami, son patron, son mentor, Didier Reynders.
Engels nous apprend que Fontinoy est un obscur cheminot arriviste qui s’est senti poussé des ailes à l’arrivée de Didier au board de la SNCB. Homme des basses œuvres, il n’a visiblement reculé devant rien pour servir l’hautain liégeois. Manipulation de marchés publics, délits d’initiés, chantages, menaces, harcèlements, enveloppes, … tous les classiques y passent. Et Le clan Reynders de se développer comme un mauvais vaudeville où l’amant ne prend même pas la peine de se cacher dans le placard et où, pourtant, le mari cocu semble malgré tout aveugle.
Car c’est ce qui m’a fait lire le bouquin. Cela parle d’un milieu professionnel dont je suis finalement assez proche, malheureusement pour moi. Et je connaissais la réputation de Fontinoy, sans jamais l’avoir pour autant rencontré. Car le livre ne dévoile finalement qu’un secret de polichinelles : dans le périmètre de l’État fédéral, à peu près tout le monde savait que Fontinoy était une éminence grise toujours dotée d’une zone d’influence grande et trouble (et qu’il avait un faible certain pour la gente féminine, même si cela n’est finalement que très peu abordé dans le livre). Engels y fait référence à plusieurs reprises : tout le monde le savait, mais tout le monde avait peur, car dans l’ombre de ce « petit homme » se cachait l’influence du grand Didier, qui survivra à toutes les crises et tous les scandales par sa gouaille et, il faut bien le reconnaître, son intelligence (de requin).
Cependant, je ne peux m’empêcher de douter à la lecture du bouquin. Pas de la culpabilité de Fontinoy ou des ordres troubles de Reynders, entendons-nous bien ; mais de la planification machiavélique de tout ceci. Cela fait trop longtemps que je travaille pour l’administration fédérale maintenant pour ne pas voir, dans au moins la moitié des « scandales » relevés par Engels, autre chose que de la simple incompétence. De la bêtise bureaucratique. Sans vouloir tomber dans le poujadisme de pilier de bar, il faut bien se rendre compte que les élites de l’État ne sont ni plus intelligentes ni plus professionnelles que les grands capitaines d’industrie. Et si le « bien commun » est chevillé au corps de la conscience professionnelle de certains (je continue à l’espérer : de la majorité !), il est également évident qu’il y a là quelques opportunistes pour lesquels être un commis de l’État n’est rien de plus qu’un job comme un autre, qui ne mérite pas que l’on fasse trop ou que l’on prenne trop de responsabilité. Tout pareil que dans les boîtes privées. Tout pareil que dans le « métier » politique, cessons d’avoir de tendres illusions.
Les procédures idiotes, les barrières administratives et les contraintes budgétaires aveugles imposées par un politique pour lequel le long terme se résume à trois ans donnent des actions aussi débiles que la vente de Tour des Finances pour un montant dérisoire. Qu’un investissement grandiloquent et illusoire dans une gare Calatrava à Mons. Que le dégel des intérêts des avoirs libyens pour satisfaire quelques créanciers qui pèsent plus que le brave Prince Laurent. Je ne pardonne pas. Je n’excuse pas. J’explique simplement que le système politico-administratif dans lequel ces décisions sont prises provoque ces idioties. Et qu’il crée les conditions dans lesquelles des parasites comme Fontinoy et consorts peuvent en toute impunité, juste parce qu’ils ont une gueule plus grande que les autres, s’enrichir personnellement sur le dos de la société. Pour éviter cela, il faut creuser encore davantage la distance entre le politique et l’administration et, si encore possible malgré cela, y chercher des gestionnaires compétents qui savent effectivement qu’un euro public n’est pas un euro privé. Et vous savez quoi, les amis ? Les régions sont encore bien pires. Voilà un article bien sombre, mes excuses pour ceci.
Bref, Le clan Reynders est un bouquin vite lu et, malheureusement, vite oublié. Il dénonce de bien tristes histoires, il met en lumière les basses vicissitudes de notre monarchie parlementaire. J’ai vu d’autres couleurs, d’autres partis, d’autres élus utilisés l’administration pour ses campagnes électorales, pour son profit personnel, pour « arranger » ses affaires. A gauche comme à droite. Est-ce que cela revient à dire « tous pourris » et à glisser vers des idéologies puantes ? Non, cela devrait être une leçon : seuls les meilleurs devraient être autorisé à gérer la « chose publique« . C’est un métier, assurément. Mais pas un métier comme les autres. J’y crois. Encore. Malgré tout. Dégageons les Fontinoy, mettons les Reynders devant leurs responsabilités, laissons de côté le pragmatisme pour nous assurer que l’éthique soit et reste l’idée centrale. Me voilà presque en campagne électorale…