De Priya Sharma, 2019.
La toujours excellente collection Une Heure Lumière ouvrent ses portes à la relativement méconnue Priya Sharma. L’auteure britannique est essentiellement nouvelliste et publie régulièrement dans son pays d’origine depuis 2005, sans avoir eu l’honneur d’une traduction française jusqu’à présent. Considéré comme son premier roman (roman court, novella, peu importe, finalement), Ormeshadow a été remarqué à sa sortie et a été primé à deux reprises (prix Shirley-Jackson 2019 et British Fantasy 2020 du meilleur roman court). Et cela se comprend aisément.
Ormeshadow nous plonge dans l’ère victorienne, épisode historique fort prisé de nos voisins grands-bretons, et dans la vie du jeune Gideon Belman, fils unique d’un couple d’intellectuels de la classe moyenne de la moderne Bath. Frappés par un revers de fortune, la famille est obligée de quitter précipitamment leur maison, leur cité, leur niveau de vie pour se replier sur la ferme familiale d’Ormesleep, dans la région d’Ormeshadow (dans ce que j’imagine être les grises et tempétueuses côtes anglaises, non-loin des Cornouailles, même si cela n’est jamais réellement précisé).
Là, dans la ferme familiale, le frère du père de Gideon règne en maître absolu en son domaine. L’arrivée de son frère, qui possède effectivement par héritage la moitié de « ses » biens, est très mal vécue. Les vieilles rivalités se réveillent alors que Gidéon apprend à vivre avec une fratrie qui le méprise dans un environnement qui lui est aussi étranger qu’hostile. Il ne lui reste, pour s’évader, que les histoires que son père lui conte : le lieu-dit d’Ormesleep, aux pieds des collines d’Ormeshadow est connu dans les légendes locales. Un dragon, le dernier, s’y serait posé il y a de nombreuses années pour y entrer en hibernation en attendant des jours meilleurs ou en attendant d’être réveillé par l’héritier de la famille Belman…
Baigné dans une ambiance de tension permanente, Sharma signe avec ce court roman un drame familial subtil, douloureux et poétique tout à la fois. Les personnages y sont décrits par des touches presque impressionnistes, se dévoilant intelligemment en fonction des rebondissements dramatiques de l’histoire ou à travers des flashbacks pleins de sens. C’est un superbe roman de mœurs qui fait vivre les collines rocailleuses et venteuses d’Ormeshadow tantôt comme un antagoniste potentiel et tantôt comme le seul lieu d’espoir dans une humanité uniformément sombre, médiocre et revancharde. Le livre offre cependant des touches d’espoir, à travers quelques personnages secondaires au caractère bien trempé (et à la vie elle-aussi dramatique). C’est cependant le voyage émotionnel de Gidéon, ce personnage principal malmené, confronté à la dureté d’une vie qu’il n’a pas voulue, que l’on retiendra. Ce personnage, aussi solide que fragile, est une vraie réussite émotionnelle qui embarque le lecteur dans son histoire.
Alors, bien sûr, l’on pourra arguer que le fantastique est ici plus évoqué à travers un légendaire de contes que réellement présent. Mais qu’importe, pour finir, tant que l’on a un bon bouquin dans les mains ? Espérons qu’un éditeur français aura la bonne idée de s’intéresser à l’anthologie des nouvelles de Sharma et de nous en proposer une version traduite dans les années qui viennent. Si ses nouvelles sont du même tonneau, on tient certainement un bon cru !