D’Amélie Nothomb, 2022.
Lorsque Gallimard aura réussi, en 2048, à racheter les droits des romans d’Amélie Nothomb à Albin Michel pour les republier dans un modeste tome de la Pléiade (que les puristes de la littérature française se calment : j’use ici d’un procédé fictif de mise en situation, je ne dis pas que Nothomb a sa place à la Pléiade…), il sera intéressant de lire ce qu’un universitaire obscur d’une fac littéraire parisienne indiquera dans le forcément très fouillis appareil critique. Tentons l’exercice : « Avec Le livre des sœurs (2022), l’outre-Quiévraienne ne se cache plus derrière de faux-prétextes et des intrigues liminales ; elle assume finalement le fait que ses romans parlent d’elle et uniquement d’elle. Sans être une biographie à proprement parler et sans se perdre dans les délires narcissiques de l’autofiction, Nothomb franchi ici un cap en se mettant plus que jamais clairement en scène dans une intrigue imaginaire. L’excès de ses personnages n’a qu’un et un seul sens : montrer que les individus hors-normes ne sont pas forcément héroïque. Ils traversent la vie comme ils le peuvent, à l’instar de l’orpheline sentimentale Tristane, toujours à cheval entre le prosaïque d’une vie familiale dysfonctionnelle et la fuite en avant de sa mythopoïétique personnelle. »
Bon, ça ne sonne pas assez érudit, mais je fais ce que je peux à l’instinct. Le livre des sœurs, en effet, nous parle à nouveau d’Amélie et de ses liens familiaux. En y ajoutant le prétexte du désamour parental et d’une fascination adulescente pour le rock, Amélie nous parle d’elle-même et de sa sœur. Cela donne, comme toujours, un très court roman qui hésite entre le tragi-comique et l’anecdotique, sauvé, là aussi comme toujours, par un style et un rythme qui lui son propre. Ce n’est pas dans ce 31ème opus successif qu’elle innovera sur la forme, mais au moins laisse-t-elle transparaître de plus en plus clairement ses propres pathos au fil des livres. Moins délirant que Stupeur et tremblements, moins martial que ses dernières fournées, Le livre des sœurs marque un retour à une certaine légèreté du portait de personnages « bigger than life » qui ne vivent que des aventures ordinaires.
On suit donc la vie de l’effacée Tristane, qui par suite d’un désamour involontaire de ses parents, compense ce manque sur sa petite sœur, au point de former un duo fusionnel que seul le passage à l’âge adulte tempèrera. Il est étonnant d’ailleurs de lire un développement « raisonnable » de ses personnages, qu’on a connu souvent beaucoup plus absolutistes et jusqu’au-boutiste dans d’autres romans de Nothomb. Mis à part ceci, le livre est assez sage. Bien qu’il use, là aussi un grand classique pour l’auteur, d’une mort abrupte et imprévisible pour marquer le passage d’un acte à l’autre du récit classique que ce roman développe, il reste très sage et très linéaire. Et sans doute un poil prévisible. Notons pour finir une fin abrupte et assez mal exploitée. Si l’effet coup de poing recherché par Nothomb pour conclure ses trajectoires romanesques est bien là, le roman aurait certainement gagné à développer davantage la relation mère-filles et la déchéance finale de la première citée en une bonne dizaine de pages supplémentaires en fin de volume. Mais peut-être est-ce demander trop de normalité à un auteur qui semble de plus en plus chercher l’épure dans la forme courte que le développement dans une forme plus complexe ?