Gladiator II

De Ridley Scott, 2024.

Qu’écrire sur Gladiator II qui n’a pas déjà été écrit 200 fois ailleurs ? L’idée est peut-être de le traiter sous un angle plus conceptuel que relatif à son contenu. L’incrédulité du grand public à l’annonce d’un deuxième volet au péplum épique de Scott, qui avait marqué durablement les esprits à l’orée des années 2000 en imposant un style assez brut pour les grandes batailles pseudo-historique, cette incrédulité s’explique à plus d’un titre. D’abord et avant tout car elle n’a à priori que peu de sens au niveau narratif. Gladiator premier du nom reste en effet un film qui se suffit à lui-même, avec une situation initiale, un développement et une résolution satisfaisante et qui n’appelle pas de suite, puisque Maximus, son protagoniste principal, accompli effectivement sa destinée et résous son arc narratif personnel de vengeance par sa propre mort, violente, dans les sables de l’arène romaine.

Ensuite parce que l’on connait le Scott de ces dernières années qui, s’il reste un très bon technicien, a tendance à se moquer de plus en plus de son propre public en prenant volontairement le contrepied des attentes (Prometheus était à côté de la plaque, Covenant un très mauvais compromis, Napoléon passait à côté de la dimension dramatique inhérente à son personnage principal… seuls House of Gucci et Le Dernier Duel tenaient plus ou moins la route). Non, définitivement, le meilleur Scott des 10 dernières années était seulement produit par Scott et réalisé par Vileneuve : une suite, là aussi, mais qui apportait réellement quelque chose à son matériau d’origine, à savoir Blade Runner 2049.

Enfin, car les polémiques inutiles sur l’origine de l’un ou l’autre protagoniste de ce second volet, la présence de R&B dans la bande d’annonce ou encore la promesse d’un film quand on n’en fait plus laissaient présager un peu de flottement de l’industrie hollywoodienne, ne sachant pas trop comment vendre cette suite surprise que personne n’attendait réellement. Ce péplum qui arrive sans doute trop tard, les rumeurs d’une suite ayant été abondamment commenté sur Internet ces 20 dernières années et en même temps trop tôt, à la fin d’une année plutôt morne pour le cinéma des grands studios US, dont on ne finit pas de prophétiser la mort imminente. Bref, un film qui a, du point de vue du marketing et de la promesse de vente, le cul entre deux chaises : trop grand spectacle pour la saison des prix, trop à contre-courant pour être réellement un blockbuster grand public.

Passons maintenant rapidement sur le film en lui-même et les performances liées. Oui, le film est un divertissement aimable. Les scènes d’action sont spectaculaires, la production est bonne, l’image léchée. Si certains CGI sont foireux (les singes, horribles) et certaines scènes over-the-top à la limite de l’idiotie (bien sûr qu’il y avait des reconstitutions de batailles navales dans le colisée, mais elles se jouaient dans de l’eau douce amenée par aqueduc : du coup, le coup des requins à la Sharknado marche moyen…), l’ensemble tient la route comme un film d’action/de vengeance matinée de complots politiques. Côté acteurs, Paul Mescal a un bon physique de brute, qui porte cependant nettement moins bien l’émotion que Russel Crowe dans le premier volet, mais il fait le taf. Oui, Denzel est très bon comme on l’a lu partout, mais il fait essentiellement du Denzel. Dans le même registre, je le trouve plus subtil et plus contenu (= comprendre, mieux dirigé) dans Training Day d’Antoine Fuqua il y a déjà bien longtemps. Les autres acteurs ont un peu de la figuration à côté, mais font un boulot correct de seconds rôles, même si l’on regrette évidemment l’absence d’un Joaquin Phénix comme antagoniste digne de ce nom. Harry Gregson Williams, lui, fait un boulot correct avec la musique, sans jamais atteindre cependant les sommets de la BO d’Hans Zimmer, il est vrai l’une de ces meilleures.

Et c’est peut-être cette référence musicale qui m’aidera le mieux à développer mon propos. Gregson-Williams orchestre ses meilleurs morceaux, touche à la corde sensible de l’émotion, lorsqu’il cite explicitement Zimmer. Tout comme Scott qui, lorsqu’il veut toucher le public, passe littéralement des extraits du premier Gladiator en noir & blanc (comme quoi Russel Crowe avait tort : il a effectivement quelque chose à avoir avec ce second opus ; il joue dedans !) Ce deuxième volet n’existerait tout simplement pas sans se raccrocher systématiquement à son aîné. On peut évidemment s’installer sur les épaules des géants pour faire mieux qu’eux, mais ici, on assiste plutôt à aux tentatives d’un ado qui essaie systématiquement de tirer ses modèles vers le bas pour prétendre être à leur niveau.

Dès l’entame du film, en fait, le prologue écrit nous informe que le premier volet n’a systématiquement servi à rien. Si Maximus s’est sacrifié pour ce rêve qu’était une Rome républicaine, et bien il s’est sacrifié pour rien. Après sa geste héroïque, les romains se sont simplement réveillés avec une bonne gueule de bois : exit Commode, bonjour aux frères empereurs Geta et Caracalla, encore plus instables et cruels et, parce que c’est amusant, roux. Tout va mal, le peuple est trahi, on le distrait avec des jeux. Refrain connu. Mais un général des armée romaines (Pedro Pascal, juste, mais trop peu exploité), après avoir trop conquis et trop versé le sang décide d’ourdir un complot avec son épouse, Lucilla (la sœur de Commode). Refrain connu. Arrive dans ce jeu le gentil Lucius, fils de Lucilla et de Maximus, exilé pour échapper au courroux des empereurs jumeaux et de la plèbe romaine, époux d’une femme tuée par et au nom de Rome, qui prendra sa revanche dans les sables de l’arène. Refrain connu.

Gladiator II est donc dans le fond une redite bégayante du premier opus, avec moins de poids, moins d’impact et des acteurs moindres et moins bien dirigés. Je ne comprends donc simplement pas à quoi sert ce film. Quel est son intérêt ? Au-delà du côté mercantille d’une suite qui s’appuie sur un public captif, quelle sera sa trace dans l’histoire du septième art, à part celle d’amoindrir l’éclat de son brillant aîné en le rendant en grande partie inutile si l’on considère la continuité scénaristique entre les deux épisodes ? Est-ce que Scott essaie de nous dire qu’il n’y a pas d’espoir, comme il l’a parfois (souvent) répété dans sa filmographie ? Essaie-t-il de commenter un certain état de la politique mondiale pour dire que les situations désastreuses ont tendance à se répéter et qu’il faut donc du courage, voire de l’abnégation, pour en sortir ? Si c’est cela, il y avait mille autres films à faire que celui-ci. Mille autres histoires à raconter, mille autres paraboles à mettre en scène. Il est juste navrant de voir l’un des cinéastes majeurs du dernier quart du XXème siècle détruire ainsi son héritage sans que personne n’ose lui poser la question la plus simple du monde : pourquoi ?

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