De Terence Young, 1963.
On prend les mêmes et on recommence ! Moins d’un an après Dr. No, Sean Connery est de retour sous la caméra de Terence Young dans l’adaptation du cinquième tome de la série de romans d’espionnage du britannique Ian Fleming. On se fiche donc très clairement de la chronologie des romans qui, s’ils partagent en effet une série d’ennemis communs, ne s’embarrasse pas d’une linéarité scénaristique très importante. On verra donc les méchants de ce deuxième film, cinquième roman, faire référence à la mort méchant du premier film, sixième roman. Au diable la continuité ! Point mineur que cela. Ce qui frappe surtout avec ce second film, c’est que bien que ce Bond soit encore davantage dans la veine du film policier/d’enquête que dans le style film d’action qui caractérisera la suite de la saga, ce Bons Baisers de Russie bénéficie clairement d’un budget plus élevé. En effet, si le premier long avait effectivement été tourné sur place en Jamaïque, la plupart des sets extérieurs sentait la production un peu cheap, avec des routes désertes et des décors assez plats. Celui-ci, qui se passe en partie à Venise (images d’illustration uniquement) et, surtout, à Istanbul, exploite bien davantage ses décors dans de nombreuses scènes extérieures (de l’intérieur de Sainte-Sophie aux fameuses citernes stambouliotes, alors encore immergées).
Le dépaysement propre aux films de Bond s’illustre donc davantage dans ce deuxième long, même si l’on quitte ici la mer des caraïbes pour l’imagine du Proche-Orient, à une époque où la Turquie et sa capitale en particulier représentait encore la porte de l’Orient et ses fantasmes des marges/marches de l’Europe. Sean Connery reprend donc le rôle de Bond pour un deuxième opus qui, bien qu’encore très classique dans sa forme (comme dans le Dr. No, il y a par exemple un court plan où l’on voit et on entend un contrôleur aérien à Istanbul appeler Londres pour explicitement dire que l’avion de Londres à bien atterri : le plan ne sert à rien dans l’histoire, à part à confirmer au spectateur de ce début des années 60 qu’on a bien changé de décors), accélère son rythme pour proposer davantage à ses afficionados. Il y a en effet moins de temps mort et moins de scènes mécaniques façon « X reçoit l’info Y, il la vérifie en allant à Z et revient interroger ou confronter W« . Pour autant, le scénario reste relativement classique et tourne autour de l’inévitable McGuffin.
Le film débute avec une course-poursuite dans un labyrinthe végétal, au terme de laquelle Bond se fait assassiner par un blond antipathique et mutique. Nous découvrons alors que ce n’était pas Bond, mais un autre homme portant un masque et servant à l’entrainement d’un tueur du SPECTRE. Ceux-ci, dont nous découvrons rapidement trois autres membres, le numéro 1 et son fameux chat (Ernst Stavro Blofeld, dont on connait bien sûr la longévité dans la saga), la diabolique Rosa Klebb, ancienne colonelle du SMERSH (services secrets soviétiques) passée au SPECTRE et portant le numéro 3 et Tov Kronsteen, champion d’échec et mastermind du plan de ce film, portant le numéro 5 (pour rappel, le Dr. No portait le numéro 8). Ceux-ci sont donc épaulés par le tueur blond de la scène pré-générique, Donald Grant, joué par nul autre que Robert Shaw (mais si ! … c’est le propriétaire bourru du bateau de chasse dans le premier Dents de la Mer !).
Et le plan de Kronsteen, bien que relativement risqué, est assez simple : il veut profiter de la désertion de Klebb, méconnue de la diplomatie russe, pour manipuler une jeune employée de l’ambassade soviétique à Istanbul, Tatiana Romanova. Cette dernière doit faire croire à sa désertion à l’Ouest, emportant avec elle une machine servant à décrypter les messages secrets soviétiques (le McGuffin du film, basé largement sur l’Enigma, le fameux appareil utilisé par les nazis pendant la seconde guerre mondiale, dont le fonctionnement a été « craqué » par Alain Turing), en raison de l’amour qu’elle éprouve pour nul autre que James Bond, dont elle aurait découvert la photo dans un dossier. Bien sûr, même le SPECTRE sait que le prétexte est tiré par les cheveux mais compte sur le fait que même si cela sent le piège à 100 km, les Britanniques ne pourront tout simplement pas refuser une telle opportunité. Car le SPECTRE entend bien que la désertion de Romanova ait lieu, mais veut en profiter pour se venger de Bond en l’assassinant et ainsi récupéré la machine soviétique pour la vendre au plus offrant. D’une pierre deux coups.
Inutile de préciser que tout ne se passera pas comme prévu et que, bien sûr, James Bond sauvera la situation. On retiendra cependant de ce deuxième long plusieurs éléments importants : l’arrivée de Q et des gadgets (ici, une valise relativement anodine qui compte pièces en or, munitions, poignard et un système de gaz lacrymogène qui s’active en fonction de la manière dont on ouvre ladite valise), l’arrivée de Blofeld comme vilain récurent de la saga et bien sûr la menace de l’Est, l’Union Soviétique restant à ce moment de l’histoire comme le grand opposant aux régimes de l’Ouest (bien qu’on verra dans d’autres Bond que les deux fronts de la Guerre froide s’alignent quand il s’agit de lutter contre le SPECTRE ou d’autres vilains mégalomaniaques menaçant l’équilibre et/ou la sureté mondiale). Les méchants de ce deuxième opus sont un poil décevant : Kronsteen est surtout là pour expliquer le plan initial et se faire tuer pour démontrer le machiavélisme de Blofeld, Klebb, malgré des tendances sadiques et saphiques, est finalement assez peu exploitée et Blofeld est à peine montré (ce qui est logique, pour une première apparition). Grant, quant à lui, tient bien le rôle de l’assassin mutique qui « aide » Bond pendant la majeure partie du film afin de s’assurer que ce dernier ait bien le McGuffin en sa possession. Il perd de sa superbe à la fin du film quand il commence à parler et, surtout, quand il tombe dans le trope sans doute le plus moqué de la saga bond, à savoir expliquer l’entièreté des plans du méchant à Bond alors qu’il le menace de son arme et qu’il a bien l’intention de le tuer. Mais, bien sûr, c’est la loi du genre.
On n’oubliera cependant pas les différentes James Bong girl du film : la riche Sylvia Trench, toujours jouée par Eunice Gayson, qui se fait à nouveau larguer par Bond quand le devoir appelle celui-ci, les deux tsiganes d’un camp près d’Istanbul et bien sûr l’italienne Daniela Bianchi dans le rôle de Tatiana Romanova. Très belle femme, elle a cependant moins à donner qu’Ursula Andress dans Dr. No, puisque son rôle correspond davantage à celui-ci de la femme en détresse qui ne peut résister aux charmes de l’espion britannique. Maltraitée par ce dernier, on ne peut que s’amuser du dédain avec lequel il la considère quand il comprend qu’elle n’est pas au courant des détails du complot. Mais, après tout, comme le dit Ian Fleming lui-même dans l’un des bonus de l’édition BluRay du film dans une vieille interview à la BBC : « (il) écrit des livres pour des hommes adultes hétérosexuels qui fantasment sur la puissance« . Dont acte.
Mention spéciale également Pedro Armendáriz, acteur mexicain à la filmo assez fournie dans les années 50, qui incarne ici un parfait Ali Kerim Bey, le contact local du MI-6 à Istanbul. Dandy séducteur à la nombreuses progénitures (tous ses hommes de main sont ses fils, il n’a confiance qu’en eux), il est un parfait allié pour Bond tout au long du film. Comme d’autres alliés de l’espion (à l’instar du jamaïcain Quarrel dans Dr. No), il mourra à l’écran de s’être trop approché du britannique, entrainant l’ire de ce dernier et un désir de vengeance qui s’exprimera assez clairement dans la confrontation finale avec Grant. L’acteur, excellent dans ce rôle, était malheureusement atteint d’un cancer, qui ne se remarque pas du tout à l’écran, et a fait le choix de se suicider quelques semaines après la fin du tournage. Paix à son âme, lui qui avait joué pour John Ford, John Huston ou encore Luis Buñuel.
Concluons donc cette courte critique par un avis plus court sur ce deuxième volet en tant qu’objet filmique indépendant : on est face à une grosse production, à l’échelle de ce début des années 60, qui surfe sur l’exotisme des situations, du Bosphore au voyage en train qui rappelle l’Orient express, du camp de gypsies où la danse du ventre est à l’honneur aux lagunes de Venise. Et on a un Bond malin, toujours aussi charmeur ou violent, en fonction des circonstances, moqueur à l’occasion, quittant ses habits de détective pour celui, plus affirmés, d’espion. La scène de combat final est également plus musclée et impressionnante que la conclusion du Dr. No, même si le décor est moins exotique. On a malgré tout droit à quelques explosions pyrotechniques, notamment dans la scène de course-poursuite en hors-bords, scène appelée à devenir un grand classique de la saga. Terence Young, qui a manifestement plus de moyens que dans le premier opus, reste cependant très académique dans sa mise en scène, même si celle-ci profite de décors « in situ » qui enrichissent grandement le visuel du film. On est donc face à un Bond honnête où le rythme est toujours parfaitement acceptable malgré son âge, plein de rebondissements et d’intrigues. Un cran au-dessus du premier volet, donc, ne fut-ce que pour la qualité de la production.
PS: je reviendrai dans de prochaines critiques de la saga sur la raison pourquoi j’ai mentionné un univers étendu dans le premier article, ainsi que sur le rôle d’Harry Saltzman, sur lequel je me suis manifestement trompé.
James Bond will return.