De Scott McCloud, 2015
Roman graphique auréolé d’une exceptionnelle réputation, The Sculptor la mérite amplement. Scott McCloud dessine et scénarise des comics depuis de nombreuses années et est davantage connu pour ses bouquins théoriques sur les comics que pour ses comics eux-mêmes. Il signe pourtant, avec The Sculptor, une formidable fresque dessinée, parlant de l’amour, de la vie, de la mort, du rapport à l’art et de la passion en général. Le trait, simple, m’est d’abord apparu comme simpliste. Puis, les pages se succédant, je me suis rendu à l’évidence : ce trait clair permet, en quelques touches, de magnifier les expressions humaines. A l’instar des yeux hypertrophiés des mangas ou des dessins animés de Disney, McCloud parvient à faire passer le panel complet des émotions humaines (la gène, le plaisir, la frustration, la colère, l’accablement) en les réduisant à leur plus simple expression : quelques coups de crayon bleu sur fond blanc.
En quelques mots, The Sculptor nous narre la vie de David Smith, un sculpteur new-yorkais qui n’arrive pas à percer. Alors qu’il est sur le point d’abandonner, la mort lui propose un deal qu’il ne pourra refuser : il pourra faire ce qu’il veut de ses mains, l’instrument du sculpteur, mais il n’aura plus que 200 jours à vivre. Et le comics, après avoir installer son personnage principal, nous fait vivre ces 200 derniers jours passionnément. Smith, le looser, rencontrera l’amour, le succès, l’angoisse, le déchirement et vivra son art pleinement dans cette course-poursuite avec le temps qui passe. Il apprendra à vivre, tout simplement.
Il est difficile d’en dire plus, sans dévoiler l’intrigue, si ce n’est qu’il rencontrera assez vite Meg, le prototype de la femme dont tous les hommes du monde ne peuvent que tomber amoureux (à l’instar de la Ramona de Scott Pilgrim vs. the World… à moins qu’il ne s’agisse que d’un fantasme de geek ?). Meg la fantasque, Meg la désiquilibrée, Meg la séductrice, Meg la formidable. Tout, dans The Sculptor, semble réfléchi. Le moindre angle de vue, le découpage des cases, l’absence de dialogue ou de décors, enrichissent le propos. Véritable roman graphique (terme parfois galvaudé pour donner ses lettres de noblesse à des comics plutôt classiques), The Sculptor surprends tant par sa profondeur que par sa simplicité.
Le bouquin a l’intelligence de ne pas répondre à sa question principale : est-ce que le sacrifie vaut la chandelle ? Peut-on, au nom de l’art, refuser la vie ? Ou, comme cela semble être le cas pour David, l’idéal est-il synonyme de la vie ? Le récit alterne sans sourciller ces questions existentielles avec des moments plus léger de comédie de mœurs, à la Woody Allen dans ses bons jours. Sans dépareiller et sans que ces transitions semblent forcées de près ou de loin. La première scène de sexe (désolé pour le spoiler) entre David et Meg est par exemple très drôle, tout en étant très touchante et en nous expliquant, sans forcément les souligner, des éléments essentiels pour comprendre le protagoniste principal. C’est en cela que The Sculptor magnifie son média : il dépeint, littéralement, ses protagonistes, n’hésitant pas à utiliser le silence et l’ellipse pour donner au lecteur les clés de son intrigue.
Au-delà de toutes ses assertions dithyrambiques, on notera tout de même qu’il faut avoir le cœur bien accroché pour finir le bouquin. Bien que le dénouement soit annoncé dès les premières pages, l’émotion du drame ne peut qu’être présente tant le comics s’est évertué avec succès à nous faire aimer ce héro improbable qu’est David Smith, bourré de défauts et de certitudes mesquines qui font de lui notre égal, un homme comme les autres. Et encore plus de cœur pour lire la postface de l’auteur, qui nous compte des tragédies personnelles en quelques lignes.
Scott McCloud explique lui-même qu’il a travaillé plusieurs années sur ce livre que l’on mettra quelques heures tout au plus à parcourir. Mais il espère, en s’étant investi dans chaque planche, chaque case, chaque phylactère, que l’on sera marqué par son œuvre. Pari tenu, avec les félicitations appuyées du jury. Courrez vous l’acheter. Il est dispo en VO chez First Second Books et en VF chez Rue de Sèvres.