De Jim Hanson & Frank Oz, 1982.
Il y a peu de temps, je suis tombé sur un « top 10 » des meilleurs films de fantasy sur le web. Quelques-uns que je connaissais de nom m’avaient toujours échappé, pour une raison ou un autre. Je me suis dit, du coup, qu’il était temps de combler mes lacunes. En commençant par l’un des plus célèbres films de marionnettes : Dark Crystal.
Presque aussi vieux que moi, Dark Crystal est devenu au fil des ans une madeleine de Proust pour nombre de ses spectateurs. L’histoire, extrêmement classique, place l’habituel underdog dans la position de sauver l’univers de la domination de despotes fort peu éclairés. Le dernier représentant d’une race exterminée, les Geflings, est élevé par les Mystics, une race sage qui lutte contre la domination des Skeksis, créatures à mi-chemin entre le rat et le dragon. Ce Gefling, Jen, est l’objet d’une prophétie : il sera celui qui réunira le cristal corrompu, le Dark Crystal qui donne son nom au film, qui donne le pouvoir aux Skeksis, mettant par la même fin à leur règne.
Sans dévoiler la couronne, le lecteur un peu éveillé imagine déjà la fin de cette charmante histoire qui hésite entre le conte macabre et la fable pour enfant. Sombre, cruelle, parfois explicite dans la représentation de la violence et de la souffrance, l’histoire de Dark Crystal souffre sans doute d’un léger problème de positionnement. Les enfants seront effrayés là où les adultes auront parfois du mal à étouffer un bâillement.
Pourtant, le film fourmille de bonnes idées. Réalisé de main de maître par les deux plus grands marionnettistes du 7ème art , Jim Henson (Sesame Street – le Muppet Show !) et Frank Oz (vous savez ? un certain … Yoda ?), le parti pris du film factice, du théâtre à fils, s’efface rapidement devant l’efficacité visuelle. Les Skeksis sont affreux, le personnage d’Augrah, la pythie immortelle, batârde étrange entre Yoda et Whoopi Goldberg, est très efficace. Même les faire-valoir comiques, comme Fizzgig, la boule de poil-chien, et le Chambellan, le Skeksis banni, sont plutôt réussis.
Malheureusement, le film souffre d’une faiblesse intrinsèque. Le héro, Jen, a autant de charisme qu’une moule apathique. C’est également la marionnette la moins expressive, car la plus proche de l’être humain. A mi-chemin du film, lorsque Jen se rends compte qu’il n’est pas le seul Gefling vivant lorsqu’il rencontre Kira au milieu de la forêt (Kira est une Gefling qui a survécu aux pogroms contre sa race, fomentés par les Skeksis alors qu’elle était encore enfant et qui a été élevé par les Podlings, une race d’esclaves nains), une lueur d’espoir naît chez le spectateur. De l’interaction naitra peut-être quelques aspérités qui rendront le personnage principal moins monolithique ? Mais non, Kira est tout autant plate, sans mauvais jeux de mots, que son partenaire masculin. Il est, dès lors, assez difficile de s’intéresser au développement de l’histoire, malgré un univers et une ambiance particulière qui sauve en partie le film.
Je suis probablement un peu sévère et tous ceux qui ont été biberonné à Dark Crystal dans leur jeunesse m’en voudront pour les lignes qui précèdent. Mais objectivement, bien que fanatique absolu de Highlander, j’ai assez de bon sens pour ne pas être aveugle à ses nombreuses faiblesses. C’est un peu le principe de la madeleine de Proust dont je parlais plus haut : la madeleine n’est pas la meilleure friandise du monde. Elle est même assez quelconque, quand elle n’est pas trop sèche. Proust la vénère cependant non pour son goût, mais pour le souvenir qu’elle provoque chez son consommateur nostalgique. Elle lui rappelle son enfance, les sons, les couleurs, les odeurs qu’il ressentait lors sa découverte. Elle lui rappelle une habitude, un certain confort, un cocon protecteur, parfois ; elle provoque un sentiment de bien être.
Dark Crystal est certainement une madeleine pour ses milliers de fans qui le considèrent comme un film culte et qui le classe, en effet, dans les dix meilleurs films de fantasy. Si, par contre, comme moi, vous la mangez pour la première fois avec un earl grey peu sucré vers 35 ans, il ne vous reste sans doute qu’un intérêt poli vers cet objet cinématographique, il est vrai, assez unique en son genre. C’est sans doute l’un des films de marionnettes les plus réussis d’un point de vue technique qui n’ai jamais été tourné –une mauvaise langue dirait qu’il y en a peu… le dernier à ma connaissance étant Team America : World Police qui date déjà de 2004. Dommage qu’il souffre d’un héro a-charismatique et d’une histoire, pour finir, trop prévisible pour être intéressante au-delà de 15 ans. Au moins ne souffre-t-il pas du cynisme et/ou du trop plein d’ironie qui marque toutes les productions animées grand public des dix dernières années.