De Yuval Noah Harari, 2014.
Très grand succès de librairie, l’israélien Yuval Noah Harari signait il y a quelques années déjà Sapiens, un formidable essai sur l’histoire de l’humanité. Historien militaire de formation, c’est à l’occasion de la reprise d’un cours dont aucun de ses collègues universitaires ne voulait se charger qu’il a commencé à traiter l’humanité de manière globale et non plus avec le filtre particulier d’une époque ou d’une matière historique spécifique. Car c’est l’ambition du bouquin : traiter l’Homme pour ce qu’il est, ni plus, ni moins, en tant qu’espèce, voire même de race au sein d’une espèce plus large, dans un perspective pan-historique.
L’Homme y trouve donc sa toute petite place au regard du temps géologique, ou dans la perspective plus réduite de l’homme comme race au sein de la famille des hominidés. Le Neandertal a, par exemple, une histoire beaucoup plus longue sur notre petite planète bleue que l’homo sapiens que vous et moi sommes. C’est le véritable succès de Sapiens, d’ailleurs : il réussit à nous raconter l’histoire de l’homo sapiens de manière claire et didactique, de ses premiers pas à ce qu’il est devenu quelques milliers d’années plus tard, à l’heure où la prochaine génération pousse le pied dans la porte (l’humain amélioré, le trans-humain, l’intelligence artificielle, etc.) en gardant une logique d’échelle. Nous ne sommes qu’un accident de l’histoire, ni plus ni moins.
Harari rejoint avec ce titre la caste relativement élitiste des grands vulgarisateurs scientifiques. Sapiens est avant tout extrêmement agréable à lire, pour un bouquin à vocation éducative : Harari a clairement le sens de la formule et émaille son récit (car il s’agit bien d’un récit) de pleins d’anecdotes truculentes, que j’ai bien sûr déjà oubliées… 🙂 Construit en quatre temps, de la révolution cognitive à la révolution scientifique (en passant par la révolution agricole et la mondialisation – dans le sens de l’unification du genre humain), Sapiens est effectivement un roman dont le personnage principal et presque unique n’est autre que nous, l’Homme. Illustré de manière fort adéquate, le livre se lit en quelques heures malgré ces 400 et quelques pages.
Alors, bien sûr, les esprits chagrins diront que le bouquin frise parfois avec une certaine légèreté scientifique (peu ou pas de référence pour nombre de passages) et obéit, il est vrai, à une certaine forme de sensationnalisme, marquée par les croyances propres de l’auteur (végétalien homo pratiquant la méditation dans un kibboutz… Hipster alert ?!). Tout ça est juste. Présenter par exemple la loi du marché comme une croyance, à l’instar de n’importe quelle religion ou, plus fondamentalement, n’importe quelle construction sociale, n’est bien entendu pas faux en soi, puisque son argumentaire se tient. Mais il est évident que cela colore son propos d’une certaine manière et que cela engendre, forcément, le débat.
Et c’est précisément la force du livre : c’est un essai à portée scientifique, un essai vulgarisateur, didactique, construit comme un récit. Harari n’a jamais prétendu l’inverse. Il recycle dans son livre (à moins que ce ne soit l’inverse) nombre des « trucs et astuces » qu’il a développé pour ses interventions TED. Et c’est justement ces ficelles littéraires qui rendent digeste son propos, en partant du principe que le lecteur lambda a suffisamment d’intelligence pour identifier les partis-pris de son auteur. Ceci-dit, reste donc une formidable fresque qui se lit avec plaisir, qui donne au lecteur le sentiment d’être plus malin après qu’avant. Pas étonnant que ce soit un succès !
PS: j’ai lu et commente ici la version paperback internationale de chez Bloomsbury – donc la traduction anglaise. Achetée dans un aéroport, elle a le double avantage d’être beaucoup plus pratique à lire que la VF publiée chez Albin Michel (en très/trop grand format) et, surtout, d’être beaucoup plus économique. L’anglais est très abordable, même pour ceux qui n’ont pas l’habitude de lire la langue de Shakespeare. Il me reste maintenant à me plonger dans Homo Deus, la suite, si l’on peut l’appeler comme ça, de Sapiens, rédigée quelques années plus tard et éditée en poche UK fin de l’année passée.