Édité par André-François Ruaud, 2018.
Troisième édition de cet ouvrage référence, après une première version en 2004 et une seconde édition augmentée et financée participativement sur Ulule en 2015, toutes deux épuisées, c’est également la première dans une version « semi-poche« . Malgré un format réduit par rapport à l’édition de 2015, qui ne semble que très peu différer au niveau du contenu, Hélios a fait un bon boulot pour sortir ce pavé de plus de 600 pages, avec ses dizaines d’illustrations couleurs, dans un format plus grand que leurs poches habituels en restant très agréable à prendre en main. J’ai toujours un peu de mal avec les couvertures, chez Hélios, que je trouve très fragile et dont la tranche, visiblement coupée avec le reste du livre, est assez rude. Mais, passées ces quelques remarques de forme, je ne peux qu’applaudir la volonté de publier dans une collection plus abordable ce qui est largement considérée comme l’une des meilleures références concernant la fantasy et le merveilleux en français.
Et quel ouvrage ! Ruaud, grand spécialiste du domaine depuis le début des années 90, s’est entouré de noms prestigieux pour signer un véritable panorama d’un pan de la littérature mondiale. Il s’agit, de fait, d’un panorama et non d’un encyclopédie : les grands noms s’y retrouvent, bien sûr, mais nombre d’auteurs connus et reconnus sont également laissés de côté (mais où est la Companie Noire ?!). Laissons cependant directement tomber ces débats stériles : les choix personnels de Ruaud et de ses coauteurs colorent évidemment le contenu et nous avons entre les mains une véritable déclaration d’amour, documentée et passionnante, sur le merveilleux et la fantasy de la préhistoire du genre jusqu’à nos jours. La grande force du bouquin est d’ailleurs de n’avoir pas imposé une forme aux articles. Si les textes signés par Ruaud lui-même, majoritaires, épousent la forme classique d’une biographie de l’artiste et d’un commentaire sur ses œuvres principales, ce n’est pas le cas d’autres articles. Ainsi, à titre d’exemple, le texte sur J.K. Rowling se concentre presque exclusivement sur la polémique ayant suivi l’exceptionnel succès de son œuvre maîtresse entre les auteurs et spécialistes du domaine, qui alternaient entre mépris et hommage.
De même, l’on pourra s’étonner que le panorama consacre plus de pages à Tad Williams qu’à J.R.R. Tolkien. Cela tient, cependant, comme lors de son premier essai consacré au genre publié dans la collection Folio SF début 2000 (Cartographie du Merveilleux), au fait que Ruaud sait très bien à qui il s’adresse. Le panorama n’est pas un ouvrage d’introduction ; son but n’est pas de faire de prosélytisme pour un genre méconnu auprès d’un public ignorant. Ruaud s’adresse avant tout aux passionnés, à ceux qui ont déjà fait leurs armes dans la littérature de genre, et qui cherchent à se cultiver davantage et à découvrir de nouveaux noms qu’on ne croisent que rarement dans des bouquins grand public ou dans les multiples tops 10/50/100 publiés sur le net. Grâce à cet angle, même des lecteurs relativement érudits ne manqueront pas d’y apprendre des choses, même sur leurs auteurs favoris.
L’autre grande force du panorama est de ne s’être pas limité aux auteurs de fiction. S’il est relativement classique d’y retrouver également les auteurs de contes (Andersen, les Grimm, Perrault) dans des ouvrages consacré à l’histoire du genre, il est moins courant d’y croiser autant d’illustrateurs (Rackham, Dulac, etc.) ou même de musiciens (l’un des derniers articles, consacré au merveilleux dans la musique classique est passionnant et aurait pu être développé encore bien davantage!). On y croisera également des auteurs dits de littérature « blanche » pour leurs incursions remarquées dans le domaine de la fantasy : Murakami, Auster ou même Hugo avec sa Légende des siècles. Bien sûr, comme les auteurs sont multiples, certains essais sont un peu plus faibles que d’autres (leur grande érudition les rend parfois abscons, à l’instar du texte de Jarowski sur les JdR qui, s’il est intéressant, n’est pas des plus marquants) ; la qualité générale moyenne restant cependant très élevée.
Je finis cette critique avec quelques regrets, cependant : d’abord, le passage en poche réduit par définition le nombre d’illustrations intégrée. La version de luxe publiée il y a trois ans grâce au financement participatif semblait regorger de magnifiques reproductions (je juge sur photo, je ne l’ai jamais eu en mains), alors que les articles de cette version poche sont au mieux illustrés d’une ou deux images par texte (peut-être trois pour certains). Si cela n’est pas dérangeant outre mesure pour les articles consacrés à des auteurs (Howard, Lewis, Leiber, etc.), c’est évidemment un poil déconcertant pour les nombreux articles consacrés aux illustrateurs. J’imagine qu’il faudra se reporter sur les beaux livres, également édités par Ruaud, consacrés à Rackham, Dulac ou Robinson. Autre regret ; s’il est vrai que le genre est archi-dominé par des anglo-saxons, il est assez dommage de n’avoir pas consacré une petite place à d’autres nations. Le Japon, qui a une tradition multi-séculaire dans le domaine, est par exemple très absent du panorama (et je ne parle pas que des mangas, complètement ignorés, mais également des histoires de yokaï, etc.) Enfin, j’ai pu remarqué quelques fautes, mots manquants et autres typos qui font toujours un peu tâche dans une troisième édition.
Mais bon, ces quelques regrets n’enlèvent rien à la qualité générale de l’ouvrage. Bien que volontairement construit comme un dictionnaire avec des entrées successives plus ou moins classées par ordre chronologique, le Panorama illustré de la fantasy et du merveilleux se lit sans aucun problème d’une traite. Chez un autre éditeur, il se serait appelé le Dictionnaire amoureux de la fantasy et du merveilleux, ce qui lui aurait peut-être donné un lectorat plus large, qu’il mérite amplement. Et le tout, pour un peu moins de 26€. Un must-have.