De Peter S. Beagle, 1968.
Je l’ai déjà évoqué dans ce blog, mais il est difficile de rester honnête et critique lorsque l’on parle de ses souvenirs d’enfance. L’adaptation animée de The Last Unicorn, signée par le fantastique duo Rankin et Bass en 1981 a bercé mon enfance. Longtemps, mes dimanches après-midi, quand ils n’étaient pas passés en compagnie de sabres laser ou de Delorean volante, l’étaient auprès de la dernière licorne, de Schmendrick le Magicien, de Molly Grue, de Momy Fortuna, mais aussi de Lady Amalthea du Roi Haggard et de son terrible taureau de feu (en VO, le Red Bull, qu’on ne citera pas pour éviter la publicité pour les boissons énergétiques). Le tout, bercé par les musiques très folk d’America (walking man’s road !).
Et pourtant. Et pourtant jusqu’il y a peu je n’avais jamais lu de Peter S. Beagle, l’auteur américain qui signa l’histoire originale en 1968 déjà. Assez discret, le bonhomme a reçu nombre de prix dans sa carrière d’écrivain de fantasy (le Hugo, le Nebula et le Locus. Bref, les trois grands) et signa notamment le scénario de l’adaptation du très étrange Seigneur des Anneaux de Ralph Bakshi en 78. Bref, pas un illustre inconnu dans le monde de la fantasy. Donc quand je suis tombé sur une vieille copie US du livre chez un bouquiniste (une édition poche de chez Del Rey, comme le célèbre Lester del Rey), je n’ai pas pu résister.
Evidemment, rester objectif est compliqué. C’est l’un des rares cas où je découvre le roman après l’adaptation. Je ne peux me souvenir que du Nom de la Rose de feu Eco. Et là aussi, ce fut un plaisir de découvrir que l’œuvre originale, comme souvent, était plus complète et plus riche. C’est le cas aussi de The Last Unicorn. Souvent, j’avais lu que Peter S. Beagle tenait davantage du poète que de l’écrivain – il est en effet également musicien. Et c’est tout à fait vrai. Ces mots s’enchaînent avec délicatesse et pas une seule de ses descriptions n’est dépourvue de double-sens lyrique ou imagée de manière aussi précieuse qu’inattendue.
Mais au-delà de la forme, The Last Unicorn est aussi un petit bijou romanesque, une fresque fantastique qui mélange des ingrédients très classiques du conte avec une histoire d’humanité et de perte de l’innocence. Le résumé est simple : une licorne se rend compte qu’elle est la dernière de son espèce. Un papillon de passage lui apprend que ces pairs ont été emmené par le taureau de feu du Roi Haggard pour les enfermer en son château reclus. Elle part donc à la recherche de ses semblables afin d’en apprendre plus sur leur sort et, si elle le peut, leur rendre la liberté. Elle rencontrera un magicien peu habille, Schmendrick, pour l’aider dans sa quête.
Bien que l’adaptation animée suivent fidèlement la trame générale du livre (à l’exception notable d’un chapitre se passant dans le village proche du château de Haggard), ce dernier est évidemment plus riche dans sa description du psyché des différents protagonistes. Et c’est l’intérêt majeur du bouquin : on découvre enfin que Schmendrick n’est pas qu’un praticien hasardeux et peu doué de l’Art. Son efficience reste discutable, mais il est également nettement moins jeune que ce que son apparence laisse présager. Aider la dernière Licorne n’est pas qu’une aventure à ses yeux, mais également une chance, assez égoïste, de lever une malédiction qui pèse sur ses épaules.
La serviable Molly Grue, déjà ostensiblement blessée dans l’animé, est essentiellement frappée par ses regrets dans le livre, ce qui ne l’empêche pas de continuer à croire, comme la jeune fille qu’elle fut un jour, avec une certaine naïveté mêlée de tristesse, en de meilleurs lendemains. Le Prince Lír, enfin, héros monolithique et unidimensionnel dans l’anime, ne l’est plus dans le livre. Il devient un héros par intérêt, pour charmer Lady Amalthea (la dernière Licorne, transformée en femme par Schmendrick pour échapper au taureau de feu) et non par altruisme gratuit. Bref, les personnages gagnent en épaisseur et en noirceur. Haggard reste quand à lui se personnage insaisissable de l’éternel insatisfait amoral et a-sentimental.
Là où l’animé évoquait la nostalgie d’un temps révolu, le livre prend lui des teintes plus sombres, plus douces-amères tout en conservant la poésie de sa trame et de sa forme. Souvent classé dans les meilleurs livres de fantasy sur les classements du web, The Last Unicorn n’est pas que le conte pour enfants auquel on le réduit parfois. C’est une épopée triste et grandiose, portée par une plume particulièrement adéquate qui laisse en bouche un goût de cendres. Les clés du paradis sont définitivement perdues lorsque l’on tourne la dernière page. Le monde de Peter S. Beagle tire un trait sur son enfance pour ouvrir la page, sans doute plus épique et bruyante, mais moins merveilleuse, de son adolescence.
Si vous tombez sur la traduction ou sur l’original, ne vous privez pas de cette occasion de (re-)découvrir ce classique, le projet d’une nouvelle adaptation en long métrage live étant définitivement enterré avec son principal soutien, le regretté Christopher Lee, aka le Roi Haggard dans l’animé de 82.