Édité par George R.R. Martin & Gardner Dozois, 2013.
Lorsque le père de Game of Thrones et l’un des meilleurs anthologistes de SFFF s’associent pour sortir un recueil de nouvelles, cela provoque bien sûr quelques étincelles. Preuve à l’appui avec cette anthologie, Dangerous Women, lauréate du World Fantasy Award en 2014, pour la qualité de ses textes. Quelques années avant le mouvement #metoo, Martin & Dozois avaient résolument choisis de rétablir le sexe dit faible comme le protagoniste fort de ces textes. Et de s’entourer, pour ce faire, d’une belle brochette d’auteurs prometteurs ou confirmés, connus pour le mordant de leur plume et la dureté de leur texte. Et ça marche.
Par une goujaterie que je ne saurais qualifier, J’ai Lu, éditeur poche du « Tolkien américain » (surnom de George R.R. Martin qui est difficilement compréhensible, car si Martin a assurément une bonne plume, il n’a pas révolutionné le genre de la fantasy comme a pu le faire son pair et père virtuel anglais en son temps), a choisis non seulement de séparer l’anthologie en deux tomes, mais aussi et surtout de consacrer ce premier tome aux auteurs… masculins ! Considérant le sujet, je ne saisis pas comment ils n’ont pas eu le réflexe de faire l’inverse. Mais, soit. C’est sans doute moins important que le contenu. Une fois n’est pas coutume, je toucherai un mot sur chacun des nouvelles, tant la qualité intrinsèque du recueil est bon et le style des nouvelles est différent d’un texte à l’autre.
L’anthologie s’ouvre sur Desperada, de Joe Abercrombie. L’auteur de La Première Loi, fidèle discipline d’une certaine forme de dark-fantasy mise en branle par un certain R.R. Martin, s’en donne à cœur joie dans ce récit de western. Rien de proprement fantastique dans ce texte : on assiste à la fuite éperdue d’une desperada qui, faute de monture, se trouve obligée d’affronter ses poursuivants. Et ça fait mal par où ça passe, bien sûr. Violent, assez court, direct : du tout bon Abercrombie que je découvre ici en format court, après avoir l’avoir déjà expérimenté quelques fois en long. Aussi bon au format court, donc.
Le second texte, Cocktail explosif, est signé de la main de Jim Butcher. Si ce dernier n’a pas, dans nos contrée, le succès qu’il connaît outre-Atlantique, il est et reste néanmoins l’estimé auteur des Dossiers Dresden (un paquet de romans mettant en scène Dresden, un enquêteur/magicien officiant dans un Chicago interlope. La nouvelle reprise ici trouve sa place assez loin dans la chronologie des Dossiers Dresden (dont seuls les premiers tomes sont parus il y a quelques années chez Milady/Bragelonne et ont disparu de la circulation depuis). C’est l’apprentie de Dresden qui en est, ici, le personnage principal : coincée entre deux races humanoïdes se livrant à des jeux d’alliance politique, la débrouillarde Molly doit relever le défi de dénouer une véritable lasagne d’intrigues tout en espérant sauver un ancien compagnon de route. Drôle, ambiance polar noir surnaturel, une belle réussite.
Le troisième texte, Catcher Jésus, est de l’inconnu (sous nos latitudes) Joe R. Lansdale. Bizarrement, les personnages principaux ne sont pas des femmes. En résumé, c’est l’histoire d’un gamin paumé qui se fait tabasser à l’école. Puis, il tombe sur un vieux qui l’aide (en lattant les pauvres racketteurs en deux coups de cuillère à pot). Et le vieux va l’aider à se développer. Mais le vieux en question est l’objet d’une malédiction, d’un envoûtement. Dans sa jeunesse, catcheur, il tomba éperdument amoureux d’un(e) succube. Les années passant, il perdit sa promise au profit de Jésus, le seul catcheur qui n’ait jamais réussi à le battre. Depuis lors, chaque année, ils se tapent sur la tronche pour savoir qui repartira avec la belle (et vieille, entretemps). Très bon texte, très bizarre.
Je sais comment les choisir, de Lauwrence Block, est le quatrième texte du recueil et, à mes yeux, sans doute le plus faible. Comme dans le texte précédent, c’est un homme qui est le personnage principal de l’histoire. Enfin, un homme… un prédateur. L’homme en question écume les bars de bord d'(auto-)route à la recherche de femmes seules. Et c’est d’autant mieux si elles ont une idée dans la tête. S’encanailler ? Ou des plans beaucoup plus sombres ? Si le texte est efficace, il aurait sans doute plus sa place dans une anthologie de polar que dans celle-ci. La fin est, de plus, assez convenue et prévisible (ce qui la fout toujours un peu mal dans une nouvelle).
L’inconnu (!) Brandon Sanderson (blague, blague, les amis) signe le cinquième texte : Des ombres pour Silence dans les Forêts de l’Enfer. Bien que je n’aie pas lu l’ensemble des textes de l’intéressé (quelques briques de Sanderson attendent encore bien gentiment dans ma PAL), je ne me pense pas me tromper en disant qu’il s’agit ici d’un monde-concept inédit. Comme d’habitude avec Sanderson, on ne peut qu’être impressionné par sa faculté à inventer un monde cohérent avec des règles magiques inédites. Et dans cette nouvelle, on est dans le tout bon : la nuit tombée, les spectres se lèvent. Ils se lèvent et ils attaquent lorsque les mouvements sont trop brusques ou lorsque le sang est versé. Et dans ce monde aux règles nouvelles, une tenancière d’auberge survit tant bien que mal au fin fond des bois. Enfin, une tenancière d’auberge… oui, la journée. La nuit, c’est une autre paire de manches. Comme toujours avec Sanderson, c’est très bien écrit, très prenant, cohérent et haletant. Bref, toujours aussi bon en court (comme en long).
Lev Grossman, l’auteur de la série Les Magiciens, signe avec La Fille du miroir une nouvelle dans le monde de son œuvre phare. J’étais curieux de lire quelque chose de Grossman depuis avoir lu un peu partout que sa série était une forme d’Harry Potter pour adultes. C’est maintenant fait. Et ma fois, c’était divertissant. Mais, sans plus. Le format court ne rend sans doute pas justice à ce monde en effet très proche de celui du petit sorcier anglais balafré. Le texte suivant, Annoncer la sentence, de S.M. Stirling, est nettement plus intéressant. On y découvre une femme qui a la lourde charge d’assumer le rôle de juge dans une petite communauté rurale, dans un monde post-apocalyptique (bien que l’accent ne soit pas mis là-dessus). Le texte est intelligent et est centré sur la responsabilité et l’éthique d’une pareille charge dans un monde où la société est mise à mal. Une pause plus réfléchie bienvenue entre des textes très fantasy-oriented.
Nommer la bête, de Sam Sykes, est relativement anecdotique. Si j’imagine que le sujet est la lycanthropie (qui n’est donc, comme le nom du texte l’indique, jamais nommée), j’avoue ne pas être réellement rentré dans le texte. Volontairement écrit de manière obscure, la nouvelle hésite selon moi trop entre le style et le contenu pour être satisfaisante dans l’un ou l’autre volet.
Le dernier texte, La Princesse et la Reine, ou les Noirs et les Verts, de George R.R. Martin, est évidemment la pièce maîtresse du recueil. L’éditeur de l’anthologie et auteur star nous livre ici, en à peu près 80 pages, la bataille pour le Trône de Fer qui occupa les pauvres gens de Westeros quelques générations avant les évènements de la série éponyme. Difficile à résumer dans le détail (bien sûr) : en gros, il s’agit de la guerre de succession qui opposa deux femmes Targayennes (et leurs alliés respectifs bien connus : les Lannisters, les Starks, les Highgarden, etc.) Le véritable coup de maître de cette nouvelle est que le très bavard R.R. Martin, spécialiste des bouquins kilométriques, écrit ici en moins de 100 pages une guerre qui a l’ampleur de celle de sa série phare. Des intrigues de palais aux morts abruptes en passant par des batailles homériques, tout y est. Et même plus : à l’époque, tous les protagonistes ont des dragons (d’où la fameuse première Danse des dragons). Et ça claque, les battles à dos à dragon.
En résumé, une très bonne anthologie. Quelques textes plus faibles, mais, dans l’ensemble, des bonnes découvertes et des confirmations. La deuxième partie, consacrée aux auteures, est dans ma PAL pour prochainement…