Sécheresse

De J.G. Ballard, 1964.

Quelques mois après la quatrième et dernière vision d’apocalypse rédigée par l’anglais J.G. Ballard, je reviens avec la troisième vision : Sécheresse. A l’instar de La Forêt de cristal, on ne rigole pas beaucoup dans ce court roman d’anticipation. En quelques mots, on y suit les pérégrinations du Dr Ransom (un autre docteur, en écho au personnage principal de La Forêt […]) dans un monde où l’eau disparait petit à petit.

Le roman est divisé en trois grands épisodes. Le premier voit le Dr. Ransom, qui décida de vivre sur une péniche après que sa femme l’ait quitté, s’accommoder tant bien que mal des premiers effets de la sècheresse. Il ne pleut plus, les réserves d’eau diminuent et les habitants de Mount Royal (contrairement à La Forêt […], la ville imaginaire est cette fois située – on l’imagine ? – aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni et non plus en Afrique) commencent à mettre en place des stratégies diverses pour faire face à l’apocalypse qui s’annonce. Comme dans le premier acte d’un drame, on assiste à la mise en place, assez lente, des différents protagonistes. Il y a là le placide Dr. Ransom, héros malgré lui, qui subit plus qu’il ne décide. Il y a son ex-femme et une vétérinaire dont il se sent proche. Il y a un notable riche de la ville, proche de la folie, entouré par sa famille dysfonctionnelle. Il y a aussi un jeune qui vit en dehors de la société classique et qui apprécie Ransom depuis que ce dernier l’a aidé à soigner des oiseaux sauvages dans les marais tout proches. Et d’autres, qui naviguent en périphérie du récit.

Inexorablement, alors que les habitants plongent de plus en plus dans la folie (désespoir, folie, retour à la religion, etc.), l’eau disparait. Ce qui amène les protagonistes à migrer vers la côte, comme tous les habitants de ce pays non-nommé. Côte où l’anarchie règne encore davantage, sous un joug militaire exclusif.

Au prix d’une ellipse amusante, on passe sans transition au deuxième acte. Ransom (sur-)vit alors dans un cabanon, en marge des groupes semi-organisés, quelque part entre la plage et la ligne côtière. Les eaux s’étant progressivement retirées, une zone large de plusieurs (dizaines de ?) kilomètres s’étend entre la plage d’origine et ce qui reste des eaux marines. Ce territoire, salé, exposé et vent et au soleil, est également le seul où l’humanité peut trouver un peu d’eau et un peu de nourriture (quelques poissons, crustacés et algues subsistent, qu’il s’agit de piéger lorsque la marée, faible, remonte vers la côte). Si le premier acte était consacré à une lente dégradation de la vie, ce deuxième est placé sous le signe de la survie et des compromis liés.

Mais la crise arrive, entraînant la résolution finale du récit. Acculé, le Dr. Ransom, accompagné de quelques personnages secondaires, décide de revenir à Mount Royal où, dit-on, l’eau coulerait à nouveau. Après un voyage à travers les landes désertiques de l’arrière-pays, le récit approche de sa résolution. Là où la folie humaine ne pourra s’exprimer qu’au mieux, là où l’humain tombe dans ses pires excès.

A l’heure du réchauffement climatique et des bouleversements météorologiques, Sécheresse sonne comme un avertissement sinistre à son lecteur : méfiez-vous des conséquences de vos actes ou de votre indécision, ils pourraient vous couter ce que vous avez de plus cher. Roman crépusculaire, Sécheresse tient autant de la fable que de la pièce de théâtre. J.G. Ballard ne s’embarrasse pas d’un réalisme scientifique (les explications avancées, bancales, n’ont que peu d’intérêt : Ballard le comprendra avant de rédiger son dernier opus apocalyptique, La Forêt de cristal, où il fera intelligemment l’économie d’une justification scientifique aux phénomènes étranges observés). Sécheresse est aussi un texte fort, dur, âpre. Son seul défaut est peut-être de présenter un personnage principal trop lisse, observateur de sa vie plutôt qu’acteur. On aurait aimé que, comme quelques personnages secondaires, il se rebelle. Qu’il manifeste, à minima, quelques émotions. Et s’il est apathique et dépressif dès le départ du récit, les conditions ne vont évidemment rien arranger.

Si j’ai préféré La Forêt de cristal pour la beauté des visions, la poésie de l’horreur, qu’elle propose, Sécheresse n’en demeure pas moins une mise en garde puissante et désespérée. Les images que Ballard évoque dans certains chapitres (je pense par exemple aux lions qui colorent de récit dans divers passages) sont elles aussi d’une poésie effarante. On s’étonnera d’ailleurs que Ballard laisse finalement une porte à l’espoir dans Sécheresse là où il abandonnera également cette piste dans La Forêt […]. Un texte à (re-)découvrir, si vous êtes dans une phase noire et que l’humanité, en général, ne vous évoque que peu d’espoir.

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