D’Alain Robbe-Grillet, 1981.
Sous-titré « Un trou rouge entre les pavés disjoints »
Court roman, guère plus d’une centaine de pages, du père du Nouveau Roman, écrit bien des années après son apport théorique (et pratique) au genre, la lecture de Djinn, bien qu’intéressante, me laisse un peu pantois. Là où le nouveau roman souhaitait effacer les notions d’histoire et de personnage, Alain Robbe-Grillet me semble les placer au contraire au centre de son récit. Alambiqué, il est vrai, puisque les mises en abîme se succèdent et qu’il est bien compliqué de déterminer ce qui appartient au réel et ce qui relève du fantasme, mais récit et personnages quand même.
En quelques lignes, le roman nous esquisse un épisode de la vie de Simon Lecoeur, dit Jan, Yann ou Boris, c’est selon. Simon, ou l’un de ses avatars, a un rendez-vous professionnel avec un employeur qu’il ne connait pas pour lui confier une tâche qui ne sera décrite qu’après plusieurs épreuves initiatiques. Cet employeur, personnifié en l’attirante Jean (à l’américaine, donnant probablement le Djinn du titre) reste largement dans l’ombre. Simon enchaîne alors les rencontres fortuites, qui s’avèrent rapidement instrumentalisées. Ces rencontres lui font vivre diverses épreuves. Avant de perdre la mémoire et de recommencer les mêmes épisodes dans un ordre bouleversé le lendemain. Où est-ce également un fantasme ?
Vous l’aurez compris, le but est moins de construire une histoire linéaire qu’enchaîner les fausses-pistes et les épisodes sensoriels divers. Écrit dix ans trop tard pour être le résultat d’un trip sous LCD (mais dans les temps pour profiter des débuts de la coke), Djinn est donc une expérience de lecture difficilement résumable. D’autant plus quand on ajoute à cela le « challenge » grammatical que représente la progression des chapitres (chaque chapitre ajoutant un temps de la conjugaison supplémentaire, ainsi que d’autres difficultés grammaticales diverses).
J’en reviens au lien avec le nouveau roman. Si l’histoire comme les personnages se dissolvent avec la progression du récit (des pages serait plus juste, puisque de récit il n’y a peut-être pas), il n’en demeure pas moins que Simon et Jean sont les fils rouge auxquels s’accrochent le lecteur lambda que je suis. Je suis donc finalement probablement un peu déçu, restant sur ma faim quand à un texte qui se veut déconstruit mais qui n’arrive pas à s’affranchir d’un certain classicisme, d’un formalisme romanesque.
On notera également que, texte tardif de son auteur, l’influence du cinéaste qu’est par ailleurs Alain Robbe-Grillet transparait dans Djinn. Nombre de passages sont effectivement découpés en scènes successives et sont construire de manière à « voir » les cadrages auxquels l’auteur pensait sans doute lors de l’écriture. Ce qui rend cette expérience de lecture finalement très visuelle. D’autres lecteurs vous tiendront probablement un discours beaucoup plus érudit sur ce roman, avec certainement moult analyses et références, mais sa lecture ne m’a pas spécialement donné l’envie de creuser dans l’œuvre de Robbe-Grillet ou dans son apport théorique au genre romanesque. Dont acte.