Morwenna

De Jo Walton, 2011.

Par curiosité, je me suis lancé voilà quelques jours dans la lecture d’un des premiers romans de Jo Walton. La romancière est devenue une incontournable de la blogosphère SFFF depuis la parution du semble-t-il très apprécié Mes vrais enfants. Morwenna est un titre un peu plus ancien, mais qui a eu l’honneur de remporter le Nebula du meilleur roman en 2011 et le Hugo et le British Fantasy Award du meilleur roman en 2012. Un bon palmarès auquel il ne manque que le Locus, en somme. Mais, vous allez me dire, tout ça c’est très bien, mais de quoi ça parle ?

Et bien Morwenna suit la vie d’une adolescente prénommée *attention, roulements de tambours! * Morwenna. Cette brave jeune fille de 16 ans a une vie plutôt compliquée, comme peut l’être la vie de toutes les adolescentes du monde entier. Peut-être un peu plus compliquée que la moyenne. Elle est handicapée à la suite d’un accident de circulation qui a coûté la vie de sa sœur jumelle voilà un peu plus d’un an. Elle s’est enfuie de chez sa mère et a trouvé refuge chez son père, qu’elle n’avait jamais vu avant. Ce dernier, ne sachant trop quoi faire d’une ado et s’inventant père sur le tard, l’inscrit dans le collège privé où ses sœurs, trois vieilles filles très britanniques dans leur manière d’être, ont fait leurs études étant jeunes. Le collège en question est un internat et, bien sûr, les filles y sont toutes des pimbêches qui se plaisent à harceler Morwenna de 1001 façons.

Heureusement, Morwenna a une passion : la littérature de genre. Et plus particulièrement de fantasy et de SF. Elle s’évade donc dans les romans quand elle ne peut plus s’échapper de sa propre vie. Rayon de lumière cependant : elle découvre un club de lecture consacrée à la SF et au fantastique au sens large à la bibliothèque publique de la petite ville qui jouxte son collège. Elle s’y trouvera de nouveaux amis, y compris un jeune rebelle de 17 ans (et demi), aux cheveux longs et au passé sulfureux. Et l’on découvre tout cela sous la forme du journal intime, le bouquin étant rédigé au jour le jour par Morwenna qui nous explique son ressentit, ses péripéties et sa vie avec chaque jour 24h de décalage.

Mais, mais, mais… Alerte romance à deux balles ! alliez-vous me dire. Et de fait, le bouquin sent bon la romance fleurie pour adolescente quand on le résume comme ça. Et c’est ce qu’il est en partie. Mais il est également plus que cela. Car j’ai volontairement omis de vous dire que Morwenna voit des fées depuis son plus jeune âge. De vraies fées, pas celles de Disney. Celles que croisent Morwenna sont aussi attirantes que repoussantes ou dérangeantes. C’est à cause d’elles, par exemple, que l’accident qui a coûté la vie à sa sœur est arrivé. Enfin… c’est encore plus compliqué. Morwenna et sa sœur (Morgana, bien sûr) luttaient depuis toute petite contre leur mère. Car leur mère est une sorcière qui a pour ambition de devenir une reine noire…

On nage donc en plein fantastique. Et c’est la force du roman : sous ses dehors de bleuette pour adolescente, une ambiance lourde de magie réaliste et dangereuse se dégage par petites touches successives. C’est pour connaître le fin mot de cet aspect de l’histoire que le lecteur enchaîne les 400 pages de confessions intimes d’une ado mal dans sa peau. Vous l’aurez compris à mon ton un peu cynique, je crains ne pas être tout à fait le cœur de cible du bouquin. Autant je saisis que l’aspect fantastique est réellement bien amené, autant je ne saisis pas que l’œuvre comme un tout ait pu recevoir autant de distinctions honorifiques. J’avais déjà parlé dans ces colonnes, je ne sais plus à quelle occasion, du côté de plus en plus « bien-pensant » des prix littéraire de SFFF. Et je crains que Morwenna en soit un nouvel exemple : prendre une héroïne handicapée dans une romance, il est vrai très bien écrite, n’en fait pas pour autant un formidable livre. C’est un bon livre, c’est vrai. Mais un grand livre ? Honnêtement non. La prévisibilité des aléas de sa vie quotidienne et le côté répétitif de la forme (un journal intime, je le rappelle), rendent parfois la lecture un peu longuette. Et c’est bien dommage.

Reste le dernier aspect qui justifie peut-être la multitude de prix : Morwenna est également une déclaration d’amour de Jo Walton à la littérature de SF et de Fantasy. Les dizaines (centaines ?) de références que Morwenna égrène au fil des pages de son journal, avec ces commentaires parfois enflammés, parfois très acerbes (Stephen R. Donaldson et, dans un autre registre, Terry Brooks en prennent pour leur grade !) sont très amusants à lire pour les fanatiques du genre. Ils laisseront cependant froid tous les lecteurs moins familiers du genre qui n’auront pas les clés pour comprendre les allusions et pas la patience pour faire l’effort de se mettre à jour en lisant les œuvres citées. C’est donc un jeu dangereux : on fait plaisir au public de connaisseurs (en ce compris les jurys des prix obtenus), mais on s’aliène aussi un public plus large qui trouvera sans doute assez assommants ces listes de références qu’ils ne partagent pas. Un roman assez bancal à mes yeux, en définitive.

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